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actuel, parce que la plupart des servitudes connues ont eu besoin du fait de l'homme, pour être établies dans le principe; mais une fois établies, elles se conservent d'elles-mêmes, sans avoir besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées. ]

La servitude discontinue est celle qui a besoin du fait actuel de l'homme pour être exercée : tels sont les droits de passage, puisage, pacage, et autres semblables.

La servitude apparente est celle qui s'annonce par un ouvrage extérieur, comme celle de passage par une porte, celle de vue par une fenêtre, celle de conduite d'eau par un acquéduc.

La servitude non apparente est celle qui n'a pas de signe extérieur d'existence : toutes les servitudes négatiyes sont en même temps non apparentes.

SECTION II.

Comment s'établissent les Servitudes.

688.

689.

Il faut distinguer: les servitudes discontinues, quelles qu'elles soient, et les servitudes continues, qui ne sont pas apparentes [telles que les servitudes négatives ], ne' peuvent s'établir que par titres. La possession, même immémoriale, ne suffit pas pour les établir. Mais comme la loi ne peut avoir d'effet rétroactif, cette disposition ne préjudicie en rien aux servitudes de cette nature qui se trou→ vaient acquises par la prescription, au moment de la promulgation de la présente loi, dans les pays où elles pouvaient s'acquérir de cette manière. (Le Titre des ser- 691, vitudes a été promulgué le 20 pluviose an 12.).

[ J'avoue que j'ai de la peine à apercevoir une différence, au fond, entre la servitude de vue, et la servitude. de passage manifestée par un signe extérieur, par exemple, par une porte donnant sur le terrain voisin ; et cependant notre droit établit ici une différence essentielle entre ces. deux espèces de servitudes, puisque la servitude de vue s'acquiert par la possession de trente ans, et que celle de passage ne peut s'acquérir que par titres. On peut dire,

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pour justifier cette disposition, que la possession pour la prescription, devant être continue et publique (art. 2229), elle ne peut s'appliquer aux servitudes qui ne sont pas en même temps continues et apparentes; et comme le Code met au nombre des servitudes discontinues, celle de passage, même lorsqu'elle est manifestée par une porte donnant sur l'héritage voisin, il a dû décider, par la même raison, que cette servitude ne pouvait s'acquérir par la prescription. ]

[Le titre qui établit une servitude doit émaner du propriétaire ayant capacité d'aliéner. La servitude étant un démembrement de la propriété, est toujours regardée en droit comme emportant aliénation, et ne peut en conséquence être consentie que par celui qui a droit d'aliéner l'immeuble assujetti, sauf ce qui est dit ci-dessus, Quid, si elle avait été consentie à non domino, pourraitelle être acquise avec bonne foi, par dix ou vingt ans ? Je pense qu'il faut distinguer : toute servitude est un immeuble, et tout immeuble peut être acquis de cette manièr (art. 2265); d'ailleurs, puisque l'on pourrait acquérir ainsi l'immeuble entier, à plus forte raison peut-on acquérir la servitude, qui en est une partie, un démembrement; mais comme il faut que la possession soit publique et continue pour fonder la prescription, je pense que, même avec titre et bonne foi, l'on ne pourrait acquérir de cette manière que les servitudes continues el appa

rentes.

Quid, si elle a été consentie par un possesseur précaire? Il en sera de même (art. 2239), sauf que, dans ce cas, le stipulant n'acquerra un droit immuable, qu'autant qu'il aura prescrit lui-même la servitude; au lieu que, si elle avait été consentie par un possesseur, ayant lui-même droit de prescrire, le droit du stipulant deviendrait irrévocable, du moment que le possesseur du fonds assujéti en aurait lui-même acquis la propriété par la prescription. Car dès lors personne ne pourrait plus contester la servitude. ]

[ On ne pourrait intenter l'action possessoire, à raison de ces sortes de servitudes; car l'action possessoire est fondée sur le

principe, que tout possesseur est réputé propriétaire jusqu'à preuve contraire; et, quand elle est admise, son effet est de dispenser de toute preuve celui à qui la possession a été adjugée, et d'obliger, au contraire, la partie adverse de prouver sa propriété. Or ici, la présomption de propriété, résultant de la possession, ne peut avoir lieu, puisque celui qui réclame la servitude, est toujours obligé de justifier de son droit par titres. L'action possessoire lui serait donc absolument inutile, puisque, quand même la possession lui serait adjugée, il n'en serait pas moins obligé de justifier de sa propriété. Arrêt de Cassation du 28 février 1814. (SIREY, 1814; 1re partie, page 256.)

