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dans les dernières compositions de Chénier. Elle lui a donné tout ensemble une philosophie calme et des tournures piquantes. Ses fables, qui ont fait les délices des sociétés, et qu'on attend avec impatience, sont une espèce de création nouvelle, où la grâce de l'expression orne presque toujours la force de la pensée..... Rien de plus singulier que de voir un élève de Corneille suivre avec tant d'aisance les traces de La Fontaine. Au nom de M. Andrieux, à la lecture de ses ouvrages, on respire je ne sais quel goût de classique; on croit être avec les anciens... Dans sa prose comme dans ses vers, l'élégance, le naturel, la pureté du langage y brillent, exempts de toute incorrection, de tout néologisme, de toute afféterie.... La comédie, qui fit d'abord sa réputation, est un modèle achevé de style. Celles qui l'ont suivie ne lui sont pas inférieures pour l'aisance et la vivacité, la franchise du dialogue. Mais on a trouvé M. Andrieux moins heureux dans l'invention de ses sujets et dans la charpente de ses ouvrages. Soit qu'il ait dédaigné d'obéir au goût du jour, soit qu'il n'ait pas voulu chercher dans des situations péniblement combinées l'intérêt que Molière tirait des caractères, les succès dramatiques de M. Andrieux ont été moins éclatans, moins profitables que ceux de ses rivaux; mais il est à croire que quelquesunes des scènes gracieuses dont son théâtre est rempli survivront à des pièces dont la fortune contemporaine a surpassé les siennes. Quant à ses poésies qu'il appelle fugitives, nulles ne méritent

moins ce nom. Ses contes sont un modèle du genre. Leur réputation est déjà si bien, établie qu'ils n'ont désormais à craindre ni le temps, ni la critique. Ils sont dans nos bibliothèques à côté de ces ouvrages que

Non imber edax, non Aquilo impotens
Possit diruere, aut innumerabilis
Annorum series et fuga temporum.

Fables de M. Gosse, 1 vol. in-12. Fables de M. le baron de Stassard, 1 v. in-12.

Si des fables ont en cette année plus de succès que des élégies ou des romans, c'est qu'elles s'adressent à des passions plus vives de nos jours que l'amour. Les deux recueils que nous mettons ensemble se recommandent surtout par l'applica

tion continuelle qu'on y trouve aux affaires politiques de notre temps. Celles de M. Gosse, auteur du Médisant, offrent en général des traits plus philosophiques; mais il abuse un peu de la liberté qu'ont les fabulistes de personnifier jusqu'aux objets inanimés. M. le baron de Stassart, né Belge, autrefois préfet en France, fait des allusions d'une autre espèce. Les regrets qu'il témoigne de ne plus être Français ne peuvent déplaire à la France. Ces fables, trop chargées de noms et d'ornemens, sont remarquables par des saillies d'esprit iuattendues, et par une facilité qui dégénère en négligence: elles ont besoin de corrections. On s'aperçoit parfois que l'auteur a changé de patrie.

A la lecture de ces deux recueils, on voit que l'apologue a subi une révolution; il ne s'arrête plus guère aux détails étrangers à son but moral. La vérité, qui n'osait se produire jadis qu'à l'ombre de l'allégorie, est sur le point de se montrer toute nue; elle n'a plus qu'un voile de gaze. On ne peut pas s'en plaindre, quand elle déplore les malheurs d'un exilé dans des vers comme ceux-ci (de M. Gosse):

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THEATRE FRANÇAIS.

Bélisaire, tragédie en cinq actes, par

M. Dejouy. (Novembre.)

S'il faut en croire la chronique des coulisses, les cartons de la Comédie Française sont remplis de pièces qui feraient la gloire de leurs auteurs et la fortune de la société; mais là, comme dans le monde, le droit cède souvent à la faveur. La cour de Thalie a ses priviléges, et le dernier venu y prend quelquefois le pas sur ses anciens. Tel fut d'abord le sort de Bélisaire.

Cette pièce, reçue par les comédiens avec enthousiasme, censurée par la police avec scrupule, mise à l'étude sans délai, deux fois suspendue, reprise, et enfin supprimée, a occupé pendant quinze jours la curiosité publique presque autant que le changement du mi-nistère. On a craint qu'elle ne renouve

lât les scènes que la représentation de Germanicus avait occasionées, et les débats qu'elle a ensuite excités ont paru justifier cette crainte.

