Page images
PDF
EPUB

N° 16

CHEMINS DE FER D'INTÉRÊT LOCAL

ET TRAMWAYS A VAPEUR

POUR LE

SERVICE des VOYAGEURS et des MARCHANDISES

Par M. P. DUMAS,

Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées.

Considérations générales. — La loi du 11 juin 1880, dont la modification est actuellement à l'étude, régit en France les chemins de fer d'intérêt local et les tramways.

Si l'on envisage spécialement les voies ferrées secondaires à vapeur ayant pour objet le service des voyageurs et des marchandises, la distinction faite par la loi, et qui repose sur l'emprunt ou l'abandon des voies charretières, tend de plus en plus à disparaître.

Soit par suite des exigences de la circulation routière, soit parce que l'expérience a démontré l'usure anormale du matériel empruntant les chemins et les sujétions onéreuses d'entretien de la voie, les lignes en déviation seront désormais la règle, et l'on tendra par suite, au moins pour la traction à vapeur, vers le seul chemin de fer d'intérêt local.

Cette tendance s'accusera d'autant plus que les lignes de plaine, qui sont les plus économiques, ayant été d'abord établies, le développement portera plus spécialement sur les lignes accidentées, où l'emprunt du chemin devient plus difficile, et souvent même impossible.

Ce sont les chemins de fer d'intérêt local de cette nature, appelés à combler pour une grosse part les lacunes existant encore dans le

réseau secondaire de la France, que nous avons plus spécialement en vue dans l'étude qui va suivre.

A la date du 31 décembre 1910, le réseau dont il s'agit comprenait, en nombres ronds:

Chemins de fer d'intérêt local.....

Tramways....

Total général..

9.000 kilomètres.

6.000 »

15.000

alors que le réseau d'intérêt général dépasse 40.000 k.

Si la période d'établissement des lignes d'intérêt général est close, il est certain que celle des lignes d'intérêt local ne l'est point, et que leur développement s'accroîtra notablement encore, quelles que soient les considérations doctrinales et purement économiques susceptibles d'être invoquées au sujet de l'utilité de pareilles voies ferrées.

L'observation montre que ces considérations demeurent sans effet, malgré l'appui qu'elles trouvent aujourd'hui dans les progrès de l'autobus, qui peut offrir dans certains cas une solution d'attente, en jouant le rôle d'avant-coureur de la voie ferrée.

C'est un fait incontestable que nous entrons en France dans la période d'établissement de chemins de fer secondaires dont la construction entraînera des dépenses kilométriques oscillant fréquemment autour de 100.000 francs.

D'autre part, les lignes productives ayant tout naturellement devancé les autres, la période qui s'ouvre concerne des lignes souvent improductives. De telle sorte que ce sont les chemins de fer à la fois coûteux et sans rendement probable dont la construction est fréquemment abordée maintenant.

Quelles sont, au regard de ces lignes, les conséquences de la loi? C'est ce que nous nous proposons d'examiner.

Exploitations déficitaires. Tout d'abord, la jurisprudence administrative n'admettant, en principe, que des concessions sans garantie d'exploitation, le déficit apparaît vite comme l'aboutissant des concessions envisagées.

Nombreuses sont déjà les exploitations déficitaires. Il suffit de

jeter les yeux sur la statistique du Ministère des Travaux Publics pour s'en convaincre. A la date du 31 décembre 1910, on ne compte pas moins de 56 exploitations dans ce cas.

Or, ce sont là des situations particulièrement anormales pour des services publics. Quelle qu'en doive être l'issue, les périodes transitoires seront toujours accompagnées de troubles éminemment regrettables.

Trop souvent déjà les faits l'ont démontré, mais il est bien facile de le prévoir.

En cas de déficit avéré, l'entretien est, en effet, immédiatement négligé, et d'autre part, le personnel ne tarde pas à souffrir. Sans doute des sanctions sont inscrites dans les textes qui régissent la concession (convention et cahier des charges), et le contrôle est là pour y recourir. Mais c'est une besogne surhumaine dont il est alors chargé, parce que ses interventions restent inefficaces, tous les droits ne tardant pas à s'évanouir devant l'absence d'argent.

Fatalement, l'Administration de la Compagnie fait son calcul, et le faire avec elle, nous raisonnerons sur le type de concession le plus généralement adopté :

pour

Capital d'établissement déterminé par l'application d'une série de prix et limité à un maximum forfataire (3/4 remboursés par l'autorité concédante au fur et à mesure de l'avancement des travaux - 1/4 fourni par le concessionnaire et remboursé par l'autorité concédante sous forme d'annuités jusqu'à l'expiration de la concession).

