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L'erreur, qui fait le fond de tous les raisonnemens contre la guerre d'Espagne, vient d'avoir éternellement comparé l'invasion de Buonaparte à la guerre que nous avons été obligés d'entreprendre contre la faction militaire de l'ile de Léon. Buonaparte fit la guerre la plus injuste, la plus violente au Roi et à la nation espagnole; nous, nous prenons les armes pour ce même Roi et pour cette même nation. On nous a prédit tous les malheurs qui suivirent l'invasion de l'usurpateur, comme si la position était la même pour l'intervention tout amicale d'un Roi légitime.

« Sans doute, si nous prétendions agir comme Buonaparte, quatre cent mille hommes et 400 millions ne suffiraient pas; mais voulons-nous suivre son exemple? Remarquez, Messieurs, dès nos premiers pas en Espagne, une différence de fait qui détruit toutes les comparaisons de nos adversaires.

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Dans la guerre de Buonaparte, presque toutes les villes fortifiées qu'il avait d'abord occupées comme allié, étaient pour lui, parce qu'il y avait mis garnison; mais toutes les populations des campagnes étaient contre lui. Aujourd'hui, c'est précisément le contraire : les villes où les cortès ont jeté quelques soldats nous ferment leurs portes, mais le peuple eutier des campagnes et des villes ouvertes est pour nous. Non-seulement le peuple et les paysans sont pour nous, mais ils nous regardent comme leurs libérateurs; ils embrassent notre cause, ou plutôt la leur, avec une ardeur qui ne laisse aucun doute sur les sentimens de l'immense majorité espagnole. Les paysans servent eux-mêmes de guides à nos soldats. Dans ce même pays où nos officiers ne pouvaient voyager sans escorte, sans courir risque de la vie, 'ces mèmes officiers voyagent seuls comme eu pleine paix, trouvent partout assistance, et sont salués sur la route par les cris de vive le Roi! Les particuliers et les fonctionnaires publics s'empressent d'indiquer aux commandans français les lieux où les troupes des cortès, en se dispersant, ont caché leur argent, leurs munitions et leurs armes. Il ue se formera point, ou il ne se formera que pen de guérillas; car c'étaient les paysans qui formaient ces guérillas, et ces paysans sont pour nous. Ils seraient les premiers à s'armer contre les bandes qui pourraient rester des troupes des cortès. On en a déjà vu des exemples.

«Je ne dois pas oublier qu'un noble comte qui soutient le principe de la guerre d'Espagne l'appuie sur la raison politique que c'est une guerre d'influence. Je suis obligé de lui déclarer que telle n'est point la pensée du gouvernement. Nous ne prétendons rétablir avec l'Espagne aucun des traités détruits à jamais par le temps; nous combattons seulement pour nous soustraire au retour des maux dont nous avons été trente ans les victimes.

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La question, Messieurs, n'a jamais été pour nous de savoir ce que nous avions à gagner en prenant les armes, mais ce que nous avions à perdre en ne les prenant pas; il y allait de notre existence : c'était la révolution qui, chassée de la France par la légitimité, voulait y rentrer de force.

«

Il a donc fallu nous défendre; le bruit de toutes les déclamations n'a pu étouffer cette voix intérieure qui nous disait que nous étions en danger. Nonseulement nous le sentions, mais nos ennemis le voyaient, et leur indiscrète joie, d'un bout de l'Europe à l'autre, trahissait leurs espérances. De cette nécessité qui nous a mis les armes à la main, sortira, j'ose le dire, un bien immense. Vous le savez, Messieurs, tous les efforts révolutionnaires s'étaient tournés contre notre armée : on n'avait pu soulever le peuple, on voulait corrompre le soldat.

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Que de tentatives faites sur nos troupes ! que de complots toujours déjoués et sans cesse renaissans! on employait jusqu'au souvenir de la victoire pour

ébranler la fidélité : de là cette fatale opinion ( que, grâce à Dieu, je n'ai jamais partagée), de là, dis-je, cette opinion qu'il nous serait impossible de réunir dix mille hommes sans nous exposer à une révolution. On ne nous parlait, on ne nous menaçait que de la cocarde tricolore! et l'on affirmait qu'à l'apparition de ce sigue aucun soldat ne resterait sous le drapeau blanc. De ' cette erreur, adoptée même par des hommes d'état, résultait pour la France une faiblesse qui nous livrait, sinon au mépris, du moins aux volontés de l'Europe.

