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celle de Gênes. Toutes les deux se sont montrées victorieuses dans ces plaines qui les voient confondues sous une seule bannière à nos couleurs nationales. Placé entre les glorieux drapeaux de France et d'Angleterre, le nôtre saura se montrer digne de si puissants compagnons. » C'est aussi ce qui arriva,

M. de Villamarina, collègue de M. de Cavour au Congrès, représenta son gouvernement à Florence, où il défendit toujours les libertés italiennes, avant de le représenter à Paris en qualité d'ambassadeur.

Aali-Pacha, premier plénipotentiaire de la Porte-Ottomane, ministre des affaires étrangères en 1854, remplaça, dans le vizirat, Réchid-Pacha, au mois de juin 1855. Ce diplomate possède, au plus haut degré, le sentiment des besoins du pays qu'il est appelé à gouverner. Représentant du Divan à Paris, et comme tel, appelé, avec Aali-Pacha, à participer aux prochaines conférences, Mehemmed-Djémil-Bey est du nombre des hommes éclairés qui sentent que la réforme des abus, la régénération progressive, mais fondamentale de la Turquie, peuvent seules la maintenir au rang des puissances européennes.

On sait que la Prusse ne fut appelée que depuis la constitution du Congrès, et par suite d'une résolution émanée du sein de cette assemblée, à prendre part aux conférences. C'est comme signataire du traité du 13 juillet 1841 qu'elle fut invitée à y participer, par la raison qu'elle devait naturellement concourir aux modifications dont ce traité serait l'objet. Deux hommes éprouvés, et d'ailleurs influents, le président du conseil, baron de Manteuffel, et le comte de Hatzfeld, ministre plénipotentiaire du roi Frédéric-Guillaume à Paris, ont été chargés de représenter ce souverain au Congrès de 1856,

On se livrait encore à d'infinies conjectures sur les délibérations hermétiquement tenues secrètes de cet antipode du Congrès de Vienne, quand le 30 mars, à l'anniversaire de l'entrée des armées alliées dans Paris, la France et bientôt l'Europe purent lire dans le journal officiel du Gouvernement français la nouvelle que voici :

a La paix a été signée aujourd'hui, à une heure, à l'hôtel des affaires étrangères.

» Les plénipotentiaires de la France, de l'Autriche, de la GrandeBretagne, de la Prusse, de la Russie, de la Sardaigne et de la Turquie ont apposé leur signature au traité qui met fin à la guerre actuelle, et qui en réglant la question d'Orient asseoit le repos de l'Europe sur des bases solides et durables. »

L'échange des ratifications ne devant avoir lieu à Paris que quatre semaines plus tard, les stipulations durent rester secrètes jusqu'alors. Le lendemain de la signature du traité, le ministre d'État alla faire, au nom de l'Empereur, au Sénat l'annonce de ce grand acte international.

« En portant cette nouvelle à votre connaissance, dit M. le ministre aux sénateurs, l'Empereur me charge de vous remercier du patriotique concours que vous lui avez constamment donné, et qui, avec l'admirable dévouement des armées et des flottes alliées, a si puissamment contribué à l'heureuse issue de la guerre.

>> Les bonnes nouvelles se succèdent pour l'Empereur et pour la France, répondit M. le président du sénat; félicitons-nous de cette paix, qui vient si heureusement déposer son rameau sur le berceau du Prince impérial. »

Même communication au Corps législatif, où, comme au Sénat, acte fut donné au ministre de la communication du Gouvernement.

En attendant la ratification du traité de paix, un armistice maritime fut conclu entre la France, la Grande-Bretagne, la Sardaigne et la Turquie d'une part, et la Russie de l'autre. Il fut convenu, en conséquence, que les prises faites postérieurement à la signature du traité seraient restituées; que des ordres seraient donnés pour la levée immédiate des blocus existants, et que les mesures prohibitives prises en Russie contre l'exportation pendant la guerre, des produits russes, et notamment celle des céréales, seraient également rapportées sans retard.

Le 16 août eut lieu la clôture du Congrès de Paris. « Après la signature du traité, dit le journal officiel du gouvernement français, les plénipotentiaires eurent encore à s'occuper de différentes questions de nature à consolider et à compléter l'œuvre de la paix. »

Cette paix, rien ne paraissait en effet devoir l'ébranler, au moins quant à présent; aussi bien, à un banquet donné quelques jours plus tard (12 avril) aux membres du Congrès, l'Empereur put-il faire entendre les paroles les plus pacifiques : « Je porte un

41 toast, dit Sa Majesté, à l'union si heureusement rétablie entre les souverains. Puisse-t-elle être durable, et elle le sera, si elle repose toujours sur le droit, sur la justice, sur les véritables et légitimes intérêts des peuples. »

« La paix sera durable, disait à un autre banquet (1er avril) le ministre des affaires étrangères en parlant également de la conclusion du traité, parce qu'elle est honorable pour tous. >>

Elle était surtout la consécration d'un grand principe; c'est qu'il ne pouvait plus être permis à une puissance européenne d'entreprendre une guerre en vue seulement d'un agrandissement territorial. La Russie, sous l'empereur Nicolas, avait voulu faire du rêve de Catherine II une réalité. L'Europe, la France en tête, lui répondit : « Tu n'iras pas plus loin. » Ce principe posé, il en surgit, en manière de sorites, plusieurs autres qui forment les dispositions générales du traité, et constituent en quelque sorte un nouveau droit international ayant à sa base les nationalités et au faîte la civilisation.

