Page images
PDF
EPUB

M. Grunsky ne soient pas admises et il propose de ne voter que la première partie de la cinquième conclusion, la deuxième lui paraissant en opposition avec la première. -- M. de Joly et M. le Président pensent au contraire que cette cinquième conclusion ne peut soulever aucune objection.

Cette cinquième conclusion, mise aux voix, est adoptée par la section. Elle a été ratifiée par le Congrès dans sa séance plénière du 28 mai 1912.

CHAPITRE III

APPRÉCIATIONS PERSONNELLES DE L'AUTEUR DU COMPTE RENDU

Ainsi qu'on a pu le voir par l'exposé qui précède, les quatre premières conclusions du rapport général n'ont été adoptées ni par la deuxième Section du Congrès, ni par le Congrès lui-même; la cinquième seule a survécu à la discussion. Sous sa forme prudente, nous ne pouvons qu'y adhérer pleinement, cette conclusion étant basée sur les données de l'expérience et admise aujourd'hui par les autorités les plus qualifiées.

Les quatre premières conclusions présentées par M. Grunsky soulevaient au contraire une question de principe des plus graves. Y a-t-il lieu de faire fixer par voie réglementaire, à la suite d'un accord international, une limite à l'accroissement des dimensions des navires de mer? La réponse faite à cette question par l'unanimité des membres de la section, réunis en séance, a été négative, et il ne pouvait en être différemment.

Indépendamment des raisons de haute opportunité qui ont été invoquées par divers opinants spécialement par M. le Président Corthell et qui s'opposent au renvoi de l'examen de cette question devant une Commission internationale dont le Gouvernement britannique n'admettrait ni le principe ni les suggestions, on peut affirmer a priori que toute tentative de réglementation restrictive serait inefficace et que toute résolution prise dans ce sens resterait inopérante.

Lorsque cette même question s'est posée au VIII Congrès (Paris,

1900), la section de la navigation maritime adopta, sur le rapport de M. Vétillart, des conclusions où nous lisons la phrase caractéristique qui suit:

« L'accroissement du tonnage des navires est une conséquence forcée de la concurrence commerciale, en raison des avantages qui en résultent au point de vue de la vitesse et de l'économie des transports ».

Cette conclusion a été largement confirmée par l'expérience des douze dernières années; dès que les navires de mer ont pu obtenir un développement maximum, ils y ont tendu immédiatement, parce que ce n'est qu'avec des navires de grandes longueurs et de grands déplacements qu'on peut à la fois, malgré les prix très élevés de leur construction, soit réduire la masse des frais généraux d'une entreprise de navigation; soit augmenter la vitesse des transports et, dès lors, la facilité des communications mondiales; soit enfin réaliser dans une certaine mesure ces deux conditions réunies.

C'est à ce développement presque inconnu depuis l'antiquité jusqu'à la fin du siècle dernier que nous assistons aujourd'hui, et dont nous devons l'évolution si rapide, et à quelques égards si déconcertante, à l'essor du machinisme industriel et des relations de l'Europe avec les nations les plus lointaines que tout séparait d'elles autrefois. On se trouve donc en présence d'une force naturelle à laquelle il serait aussi vain de faire artificiellement obstacle que d'essayer de fixer un maximum à la richesse ou au prix des subsistances.

Il résulte de ce qui précède qu'il faut s'attendre encore en ce qui concerne les dimensions des navires à de nouveaux et considérables développements. La progression sera-t-elle indéfinie? Il serait sans doute imprudent de formuler à cet égard des pronostics que l'avenir ne manquerait point de démentir. On peut toutefois fournir certaines précisions qui permettent d'envisager sous quelques-unes de ses faces cette question si complexe.

D'abord, au point de vue purement commercial, la difficulté que l'on rencontre pour réunir et distribuer les cargaisons des navires géants constitue un premier frein à l'accroissement de leurs dimensions; le prix excessif et très rapidement croissant de la vitesse

en est un deuxième. Aussi la tendance de ce dernier élément à la régression depuis la construction des paquebots Lusitania et Mauretania, dont la vitesse dépassait 25 nœuds, est-elle à notre avis très symptomatique. Les paquebots du type Titanic et Olympic et les navires plus grands encore qui sont en construction en Angleterre (Aquitania) et en Allemagne (Imperator) ne paraissent pas devoir dépasser 22 à 23 nœuds; la construction des paquebots semble ainsi marquer une progression sensible vers l'augmentation de la capacité du chargement en lourd, tout en satisfaisant aux conditions de confortable pour les voyageurs qu'ont su déjà résoudre les navires mixtes, à grand tonnage de marchandises, de certaines Compagnies de navigation très prospères.

Mais il existe d'autres limites à l'accroissement indéfini du déplacement des navires. Ainsi qu'on l'a fait ressortir dans les rapports et les discussions du Congrès, la limite de résistance des matériaux dont sont constituées les coques oblige le constructeur à augmenter la fraction du déplacement afférent à celles-ci.-M. de Joly rappelle que cette fraction a été d'un quart seulement au début de la construction en fer et qu'elle est d'un demi environ sur le Mauretania; et, malgré cette augmentation, le travail des matériaux a progressé d'une façon inquiétante.