« Eh bien, Messieurs, l'expérience a été faite, et, comme je n'en avais jamais douté, elle a parfaitement réussi. Le coup de canon tiré à la Bidassoa a fait évanouir bien des prestiges, a dissipé bien des fantômes, a renversé bien des espérances. Huit années de paix avaient moins affermi le trône legitime sur ses bases que ne l'ont fait vingt jours de guerre. Un Koi qui, après nous avoir rendu la liberté, nous rend la gloire; un Prince qui est devenu, au milieu des camps, l'idole de cent mille soldats français, n'ont plus rien à craindre de l'avenir. L'Espagne délivrée de la révolution; la France reprenant son rang en Europe, et retrouvant une armée; la légitimité acquérant la seule force qui lui manquait encore; voilà, Messieurs, ce qu'aura produit une guerre passagère que nous n'avons pas voulue, mais que nous avons acceptée.

. Ces grandes considérations devraient faire cesser toutes divisions politiques; nous devrions imiter ces vieux compagnons de Conegliano, ces vétérans de l'armée de Condé, qui dorment aujourd'hui sous la même tente, et qui n'ont plus qu'un même drapeau.

Malgré les assurances qui venaient d'être données par le ministère des affaires étrangères et par son prédécesseur, M. le duc de Broglie persiste à croire que les premières propositions relatives. à la guerre d'Espagne sont venues de la France.

⚫ Peu importe ensuite quel en a été le moment, dit S. S. Ces propositions ont-elles amené un traité définitif entre les puissances? Quels sont les termes et les conditions de ce traité? C'est ce qu'on nous laisse ignorer completement; on daigne seulement nous apprendre qu'on ne s'est point engagé à livrer passage aux étrangers sur le territoire français... Quels moyens auraiton de s'y refuser, après avoir volontairement abandonné la direction de la guerre? Si la France voulait en rester maîtresse, il fallait que son gouvernement fit de cette guerre une question purement française; il fallait y donner pour motif des griefs nationaux, tels que la violation du territoire, protection accordée aux contumaces; la guerre n'en eût pas été plus juste, puisque sans doute il n'eût tenu qu'à nous d'obtenir par une autre voie le redressement de ces griefs; mais, en supposant que le sort des armes nous eût été peu favorable, ou que de plus saines réflexions nous détournassent de la guerre, nous pouvions y mettre un terme sans consulter les puissances, et en déclarant nous contenter des satisfactions que l'Espagne nous eût offertes. Au lieu d'adopter ce système, nos ministres ont pris une marche tout opposée. Ils se sont emparés du principe même de la sainte alliance, de ce principe qui rend les rois maîtres absolus du sort des peuples, dont ils peuvent à lear gré faire et défaire les constitutions... Ainsi, la France, en adoptant les maximes du congrès, en les donnant pour base à sa détermina

tion, et en requérant, pour assurer leur empire, le concours des puissances alliées, a renoncé à son indépendance et à la direction de la guerre; elle s'est mise, dans le fait, à la discrétion de la sainte alliance, dont l'armée fran❤ çaise n'est plus aujourd'hui que l'avant-garde. En vain de nouvelles circonstances nous feraient désirer la paix; il n'est plus en notre pouvoir de la conclure; les puissances que nous avons engagées dans cette lutte se sont trop avancées pour reculer. Elles auraient pu, sans nos instances, laisser en repos la révolution espagnole, et s'embarrasser peu d'une contagion morale dont l'éloignement atténuait pour elles le danger; mais, après avoir solennellement prescrit cette révolution, consentiraient-elles à la voir triomphante? non sans doute; et si, comme il est permis de le prévoir, nos efforts ne suffisent pas pour l'anéantir, il faudra nous résoudre ou à combattre la sainte alliance, ou à subir ses secours, et livrer passage à ses troupes, malgré le jamais qu'on a fait retentir à notre oreille. »

En admettant le succès de notre expédition, le noble pair expose les dangers de l'occupation, l'opposition probable de l'Angleterre, relativement au Portugal, envers lequel une agression serait considérée comme une rupture; mais en jetant les regards sur l'intérieur de la France, le noble pair y voit d'autres motifs d'inquiétude et d'autres dangers: la division des partis, le mécontentement de la population; et en cas de revers l'invasion des étrangers, la perte de ce qui reste encore de liberté à la presse et à la tribune.

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Car, nous osons le dire, ajoute S. S., c'est là le véritable motif de la guerre, le principal grief de la sainte alliance. En vain alléguerions-nous que la charte française, qui consacre cette liberté, a été reconnue par l'Europe : on nous dirait, comme à l'Espague, qu'alors le danger n'en était pas senti. Ainsi la perte de notre indépendance serait le résultat de l'atteinte portée à celle de l'Espagne. La France se verrait en proie aux armées du Nord, et aux conséquences de ce système désastreux qui, partageant les peuples comme des troupeaux, détruisant tous les intérêts, anéantissant toutes les résistances tend à établir en Europe une sorte de monarchie collective, composée, en apparence, de tous les grands états, mais livrée par le fait à la domination absolue de celui qui compte le plus de sujets, et domine sur la plus grande étendue de territoire. Depuis les Romains jusqu'à Buonaparte, on a plus d'une fois tenté ce projet : la sainte alliance paraît aujourd'hui vouloir le rétablir; mais ceux qui la dirigent doivent se souvenir que de plus habiles qu'eux y ont échoué, que de plus puissans ont eu à s'en repentir. La crise peut être longue; mais le sort des peuples, celui de la civilisation, n'est pas encore désespéré. L'Europe saurait trouver, au besoin, l'énergie nécessaire pour conserver son indépendance. L'Europe n'a pas encore accepté le joug; l'Allemagne peut-être est à la veille de le secouer; et, quant à la France, elle a tout supporté jusqu'à présent, parce qu'elle obéissait à des Français, et que tout se tolere en famille. Mais si l'étranger prétendait intervenir dans son administration intérieure, elle se souviendrait qu'elle renferme dans son sein trente millions d'habitans, dont quatre cent mille ont porté les armes avec gloire,

