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ment sa médiation aux deux parties. Avec la France il se refusait à reconnaître le droit d'intervention dans les affaires intérieures de l'Espagne, et le principe que les améliorations ou modifications dussent émaner directement de l'autorité royale pour satisfaire et tranquilliser les états voisins, ni être une condition de guerre on de paix; avec l'Espagne, il ne s'engageait à rien... Un négociateur nouveau (lord Fitzroi Sommerset) devait être adjoint à son ministre ordinaire à Madrid, moins pour agir et parler au nom du gouvernement britannique que pour porter aux Espagnols les conseils d'un ami, lord duc de Wellington, qui avait apprécié les vices de leur constitution et les dangers de leur situation; mais il était bien entendu que ces conseils, développés dans le memorandum du 10 janvier, ne seraient point regardés comme une note ministérielle, et que l'adhésion ou le refus du gouvernement espagnol ne changerait en rien la situation relative ni le système du gouvernement britannique...

Au reste, le ministère espagnol s'était déjà refusé explicitement à toute espèce de concession, avant l'arrivée de lord Fitzroi Sommerset à Madrid (22 janvier), et il n'y avait guère d'apparence que cette mission d'une espèce insolite pût avoir du succès. Déjà le gouvernement français avait envoyé (le 18 janvier), à M. le comte de La Garde, ses lettres de rappel.

L'inquiétude générale se manifestait par le symptôme ordinaire dans toutes les crises politiques, par une baisse rapide dans le cours des effets publics. En France on attendait avec une impatience ou plutôt une anxiété proportionnée à l'importance des résultats, l'ouverture de la session fixée au 28 janvier, et le discours du trône comme devant résoudre la question de la guerre ou de la paix. Un incident singulier prépara les esprits à l'entendre.

On a vu, dans l'histoire de l'année dernière (p. 493), que la régence d'Urgel avait ouvert un emprunt de 80 millions de réaux (16 novembre), et qu'elle avait, par un décret exprès, chargé de la négociation de cet emprunt M. Julien Ouvrard, qui s'adjoignit M. Rougemont de Lowenberg.

A la première annonce de cet emprunt, M. le duc de San Lo

renzo, ambassadeur et ministre plénipotentiaire du roi d'Espagne à Paris, avait porté plainte en police correctionnelle, en vertu des lois de 1819 et de 1822, contre MM. Ouvrard et Rougemont, pour délits d'outrage envers la personne de S. M. C., en publiant leur prospectus au nom d'une autorité qu'il qualifiait de rebelle. L'appel de cette affaire, ajourné plusieurs fois, avait été fixé, non par hasard sans doute, au même jour (28 janvier) que la séance royale. Déjà MM. Ouvrard et Rougemont avaient annoncé le projet de décliner la compétence du tribunal de police correctionnelle pour juger une question si importante, une question de paix ou de guerre;... mais tout aussitôt après l'appel de la cause, l'avocat du Roi (M. Billot), après avoir fait pressentir l'importance de la question dans le cas où la cause devrait être plaidée, annonça qu'une circonstance nouvelle venait dispenser le tribunal de tout examen de l'assignation donnée sur les poursuites faites à la diligence de M. le duc de San Lorenzo; que M. le garde des sceaux venait d'annoncer, par une lettre expresse datée de ce jour, à M. le procureur du Roi, que M. le duc de San Lorenzo avait cessé d'être reconnu en France en qualité de ministre plénipotentiaire de S. M. C. le roi d'Espagne, et qu'ainsi la cause devait être rayée du rôle. Sur ce réquisitoire, vivement combattu par l'avocat de M. le duc de San Lorenzo (M Mauguin), qui s'étonnait de la grave responsabilité que semblait prendre ainsi le ministère dans une question de paix et de guerre, le tribunal, après en avoir délibéré pendant trois quarts d'heure, prononça que, vu la lettre du garde des sceaux, attendu que M. le duc de San Lorenzo n'avait plus auprès des tribunaux français caractère suffisant pour représenter S. M. C., il n'y avait lieu à statuer, et que la cause serait rayée du rôle,

En même temps qu'un simple tribunal de police correctionnelle rendait cet arrêt vraiment historique, le roi faisait au Louvre l'ouverture de la session législative.

Le discours que S. M. prononça dans cette occasion mérite d'être médité dans toutes ses expressions. Dans la première partie, il annonce les effets salutaires de l'action de la justice, l'heureuse issue des négociations avec le saint-siége pour l'établissement de nou

veaux diocèses, la régularisation de la comptabilité, l'amélioration générale de la situation intérieure du royaume; mais venant, dans sa seconde partie, à la situation extérieure relativement aux affaires d'Espagne, S. M. observe avec douleur que la justice divine permet, qu'après avoir long-temps fait éprouver aux autres nations. les terribles effets de nos discordes, nous soyons nous-mêmes exposés aux dangers qu'amènent des calaminés semblables chez un peuple voisin. S. M. annonce qu'après avoir tout tenté pour garantir la sécurité de ses peuples et préserver l'Espagne elle-même des derniers malheurs, les représentations faites et repoussées à Madrid laissent peu d'espoir de conserver la paix; qu'elle a donc ordonné le rappel de son ministre à Madrid, et que cent mille Français, commandés par un prince de sa famille, sont prêts à marcher pour conserver le trône d'Espagne à un petit-fils d'Henri IV, préserver ce beau royaume de sa ruine, et le réconcilier avec l'Europe.

