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Dans le développement qu'il fait des motifs de son amendement, le noble pair rappelant les expressions du dernier discours du trône, expose qu'il aime mieux s'attacher à la faible espérance de paix qu'il y trouve encore, qu'aux craintes qui y sont manifestées. Il observe que les dangers amenés par les calamités d'un peuple voisin, que le besoin de garantir la sécurité de la France, ne remontent pas à une date éloignée, et surtout ne tiennent pas à des difficultés essentielles et insurmontables.

En effet, dit S. S., n'est-ce pas le 4 juin dernier, que, dans son discours d'ouverture de la session, le Roi se plaignait de voir ses intentions dénaturées par la malveillance, qui transformait en préparatifs hostiles de simples mesures sanitaires? (1)...

- A cette époque, nul motif de guerre n'existait donc entre nous et l'Espagne; cependant elle était alors régie par les mêmes lois; tout y suivait un cours analogue aux circonstances actuelles. Nous ne pouvons pas nous empêcher d'en conclure que, si la guerre est inévitable, elle ne sera point fondée, grace à Dien, sur cette prétention contraire à toute justice, à tout droit des gens; sur ce prétexte impie de tous les dévastateurs du monde, le droit d'intervenir dans les affaires intérieures d'une nation et de régler son gouvernement; principe qui précipiterait les monarchies sur les républiques, les républiques sur les monarchies, les états despotiques sur les gouvernemens justes et réguliers; qui embraserait sans cesse le monde; principe qui a entretenu vingt-cinq ans de guerre en Europe, parce que, méconnu d'abord contre nous, il a été ensuite méconnu par la France elle-même. Vous l'avez dit vousmêmes, imputer cette doctrine au gouvernement, c'est vouloir rallumer les brandons encore fumans de la discorde et de la guerre ; et selon le discours du trône, la malveillance seule pouvait se permettre une telle supposition.

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Des assurances formelles ont été données en ce sens, non-seulement à la France, mais à l'Europe des actes diplomatiques ont engagé la foi royale contre cette prétention inique et mensougère. C'est sur ces augustes assurances que notre commerce a continué ses opérations; c'est sur cette solennelle promesse que 400 millions sont en ce moment sur la mer, exposés aux corsaires des premiers ennemis que nous nous ferons.

Mais la guerre n'éclatera que pour garantir notre sécurité, non pour menacer celle de nos voisins. La question sur laquelle le Roi a délibéré avec maturité aura été, non pas envisagée avec ce fanatisme politique qui veut porter le fer et la flamme partout où il ne trouve pas conformité à ses passions, et qui cherche à conquérir le pouvoir absolu en Espagne pour le reporter ensuite chez nous; mais elle aura été examinée dans l'intérêt réel de la France.

Or, Messieurs, il ne semble pas, du moins d'après ce qui apparaît en ce moment aux yeux de tous, que notre sécurité ait été encore dangereusement menacée par les Espagnols. L'investigation ardente du ministère public n'a pas indiqué de connexion entre les conspirations qu'il a poursuivies et les

(1) Voyez l'Ann. hist. pour 1822, discours du Roi, page 627.

mouvemens qui agitent nos voisins. Les violations de territoire dont on a parlé ont peut-être peu de gravité; des explications peuvent être données; des garanties peuvent être offertes, une médiation peut être acceptée. Le glaive n'est pas encore tiré; et puisque le cercle de la guerre doit être resserré, que sa durée doit être bornée, il n'est pas possible qu'elle soit entreprise pour un motif qui exclut toute paix, toute issue définitive; qui ne comporte d'autre résultat favorable qu'une occupation odieuse, oppressive et provisoire de l'Espagne, et d'autre résultat contraire que l'envahissement de la force elle-même. Ce serait, en effet, accepter, réclamer même ce dernier des malheurs, que de se porter pour arbitres des circonstances intérieures d'un peuple malheureux et trouble; ce serait dire à la face de l'univers : « Si nous sommes jamais malheureux et troublés, c'est les étrangers que nous voulons........

