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on vit, sur tous les étalages des marchands d'estampes, son portrait lithographié, faisant le pendant de celui de M. Manuel. De toutes parts il s'ouvrit des souscriptions pour lui envoyer des bijoux, des pièces d'agenterie, de vermeil ou d'or... D'abord la police laissa le champ libre à cette explosion de l'effervescence d'une opinion vaincue ; mais ensuite on dirigea des poursuites contre les distributeurs de la protestation et les colporteurs de listes dressées pour la souscription de ces offrandes patriotiques, et, au bout de quelques mois, tout cela fut oublié, mais non la retraite de l'opposition, le silence du centre gauche, et l'absence d'une véritable opposition, qui ont laissé dans la mémoire des souvenirs plus affligeans, et dans le corps politique des symptômes d'une altération sensible, dont on ne prévoyait peut-être pas alors toutes les conséquences.

Annuaire hist.

pour

1823.

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CHAPITRE IV.

Suite de la discussion du projet de loi relatif au crédit supplémentaire de 100 millions pour le service de 1823. - Adoption du projet par la chambre des députés. - Discussion à la chambre des pairs.

(5 mars.) M. DE MARTIGNAC, rapporteur de la commission, appelé, après la retraite de l'opposition, à faire le résumé de la discussion sur le projet de loi relatif au crédit supplémentaire de 100 millions pour l'exercice 1823, rappela les motifs de son premier rapport, les objections faites dans le cours de la discussion, et donna de nouveaux développemens aux réponses déjà faites, en s'attachant surtout à repousser les reproches adressés si souvent aux ministres de vouloir rétablir en Espagne l'inquisition et le pouvoir absolu.

Il ne restait qu'à délibérer sur les deux articles dont la loi se compose, et sur un amendement proposé par M. le général Sébastiani, lequel remettait la question principale en suspens, au moyen des mots en cas de guerre » qu'il voulait introduire au commencement de l'article 1er; mais le général, appelé pour présenter les motifs de son amendement, déclara qu'il le retirait. Alors personne ne demandant la parole sur l'art. 1er, il fut mis aux voix et adopté, sans que quelques membres restés au côté gauche et ceux du centre gauche prissent part à la délibération.L'article 2 passa de la même manière, sauf un changement de deux mots montant à, au lieu de évalué à ) dans sa rédaction. Enfin, on procéda par appel nominal au scrutin secret, auquel les membres du côté et du centre gauche refusèrent encore de prendrepart. Il ne s'en trouva pas moins 258 votans, et le dépouillement du vote offrit 239 boules blanches et 19 noires... C'était plus que la majorité de la Chambre au complet.

Quelques-uns des orateurs de l'opposition, qui devaient encore être entendus, firent imprimer leurs opinions; mais l'intérêt qu'ex

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citait le sujet était déjà fort affaibli; il n'en pouvait reprendre que là où la question restait à décider.

CHAMBRE DES PAIRS.

(6 mars.) Dès le lendemain, le ministre des finances vint présenter le projet à la chambre des pairs.

« Je n'essaierai pas, dit S. Exc., de prévenir par une justification prématurée les objections qui pourront être faites dans cette Chambre contre les préparatifs militaires et les dispositions politiques qui nous forcent à prévoir des dépenses extraordinaires, à demander des crédits éventuels : le discours d'ouverture de la session, les pièces diplomatiques publiées, les éclaircissemens donnés par le ministère, dans la discussion qu'a éprouvée le projet de loi dans l'autre Chambre, semblent devoir m'en dispenser... Quant au moyen que nous proposons pour couvrir ces dépenses extraordinaires, l'ensemble de notre situation financière peut seul vous permettre de l'apprécier.

« Les comptes de 1821, l'aperçu des dépenses de 1822, enfin le budget de 1824 vous ont été distribués, j'espère que vous trouverez dans ces documens la même conviction que nous y aurons puisée nous-mêmes, celles que les moyens que nous proposons pour subvenir aux dépenses extraordinaires et éventuelles de 1823 sont les moins onéreux de tous ceux auxquels on pourrait avoir recours dans la situation donnée. ›

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(11 mars.) Le rapport fait cinq jours après la présentation du projet, au nom de la commission spéciale chargée de l'examiner, par M. le comte de Laforêt, envisage d'abord la question politique comme résolue par l'adresse de la Chambre, en réponse au discours du trône. Quant à l'intérêt financier, la commission y trouve occasion de féliciter la France et son gouvernement d'avoir trouvé, dans les revenus ordinaires, le moyen de couvrir, à l'heure du danger, deux cinquièmes des dépenses extraordinaires et urgentes que réclame l'exercice de 1823. Pour les trois autres cinquièmes, la commission trouve la création de 4 millions de rente incomparablement préférable à toute augmentation d'impôts, et sans aucun danger pour le crédit public, soutenu par l'action puissante de la caisse d'amortissement. En revenant à un sujet qu'il semblait vouloir éviter, le noble rapporteur rentre ainsi dans la question politique.

• Un intervalle de six semaines, dit S. S., sépare le jour où vous assuriez le Roi de votre concours et eclui où vous allez prononcer sur le subside qu'il

vous demande. Cet intervalle a vu baisser l'espoir de la conciliation; il est devenu patent qu'une étrange obstination dans le parti qui s'est emparé du pouvoir en Espagne, lui fait préférer une guerre insensée au facile et patriotique retour vers l'ordre légitime...

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La guerre est un fléau auquel les nations ne se résignent que par leur intérêt propre. La nation espagnole est trop intelligente pour ne pas entrevoir que ses oppresseurs l'entraînent hors de la ligne des siens, et que Louis XVIII veut l'y ramener...