Dépenses d'exploitation limitées par une formule linéaire de la forme a + b R,

Prime d'économie et partage des bénéfices dans une proportion fixée par avance.

Si l'exploitation est nettement déficitaire, quel que soit le compte théorique résultant de l'application de la formule, l'Administration de la Compagnie compare la perte eflective à l'annuité du quart versée par le département.

Si la différence est négative ou nulle, l'exploitation peut encore subsister, en imposant aux bailleurs de fonds de la Compagnie le sacrifice partiel ou total de leur rémunération.

Si elle est positive, l'exploitation sur les mêmes bases est virtuellement condamnée et l'on est bientôt acculé, soit à la faillite, soit à une amputation du capital, consécutive à la reconstitution de l'affaire.

Dans la pratique, ces deux derniers cas se présentent, mais le second résout seul la difficulté au point de vue administratif, parce que seul il maintient le service public sans léser les intérêts de l'autorité concédante (1); ce sont les bailleurs de fonds de la Compagnie qui font les frais de l'opération.

En cas de faillite, c'est aussi l'autorité concédante. La différence, qui représente la possibilité de contourner l'obstacle, repose nécessairement sur quelque chose. Ce quelque chose, c'est la confiance que peut encore inspirer une affaire dépréciée, et qui conduit les intéressés à risquer de perdre seulement en partie ce qu'ils perdraient en totalité dans l'autre cas.

De telle sorte que les affaires présentant encore certains éléments de vitalité, par un accroissement possible des recettes ou par une meilleure administration, peuvent espérer recevoir une pareille solution. L'expérience a déjà montré que ce cas sera peu fréquent parmi les concessions du genre de celles qui nous occupent.

C'est, par suite, la faillite systématique qu'il faut entrevoir, avec ses graves conséquences, si aucune mesure n'est prise pour y parer.

Inconvénients du mode de concession envisagé. Une première question se pose: Comment des affaires si précaires peuvent-elles naître et trouver des concessionnaires?

Tout simplement parce qu'on joue sur l'évaluation du trafic probable, qui échappe à toute espèce de précision. Mais il y a plus.

L'affaire naît par l'application du système bien connu de la répétition. Le public intéressé, appuyé sur les assemblées délibérantes réclame indéfiniment l'établissement de la ligne, et très souvent, il finit par l'obtenir.

Quant au concessionnaire, il est toujours facile de le découvrir, parce que les affaires virtuellement mauvaises ne le deviennent effectivement qu'après une période préparatoire, durant laquelle elles

(1) Nous raisonnons, à titre d'exemple, sur une concession donnée directement. par un département.

peuvent être bonnes pour certains. Tel est le cas du concessionnaire, qui se présente le plus souvent, directement ou indirectement, sous la forme d'un entrepreneur pourvu d'une série de prix et d'un maximum forfaitaire notoirement avantageux.

Fréquemment, le bénéfice égale ou même excède le quart du capital, de telle sorte que l'intéressé peut encore faire parfois des largesses dans l'apport de sa concession à la Société anonyme qui doit lui être substituée.

De l'importance de ces largesses dépend même souvent le succès, par suite de la différence toujours notable entre le taux d'emprunt de la Société et le taux de remboursement par le département.

C'est, pour le concessionnaire, le point de passage dangereux. La constitution de la Société comporte en effet des sacrifices et ne va pas sans difficultés, mais avec un certain don de persuasion, s'exerçant sur l'importance du trafic probable, il arrive à doubler le cap, et nanti de son bénéfice d'entrepreneur, auquel vient s'ajouter la rémunération d'administrateur, il vit ensuite d'espérances, comme les bailleurs de fonds de la Compagnie, mais avec la certitude de necourir personnellement aucun risque.

C'est ainsi, quand elle est bien menée, une affaire de tout repos pour le créateur, si mauvaise qu'elle puisse devenir pour la Compagnie exploitante et pour l'autorité concédante.

Il est donc permis de dire que le mode de concession envisagé constitue implicitement une sorte de prime au régime de la faillite.. Comment y remédier?

Mesures à prendre. Si nous disions: par une garantie d'exploitation, ce serait une solution peu élégante et particulièrement onéreuse. Avant d'en arriver là, par une évolution de la jurisprudence, il faudra franchir une période transitoire qui n'est pas encore close.

Le problème consiste à faire d'une entreprise industrielle mauvaise, au moins en apparence, une œuvre administrative acceptable. Il faut pour cela que les deux contractants, autorité concédante et concessionnaire, fassent les sacrifices nécessaires, et c'est la forme de ces sacrifices qu'il s'agit de déterminer.

« PreviousContinue »