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des esprits qui aspirent à ne pouvoir être dépassés, et qui ressemblent à Diogène jetant son écuelle pour boire dans le creux de sa main; il fallait tuer la religion, pour dépasser ceux qui ne tuaient que les prêtres. Et combien dura l'athéisme, prêché, imposé par la Commune de Paris, alors si redoutable? Quelques jours. Il fut remplacé presque sur-le-champ par le naturalisme de Robespierre. Robespierre lui-même étant tombé, comme on pourrait dire, dans le premier mois de son pontificat, on effaça ce qui s'était passé dans ce court espace de quelques semaines, et les églises furent rouvertes. On peut soutenir que, pendant toute la Révolution, le culte fut célébré, et qu'il le fut publiquement, sauf peut-être pendant un trimestre. Gobel abdiqua, avec plusieurs de ses confrères. Donc, ils étaient reconnus comme évêques. L'évêque Grégoire ne cessa pas de siéger et de réclamer la liberté des cultes. Très-peu de temps après l'abdication de Gobel, le clergé de Paris procéda très-ouvertement à l'élection d'un évêque pour le remplacer, et Roger, évêque du département de l'Ain, fut élu1. Quand on revint à une sorte de liberté après le 9 thermidor, on donna une église à chaque arrondissement de Paris pour célébrer le culte. On le célébrait; il y avait des fidèles; il y en eut toujours. Les uns suivaient les réfractaires, ce qui était courir risque de la vie, et presque toujours renier la Révolution, car les prêtres réfractaires ne séparaient pas la religion de la politique; le plus grand nombre suivaient les constitutionnels, ce qui n'était ni sans danger, ni sans difficulté, le nombre des paroisses étant fort restreint, et ce qui, en outre, choquait le sens commun, car cette Église, née d'un décret de la Constituante, voulant être catholique quoique condamnée par le pape, mêlant presque partout la politique des clubs à l'enseignement de l'Évangile, n'était pas faite pour retenir des esprits sensés. Mais on allait, parce qu'on était pressé

1. 8 prairial an vi.

par le sentiment religieux, qui est un fait de la nature humaine. Après l'avénement du Directoire, il se produisit une secte assez ridicule, sous le nom de théophilanthropes. Elle eut aussi ses adhérents. Quand le premier consul fit le concordat, il y avait assez longtemps que le budget des cultes était supprimé et très-longtemps que l'Église constitutionnelle était plutôt répudiée que soutenue par le gouvernement; cependant, à ce moment même, elle tenait à Paris, publiquement, dans l'église de Notre-Dame, son second concile. Le premier avait été célébré du 29 thermidor an v au 22 brumaire an vi. Le second dura depuis le 10 messidor an Ix jusqu'au 28 thermidor de la même année. Il comptait quarante-cinq évêques et environ quatrevingts députés du second ordre. Grégoire, évêque de Blois, y prononça le discours d'ouverture. Le concile déclara en se séparant qu'il n'avait d'autre but que la pacification de l'Eglise gallicane; il avait fait la même déclaration dans une lettre adressée au Pape.

Le premier consul, qui traitait avec le Pape et par conséquent avec le clergé orthodoxe, ne fit intervenir en aucune façon le clergé révolutionnaire dans les préliminaires du concordat; mais le concordat fait et signé, il montra, comme j'aurai occasion de le raconter plus loin, qu'il ne voulait point le renier, et exigea que le Pape l'admît à sa communion. Il se trouva qu'après tout ce qui avait été fait contre les deux clergés, ils subsistaient l'un et l'autre : c'est un très-grand fait historique, qu'il importait de mettre en lumière, et qui prouve une fois de plus qu'on n'agit sur la conscience que par la persuasion.

TROISIÈME PARTIE.

LES CONCORDATS.

CHAPITRE I.

De la nature des concordats.

Avant de rendre compte du concordat de 1801 et de l'espèce de liberté religieuse qui en résulte, je dois parler des concordats antérieurs, et avant tout, expliquer ce que c'est qu'un concordat.

Il est naturel d'aimer et de chercher la vérité, et quand on l'a trouvée, de désirer la répandre et de s'irriter contre l'erreur. Ce besoin de propagande devient plus vif encore quand il s'agit d'une vérité morale et principalement d'une vérité religieuse.

