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M. Poncelet, et en présence d'une affluence nombreuse et choisie.

L'objet de cette séance était : 1o la proclamation des prix décernés et des sujets de prix proposés ; 2o une lecture de M. Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, intitulée Etude sur la Méthode zoologique de Linné; 3° l'éloge historique de M. de Candolle par M. Flourens, secrétaire perpétuel.

Il serait difficile de se tirer avec plus de bonheur de la tâche délicate de plaire à un public éclairé et mondain, que ne l'a fait M. Flourens dans son éloge de M. de Candolle. On connaît la manière sage, précise et juste qui distingue les écrits de M. Flourens; mais son discours sur M. de Candolle est assurément un de ses meilleurs mor. ceaux. Le secrétaire perpétuel a été bien inspiré par le sujet qu'il avait à traiter, par la vie qu'il avait à raconter, par le savant illustre qu'il avait à louer, et auquel l'avait uni la plus honorable amitié. M. Flourens a captivé l'attention de l'auditoire, et l'a vivement intéressé en l'initiant aussi bien à la vie intime, aux qualités du cœur, qu'aux exploits scientifiques de son héros. Nos lecteurs liront avec un grand plaisir les passages de cet éloge, que nous nous proposons de mettre prochainement sous leurs yeux, et qui leur feront connaître l'illustre botaniste, le savant auteur de la Flore française, dont Genève est fière, et qui n'honore pas moins la France. Nous donnons la liste des prix et des récompenses accordées par l'Académie.

Le prix de physiologie est partagé entre MM. Matteucci et Louget, dont nous avons plusieurs fois cité les travaux ; des mentions honorables sont accordées à M. le docteur Négier (d'An gers), au professeur Bellingler (de Turin) et à M. Léon Dufour, correspondant de l'Académie.

Prix relatifs aux arts insalubres.Prix de 3,000 fr. au professeur de La Rive (de Genève), pour avoir le premier appliqué les forces électriques à Ja dorure des métaux ; prix de 6,000 fr. à M. Elkington, pour la découverte de son procédé de dorure par voie humide et pour la decouverte de ses procédés relatifs à la dorure galvanique; prix de 6,000 fr. à M. de Ruolz, pour la dé. couverte et l'application industrielle

d'un grand nombre de moyens propres, soit à dorer les métaux, soit à les argenter.

Prix de médecine et de chirurgie.. Récompense de 4,000 fr. à M. le professeur Bouillaud, pour ses ouvrages sur les maladies du cœur et sur le rhumatisme; 3,000 fr. à M. Amussat, déjà couronné quatre fois par l'Institut, pour sa nouvelle méthode d'entérotomie lombaire; 2,000 fr. à M. le docteur Grisolle, pour son livre sur la pneumonie; 1,500 fr. à M. Ségalas, pour son nouveau mode de traitement des fistules urinaires; 1,000 fr. à M. Ricord, pour l'heureux perfectionnement qu'il a apporté à cette méthode ; et 1,000 fr. à M. A. Becquerel, pour ses recherches sur la séméiotique des urines; mention honorable à M. Hatin pour son Mémoire sur l'hémaleucose; mention honorable à M. Mercier, pour son ouvrage sur les maladies urinaires. La commission distingue avec éloge l'ouvrage de M. le docteur Lucien Boyer, sur le traitement chirurgical du strabisme.

Prix de statistique.

Deux prix

sont accordés, l'un à M. Dufau, pour son ouvrage intitulé: Traité de Statis tique, ou Théorie des lois d'après lesquelles se développent les faits sociaux, suivi d'un Essai de statistique physique et morale de la population française; l'autre à M. Surell, ingénieur des ponts et chaussées, pour l'ouvrage intitulé: Etudes sur les Torrents des Hautes-Alpes; mention honorable au docteur Lachèse (d'Angers), pour la statistique des conseils de révision dans le département de Maine-et-Loire. Prix fondé par madame la marquise de Laplace. Ce prix consistant, comme on sait, dans la collection des œuvres de Laplace, est remporté par M. Boney, premier élève sortant de la promotion de 1841, de l'Ecole polytechnique.

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20. Note historique, géographique et politique sur les nouvelles possessions françaises dans l'Océan Pacifique. — LES ILES MARQUISES. Après avoir inséré le rapport dans lequel M. l'amiral Dupetit-Thouars rend compte de l'occupation des îles Marquises, nous essaierons de dire aujourd'hui quelles sont ces îles, quel à été

leur passé, si toutefois elles ont un passé, et enfin de quelle importance elles sont ou peuvent être un jour pour la France.

