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gards de regrets et de douleur vers la terre natale. Si ce fut en exilée qu'elle passa au Brésil, c'est en contraint qu'elle y reste, car l'état de ce pays, les circonstances au milieu desquelles il se trouve placé au centre de la confla gration du continent américain, la force à ne plus s'éloigner du Brésil. Les progrès que ce pays fera chaque jour en population et en richesse, en ajoutant sans cesse à son importance, ajouteront par-là même à la nécessité de ne pas le perdre de vue. Car dans cet état de croissance, au milieu d'un voisinage troublé, l'abandonner à lui-même, équivaudrait à y renoncer, bien sûr que dans ce délaissement il ne tarderait pas à s'arranger pour son propre compte. L'événement de Fernambouc doit servir de leçon. Lacour du Brésil a bien d'autres sintérêts à ménager dans cette contrée, que le roi de Portugal n'en a et ne pourra jamais en avoir à Lisbonne. L'horison du Portugal est bien borné en comparaison de celui du Brésil. Si des résolutions dont il est impossible d'assigner la nature et d'indiquer l'époque, ramenaient le roi du Brésil en Europe, il y reviendrait tout seul; mais les traces du séjour qu'il aurait fait au Brésil, y

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resteraient. Après y avoir porté la liberté du commerce, et la fin de l'exclusif de celui de la métropole, il laisserait l'une et l'autre après lui: on ne les retire pas aussi facilement que l'on les donne. Ce sont de ces choses que l'on n'a jamais qu'une fois; bien aveugle qui croit pouvoir les abandonner et les reprendre à sa fantaisie. Lorsqu'on est revenu de là, on n'y retourne plus. La présence du roi de Portugal au Brésil est donc une confirmation de l'indépendance américaine, bien plus, une aggravation de cette même indépendance à l'égard de l'Europe; car elle assujettit une partie de l'Europe à une partie de l'Amérique.

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Si, contre toute apparence, l'Espagne triomphait de l'Amérique, la seule liberté du commerce établi au Brésil et aux Etats-Unis, annulerait ce triomphe dans sa partie utile, qui est l'exclusif du commerce; l'Espagne ne tend à retenir sa domination en Amérique, que pour retenir les profits attachés au commerce qu'elle y fait exclusivement, parce que ce n'est pas la puissance que l'on recherche avec les colonies, mais la richesse, qui à son tour devient le moyen de la puissance. Si, centans aupara¬

vant la formation des Etats-Unis, et plus tard, avant la translation du roi au Brésil, l'Espagne avait bien de la peine à se défendre des pavillons étrangers qui venaient se jouer de ses prohibitions, pour partager les profits de ses possessions américaines, comment s'en garantirait-elle, avec l'essor qu'a pris la marine américaine, avec l'occupation, par les Etats-Unis, d'une partie du golfe du Mexique, avec un état libre au Brésil qui coupe en deux l'Amé rique méridionale, et qui fait au midi de cette contrée ce que les Etats-Unis font au nord?

Tout se tient dans cette immense question des colonies; avant de poser un principe, c'est-à-dire, de faire un acte, il faut y regar der de bien près, car les conséquences arrivent en foule; elles sont de la nature la plus grave, et il est bien superflu de venir ensuite se débattre contre elles, lorsque les effets vous ont atteint, et se font ressentir de toute part. Malheureusement c'est ce qu'il est comme de règle de commencer par oublier. On se laisse aller à agir d'après des circonstances données, mais sans aucun rapport avec les principes; on n'a point pesé les conséquences, elles se

manifestent, et l'on se trouve pris au milieu d'un ordre dont on n'avait pas soupçonné la moindre partie. C'est ce qui est arrivé au roi de Portugal, par sa translation au Brésil, et par son attaque contre Monte - Video. Ea fuyant l'Europe, il est venu affranchir l'Amérique sans s'en douter ; en règnant sur le Portugal de son nouveau séjour du Brésil, en étendant son sceptre de l'un sur l'autre, il est venu donner à l'Amérique l'empire sur une partie de l'Europe, en rompant l'exclusif du commerce du Portugal à l'égard du Brésil; il est venu rompre le grand lien qui attachait l'Amérique à l'Europe : il y a, comme on voit, bien des choses renfermées dans cette translation au Brésil; en prenant une attitude équivoque à la fois contre l'Espagne et contre les indépendans, il a servi merveilleusement les derniers, en retenant en Espagne les soldats qui devaient venir les combattre en Amérique. Ainsi l'ennemi de l'indépendance s'est changé, sans le savoir ni le vouloir, dans un de ses plus actifs auxiliaires: il ne pourra échapper à la gloire involontaire d'être compté au nombre de ses fondateurs.

Laissons-le au milieu de l'Amérique et de ces contresens, ne pouvant pas plus sortir de l'une des autres.

que

Guerre de l'indépendance en Amérique.

Il faut distinguer différens degrés dans la guerre à laquelle l'indépendance américaine donne lieu. Elle est militante dans quel ques parties, triomphante dans d'autres.

A Buenos-Ayres, la guerre a cessé, et même, à parler plus proprement, elle n'a jamais commencé; car il n'y a pas eu d'attaque directe dirigée contre cette ville.

Une armée venue du Haut-Pérou a débuté par remporter loin d'elle d'assez grands avantages. Elle a envahi pour un moment les parties supérieures de son territoire. C'est tout ce qui a été tenté contre Buenos-Ayres. Son gouvernement a profité du repos dont on le laissait jouir pour s'organiser au civil, pour se fortifier militairement et se régulariser financièrement (1). Il ne manque d'aucun moyen d'attaque ni de défense. Dans l'état actuel, Buenos-Ayres ne craindrait point une attaque

(1) Voyez les pièces à la fin de l'ouvrage.

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