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Une fois imprimée, cette tragédie est devenue l'objet de la lutte et des discussions les plus étranges. Jamais on n'eut de preuve plus éclatante qu'en révolutiou, ou du moins en sortant de révolution, « l'esprit de parti mesure tout à << sa toise, les hommes, les actions, les ouvrages. » Assurément on ne prétend pas asservir tous les hommes à la même opinion littéraire; c'est surtout en matière de goût qu'il faut admettre l'adage tot capita, tot sensus. Les productions de l'esprit humain sont abandonnées au caprice du lecteur ou du spectateur qui paie pour les lire ou pour les entendre. Il n'y a pas de chef-d'œuvre ou de mauvais ouvrage sur lequel la critique n'ait exposé des sentimens divers, parce qu'on les considérait sous des aspects différens. Mais ici c'est sous les mêmes rapports, d'après les mêmes règles que l'on portait des jugemens contradictoires diamétralement opposés. Suivant les uns, l'action dramatique de Bélisaire était froide, languissante, invraisemblable; les caractères faux, le style incorrect, diffus, prosaïque ou rédondant; suivant les autres, l'action en était grande, imposante, la marche bien développée, les caractères intéressans et soute

nus,

le style correct, élégant et noble. Ceux-là prétendaient qu'on avait sauvé la pièce d'une chute inévitable; ceux-ci qu'on lui avait enlevé l'honneur d'un succès certain.

La lecture d'un ouvrage dramatique ne peut pas suppléer pour tout le monde à sa représentation; le théâtre a ses illusions, qu'il faut porter dans le sein du cabinet pour bien juger de l'effet de la composition. Telle situation est invraisemblable à la simple lecture, dont la scène dérobe l'inconvenance au spectateur; tel vers paraît simple et prosaique qui, dans la bouche des personnages mis en scène, est d'un plus bel effet que le vers le plus souore et le plus pompeux. Ainsi l'action et les détails de Bélisaire ne peuvent être jugés que par ceux qui ont fréquenté le théâtre. En voici le sommaire.

Tandis que Bélisaire est enfermé dans les prisons de Constantinople, sa femme Antonine et sa fille Eudoxe sont allées se réfugier en Thrace, sous la protec

tiou de Thélésis, roi des Bulgares, qui fait la guerre à Justinien. Thélésis est amoureux d'Eudoxe, et Antonine se plaît à voir dans cet amour un moyen d'assurer sa vengeance.... Cependant Bélisaire, chassé de Constantinople après qu'on lui a crevé les yeux, rejoint sa femme et sa fille. La vue de cette noble victime de l'injustice et de la faiblesse de Justinien irrite la fureur d'Antonine. Mais Bélisaire, loin d'invoquer les secours d'un barbare contre son prince et sa patrie, fait jurer aux réfugiés romaius qui se sont rendus autour de lui de rester fidèles à leur devoir, à leurs premiers sermens: il sauve l'empereur d'une perte inévitable par une victoire où il est atteint lui-même d'une blessure mortelle. Thélésis, qu'il a fait prisonnier, reçoit sa liberté, la paix et la main d'Eudoxe; et le héros de la fidélité, ́expirant, emporte au tombeau la recon naissance de son prince, l'admiration de ses soldats, le sentiment de sa gloire, et la satisfaction d'avoir fait son devoir et sauvé sa patrie.

N'examinons point si cette action blesse la vérité ou même la convenance historique; c'est un reproche qu'on ne s'avise guère d'adresser aux auteurs d'aujourd'hui. On en a trouvé de plus sérieux à faire dans l'iuvraisemblance des situations, dans l'accumulation des événemens, dans la rencontre singulière de Bélisaire et de Justinien, dans l'avilissement du personnage de l'empereur, dans la froideur des amours de Thélésis et d'Eudoxe. Quelques-uns de ces reproches sont bien fondés, et il était peut-être impossible de les éviter. Mais les défauts de la composition tiennent au choix du sujet.. Il fallait faire Bélisaire aveugle, amener Justinien sur la scène, livrer une bataille, et sauver l'empire par le héros proscrit. Il est difficile d'accommoder tant d'événemens à la vraisemblance et à la règle des trois unités. Dailleurs on ne peut, sans injustice, méconnaître le mérite de la piece. Les caractères de Bélisaire et d'Autonine sont habilement tracés et soutenus; l'amour de la patrie dont le cœur du héros est rempli, l'ardeur de la vengeance qui anime sa noble épouse, offrent une lutte admirable, d'une vérité prise dans le cœur humain et dans la situation des personnages. L'entrevue de Justinien et de Bélisaire, une fois qu'ou a passé sur l'invraisemblance des moyens