Le vœu de tous les Français est calqué sur les vœnx du Nestor des souverains: la paix; une paix respectivement honorable; une paix régénératrice de la prospérité de l'Espagne; une paix qui rende à son Roi la faculté d'y rétablir l'équilibre des pouvoirs ; une paix qui rende la France alarmée à l'état de sécurité qu'elle a droit de réclamer; une paix qui étouffe par ses salutaires conséquences ces tentatives multipliées dont nous avons été témoins pour renverser l'ordre social chez nous-mêmes, par les voies pratiquées de l'autre côté des Pyrénées et des Alpes; voilà le centre commun de toutes les opinions. »

Ici le noble rapporteur, considérant la politique des divers gouvernemens de l'Europe, y trouve un accord unanime, même sur le droit de l'intervention dans certains cas de nécessité absoluc, bien que les discussions du parlement britannique aient jeté des inquiétudes dans les esprits.

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Nous concevons, dit S. S., que l'ombrageuse politique soit constamment en défiance des abus qui peuvent accompagner la plus indispensable, la plus loyale intervention. Cette surveillance n'est pas de la mésintelligence. L'évidence des faits rassure à mesure que les événemens marchent dans le cercle tracé. C'est ainsi que les deux gouvernemens n'ont pas coopéré et rendent aujourd'hui même justice à l'intervention de l'Autriche dans les États italiens où le délire politique avait pénétré...

a Votre commission, Messieurs, ne peut cesser de l'exprimer; elle reconnait la loi inflexible de la nécessité dans les mesures que le Roi a prises, après avoir tout tenté pour en épargner le fardeau à son peuple... Nous doutons si, en terminant ce rapport, nous devons nous permettre quelques mots sur une assertion trop répandue et revêtue avec un art perfide des couleurs les plus spécieuses. Non, non, il n'est personne dans les conseils, ou hors des conseils du Roi, dans les deux Chambres législatives, ou hors des deux Chambres, qui aspire à voir imposer l'absolu pouvoir à l'Espagne comme acheminement à la destruction de l'heureux régime dont jouit la France. Une tendance aussi insensée aurait l'effet d'échauffer les imaginations dans les deux pays, et d'y créer de doubles résistances. Le jugement éclairé des Français et des Espagnols fera suffisamment justice de cette assertion...

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Les 100 millions qui vous sont demandés, dit le noble rapporteur en terminant, n'excèdent pas l'aperçu des besoins extraordinaires et éventuels de l'exercice 1823. Il y est pourvu d'une manière qui n'a rien d'onéreux pour les contribuables. Jamais notre patrie n'eut à faire un sacrifice plus essentiel à sa sécurité; elle y est entraînée par la nécessité la plus palpable. Le maintien ou la conquête d'une paix solide en seront les fruits. Votre commission vous propose à l'unanimité l'adoption de la loi. ›

(14 mars.) Quoiqu'il soit difficile de soutenir l'intérêt du lecteur par une analyse ou des fragmens de discours où se reproduisent incessamment les mêmes motifs, les mêmes moyens d'appuyer ou de combattre le projet de loi, cette question de la guerre ou de la paix était si grave, qu'elle vaut bien que l'histoire réunisse assez de matériaux pour faire voir comment elle a été traitée dans la chambre des pairs.

Le noble pair inscrit le premier contre le projet était M. le maréchal comte Jourdan. D'abord, pour justifier ses intentions, il commença par déclarer que la guerre qu'il condamne comme coseiller du trône, il saurait, comme soldat, la pousser avec vigueur.

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Me reprochera-t-on, dit S. S., d'attenter à la prérogative royale? Personne plus que moi ne la respecte; mais cette prérogative, ce droit de paix et de guerre, le Roi ne l'exerce que de l'avis de ses ministres, et ceux-ci sont responsables des entreprises qu'ils lui conseillent. Il est douc permis aux Chambres, c'est pour elles une obligation indispensable, d'éclairer la religion du monarque lors du vote des subsides... En pareille occasion, et lorsqu'il s'agit d'imposer à la nation de nouvelles charges, la première condition est d'en établir la nécessité. A-t-on,. dans la circonstance actuelle, satisfait à cette condition? A-t-on prouvé que la guerre projetée fût nécessaire ? Il est facile de mettre en avant les grands mots d'honneur français; de gloire nationale; mais rappelons-nous qu'à une époque peu éloignée, ce talisman fut employé pour engager la France dans des guerres désastreuses. Craignons qu'il n'en soit de même aujourd'hui. En cherchant de bonne foi la vérité, je n'ai pu trouver dans les documens publies antérieurement à la présentation du projet de loi aucun fait à la charge de l'Espagne. J'aurais plutôt supposé à celle-ci quelque droit de se plaindre de l'accueil fait aux émigrés espagnols, des moyens qui leur auraient été fournis pour rentrer en armes dans leur patrie. On a, depuis la discussion ouverte, allégué des griefs: nos consuls menacés dans leurs personnes, nos vaisseaux repoussés, notre territoire violé. Sans contester ces allégations, je fais observer qu'il eût été convenable de les appuyer de pièces officielles ; que du moins il faudrait savoir si les actes dont il s'agit n'ont point été provoqués; si le gouvernement espagnol les avoue, et s'il a refusé satisfaction. Mais, à mes yeux, ces allégations tardives ne sont présentées que comme auxiliaires du principal motif, la révolution d'Espagne. »

A ce sujet, le noble orateur rappelle que, dans son origine, la constitution des cortès avait obtenu le suffrage des puissances qui l'attaquent aujourd'hui. — Il ne peut croire qu'une poignée de soldats eût pu la rétablir, si cette constitution n'était dans les vœux du peuple espagnol. Quant au principe invoqué dans cette

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