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CHAPITRE X.

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Événemens divers. Mesures d'administration publique. — Esquisse de la campagne. Adjudication de l'emprunt. Exposition des produits de l'industrie française. — Dénoûment de l'expédition en Espagne. — Retour de l'armée et du prince généralissime. - Changemens dans le ministère. —— Dissolution de la chambre des députés. Coup d'œil sur l'administration.

QUOI QU'ON en eût dit dans quelques discours de l'opposition et de la contre-opposition, le ministère avait constamment suivi la même direction politique dans toutes les branches de l'administration générale. Il avait fait dans le conseil d'État, et surtout dans les préfectures, des changemens ou des déplacemens assez considérables. (Voyez l'Appendice, § Promotions.) Un de ses actes les plus remarquables est la réorganisation de la faculté de médecine, d'où furent éloignés quelques professeurs d'une grande célébrité, mais soupçonnés de n'être pas assez dévoués au système monarchique. Il se trouve dans cette ordonnance des dispositions sévères pour l'admission des élèves et la discipline des écoles. Ils ne peuvent être reçus sans avoir des maires de leurs communes un certificat de bonne conduite et de bonnes mœurs, et sans avoir obtenu le diplome de bachelier ès lettres et celui de bachelier ès sciences. Les professeurs sont chargés et responsables de la police de leurs classes, où les écarts du respect dû à la religion, aux mœurs et au gouvernement, sont punis de l'exclusion temporaire ou définitive. Cette ordonnance (du 2 février) fut vivement censurée. Le nombre des élèves en a été fort diminué; mais l'ordre n'y a plus été troublé.

Plusieurs députations étaient restées incomplètes ( celle des départemens ci-après: Aisne, Somme, Ile-et-Vilaine, Calvados, Finistère, Vendée, Nièvre et Nord), par nullité de nomination, élections doubles, ou décès des députés élus. Les colléges électoraux furent convoqués dans les temps prescrits (6 et 18 mars, 17 avril); toutes les élections nouvelles furent faites dans les rangs des

royalistes, et à une forte majorité de suffrages. Mais dans plusieurs colléges, les libéraux avaient abandonné la lutte. D'ailleurs aucune élection n'a été contestée, fait à remarquer dans un moment où les esprits étaient fort agités par la question de la guerre avec l'Espagne. Nous avons déjà rendu compte (pages 138, 139, 140) des préparatifs et des premiers événemens de cette campagne, en ce qu'il était nécessaire de dire pour l'intelligence des discussions de la tribune. Nous ne pouvons ici que rappeler les faits qui tiennent aux affaires de France et à la politique de son gouvernement. Un caractère particulier distingue cette guerre, dont la direction suprême était donnée, avec les pouvoirs les plus étendus, au prince héritier du trône, parent du monarque dont la délivrance était l'objet principal de l'expédition; c'est l'esprit dans lequel elle fut entreprise et dirigée. Le Roi avait établi près de S. A. R. un commissaire civil (M. de Martignac, conseiller d'État, membre de la chambre des députés, celui-là même qui avait fait le rapport de la loi du crédit extraordinaire), dont la mission ostensible était d'entretenir les relations nécessaires du chef de l'armée française avec les autorités qui devaient s'établir en Espagne après l'entrée des Français, et sans doute aussi de préparer les voies à une conciliation entre les partis. Il avait été arrêté qu'il ne serait imposé à l'Espagne ni administration étrangère, ni sacrifice, ni contribution quelconque; qu'elle serait traitée en puissance indépendante et amie; que la course en mer serait interdite contre les bâtimens du commerce espagnol: bel exemple que la France donnait la première, d'effacer les vestiges de l'ancienne barbarie dans le code maritime des nations. D'un autre côté, on rappela du service espagnol tous ceux qui auraient été incorporés dans des corps militaires destinés à agir en Espagne contre les troupes françaises ou leurs alliés, sous peine d'être poursuivis conformément aux lois, s'ils continuaient à faire partie des mêmes corps après le commencement des hostilités. (Ordonnance du 10 avril. )

Cette mesure n'était pas sans motifs; on l'a déjà vu (p. 138 et 139). On n'entrera point ici dans les détails de cette mémorable campagne, dont l'ensemble appartient à l'histoire d'Espagne. On y

verra (chap. IV, V, VI, VII) comment le prince, alliant partout le courage et la générosité, donnant l'exemple de toutes les vertus civiles et militaires, ne laissant rien à la fortune de ce que la prudence pouvait lui assurer, dirigea les colonnes de son armée de manière à nettoyer les côtes orientales et occidentales de l'Espagne en même temps qu'il marchait à la tête de celle du centre, qui devait arriver par un chemin plus direct au dernier rempart de la révolution. On y verra qu'en moins de six mois l'armée française s'est avancée des rives de la Bidassoa (7 avril) à la baie de Cadix, en touchant à tous les points de l'Espagne, et que, dans ce court espace de temps, elle a parcouru plus de mille lieues de terrain, livré des combats, fait des siéges, emporté des forteresses d'assaut, pour venir étouffer la révolution espagnole (1er octobre) au lieu même de sa naissance.

Une circonstance heureuse aida au succès de l'expédition, c'està-dire, la contre-révolution opérée en Portugal quelques jours après l'entrée des Français à Madrid. Mais aussi d'autres événemens, d'autres difficultés que nous aurons à exposer, et surtout l'exaltation effrénée du parti royaliste en Espagne, y mirent des obstacles et trompèrent les vues généreuses du prince. D'ailleurs le but principal de l'expédition était atteint, la délivrance du roi d'Espagne était accomplie, la mission de l'armée française et de son auguste général était remplie. De ce côté, la gloire était sans tache.