Dans peu de jours sans doute les Chambres vont se séparer; il est diffi

cile de prévoir sous quels auspices elles se réuniront de nouveau. Máis que les ministres y songent... lorsqu'en 1815, un homme (M. le duc de Richelieu ), dont, malgré quelques erreurs, la mémoire doit être chère au pays, fut obligé de consentir, au nom du Roi, l'occupation de nos places fortes, son cœur vraiment français s'indignait de l'humiliation de sa patrie; mais alors du moins c'était une calamité nécessaire, et nous étions soutenus par l'espoir d'une prochaine libération. Le ministère actuel a trouvé la France florissante et libre. Quel jugement l'histoire porterait-elle de ceux qui le composent, si le résultat de leur administration était d'appeler sur leur patrie le fléau d'une occupation étrangère ? Aucune considération, aucun intérêt ne pourrait les excuser : il est, pour les états comme pour les individus; des principes au maintien desquels on doit sacrifier tout, jusqu'à son existence. »

Enfin, dans la confiance où il est d'avoir prouvé que la guerre d'Espagne, quel qu'en fût le succès, nous placerait dans la dépendance de l'étranger, M. le duc de Broglie vote le rejet d'une loi « qui n'a d'autre but que la continuation de cette guerre. »

Jusqu'ici la Chambre avait ordonné l'impression de tous les discours prononcés dans cette discussion; mais elle refusa le même honneur à celui-ci. Son attention étant épuisée comme le sujet, elle ferma la discussion.

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Aucun amendement n'étant propre à l'article qui compose toute la loi, elle fut soumise au scrutin par appel nominal, et réunit les trois quarts des suffrages.

Résultat du scrutin Nombre de votans, 131; pour le projet, 98 suffrages; contre, 33.

Ainsi finit une délibération à laquelle nous avons donné toute l'étendue possible, parce qu'elle offre ce qu'il y a de plus important dans l'histoire de la session, et même de cette année; mais le lecteur retrouvera encore aux chapitres de l'Espagne et de la GrandeBretagne, des détails nécessaires pour la comprendre et pour la compléter.

Annuaire hist. pour 1823.

II

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CHAPITRE VII.

Discussion da projet pour le règlement des comptes de 1821, et adoption de la loi dans les deux Chambres.

Des quatre projets présentés à la fois le ro février, l'un (celui du crédit de 100 millions pour la guerre d'Espagne) était adopté; un autre celui des dotations des deux Chambres) était comme retiré : il restait donc à discuter le règlement définitif du budget de 1821, et le règlement provisoire du budget de 1824: c'est ce qui va occuper le reste de la session; mais cette discussion des budgets, ordinairement si intéressante, parce qu'elle appelle une investigation sérieuse de toutes les parties de l'administration publique, n'offre, cette année, après la retraite ou dans le silence de l'opposition, que des détails financiers trop arides, que des critiques de détail trop minutieuses pour arrêter long-temps les regards de l'histoire. Nous n'en prendrons que les sommités et les résultats.

(Comptes de 1821.) Suivant l'exposé des motifs du projet du règlement définitif du budget de 1821, le ministre des finances demandait les crédits supplémentaires ci-après énoncés:

Pour le ministère de la justice, complément des frais de justice criminelle...

Ministère des affaires étrangères, pour couvrir des dépenses extraordinaires à cause du congrès de Laybach, des affaires de Naples et du couronnement da roi d'Angleterre. . .

Ministère de l'intérieur. 1°. Produit des extinctions des pensions ecclésiastiques, ajouté au budget du clergé. 2o. Supplement de dépenses pour la construction de la nouvelle salle de l'Opéra, ajouté à la somme de 1,800,000 fr., déjà allouée.

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3°. Prolongement de la ligne télégraphique de Paris à Lyon, jusqu'à Marseille et Toulon.

134,000

4°. Travaux exécutés au palais du Luxembourg, et antres frais pour le jugement des prévenus et accusés dans l'affaire du 19 août 1820.

5°. Primes d'encouragement à la pêche maritiine.

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