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en contradiction flagrante, non-seulement avec le siècle, mais avec l'esprit de la doctrine chrétienne. Si jamais, par impossible, elle redevenait intolérante, je ne voudrais, pour la combattre, que l'Évangile. Souvent, en lisant le récit des auto-da-fé, je me suis demandé ce qu'aurait dit ce Jésus de Nazareth qui chassa les marchands du temple, si tout à coup, par un prodige, il étai apparu entre les victimes et les bourreaux et je me suis rappelé avec admiration et attendrissement ces paroles bénies:

« Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez pas, et quiconque tuera, méritera d'être jugé par le jugement.

<< Mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère contre son frère, méritera d'être condamné par le jugement.

« Vous avez appris qu'il a été dit: Eil pour œil et dent pour dent;

« Et moi je vous dis de ne pas résister au mal que l'on veut vous faire, mais si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre.

« Si quelqu'un veut plaider contre vous pour vous prendre votre robe, quittez-lui encore votre manteau.

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« Vous avez appris qu'il a été dit : Vous aimerez votre prochain et vous haïrez votre ennemi.

Et moi je vous dis aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient,

"4 Afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes1. >

1. Évangile selon saint Matthieu, chap. xxv, v. 2 et suiv.

DEUXIÈME PARTIE.

L'INTOLERANCE PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

CHAPITRE I.

L'Assemblée constituante maintient la proscription
des protestants et des juifs.

La révolution, depuis si longtemps préparée dans les esprits, éclata par la convocation des états généraux de 1789, qui devinrent l'Assemblée constituante. La Cour fut trèslongue à comprendre ce qui se passait, et il est douteux qu'elle l'ait jamais bien compris. Les survivants de l'ancienne noblesse qui revinrent en France en 1815, ne se rendirent compte ni des principes de la révolution ni peutêtre des faits qu'ils avaient vus de leurs yeux. On sait que les députés du tiers venus à Versailles en souverains, y avaient été reçus en suppliants. On voulut régler leur costume, le cérémonial et l'ordre de leurs séances; on fixa par ordonnance les matières de leurs délibérations; on rétablit pour les deux premiers ordres des priviléges surannés; en un mot, on enferma les nouveaux venus dans des questions de détail, dans des recherches d'étiquette. Ces courtisans croyaient tenir le lion dans leur toile d'araignée. Les paysans, pendant ce temps-là, se demandaient

s'ils payeraient toujours les dimes et la corvée. Il y eut sur divers points des attroupements, des excès commis. On délibérait sur ces troubles, le 4 août 1789, quand un député de la noblesse s'écria qu'il ne fallait pas chercher de palliatif; qu'il fallait courir à l'ennemi public, et que cet ennemi était la féodalité. A ce mot enfin prononcé, l'Assemblée reçut comme une commotion électrique; elle eut la pleine conscience de sa mission et de son pouvoir. En une nuit, au milieu d'un enthousiasme qui tenait du délire et qui se propagea en un clin d'œil par toute la France, elle abolit tous les droits féodaux, les justices seigneuriales, la vénalité des charges judiciaires, les capitaineries et droits de chasse, les rentes féodales, le cens, les annates, la dime. C'était proclamer en principe la liberté, toutes les libertés. Cependant il ne fut point question de l'égalité des cultes; personne n'y songea; on crut avoir assez fait en retranchant les priviléges pécuniaires du clergé catholique. La Déclaration des droits de l'homme, dont les premiers articles furent votés le 21 août 1789, paraissait établir de la façon la plus formelle les droits des non-catholiques. « Tous les hommes naissent et demeurent égaux en droit, disait le premier article. Pouvait-on penser que les protestants et les juifs fussent exclus de cette égalité? La loi, disait l'article 6, doit être la même pour tous, soit qu'elle protége, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes les places, emplois et dignités, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. Ces grands principes, d'une vérité si évidente, et dont l'application devait être si universelle, laissaient les protestants et les juifs en dehors du droit commun, dans la pensée même du législateur. Cette exception, qui nous paraît aujourd'hui si étrange, et qui contraste d'une façon si bizarre avec l'ardent amour de la liberté et de l'égalité qui possédait alors tous les esprits, était si naturelle qu'on dédaignait de l'exprimer. L'habitude d'opprimer, et