Pendant cette campagne, dont chaque jour apportait des nouvelles favorables, l'esprit public n'était pourtant pas rassuré, ni exempt d'inquiétude, et même d'agitation, au milieu des faux bruits répandus sur la situation de l'armée et de l'Espagne. Cependant il est juste de dire que le ministère ne crut pas devoir, dans une circonstance si grave, user du pouvoir que la loi mettait dans ses mains; il ne rétablit point la censure, et sortit de cette crise avec l'honneur d'avoir respecté la liberté de la presse.

Le succès de l'expédition était décidé, lorsqu'arriva le jour fixé pour l'adjudication des 23,114,516 fr. de rentes émises dans les dernières sessions. Elle fut faite le 10 juillet à l'hôtel du ministre des finances, en présence de cinq ministres, au milieu d'un con

cours nombreux de banquiers et de personnages de distinction... D'après les soumissions reçues et décachetées publiquement, les compagnies Lafitte, Sartoris et Lapanouze avaient offert de prendre la rente à 87 fr. 75 c.; mais MM. Rotschild ayant porté leur soumission à 89 fr. 55 c., le ministre des finances déclara que ce taux surpassant son minimum (1) l'emprunt leur était adjugé.

Cette adjudication, destinée à remplir un crédit de 387,054,093 f., a produit 413,980,981 f., c'est-à-dire un excédant de 26,926,888 f. On fut frappé du prix offert, qui égalait le cours actuel de la rente, mais le bénéfice probable était dans les termes accordés et dans l'espoir d'une hausse rapide qui, en effet, ne s'est plus rallentie. Quelques jours après l'adjudication, les actions de l'emprunt gagnaient 2 à 3 pour 100 de prime.

(25 août.) L'exposition des produits de l'industrie française, annoncée par l'ordonnance du 29 janvier, eut lieu cette année, à la Saint-Louis, dans les salles du Louvre. La formation du jury nommé pour la réception, le classement et le jugement des produits envoyés au concours, excitèrent des réclamations diverses; on fut étonné de n'y voir figurer, ni M. Ternaux, ni M. le duc de La Rochefoucauld-Liancourt à qui l'on venait d'ôter plusieurs places purement honorifiques (de membre du conseil général des prisons, et de directeur de l'école des arts et métiers de Châlons, transférée à Toulouse); mais malgré ces plaintes qui se perdent bientôt dans les agitations des grandes villes, l'exposition n'en attira pas moins un concours immense de producteurs et de spectateurs. Elle a montré que l'industrie française avait encore fait de nouveaux progrès, surtout dans les produits de la mécanique et de la chimie, et des récompenses décernées aux auteurs des inventions et des perfectionnemens, au premier rang desquels était M. Ternaux lui-même, attestent l'intérêt que le gouvernement de S. M. prend à cette branche de l'économie politique.

On avait beaucoup parlé depuis le voyage du duc de Bellune à

(1) Suivant le bulletin que le ministre décacheta ensuite devant quelques personnes, et en présence de ses collègues, ce minimum était de 89 fr, Annuaire hist. pour 1823.

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l'armée, et pendant toute l'expédition d'Espagne, d'une scission ou d'un changement dans le ministère; le bruit s'en renouvela plus que jamais à la fin de la campagne, époque où toutes les ambitions étaient en mouvement. Mais le changement attendu dans le ministère se réduisit au déplacement de M. le maréchal duc de Bellune, qui fut nommé à l'ambassade de Vienne, alors vacante par la démission de M. de Caraman; un parti s'attendait à voir entrer au ministère de la guerre le général comte Guilleminot qui revenait de l'armée d'Espagne, où il avait joui de toute la confiance du prince généralissime, comme major général; mais le choix de S. M. s'arrêta ( ordonnance du 19 octobre) sur M. le baron de Damas qui venait de se distinguer d'une manière si brillante aux affaires de Llado et de Llers: et le général Guilleminot fut nommé à l'ambassade de Constantinople, pour laquelle il est parti au mois de mai suivant.

Quant au maréchal duc de Bellune, dont le déplacement excita des plaintes et des ressentimens de parti, quelques journalistes assuraient qu'il n'accepterait point. l'ambassade qu'on lui destinait. Et, en effet, soit refus de sa part, soit par suite d'une difficulté diplomatique qui s'éleva à Vienne sur la reconnaissance de son titre (de duc de Bellune), M. le maréchal ne s'y est pas rendu.

A la nouvelle du dénoûment heureux de l'expédition d'Espagne, les faveurs de la munificence royale tombèrent sur les généraux qui s'y étaient le plus distingués. Le comte Molitor fut élevé à la dignité de maréchal de France, d'autres à la pairie, au rang de chevaliers des ordres ( ordonnance du 9 octobre); et il fut ordonné que pour perpétuer le souvenir du courage et de la discipline dont l'armée française venait de donner tant de preuves en Espague, l'arc de triomphe de l'Étoile serait immédiatement terminé.

Le 12 octobre, il fut chanté à l'église métropolitaine un Te Deum où assista toute le famille royale, excepté le prince, dont la présence seule manquait à cette heureuse journée. Il n'arriva que le 2 decembre à Paris.

Tout y avait été préparé pour faire au prince généralissime une réception digne de lui et de l'armée: deux mille cinq cents hommes de la garde royale et de la ligne, embarqués à Cadix le 17 octobre,

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