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se régissant elle-même au moyen d'un conseil municipal composé de quarante membres, dont trois sortants et trois élus chaque année. Ce conseil fixe tous les ans le montant d'un impôt destiné à subvenir aux frais du culte et de l'enseignement et à former un fonds de secours commun. Pour le reste, les juifs sont soumis aux mêmes magistrats que les Romains. Leur état civil est enregistré par le rabbin, et communiqué au gouvernement par le recensement et la statistique. Ils peuvent être propriétaires d'immeubles, mais dans le Ghetto seulement, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient propriétaires de toutes les maisons. Ils y jouissent du privilége de travailler le dimanche, et quand on se hasarde ce jour là dans cet horrible quartier, dont la malpropreté est révoltante, même à Rome, on trouve toutes les femmes occupées dans la rue, à carder des matelas et à rapiécer de vieux habits. Le commerce des vieux habits est là, comme partout, leur industrie principale, mais ce n'est pas la seule, en dépit du règlement de Paul IV. Ils sont surtout courtiers de marchandises. Presque toutes les familles romaines ont leur juif, qui se charge de tous leurs achats, et qui, en faisant un bénéfice pour lui-même, leur vend encore les étoffes, les meubles, les denrées, à prix réduits et à long terme. Ils sont honnêtes, industrieux et discrets. Ils ne peuvent fréquenter que leurs propres écoles, à l'exception de la Sapienza, où il leur est permis d'étudier les sciences et de se faire recevoir médecins. Jusqu'aux dernières années du pontificat de Grégoire XVI, ils étaient obligés d'assister tous les samedis à une instruction catholique; cet usage est aboli en droit; seulement, les deux places de prédicateur des israélites et de président du sermon sont conservées, et le nom des titulaires figure dans l'almanach de 1866. L'impôt de huit cents scudi qu'ils étaient obligés d'offrir au sénateur tous les ans à l'ouverture du carnaval, est également aboli; mais ils sont encore soumis à trois obligations humiliantes ou vexatoires : 1° ils offrent au nouveau vice

gérant qui entre en fonctions (sorte de lieutenant de police sous les ordres du cardinal-vicaire) des burettes en argent; 2° ils payent à l'église des convertis une somme de quatre cents scudi (c'est une amende qui leur a été imposée vers la fin du siècle dernier pour une publication séditieuse ou réputée telle); 3° ils payent douze cents scudi pour l'entretien et l'éducation des catéchumènes1. Ce dernier impôt surtout est, dans son genre, une merveille. Les juifs, comme tous les Romains, et comme les étrangers, ont besoin d'une permission pour sortir des états pontificaux; mais les juifs n'obtiennent qu'une permission conditionnelle. Et comment seraient-ils libres dans un pays où les catholiques mêmes risquent d'être emprisonnés s'ils n'accomplissent pas le devoir pascal; où les évêques rappellent dans leurs mandements les lois du moyen âge qui condamnaient les blasphémateurs à la flagellation, à l'exil ou à la mort 3; où les inquisiteurs provoquent publiquement à la délation, en allouant aux dénonciateurs

1. J'ai visité le Ghetto à la fin de 1866. Je fixe cette date, parce que les renseignements que je donne ici, et que j'ai recueillis sur les lieux, ne tarderont pas, je l'espère, à devenir inexacts.

2. Les Archives israélites du 1er janvier 1857 contiennent la pièce suivante: « Inquisition de Ferrare. Il est par la présente permis au juif. natif de Ferrare, de s'absenter pendant l'espace d'un mois, afin de se rendre à Bologne pour affaires commerciales, sous la condition expresse que sa conduite sera exempte de toute offense, soit contre notre sainte religion, soit contre les bonnes mœurs, durant son absence du Ghetto; et que, dès qu'il sera de retour, il remettra au plus tôt la présente à l'inquisition et ne pourra plus s'absenter sans nouvelle permission écrite; déclarant que la présente licence sera de nulle valeur, si le porteur, dès son arrivée au lieu de sa destination, ne la présente immédiatement à l'évêque, à l'inquisition, ou à leur vicaire dudit endroit, et s'il n'y fait apposer leur visa. Elle sera également sans valeur si les mêmes personnages croient, par de justes raisons, ne devoir pas y avoir égard.... Ferrare, le .... nov. 1856.