Divers membres appuyaient, d'autres repoussaient l'amendement proposé.-M. le comte de Ségur, estimant qu'il obtiendrait plus de faveur si la seconde partie en était rétranchée, proposait de le terminer à ces mots : « Nous sommes assurés que le plus vif « désir de votre cœur paternel serait d'épargner à votre peuple les « calamités de la guerre. »

Mais M. le comte Daru, second orateur inscrit pour combattre le projet d'adresse, fait bientôt prendre à la discussion un nouveau caractère.

« La délibération qui nous occupe, dit-il, ne se borne pas aujourd'hui à discuter une vaine rédaction; il y a dans le discours émané du trône, comme dans le projet d'adresse qui vous est présenté, une question plus grave. Le Roi nous a parlé de la guerre. C'est à lui, à lui seul qu'il appartient de la décider; mais tant que ses paroles mêmes nous permettent de conserver l'espoir de l'éviter, notre devoir est de porter au pied du trône, avec les sentimens du dévouement respectueux dont nous sommes animés, le vœu des peuples, le tribut de la prévoyance et les alarmes de l'humanité. Les alarmes, Messieurs, car il s'agit du repos de la patrie, de l'indépendance politique des nations et de la liberté des hommes.

"

En élevant ici la voix en faveur de la paix, je ne crains point d'offenser cenx qui se sont illustrés dans la guerre. L'embarras que j'éprouve vient de ce que je ne connais ni les argumens que j'ai à réfuter, ni les promoteurs d'une résolution que je crois funeste. Je ne vois partout, dans tous les partis, que des gens qui la désavouent; et cependant la question semble décidée avant même que nous en ayons connn la discussion. Une puissance invisible pèse sur nous; elle nous entraîne comme la fatalité; où nous conduit-elle ? C'est sur cet avenir que nous devons porter nos regards, si nous ne sommes pas assez imprudens pour nous précipiter en aveugles dans le danger, et si nous voulons au moins le mesurer pour y préparer notre courage.

« Dira-t on, il est trop tard? Quoi! il n'est déjà plas temps dès le premier jour de nos séances! Quoi! les sacrifices à imposer aux peuples étaient déjà fixés avant que nous fussions assemblés! Et comment délibérerous-nous sur ces sacrifices sans en discuter l'emploi ?

- Nous ne demandons point compte aux conseillers de la couronne des motifs qui les ont déterminés, de leurs moyens, de l'objet de leurs espérances, parce qu'il serait difficile d'apprécier les obstacles ou les influences qu'ils ont à surmonter. Ce sera l'histoire qui les jugera; mais n'aura-t-elle pas des reproches sévères pour les hommes publics qui, dans ces graves circonstances, auraient hésité à faire entendre le cri de la conscience et de la vérité ?

Cette guerre, prête à s'allumer entre la France et l'Espagne, est ou spontanée, on provoquée, ou conseillée. Nous n'avons eu connaissance ni de provocation ni de conseils; nous voyons, au contrairę, dans le petit nombre de documens qui out été publics sur cet objet, que « les puissances réunies au « congrès de Vérone s'en sont remises à la France pour la suite de la conclusion « des affaires. de l'Espagne; qu'elles se sont reposées de la solution d'une question qui les intéressait toutes, sur la puissance qui avait dans cette question l'intérêt le plus immédiat. » Ainsi, soit comme la plus intéressée, soit comme libre apparemment dans ses résolutions, la France se trouvait l'arbitre de la paix et de la guerre.

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Tout parait faire craindre que son choix ne se décide pour celle-ci. Il faut donc en examiner les motifs, les moyens, le but et l'issue.

■Les motifs sont l'état d'effervescence de l'Espagne, la constitution qu'elle s'est donnée, et le danger qui en résulte pour les autres états.