qui l'ont amenée,produit de belles scènes, entre lesquelles ou doit citer celle du serment des réfugiés romains rassemblés autour de Bélisaire; ils attendent qu'il va les conduire à la vengeance : ils jurent de lui obéir, et l'ordre qu'il leur donne est de combattre avec lui pour la patrie et pour l'empereur : résolution héroïque, d'un effet certain sur tous les cœurs; cette scène seule aurait sauvé la pièce. On a dit qu'elle était empruntée du roman que Mme de Genlis n'a pas craint de refaire après Marmontel; mais Mme de Genlis n'a pas fait la scène en vers, et les vers sont dignes de la situation.

En examinant l'objet politique ou moral de la pièce, on ne peut se dissimuler qu'elle n'offre matière à des ap plications forcées, il est vrai, mais dont le parterre ne se soucie guère d'examiner ni la justesse ni les conséquences. En la jugeaut sous le rapport purement littéraire, elle n'aurait excité ni la critique, ni les éloges exagérés qu'on en a faits: elle est du genre admiratif; pourrait la placer à côté d'Hector, et la place est assez honorable pour ne pas la dédaigner.

E. S.

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La Fille d'Honneur, comédie en cinq actes et eu vers, par M. Alexandre Duval. (rere représentation le 30 décembre 1818.)

On a long-temps parlé dans le monde d'une comédie laissée en porte-feuille par Fabre d'Eglantine, intitulée l'Orange de Malte sans doute elle était dans l'esprit du temps où il y travaillait. Cette satire amère des mœurs d'une cour qui n'était plus avait un but politique bien évident: l'auteur voulait traduire devant le tribunal du parterre ces royales courtisannes pour lesquelles les romans historiques ont excité depuis tant d'intérêt et de sensibilité. L'action de la pièce de Fabre était fondée sur une orauge que le prince (la scène était à Naples) offrait dans un bal à une jeune personne. Cette orange mettait la cour et la ville, et surtout la famille de la jeune personne en rumeur; chacun de ses parens, bâtissant là-dessus des projets de fortune, concourait à meuer la victime au sacrifice; enfin la favorite en titre, alarmée du danger qui la menaçait, se transportait chez sa jeune rivale,

et, se découvrant à ses yeux, elle lui faisait un tableau affreux des humiliations qu'elle avait elle-même à subir dans cette condition en apparence si brillante ; et à ce tableau la jeune personne repoussait avec horreur l'idée du sort que l'ambition de sa famille et la faveur du prince lai destinaient.

Ce n'était encore là qu'un canevas dont plusieurs auteurs crurent pouvoir s'emparer aussitôt qu'il fut connu, mais dout aucun d'eux n'osa mettre en scène la principale et la plus dramatique idée. Deux pièces furent dounées presqu'en même temps en 1805, l'une au théâtre Louvois (l'Espoir de la faveur, comédie en 5 actes et en prose), l'autre au théâtre du Vaudeville (Thomas Muller, ou les Effets de la faveur); elles réussirent également; mais leur succès n'excita point alors les passions que celui de la Fille d'honneur a soulevées. Est-ce à la différence du mérite des ouvrages qu'il faut en attribuer la cause? ou le sujet offrait-il, il y a quatorze ans, moins d'intérêt moral ou politique qu'aujourd'hui ?

.

Sans doute nous ne sommes plus au temps où le vice avait ses priviléges, où la fidélité conjugale était un ridicule, où la place de favorite était comme un office de la couronne, où un courtisan était fait grand-veneur, pour avoir, suivant l'expression d'une chanson du temps, mis la bête dans les toiles; tout le monde convient aujourd'hui avec J.J. que la femme d'un charbonnier est plus respectable que la maîtresse d'un prince »; mais parce que ces mœurs n'existent plus, est-il interdit au poëte comique de les peindre? Nous ne le pensons pas elles sont encore de son ressort, s'il peut en tirer des leçons morales pour son siècle, ou seulement des ressources pour son art. C'est là dessus qu'il faut juger la comédie nouvelle de M. Alexandre Duval.

En transportaut son action dans une cour d'Allemagne, il a été forcé d'en changer le coloris, et d'en altérer un peu les caractères. Les gens de l'art peuvent le lui reprocher les gens de parti ne lui en ont pas eu d'obligation.