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« Pour le vicaire du saint-office, << FR. PH. MENGHI, des frères Prêcheurs. »

3. « Nous nous abstiendrons de rappeler de quels châtiments sévères Dieu, dans les saintes Écritures, a ordonné de punir le blasphème, la

le tiers des amendes encourues1? Pour l'Espagne, on sait qu'elle est au premier rang parmi les ennemis des juifs. Après avoir chassé les Maures de la péninsule, Ferdinand et Isabelle crurent compléter leur ouvrage en en faisant sortir aussi les israélites. Huit cent mille sujets espagnols se trouvèrent tout à coup sans patrie. Quatre ans après, en 1496, le Portugal imita cet exemple, et les juifs portugais furent obligés de se réfugier à Bordeaux et dans le midi de la France. Quelques-uns furent s'établir en Hollande, où leur colonie a prospéré. Le roi Emmanuel ordonna que les enfants au-dessous de quatorze ans seraient retenus par force en Portugal, et baptisés. On vit des parents tuer leurs enfants et se tuer après eux. Depuis longtemps les juifs sont rentrés en Portugal; mais aujourd'hui même il n'y en a pas en Espagne, ou, s'il y en a, chent leur religion. Ils ne peuvent pas avoir d'état civil, car la loi ne commet aucun magistrat pour recevoir les actes de naissance et de décès et pour présider aux mariages; les curés catholiques sont seuls chargés de constater la naissance ou la mort et de légitimer les unions. Et pourtant, presque chaque année, un souffle libéral passe sur l'Espagne. On y a perdu le fanatisme de la royauté; mais on y a retenu quelque chose du fanatisme religieux : c'est le terroir de l'inquisition 2!

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non-observance des fêtes, la profanation des églises, la violation du jeune et l'immoralité. Nous ne rappellerons pas non plus de quelle manière les lois civiles et canoniques punissent ces crimes. Tout le monde sait que, d'après le caractère du crime et des personnes et selon les circonstances des temps, les peines ordinaires ont toujours été soit l'excommunication, soit la prison, soit l'amende, soit la flagellation, soit l'exil, soit même la mort. » (Mandement du cardinal-évêque d'Osimo.)

1. Edit de Mgr Patrizi, président du tribunal de l'inquisition, janvier 1856; édit général du saint-office promulgué par le P. Thomaso Vincensio Atraldi, inquisiteur pour les villes et diocèse d'Ancône, Cosimo, etc. 2. Voici les termes d'une circulaire récente (1857) du ministre de l'intérieur Les décrets royaux rétablis ne permettent aucune controverse sur les matières religieuses; il ne sera pas permis non plus de discuter l'opportunité de la conservation en Espagne de l'unité religieuse, jadis héroïquement défendue par les Espagnols au prix de leur sang. »

Il serait trop triste de montrer les juifs opprimés dans la plupart des cantons suisses. Ces restes de barbarie font trop de mal, quand on les retrouve sur le sol de la liberté. Il faut se souvenir aussi des longs débats qu'a suscités l'élection de M. Lionel Rothschild au Parlement. On ne refusait pas de le recevoir, non; mais on refusait de modifier · pour lui la formule du serment, qui se terminait ainsi : « Je le jure sur la foi d'un chrétien. » Et pourtant, voyez l'inconséquence; jurer ainsi, pour M. de Rothschild, ce n'était pas jurer du tout. Il n'aurait pas refusé, s'il avait eu moins d'honneur.

Je conclus que la liberté de conscience est nouvelle, qu'elle est incomplète, même en France, et qu'elle est méconnue dans la moitié de l'Europe. Cependant, nous croyons la posséder. Nous ne sentons pas notre maladie, ce qui est la pire de toutes les maladies. Nous ne comprenons pas qu'il n'y a pas de liberté du dehors, pour qui ne possède pas la liberté du dedans.

QUATRIÈME PARTIE.

CONCLUSION GÉNÉRALE,

CHAPITRE I.

Le régime des concordats est incompatible avec la liberté des cultes.

Il faut ici éviter une équivoque.

L'État a des lois : il ne peut y renoncer au gré des sectaires.

L'État protége les personnes; il punit l'assassinat. Il ne peut tolérer une religion qui prescrit des sacrifices humains, parce que ce serait permettre l'assassinat.

Il protége la propriété; il punit le vol. Il ne peut permettre qu'oh vole, sous prétexte de religion. De même, il punit l'adultère. Il appliquera donc la loi à tout citoyen convaincu d'adultère, fût-il mormon.

En un mot, les cultes ne sauraient être exemptés de la réglementation commune; mais ils ne doivent être soumis qu'à la réglementation commune.

Il est bien entendu que l'État ne doit pas exagérer la réglementation; que, soit dans ses prescriptions, soit dans ses prohibitions, il doit se borner au nécessaire. Car sans cela, il exprimerait une doctrine, et par conséquent l'im

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