Page images
PDF
EPUB

pour un concile, aller vite en besogne. L'Assemblée, prenant au sérieux jusqu'au bout son rôle théologique, ordonna que tous les ecclésiastiques prêteraient serment à la Constitution, et que les insermentés seraient immédiament remplacés dans leurs emplois1. En même temps, elle décréta qu'il leur serait alloué une indemnité 2.

Le décret du 2 novembre 1789, qui avait supprimé les biens du clergé, celui du 28 octobre qui avait suspendu les vœux monastiques, avaient été le signal d'une vive agitation, qui ne fit que s'accroître après la promulation de la Constitution civile, et à laquelle la loi du 29 novembre (celle qui prescrivait le serment) mit le comble. La plupart des évêques publièrent des mandements où ils annonçaient leur résistance et s'en faisaient gloire. Plusieurs ne se contentèrent pas d'attaquer la Constitution civile, et lancèrent l'anathème sur la Révolution et sur l'Assemblée. Il y eut, dans le Midi, de véritables émeutes. Quand les membres du clergé qui faisaient partie de l'Assemblée furent sommés de monter à la tribune pour prêter individuellement le serment, toutes les séances furent pleines d'orages. Le public, gonflé de haine contre les prêtres, et ne voyant dans cette résistance que le regret des richesses perdues, éclatait en provocations et en menaces.

Le roi se fit arracher sa sanction. Il la donna pourtant. Il sentait qu'une plus longue résistance perdrait la cause du catholicisme, et peut-être la royauté; il fit inutilement supplier le pape, qui se montra inflexible. A peine la sanction fut-elle donnée que le pape reprocha à Louis XVI d'avoir violé son serment et renié sa foi. Des encouragements à la résistance ne cessèrent de venir de Rome.

1.27 novembre 1790.

2. Cette indemnité fut très-généreusement fixée pour les évêques à 12000 fr. pour le minimum, 30000 fr. pour le maximum, et 75 000 pour l'archevêque de Paris. (Cf. le décret du 8 février 1791.)

Voyez sur la Constitution civile du clergé, M. Edm. de Pressensé, VÉglise et la Révolution française, in-8°, Paris, Meyrueis, 1864, ch. III; spécialement, p. 122 sqq.

Le pape n'attaquait pas seulement le décret relatif à la religion catholique. Dans une bulle du 10 mars 1790, il condamnait en termes indignés « cette liberté de penser, de dire, d'écrire, et même de faire imprimer impunément, en matière de religion, tout ce que peut suggérer l'imagination la plus déréglée droit monstrueux, qui paraît cependant à l'Assemblée résulter de l'égalité et de la liberté naturelles à tous les hommes. » Enfin, dans un bref du 13 avril 1791, il condamna définitivement, comme contraire à l'orthodoxie, la Constitution civile du clergé.

Dès ce moment, il y eut trois partis en France, en matière de religion: ceux qui ne voulaient plus de religion, ceux qui obéissaient à la loi de l'État en acceptant la Constitution civile du clergé, et ceux qui obéissaient au pape en la rejetant. Ces deux derniers partis, l'un schismatique, l'autre rebelle, se prétendaient l'un et l'autre catholiques. Ils étaient l'un et l'autre partisans du lien indissoluble entre la religion et l'État, les premiers en subordonnant la religion, les autres en subordonnant l'État. Ils pouvaient, de part et d'autre, tolérer des cultes dissidents, mais puisqu'ils demandaient une Église officielle, ils étaient ennemis de la liberté. La liberté de conscience n'avait donc pas de partisans dans cette Assemblée vraiment libérale, et qui mettait la liberté de conscience au nombre des premiers principes du droit public.