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l'habitude d'être opprimé, se contractent comme toutes les autres; la violence, après des siècles, se prend de bonne foi pour un droit, et ceux qui la subissent finissent euxmêmes par lui trouver quelque apparence de légitimité; ils ne la contestent qu'à demi, ils lui font des concessions. Deux jours après le décret qui proclamait l'égalité absolue des citoyens, on décréta l'article 18 en ces termes: « Nul ne doit être poursuivi pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble point l'ordre public établi par loi. » Il était donc nécessaire de protéger les dissidents contre les poursuites judiciaires; ils n'étaient donc pas réellement et complétement égaux à leurs concitoyens, en dépit des termes si généraux de l'article 1er et de l'article 6. Comment y aurait-il eu des dissidents, s'il y avait eu liberté des cultes? La Constituante entendait protéger les individus, et tolérer seulement les religions; elle n'allait même pas jusqu'à leur permettre le culte public. Son principe était en matière de religion d'avoir une religion dominante, et de tolérer seulement les autres. Si nous n'avions tant d'exemples de la ténacité des préjugés et des obstacles que la liberté en tout genre est obligée de surmonter avant de s'établir dans la loi et dans les esprits, nous aurions peine à comprendre que la Révolution de 1789 n'en ait pas fini irrévocablement avec la prétention d'imposer aux hommes, par la force, des doctrines et des méthodes. Le dix-huitième siècle avait tant fait que le septicisme était partout, chez les gens de lettres et dans une grande partie du peuple, à la Cour et dans la magistrature. Il avait pour maître Voltaire et Rousseau. L'Assemblée constitutante était toute pleine de leurs partisans. Elle se sentait parfaitement dégagée de la tradition, puisqu'elle prenait quelquefois des résolutions importantes uniquement pour rompre avec le passé, pour détruire des habitudes, pour désarmer ou supprimer des institutions qui n'auraient pas manqué de ramener la nation en arrière. Cependant cette Assemblée, même quand elle com

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mence à frapper les grands coups, se déclare catholique. Elle écrit dans l'article 18 de la Déclaration des droits que « nul ne doit être poursuivi pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble point l'ordre public établi par la loi; » et cette restriction, que l'on pourrait accepter dans son sens littéral, car il y a, doit y avoir une police des cultes, avait au contraire, dans la pensée du législateur, une portée immense. Elle signifiait que l'exercice des cultes non catholiques aurait lieu sans publicité. Un ministre protestant, Rabaud de SaintÉtienne, député de Nîmes, demanda pendant la discussion la publicité pour le culte protestant; cette demande fut repoussée par une majorité considérable. Le journal de Prudhomme, les Révolutions de Paris, journal très-avancé, en rendant compte de la séance, avoue que « la demande de M. Rabaud de Saint-Étienne parut excessive. Il aurait peut-être mieux réussi s'il eût moins demandé. » Le système bien arrêté de l'Assemblée était celui-ci: un culte dominant, le culte catholique, et tous les autres cultes tolérés, mais privés de publicité. Au mois de juin 1790, l'Assemblée assiste en corps à la procession du saint sacrement dans sa paroisse (à Saint-Germain l'Auxerrois). Le 16 et le 17 juin de la même année, elle règle les traitements des ministres du culte, c'est-à-dire des évêques et des prêtres catholiques, car il ne vint à l'idée de personne de salarier les autres cultes. L'année suivante (29 octobre 1791), Ramond demanda que tous les cultes fussent salariés; cette proposition inouïe fut couverte par les murmures de l'Assemblée. Sous la Convention même, et jusqu'aux décrets qui abolirent le culte, le clergé catholique toucha seul une indemnité du Trésor.

On n'était plus, à la vérité, depuis les premiers décrets

1. Mirabeau écrivit à cette occasion au Courrier de Provence : « Nous ne pouvons dissimuler notre douleur, que l'Assemblée nationale, au lieu d'étouffer le germe de l'intolérance, l'ait placé comme en réserve dans une déclaration des droits de l'homme. »

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