L'Espagne, en effet, s'est donné une constitution, mais dans quelle circonstance? pendant que le roi était prisonnier à Valençay, après l'abdication arrachée à Charles IV par ses propres gardes en faveur de son fils; après les abdications de Bayonne; enfin tandis que l'ancienne monarchie était réduite au banc de sable de Cadix. Singulière destinée de la nation espagnole! lorsque les Maures envahirent son territoire, tout ce qui restait de la population chrétienne se retira sur les montagnes des Asturies, et l'on en vit sortir ces constitutions qui ont fait si long-temps la gloire des Aragonais, Ferdinand V profita de l'expulsion des Maures pour détruire ce pacte fondamental des libertés civiles. Huit siècles plus tard, une nouvelle invasion refoule sur un rocher les défenseurs de l'ancienne dynastie. C'est dans ce dernier asile qu'ils proclament leur nouvelle constitution, qu'un autre Ferdinand va renverser aussitôt après la délivrance de la patrie, délivrance à laquelle il n'a eu ancune part.

« Il semble que la liberté attende les Espagnols aux confins de leur territoire, et que leur destinée soit de la perdre quand ils ont expulsé leurs ennemis. »

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• Étaient-ils les oppresseurs de Ferdinand VII, ceux qui embrassaient sa cause sans même avoir l'espérance de le revoir; ceux qui mouraient pour lui, ceux qui l'ont fait remonter sur le trône du vivant même de son père? Étaient-ils des rebelles pour écouter alors des sentimens généreux, pour essayer de s'assurer, par un acte solennel, cette noble indépendance à laquelle tous les cœurs aspirent, et dont l'espérance pouvait seule rallier les défenseurs d'une cause déjà perdue? Je dis perdue, car si le conquérant eût sacrifié le favori de Charles IV, l'Espagne n'aurait vu en lui qu'un libérateur.

« Le tort des hommes qui avaient pris la défense des droits de Ferdinand, fat de vouloir rappeler en même temps le roi et la liberté; faut-il s'en étonner? Dans quel pays avez-vous vu les esclaves embrasser la cause des princes malheureux ?

Alors les gouvernemens étrangers, en guerre avec la France, ne sougèrent point à reprocher à cette constitution ni son origine ni ses défauts.

On en encourageait les auteurs; on prenait des engagemens avec eux; on ne leur permettait pas de douter que le succès de leur ouvrage ne fût la récompense de leur dévouement. L'Europe sait quelle a été cette récompense. Cette constitution, rejetée d'abord avec mépris, a été réclamée il y a trois ans par une troupe sous les armes; et, comme je m'exprimerai avec la même franchise sur les peuples et sur les gouvernemens, je n'hésite point à ajouter que cette insurrection militaire était un acte de violence, et que la violence, d'une part comme de l'autre, ne saurait rien légitimer.

« Mais enfin le cri qui s'était élevé pour la constitution, anx lieux qui en furent le berceau, a été répété dans toute l'Espagne. Cette constitution a été jurée, et elle a été reconnue, ou formellement ou tacitement, par tous les princes qui ont envoyé des ambassadeurs au roi constitutionnel, ou qui ont admis les ambassadeurs espagnols.

« A cette époque, on ne mit point l'Espagne hors du droit public de l'Europe, sous prétexte que sa constitution était défectueuse dans son essence, vicieuse dans son origine, et irrégulière dans les formes de son acceptation. Et en effet, si c'est dans les anciennes institutions et dans l'histoire qu'existent, pour les peuples et pour les monarques, les titres de leurs droits imprescriptibles, les Espagnols auraient pu rappeler leurs constitutions abolies par Ferdinand V, et prouver qu'ils ne réclamaient pas même toutes les libertés dont avaient joui leurs ancêtres. »

Ici l'orateur entrait dans un parallèle des constitutions anciennes avec la constitution nouvelle. Divers membres (M. le comte de Saint-Roman, M. le marquis de Talaru), observent que la discussion a pour objet le projet d'adresse soumis à la Chambre, et non la constitution des cortès, et M. le président invite l'orateur à se renfermer dans la question.