Il convient donc d'examiner de ce point de vue les clauses fondamentales du traité du 30 mars et d'en étudier l'esprit et les tendances, avant de passer à l'étude de quelques points particuliers d'où sortirent plus tard des difficultés de détail. C'est le 25 février que le Congrès s'était ouvert à Paris, et le ministre des affaires étrangères de la France avait été appelé à le présider. Tout d'abord se présenta une sorte de question préjudicielle que l'on n'avait fait qu'indiquer : la Prusse serait-elle représentée au Congrès? Les puissances occidentales, la Grande-Bretagne en particulier, présentèrent des objections contre son admission. Est-il vrai qu'ainsi que les autres États, la Prusse n'avait cessé de condamner la politique de la Russie, du moment surtout où cette politique devint agressive; mais qu'une fois convaincue que, dès l'année 1853, l'empereur Nicolas ne pouvait plus penser à mettre la main sur l'empire ottoman et ne cherchait plus qu'à faire une retraite honorable, elle crut que le péril n'avait rien de bien pressant? Doit-on supposer encore qu'après avoir prouvé, en traitant avec l'Autriche pour se garantir de l'éventualité d'une attaque de la Russie contre la Porte, qu'à l'occasion elle saurait s'unir aux puissances occidentales; que dès lors elle jugeait toute

démonstration matérielle contre le gouvernement du czar comme parfaitement surabondante, et surtout contraire à ses intérêts, en ce que l'Autriche et les puissances occidentales seulement en devaient profiter ? Quelle que soit la vraisemblance de ces conjectures, toujours est-il que les faits y répondirent: la Prusse se retira des conférences de Vienne; puis une tentative ultérieure de conclure un traité avec les puissances occidentales n'ayant pas été couronnée de succès, le gouvernement de Berlin garda une neutralité qui peut-être contribua à prolonger la résistance de la Russie. On répond à cela que, placée entre la France et l'empire des czars, la Prusse devait plus que toute autre puissance s'inquiéter du bon accord entre ses deux voisins qu'au point de vue de la position politique, le cabinet de Berlin ait eu quelque sujet d'en agir de la sorte et de ne point compromettre son pays par une alliance avec l'Occident plutôt qu'avec l'Orient. C'est ce qu'a pu soutenir le baron de Manteuffel; mais dans l'état actuel des choses, en présence des sacrifices faits par les autres puissances et de la politique plus accusée du gouvernement autrichien, on ne voyait pas à quel titre la Prusse figurerait au Congrès. On pouvait en agir avec elle comme en 1841 avec la France, que l'on avait invitée à signer un traité fait sans sa participation. En tout cas, il ne pouvait être question d'elle qu'à l'occasion du renouvellement de la convention des détroits. Daus sa séance du 28 février le président du Congrès ayant fait remarquer qu'il y aurait lieu, quand les plénipotentiaires aborderaient ce point, de s'enquérir des puissances qui seraient appelées à y concourir, le comte Orloff ainsi que le comte de Buol firent observer que la Prusse serait naturellement invitée à y prendre part. Tout en adhérant à cet avis, le comte de Clarendon exposa que la Prusse ne devait être invitée à participer à la négociation, que lorsque les principales clauses du traité général seraient arrêtées. M. le comte Walewski indiqua alors, que les plénipotentiaires auraient à décider postérieurement à quel moment cette invitation devrait être adressée à la Prusse. Pour la Prusse elle-même il était d'un trop haut intérêt qu'elle rentrât dans le concert européen. Une plus longue exclusion la faisait déchoir de son rang et assurait une prééminence trop marquée à l'Autrichè,

son émule en Allemagne. Le comte de Hatzfeld, son ministre en France, qui avait toujours su conserver beaucoup d'influence à Paris, réussit à aplanir les difficultés qui fermaient encore à son gouvernement le seuil du Congrès. Aussi bien, dès le 10 mars, à la'septième séance, le comite Walewski émettait l'avís qu'au point où les négociations étaient heureusement arrivées, le moment était venu d'inviter la Prusse à se faire représenter au Congrès, ainsi qu'il avait été décidé dans la séance du 28 février; en conséquence il proposait d'adresser à Berlin une résolution ainsí conçue : « Le Congrès considérant qu'il est d'un intérêt européen que la Prusse, signataire de la convention conclue à Londres le 13 juillet 1841, participe aux nouveaux arrangements à prendre, décide qu'un extrait du protocole de ce jour sera adressé à Berlin, par les soins de M. le comte Walewski, organe du Congrès, pour inviter le gouvernement prussien à envoyer des plénipotentiaires à Paris. » Le Congrès adhéra.

En effet, le 18 mars, la Prusse était représentée par le chef du cabinet, baron de Manteuffel, et par son envoyé à Paris.

Il ne reste plus qu'à suivre les opérations du Congrès. Tout d'abord, la France, l'Autriche, l'Angleterre, la Prusse, la Sardaigne et la Russie, déclarent la Sublime-Porte admise à participer aux avantages du droit public et du concert européen. Les puissances s'engagent, chacune de son côté, à respecter l'indé pendance et l'intégrité territoriale de l'Empire ottoman, garantissent en commun la stricte observation de cet engagement, et considéreront en conséquence tout acte de nature à y porter atteinte comme une question d'intérêt général. » Ainsi la Turquie n'était pas seulement admise à prendre part aux avantages du droit public et du concert européen, mais sa conservation était placée sous la sauve-garde de l'intérêt général. L'article 7 du traité consacrait officiellement cette fois, et aux yeux de l'Europe qui la signait, une disposition déjà mise en avant dans la séance de la conférence de Vienne du 19 avril. Il est hors de doute que la proposition expresse de l'admission de la Turquie dans le concert européen fut provoquée alors par M. Drouyn de Lhuys et faite par Aali-Pacha, le représentant actuel de la Porte dans le Congrès, et voici dans quels termes :

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