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Si la guerre est inévitable, dit S. M. en terminant, je mettrai * tous mes soins à en resserrer le cercle, à en borner la durée; elle

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ne sera entreprise que pour conquérir la paix que l'état de l'Es

pagne rendrait impossible.

Que Ferdinand VII soit libre de donner à ses peuples les institutions qu'ils ne peuvent tenir que de lui, et qui, en assurant leur repos, dissiperaient les justes inquiétudes de la France. Dès ce « moment les hostilités cesseront; j'en prends devant vous, Messieurs, le solennel engagement.

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J'ai dû mettre sous vos yeux l'état de nos affaires du dehors C'était à moi de délibérer, je l'ai fait avec maturité; j'ai consulté la dignité de ma couronne, l'honneur et la sûreté de la France.

Nous sommes Français, Messieurs, nous serons toujours d'accord pour défendre de tels intérêts. »

Des acclamations unanimes éclatèrent après ce discours; la salle retentit des cris répétés à plusieurs reprises, vive le Roi! vivent les Bourbons! vivent tous les Bourbons!

Il se répandit bientôt dans tout Paris que la guerre était décidée, les cinq pour cent consolidés tombèrent à la bourse à 76 fr. 70 c., et les autres effets à proportion; mais c'est le taux le plus bas où

ils aient été cotés; on en peut observer la hausse progressive dès le lendemain 29 où parut la liste des officiers généraux destinés à commander l'armée d'Espagne.

A la première séance particulière de la chambre des pairs, les cardinaux pairs prirent rang au banc des ducs, et les pairs archevêques ou évêques au banc des comtes (ordonnance du 8 janvier). Il s'y trouvait huit prélats nouvellement élus. Le reste de la séance fut employé à la composition du bureau et à la vérification des titres des deux nouveaux pairs élevés à cette dignité par droit héréditaire après la mort de leurs pères (MM. les comtes Tascher et d'Escars), à la formation du bureau, où furent appelés comme secrétaires MM. le marquis d'Orvilliers, le comte de La Forêt, le duc de Narbonne et le marquis de Rougé, et à la nomination de la commission nommée pour la rédaction de l'adresse au Roi, sujet auquel nous reviendrons.

Dans celle des députés, où la présidence d'âge fut déférée à M. Delacroix - Frainville, en l'absence de M. Gévaudan, on procéda d'abord à la formation du bureau par le tirage au sort; le côté et le centre gauches étaient à peu près déserts; ils se garnirent pour le lendemain, lors de la vérification des pouvoirs, qui fut cette fois fort orageuse.

(30 janvier.) D'abord l'admission de M. Kératry, député du Finistère, fut ajournée, sur ce qu'il n'avait pas produit des extraits réguliers du paiement de ses contributions, mais seulement un certificat du préfet, constatant que les pièces nécessaires pour établir la quotité de ses contributions avaient été déposées au se'crétariat de la préfecture, pour motiver son inscription sur la liste des éligibles, ajournement qui cessa lors de la production de ces pièces.

Des contestations plus graves s'élevèrent sur l'élection de M. de Meaudre, élu par l'arrondissement de Roanne (Loire), dont quelques circonstances parurent mériter un rapport particulier ( remis au 1a février), et sur celle de M. de Marchangy, nommé par les colléges des départemens du Nord et de la Nièvre.

Dans le rapport fait sur cette élection, au nom du 6o bureau,

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par M. Borel de Bretizel, on reconnaît qu'à l'égard de la quotité du cens exigé pour établir l'éligibilité, M. de Marchangy payait actuellement au delà de 1,000 fr. de contributions; mais, quant à la possession annale antérieure à la convocation des colléges électoraux, exigée par la loi du 19 juin 1820, elle n'était pas établie, et toutes considérations de convenance et d'affection devaient, dit l'honorable rapporteur, être nulles devant la puissance de la loi. Cependant M. de Marchangy avait réclamé auprès du bureau un ajournement motivé sur ce que, n'ayant pas prévu l'insuffisance des pièces par lui produites, il avait négligé quelques parties d'impôt qu'il payait encore dans quelques départemens, et au moyen desquelles il espérait pouvoir remplir le vœu de la loi, en réunissant ces diverses fractions d'impositions directes, en considération de quoi le 6e bureau proposait l'ajournement de la décision de la Chambre...

B

La proposition d'ajournement fut vivement combattue par M. de Girardin, qui en prit occasion d'attaquer le préfet de la Nièvre (député), pour avoir fait porter, sans un examen assez sévère, le nom de M. de Marchangy sur la liste des éligibles, et par M. Casimir Perrier, qui reprochait à M. de Marchangy de s'étre présenté à la face de la France sans avoir les qualités requises pour être député; « faute d'autant plus grave que, comme magistrat, il devait donner l'exemple de son respect pour la loi... »

Le candidat, dont l'élection était si vivement attaquée, trouva quelques défenseurs (MM. de Vaublanc, Pardessus, etc. ) Il y a toute apparence que, comme on le disait du côté droit, l'acharnement que l'opposition semblait mettre à cette affaire était un peu excité par le souvenir du rôle que M. de Marchangy avait joué dans les derniers procès politiques : il ne put empêcher que l'ajournement ne fût prononcé; mais, à l'expiration des quinze jours accordés à M. de Marchangy pour la production de nouveaux certificats, le 6o bureau n'ayant reçu aucune pièce justifi-cative nouvelle pour suppléer à l'insuffisance des premières, l'élection fut définitivement déclarée nulle (décision du 15 janvier.) Ce fut un triomphe du parti libéral, mais de courte durée; car

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