M. le comte Daru la considérant alors sous un autre point de vue, demande si c'est la situation actuelle de l'Espagne, l'opposition qui s'y est manifestée, qui pourrait déterminer l'intervention armée, que l'apparition de l'acte constitutionnel n'avait décidée ni en 1812, ni en 1820.

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Mais quel peut être l'objet de ce changement de politique ? le danger que cette constitution peut faire courir à d'autres états. Oui, je le sais, le principal défaut de la constitution des cortès, c'est d'avoir été adoptée par les peuples de Turin et de Naples. Comme la plus grande faute de ces peuples fut de s'enthousiasmer pour un ouvrage si imparfait, on les fit rentrer par la force dans la soumission à leurs anciennes lois, on arracha cette plante étrangère avant qu'elle eût pris racine; mais on ne le poursuivit point sur son sol natal, où elle croissait alors paisiblement. Serait-elle plus dangereuse aujourd'hui que les malheurs de l'Espagne rendent si manifeste l'instabilité d'une constitution où les pouvoirs ne sont point balancés ?

« Voulez-vous vous préserver sûrement de l'invasion de la constitution espagnole? faites jonir la France de tous les bienfaits que la Charte lui a

promis. Exécutée franchement, ce sera votre Charte qui fera des conquêtes, et notre roi aura la gloire d'être le législateur d'une partie des nations civilisées.

« Mais quand il serait vrai que la loi des cortès fût assez séduisante pour être désirée, est-il bien certain que vous eussiez le droit de prescrire aux Espagnols d'y renoncer? Tant que l'Espagne ne vous attaque pas, votre droit se borne à vous préserver de la contagion de ses principes, à interrompre toate communication avec elle, si vous voulez; mais il ne va pas jusqu'à lui dicter des lois, puisqu'elle est un état indépendant. Mais, chez ce peuple, il y a désordre, discorde, injustice, oppression. vous a rendu les juges? De bonne foi, est-ce bien à vous qui, pendant vingt-cinq ans, avez repoussé l'intervention armée de l'étranger, de vouloir soumettre un peuple à la vôtre?

- Et qui

Ici le noble orateur abordant la question sous le rapport de la situation personnelle du roi d'Espagne, expose que, dans une matière aussi délicate à traiter que celle de la liberté des écrits, on pourrait en abuser pour annuler leurs actes et s'immiscer dans leurs affaires.

Quant à l'intérêt des peuples, croit-on le servir utilement, dit-il, en replongeant dans le trouble une masse de citoyens qui, étrangers à tout excès, amis de l'ordre, et rassurés par les sermens de son roi, avait juré, à son exemple, fidélité aux nouvelles institutions, et commençait à s'y accoutumer? »

Après avoir combattu les motifs de l'intervention armée, l'orateur en examine les moyens, non sous le rapport du développement et de l'emploi de nos forces militaires ( tâche qu'il laisse aux habiles capitaines qui siégent dans cette enceinte ); mais, sous le rapport des circonstances qui pourraient favoriser le succès de nos armes, il n'en aperçoit que deux, le concours d'une partie de la nation espagnole ou celui des puissances étrangères.

« On nous dit qu'un parti considérable nous appelle en Espagne ; un grand parti appelait anssi Charles VIII en Italie; il trouva cette péninsule la croix à la main; et, à son retour, il trouva tous ses peuples réunis contre lui. Mais je suppose qu'une partie considérable de la population se réunisse, à l'aspect de nos drapeaux, pour les précéder; qu'elle ne vous laisse rien à faire; qu'elle assure votre marche, vos approvisionnemens, la tranquillité de vos cantonnemens, la facilité de vos communications; que ses succès soient prompts et décisifs, il vous restera la gloire d'avoir attisé la guerre civile; et, pour récompense, vous serez témoins des vengeances et des réactions; car vous ne vous flattez pas de trouver de la modération dans les vainqueurs. Mais si la population repousse effectivement le nouvel ordre des choses, elle a déjà reçu, par les notes politiques qui ont été publiées, et par la préAnnuaire hist. pour 1823.

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