Il y a deux moyens légitimes de répandre une vérité : la prouver ou la faire aimer; propagande par la démonstration, propagande par la persuasion. De ces deux moyens, le premier est le plus régulier, le second est peut-être le plus fort; le premier est toujours honnête, le second l'est ou ne l'est pas, selon la nature des procédés employés en effet, on peut faire aimer une doctrine en montraut qu'elle est pure ou en montrant qu'elle profitable.

Il y a une troisième sorte de propagande, et celle-là est toujours criminelle; c'est celle qui a recours à la force. Cette sorte de propagande est proprement ce qui constitue l'intolérance.

L'intolérance peut être exercée au nom de l'erreur, et même de l'erreur connue pour telle par l'intolérant; elle peut procéder par la violence directe ou par la violence indirecte; par exemple, un proconsul dit à un chrétien: Tu adoreras Jupiter, ou tu mourras; un inquisiteur dit à un juif: Tu confesseras Jésus-Christ, ou tu mourras; voilà la violence directe: Louis XIV remet leurs dettes aux nouveaux convertis, il les exempte de loger les gens de guerre, voilà la violence indirecte. On arrive quelquefois par la violence indirecte, à inculquer une croyance; par la violence directe, on n'agit que sur la volonté, on n'obtient qu'une adhésion extérieure, réprouvée par la conscience de celui qui s'y soumet. Ces diverses formes de l'intolérance peuvent en augmenter ou en atténuer l'horreur : mais le crime de l'intolérance consiste essentiellement dans l'action d'employer la force, ou plus généralement l'autorité, comme moyen de propagande.

La liberté étant le propre caractère de la philosophie, toute doctrine propagée par la force est nécessairement une doctrine religieuse. Je ne parle pas ici de l'intolérance privée, par exemple, des abus d'autorité ou de force commis par un père, un mari, un maître; car l'intolérance privée n'est exercée impunément que dans les pays où règne l'intolérance publique. L'intolérance publique n'est autre chose qu'une organisation vicieuse des rapports de la religion et de l'État. Or, sur les rapports de la religion et de l'État, trois systèmes sont en présence: le système des religions d'État, celui de l'indépendance absolue, et celui des concordats.

Il convient de faire une classe à part pour l'Angleterre, qui professe la liberté des cultes tout en donnant à l'Église établie une existence officielle. Ce système bâtard ne peut

être expliqué que par les habitudes d'un peuple qui améliore sans cesse ses lois en les réformant, jamais en les supprimant. La religion d'État s'est conservée en Angleterre, parce que tout s'y conserve; et la liberté s'y est établie, parce que toute liberté finit par s'y établir. L'antagonisme de l'Église officielle et des Églises dissidentes, les luttes qu'il a fallu soutenir pour ôter à la religion de l'État sa prépondérance, et les dangers que ces luttes ont suscités, sont une preuve irréfragable de la nécessité de l'unité et de la logique dans la législation d'un peuple. Aujourd'hui l'Église établie n'a plus, comme religion d'État, qu'une existence nominale. Sa situation rappelle celle de la République française dont Napoléon Ier, empereur, inscrivait le nom en tête de tous les actes de l'autorité publique. Grâce aux progrès de toutes les libertés, la religion d'État en Angleterre, n'est plus qu'un budget et une formule. C'est pourquoi je ne tiendrai aucun compte, dans ce qui va suivre, de cette situation anormale.

Cette réserve faite, il va sans dire que je repousse péremptoirement le système des religions d'État, qui est la négation même, ou plutôt la proscription de la liberté de penser. Soit qu'on subordonne l'État à la religion, comme dans le gouvernement théocratique de Rome, ou la religion à l'État comme en Russie, ou qu'on essaye, comme autrefois en France par l'établissement des libertés de l'Église gallicane1, de limiter et de contenir le pouvoir spirituel, une religion d'État est la forme la plus complète et la plus absolue du despotisme. En toute autre matière,

1. On lit dans le préambule de l'Édit pour la promulgation de la Déclaration de 1682 : « Bien que l'indépendance de notre couronne de toute autre puissance que de Dieu soit une vérité certaine et incontestable, et établie sur les propres paroles de Jésus-Christ, nous n'avons pas laissé de recevoir avec plaisir la Déclaration que les députés du clergé de France, assemblés par notre permission en notre bonne ville de Paris, nous ont présentée, contenant leurs sentiments touchant la puissance ecclésiastique, etc. »

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