D'après M. Bertin, cette limite, au niveau du bordé du pont supérieur et des préceintes des grands navires en fer construits vers 1879 qui atteignait à peine 5 kilogr. par millimètre carré, atteint aujourd'hui près 13 kilogr. avec le Mauretania, et dépasse 16 kilogr. avec le Deutschland. Or, le déplacement du Mauretania (45.000 tonnes), mis en service en 1907, est environ le décuple du déplacement des grands navires de 1879. Dans une note présentée par M. Bertin à l'Académie des Sciences, dans sa séance du 6 janvier 1913, l'éminent Ingénieur démontre que, si l'on suppose constant le travail des matériaux, le maximum de chargement correspond au déplacement de 50.000 tonnes, et que la limite au-delà de laquelle le bâtiment est irréalisable, même pour naviguer à vide, est de 95.000 tonnes (c'est-à-dire un peu plus que le double du déplacement du Mauretania). Les tableaux qu'il a dressés à ce sujet montrent qu'au point de vue envisagé l'avantage des gros déplacements va en diminuant rapidement.

A l'appui de ces considérations, M. Bertin avait déjà signalé, en 1910 (1), sur les grands paquebots modernes, des fentes dans les murailles longitudinales des roufles et des plissements dans les tôles gouttières des ponts; mettant ainsi en évidence la fatigue extrême de certains des éléments les plus éloignés de la fibre neutre dans une section transversale. Il faudra donc dans l'avenir recourir à un emploi de plus en plus généralisé des aciers à haute résistance ou trouver un autre mode de répartition du travail des matériaux, en d'autres termes, imposer des modifications profondes à l'architecture navale elle-même.

D'un autre côté, la question du combustible employé pour la propulsion des navires est appelée, selon toute vraisemblance, à jouer un rôle important et retardateur dans l'évolution de leurs dimensions. Déjà, la substitution des turbines à vapeur aux machines alternatives a permis - bien que le système n'ait pas donné tous les résultats espérés et que la controverse reste ouvertede gagner 20% sur la consommation de charbon à toute vitesse et 9% par 100 de surchauffe, emploi auquel elles se prêtent sans obstacle. Mais le développement que tendent à prendre les moteurs à combustion interne paraît devoir assurer de bien autres avantages dans ses applications à la marine. L'économie de combustibles en poids est considérable (2). Tandis que dans les meilleures machines à vapeur, en grosses unités, la consommation de charbon ne peut guère s'abaisser au-dessous de 800 gr. par cheval effectif, elle n'est que peu supérieure à 200 gr. d'huile dans le moteur Diesel, soit environ le quart de la première. A cette différence de poids correspond pour le navire une différence également très sensible dans le volume du combustible, beaucoup plus facile à loger, d'où résulte pour ce navire une économie d'emplacement immédiatement utilisable ou un considérable accroissement dans le rayon d'action. Le moteur réalise en outre des économies appréciables sur l'allumage au départ et sur les appareils auxiliaires; il permet de réduire des neuf dixièmes le nombre des chauffeurs précédemment employés à

(1) La marine moderne, 1910.

(2) Le moteur à combustion interne, LALLIE, 1912.

la manœuvre du combustible. On considère, en Angleterre (1), que l'application du moteur Diesel à la propulsion des navires de guerre est appelée à produire une véritable révolution; l'on assure qu'en Allemagne un croiseur qui entrera bientôt en escadre disposera d'une puissance de 12.000 chevaux en moteurs Diesel et l'on parle déjà de la fabrication de moteurs marins de 30.000 chevaux. On conçoit donc les espérances manifestées à ce sujet. Il ne faut pas oublier cependant qu'il n'existe encore que 300 navires environ de types divers actionnés par des moteurs Diesel, pour la plupart de faible tonnage, et que les moteurs en service éprouvé (moteurs lents et lourds) n'ont guère dépassé jusqu'ici 1.250 chevaux avec 8 cylindres, soit 156 chevaux environ par cylindre (2). Il y a donc lieu d'attendre les résultats de l'expérience aucune machine de très grande puissance n'ayant encore fonctionné pour être assuré que le développement du moteur à combustion interne agira réellement comme cause retardatrice de l'accroissement des dimensions des navires.

[ocr errors]

Quoi qu'il en soit, il n'est pas douteux que les dimensions des ouvrages des canaux maritime et des ports qui se rattachent étroitement à la même question-devront suivre celles des bâtiments de mer. Devront-elles être réglées immédiatement au maximum qu'on puisse envisager? C'est là encore une question de mesure qui dépend des conditions d'exécution et d'entretien des installations maritimes.

Elles ont un régulateur naturel dans le port de New-York et son accès principal, l'Ambrose Channel, qui offre aux navires une profondeur de 40 pieds (12m,20) au-dessous des basses mers moyennes, l'amplitude de marée étant de 1,60 en vive eau et de 1,20 en morte eau. La situation hydrographique exceptionnelle du port lui a permis, en effet, de faire face jusqu'ici, sans dépenses excessives, à l'augmentation progressive de la longueur, de la

(1) Moteurs Diesel, CHALKLEY-LORDIER, 1912.

(2) Navires du type « Selandia et Jutlandia » de la Compagnie de l'Est asiatique danois. 2 moteurs Diesel à 4 temps, à simple effet, de 8 cylindres, actionnant chacun une hélice et développant une puissance indiquée totale de 2500 chevaux (Génie Civil, 30 novembre 1912).

« PreviousContinue »