Parmi les évêques, quatre seulement acceptèrent la Constitution et conservèrent leurs siéges1. L'un d'eux, qui était cardinal, offrit sa démission de cardinal au pape, qui l'accepta. Les autres évêques émigrèrent pour la plupart. Ceux qui restèrent ne tardèrent pas à être persécutés. On peut dire que l'Assemblée constituante et surtout les assemblées qui suivirent, persécutèrent les insermentés par les voies ordinaires de la persécution, la confiscation,

4. Loménie de Brienne, cardinal, ancien ministre, archevêque de Sens, Talleyrand Périgord, évêque d'Autun, de Jarente, évêque d'Orléans, de Savines, évêque de Viviers.

l'exil, la prison et la mort, et qu'elles persécutèrent l'Église constitutionnelle en la protégeant, jusqu'au moment où la haine du prêtre prit le dessus, et fit la guerre au principe inême de la religion. Ce moment, comme on sait, ne dura que quelques jours.

CHAPITRE V.

Persécutions exercées contre les prêtres réfractaires.

Je suivrai d'abord dans son martyre cette Église orthodoxe, que nous venons de voir orgueilleuse et fougueuse dans sa résistance. Il ne s'était trouvé que quatre évêques pour désobéir ouvertement au pape. Ceux qui avaient émigré, écrivaient dans leurs anciens diocèses, pour exciter les fidèles contre les nouveaux prélats et les prêtres schismatiques. Les évêques et les prêtres insermentés restés en France, étaient l'objet des haines populaires. En Champagne, un prêtre qui expliquait son refus de serment, fut tué d'un coup de fusil devant l'autel. A Paris, quelques maisons, où des prêtres réfractaires s'étaient réfugiés, furent pillées; des religieuses furent arrachées de leur asile et fustigées en public. Cependant l'exercice du culte orthodoxe n'avait été proscrit par aucune loi; l'ancienne Église pouvait vivre, en qualité d'Église tolérée, à côté de la nouvelle qui était l'Eglise officielle de l'État. Cette dernière pouvait seule user de ceux des édifices religieux qui n'avaient pas changé de destination; mais rien n'empêchait les orthodoxes de louer une maison particulière pour y célébrer leurs offices. Quelques-uns d'entre eux louèrent en effet l'église des Théatins, devenue propriété privée. Ils placèrent sur la porte, avec l'assentiment des magistrats, l'inscription suivante: « Edifice con

sacré au culte religieux par une société particulière. Paix et liberté. » C'était se soumettre à la loi, invoquer les principes mêmes de la Révolution : une émeute fit avorter le projet, rendit le culte impossible. Il en fut de même, rue des Carmes, au collége des Irlandais. Le roi, qui avait sanctionné la Constitution civile, en restant personnellement fidèle à la communion romaine, voulut se rendre à Saint-Cloud pour faire ses pâques : une émeute l'en empêcha. La Fayette réclama énergiquement au nom des principes violés. Il ouvrit une chapelle privée dans sa maison. La question fut portée devant l'Assemblée, qui, après de longs débats, reconnut que les prêtres orthodoxes avaient seulement perdu la qualité de fonctionnaires publics, et le droit de célébrer le culte aux frais de l'État, dans les édifices appartenant à l'État; mais qu'ils demeuraient libres d'exercer leur religion, comme ils l'entendaient, dans des chapelles privées. La majorité de l'Assemblée le voulait ainsi; mais la majorité de Paris pensait autrement. Ceux mêmes qui n'étaient pas poussés par le désir d'en finir avec la religion, prenaient au sérieux la nouvelle Église d'État. Ils la soutenaient, et ils attaquaient la liberté des cultes, par libéralisme, parce qu'ils n'apercevaient pas clairement le principe abstrait de la liberté, tandis qu'ils connaissaient parfaitement le passé du catholicisme et les opinions politiques de la plupart des prêtres réfractaires. Il faut aimer beaucoup la liberté pour l'aimer dans ses ennemis. La translation des cendres de Voltaire au Panthéon, et peu de temps après, la fuite du roi à Varennes augmentèrent les alarmes des révolutionnaires, dont les souçons se portaient à chaque occasion sur les émigrés et sur les prêtres. Dans la séance du 4 août, un député nommé Legrand, proposa d'exiler, à trente lieues de leur domicile, les prêtres insermentés du Nord et du Pas-de-Calais.

La venue de l'Assemblée législative n'améliora pas leur condition; au contraire, la haine montait, et des imprudences lui fournissaient chaque jour des prétextes. On

« PreviousContinue »