Mais quid, si l'on alléguait la possession annale acquise avant le Code, dans un pays où la servitude dont il s'agit, pouvait s'acquérir par la prescription, l'action possessoire pourrait-elle avoir lieu? Je serais d'avis de l'affirmative. Puisque l'on suppose que la propriété de la servitude pouvait s'acquérir par la prescription, le possesseur doit être réputé propriétaire jusqu'à preuve contraire (art. 2229); et si la possession est adjugée au réclamant, son effet sera d'obliger l'adversaire de prouver qu'au moment de la promulgation du Code, la prescription nécessaire pour acquérir la propriété n'était pas encore accomplie.( Voir, au surplus, à ce sujet, un arrêt de Cassation, du 13 août 1810; SIREY, 1810, 1re partie, page 333.) L'on a jugé contre cette doctrine à la même Cour, le 10 février 1812; (SIREY, 1813, 1re partie, page 3,); 17 février 1815, (Bulletin de Cassation, 1813, no 21); et 3 octobre 1814 ( ibid. 1814, no 86). Mais je n'en persiste pas moins dans mon opinion, nonobstant cette jurisprudence qui paraît constante, mais qui me semble évidemment donner à la loi un effet rétroactif. Car il est bien certain que les possesseurs de ces servitudes auraient pu, avant le Code, intenter l'action possessoire; ce droit leur était acquis par le fait seul de leur possession. Comment une loi postérieure a-t-elle pu les en priver?

Quid, si la possession est appuyée sur un titre quelconque, même contesté?, Dans ce cas, le possessoire doit être admis; et son effet sera d'obliger la partie adverse de prou

ver l'inefficacité du titre; ce qui paraît confirmer le raisonnement contenu dans l'alinéa ci-dessus. (Voir quatre arrêts de la même Cour, l'un du 24 juillet 1810; (SIREY, 1810, 1re partie, page 334); le second, du 6 juillet 1812, (ibid. 1813, 1re partie, page 81 ); le 3o, du 3 octobre 1814, (ibid. 1816, page 145 ); et le 4o du 10 mai 1820 (Bulletin, no 43 ). On a même cassé le 17 du même mois ( Bulletin, n° 45), un jugement qui avait refusé de statuer sur la possession, en fait de servitude discontinue, quoique, devant les juges, les demandeurs eussent demandé à produire des titres. Le jugement cassé avait décidé que l'examen des titres ne pouvait avoir lieu que sur le pétitoire; mais la Cour a pensé qu'en général il n'y avait pas lieu au possessoire, en fait de servitude discontinue, parce que la possession, dans ce cas, était toujours réputée précaire; mais qu'il en devait être autrement, dès qu'il était allégué des titres tendant à prouver que la possession n'était pas précaire, mais bien à titre de propriétaire.

On a également jugé à la même Cour que l'action possessoire pouvait avoir lieu :

1o. A raison d'un cours d'eau possédé en vertu du droit commun, et des dispositions de la loi. (Arrêt du 1er mars 1815, Bulletin, no 17.) Cette décision est fondée en raison. La loi vaut titre à l'égard de ceux qui sont soumis à son empire.

2o. A raison d'un sentier servant à l'exploitation des vignes d'un canton; et ce, sur le fondement que ce sentier ne devait point être regardé comme une servitude, mais comme existant en vertu d'une convention primitivement faite entre les divers propriétaires, et dont il n'existait plus de traces.]

[Il faut que la prescription ait été complétée au moment de la promulgation: il ne suffirait pas qu'elle eût été commencée. C'est une exception au principe posé dans l'article 2281.

Mais qui devra prouver? Si nous supposons que celui qui prétend avoir acquis la servitude, était en possession, au moment de la promulgation du Code, il doit, d'après les

principes établis dans la noté ci-dessus, être présumé propriétaire, jusqu'à la preuve contraire : ce sera donc à la partie adverse à prouver que la prescription n'était pas acquise au moment de la promulgation. S'il ne possédait pas, ce sera à lui, au contraire, à prouver. ]

Les servitudes continues et apparentes peuvent s'acquérir par titres, ou par la possession de trente ans.

[ Pourquoi n'y a-t-il que ces sortes de servitudes qui puissent s'acquérir par prescription? Nous venons de le dire; c'est qu'il n'y a qu'à elles que peuvent s'appliquer les caractères de la possession, telle qu'elle doit être pour opérer la prescription. (Art. 2229.) Il faut que cette possession soit continue: elle ne peut donc avoir lieu que pour les servitudes continues. Il faut qu'elle soit publique : il faut donc que la servitude soit apparente, et en outre qu'elle ait pu être connue du propriétaire du fonds assujéti, ou de ses ayant-cause. Si donc le propriétaire d'une maison, occupant en même temps la maison voisine à titre de bail, établit une servitude sur celle-ci au profit de la sienne, il est certain que le temps de la prescription ne courra pas, tant qu'il jouira comme locataire de la maison assujétie. En effet, si l'on suppose un instant que la maison au profit de laquelle la prétendue servitude a été établie, appartient à un tiers, il aurait été obligé, en sa qualité de locataire, de prévenir le propriétaire des usurpations qui pourraient être commises sur son fonds; ce qui comprend bien certainement l'établissement des servitudes; et s'il ne l'eût pas fait, il eût été tenu des dommages-intérêts. Peut-il donc, quand il est lui-même propriétaire de ladite maison voisine, et que c'est lui-même qui commet l'usurpation, venir argumenter de de son propre fait, pour acquérir un droit à l'exercice duquel il eût dû au contraire s'opposer, s'il eût été exercé par un autre? C'est le cas de la règle : eum quem de evictione tenet actio, eumdem agentem repellit exceptio.

Observez que, par la même raison que le Code consacre les servitudes discontinues dont la prescription se trouvait acquise au moment de la promulgation du Titre des Servitudes, dans les pays où elles pouvaient s'acqué

690.

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