Il suppose que, de trois frères qui composaient la noble famille de Rosenthal, l'aîné, le comte, ayant fait un mariage dispar, chassé de la maison paternelle, presque déshérité par un testament dout l'effet n'est pourtant pas

accompli, a quitté son pays, s'est établi a Riga, où il a fait dans le commerce une fortune immense; le second, major dans un régiment, a été tué au service de son priuce, et laisse une fille, l'intéressante Emma, principal personnage de la pièce, qui a passé sous la tutelle du baron de Rosenthal, troisième frère qui, croyant ne voir jamais reparaître son aîné, qu'il n'appelait dans son dédain que le marchand de Riga, voulait se mettre en possession de ses titres et de ses biens, étalait un faste au-dessus de sa fortune, et qui déjà fort appauvri par une épouse impérieuse, était encore tombé dans la disgrâce de son priuce.

Jusque-là la jeune Emma n'avait été que l'objet des caprices, des dédains et des mauvais traitemens de l'orgueilleuse baronne sa tante. On avait dissipé des fouds que le marchand de Riga avait envoyés pour elle. Mais tout à coup un chevalier italien, nommé Florelli, que ses bassesses ou peut-être des services plus honteux, avaient produit à la cour, voit dans la beauté de cette petite Emma, si négligée de ses parens, de quoi les rétablir dans les bonnes grâces du prince. Il le fait entrevoir à l'altière baronne, qui se laisse aller à l'idée de retourner à la cour et de se venger de ses ennemis, et à madame Brigitte, autre tante, dont la dévotion n'a plus de scrupules quand il s'agit de la faveur d'un prince. Dès ce moment Emma est devenue l'objet des soins les plus touchaus, et des prévenances les plus délicates: on la pare, on la mène aux eaux de Toeplitz, où les personnages les plus distingués de l'Allemagne sont rassemblés. Le prince, qui s'y trouve, la distingue de la foule des beautés qui briguent ses regards; il lui donne des fêtes, il se fait sou écuyer. On revient enchanté de l'effet qu'elle a produit; à son retour elle reçoit un riche écrin. Les courtisans sont déjà aux aguets de sa faveur naissaute; on va la présenter à la cour, elle est nommée fille d'honneur de la prin

cesse.

Au milieu de tant de séductions et d'artifices, Emma ne se doute pas, malgré l'esprit que l'auteur lui donne, des dangers qu'elle court. Elle aime le se crétaire de son oncle, jeune homme charmant, qui, sous le nom de Charles, n'est autre que son cousin, le fils du marchand de Riga.

Telle est la situation des choses quand/ l'action dramatique commence par l'arrivée du comte de Rosenthal. Il vient dans le dessein de se faire réhabiliter dans ses biens et dans ses titres, et de sauver l'honneur de sa nièce Emma. En faisant part de ses intentions à son fils, il convient qu'il ne sera présenté dans la famille que sous le nom de Frambourg, négociant de Hambourg, et il se flatte qu'une absence de vingt-cinq ans aura rendu ses traits méconnaissables. A la faveur de ce déguisement, et surtout de l'argent qu'il offre au baron, il est bientôt dans ses bonnes grâces; il brave les dédains de la baronne; il parvient à éclairer la jeune Emma, et dans la soirée où elle doit être présentée à la cour, il remet lui-même au prince une lettre d'Emma qui lui dévoile l'infâme complot trame contre sa vertu. Le prince accueille favorablement le marchand de Riga, ou plutôt le comte de Rosenthal, auquel il rend ses honneurs, ses titres, ses biens, en le remerciant d'avoir empêché qu'il ne fût complice de la perte d'une jeune fille dont le père est mort à son service. Emma épouse son cousin; le chevalier Florelli est renvoyé du pays, et le baron de Rosenthal trouve dans l'amitié de son frère le pardon de ses torts envers lui.

fallait toutes les ressources du talent et la connaissance profonde des ar tifices de la scène pour fournir cinq actes avec une action simple, et dont le marchand de Riga tient dans sa main le fil qu'il peut briser d'un mot. L'auteur s'est soutenu par la force des situations. Il n'en est pas de plus intéressante au théâtre que celle de la jeune Emma, dans toutes les nuances que l'auteur a données à son caractère, pour faire valoir le talent de l'actrice inimitable (Mlle Mars) qui s'en est chargée. C'est encore une situation dramatique que celle de la lecture de la lettre du marchand de Riga... Mais comment n'est-il pas reconnu au milieu d'une famille qu'il n'a quittée qu'à l'âge de vingt à vingtcinq ans....? Comment le baron souffret-il, demande-t-il, même en présence de plusieurs étrangers, la lecture d'une lettre qui le couvre de honte et qu'il devrait interrompre au premier mot? Dans quel salon voit-on une pareille indiscrétion d'un côté, et une telle impolitesse de l'autre? et lorsqu'ensuite le prétendu Frambourg s'est annoncé comme le cor

respondant, l'ami du marchand de Riga et le protecteur de la pupille, comment le baron et le chevalier d'industrie sontils assez mal avisés pour lui confier le projet qu'ils ont de consommer l'exhérédation du marchand de Riga, pour lui demander de l'argent afin d'en faciliter les moyens, et pour le charger ensuite de déterminer lui-même la jeune personne à se rendre à la cour? Comment cette Emma que l'auteur a faite, tantôt si ingénue, mais tantôt si gaie, si spirituelle et si mordante, n'a-t-elle rien vu des piéges qu'on tend à sa vertu? L'auteur n'a répondu que faiblement à ces reproches; mais l'invraisemblance des moyens admise, le spectateur qui se sent ému ne demande pas compte à la raison de ses sensations. M. Duval affectionne ce genre d'intrigue fondé sur des méprises dont les bons auteurs sont avares; mais il en tire un excellent parti; personne n'entend mieux que lui l'art de développer les situations. Son style est inégal, incorrect dans le dialogue, quelquefois brillant dans les couplets, mais presque toujours inspiré par la situation. On lui a pourtant reproché cette fois trop de lieux commuus contre la noblesse; ils ont paru d'autant plus choquans, qu'ils sont dans la bouche d'un homme qui vient redemander à la cour son rang, son titre et ses cordons; mais ce sont des leçons qu'un frère méconnu et outragé vient faire à son frère, et l'on sent qu'alors il peut se laisser emporter plus loin que sa pensée. C'est l'exagération naturelle du rôle qu'il a pris; et quand même on pourrait l'accuser d'inconséquences, ces inconséquences se voient quelquefois ailleurs que sur la scène.

En total, qu'on regarde cette pièce comme un drame, une comédie de mœurs, ou de caractère, d'intrigue ou d'histoire; qu'on veuille y voir une haute leçon morale ou un tableau d'immoralité, il est une chose qu'on ne pourra lui contester, c'est-à-dire son succes. Ce que les uns y blâment la fait applaudir par d'autres. Il faut laisser calmer les opinions qu'elle a trop aigries ou trop flattées, pour décider de son mérite.

E. S.

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la po

C'en est fait il est décidé que : litique nous poursuivra cette année dans tous les coins de la littérature il ne faut pas nous en plaindre quand elle inspire des ouvrages comme la famille Glinet. L'auteur a senti que Thalie n'était pas un précepteur austère qui gourmande nos vices avec rudesse, et que sa mission était de nous châtier en riant.

C'est par là qu'il a justifié un succès où il y quelque autre mérite que l'à propos et la vérité politique du tableau. Otez à ses personnages leurs costumes et quelques noms de la fin du 16e siècle, la fable, ou l'anecdote qu'il met sous nos yeux est malheureusement encore aujourd'hui pour bien des gens une vraie scène de famille.

La famille Glinet se compose de trois frères Egidius, échevin à Melun, bourgeois vain de la dignité de sa charge, et dévoué d'avance au parti dominant; Charles, médecin honnête homme étranger aux factions qui commencent à désoler la France, mais dont la femme, excitée par un intrigant espagnol, est éprise d'un zèle ardent pour la ligue; et Arthur, simple cultivateur, aussi passionné pour le parti d'Alençon que madame Glinet pour celui de la ligue.

Outre l'éloignement qui peut résulter entre les deux frères de la différence des opinions, Charles et Arthur sont encore divisés par un procès de famille; mais Charles, toujours modéré en affaires de parti, a proposé à son frère de concilier leurs différends par le mariage de son fils Henri avec Suzanne, fille d'Arthur; le projet est arrêté, Arthur amène sa fille à Melun. Le goût que les jeunes gens prennent l'un pour l'autre favorise les intentions de leurs parens; mais les intrigues d'un certain Paghera, agent espagnol, chargé de semer la division dans les familles (mission dont il s'acquitte assez bien), et l'exagération des opinions de parti mettent bientôt madame Glinet et son beau frère Arthur aux prises. Le mariage projeté est rompu. Dans le trouble où cette dispute

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