Il ne faudrait sans doute pas remonter bien des années en arrière pour revenir au temps où la mer du Sud, avec ses magnifiques archipels, était, même dans l'esprit des gens éclairés, une contrée du globe presque fabuleuse, moitié réalité et moitié roman. Enfant on avait lu les charmants récits du capitaine Cook et ceux de l'aimable Bougainville; on savait qu'aux antipodes, sous un ciel d'une admirable pureté, sous un climat enchanteur, se déployait une longue ceinture d'lles sur lesquelles une nature prodigue nourrissait sans travail de voluptueuses populations vivant dans l'état de simplicité primi tive; on connaissait l'histoire de ces matelots de la Bounty qui, captivés par les sirènes de O'Taiti, s'étaient révoltés contre leurs officiers, poussés par un irrésistible désir de venir achever leurs jours au milieu des faciles plaisirs qui les avaient enivrés; mais hors de ces souvenirs, qui se confondaient quelque peu dans l'imagination avec les Aventures de Robinson Crusoé et les Contes des Mille et Une Nuits, qui est-ce qui, une fois entré dans la vie active, avait vu appeler son attention sur l'Océan Pacifique?

Aujourd'hui il en est autrement. Cette mer immense, qui baigne les côtes de deux continents, sera dans un prochain avenir, ou plutôt est déjà le centre où viennent aboutir des intérêts importants. Dans le nord, c'est la Russie qui organise et qui développe ses établissements de l'Amérique et du Kamschatka, et qui jette, dit on, des regards de convoitise sur l'archipel des Sandwich, admirable et unique lieu de relâche entre la Chine et les Etats-Unis. Dans l'est, ce sont les infatigables pionniers de l'Amérique du Nord, qui sont déjà descendus des Montagnes-Rocheuses sur les bords de cette mer, que de leur côté les pêcheurs de Boston et les armateurs de New-York sillonnent de leurs vaisseaux; les intérêts américains ont déjà pris dans ces parages un tel développement, que, dans son rapport annuel, le ministre de la marine des Etats-Unis conseillait naguère au Congrès de Washington d'y fonder un port

Ann. Hist. pour 1842. App.

et d'occuper quelqu'un de ses archipels. A l'ouest, c'est le Japon et l'immense empire de la Chine, qui vient d'être ouvert au commerce, aux rivalités dés puissances maritimes, à leur ambition peut-être. Au midi, la Nouvelle-Hollande, plus connue jadis sous le nom de Botany-Bay, comme un exutoire où l'Angleterre déportait, sans espoir de retour, les plus dangereux de ses criminels, est devenue une colonie riche et puissante: c'est maintenant un nouveau monde que la race anglaise a entrepris de conquérir à la civilisation, et qu'elle attaque de vingt côtés à la fois par des établissements qui jouissent déjà d'une merveilleuse prospérité. Plus loin c'est la Nouvelle-Zélande, où, depuis cinq ou six ans, l'Angleterre encore a fondé sur dix points différents des villes dont la population s'accroît chaque jour, Auckland, Port-Nelson, Port Wellington, Port-Nicholson NewPlymouth, etc. A l'autre extrémité, c'est le Chili, le Pérou, la Bolivie, dont les relations avec l'Europe vont sans cesse en grandissant d'importance. Au centre enfin se développent toutes ces iles incessamment visitées par les baleiniers, dont l'industrie est concentrée dans cette mer, occupées et assujetties chaque jour par cette foule de missionnaires américains et anglais, dont les ambitieux efforts ne semblent avoir encore eu d'autre résultat que d'assurer dans les archipels la prépondérance politique du pays qui les avait envoyés, en détruisant avec une épouvantable rapidité les populations qu'ils étaient venus convertir.

Dans l'état actuel des choses, une centaine au moins de bâtiments français tant baleiniers que navires du commerce franchissent tous les ans le cap Horn ou l'archipel de la Malaisie, et promènent le pavillon français dans la mer du Sud. C'était déjà un motif suffisant pour engager notre gouvernement à s'établir dans cette mer, afin d'être toujours à même d'y protéger les intérêts de ses nationaux; mais, en vue de l'avenir qui se prépare, c'était pour lui un devoir impérieux. Depuis deux ans déjà il a fondé un établissement à Arakoa, sur la presqu'ile de Banks dans la plus méri dional des deux fles qui composent le groupe du nom de Nouvelle Zélande ; aujourd'hui nous apprenons qu'à l'autre

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extrémité de la même mer une expédition, commandée par M. l'amiral Dupelit Thouars, vient d'acheter aux chefs indigènes l'archipel des iles Marquises, et en a fait une possession désormais française.

Le gouvernement avait mis à la disposition de M. Dupetit-Thouars, pour l'aider dans son entreprise, des forces imposantes. En effet l'escadre française, dite de la mer du Sud, se compose aujourd'hui de deux frègates de 50 canons, l'Atalante et la Reine Blanche, portant le pavillon de l'amiral, d'une frégate de 46, la Thetis; de deux corvettes à batterie couverte, Embuscade et la Boussole; de deux corvettes simples, la Triomphante et la Camille; d'un brick, l'Adonis, et d'une gabarre, le Bucephale. Sur ces neuf bâtiments de guerre on avait embarqué un bataillon d'infanterie de marine fort de presque 800 hommes, une compagnie d'artillerie de marine, et une compagnie des équipages de ligne. Ainsi les moyens dont pouvait disposer M. DupetitThouars, représentaient 260 capons et plus de 3,000 hommes marins, soldats ou artilleurs. Enfin quatre grands bâtiments du commerce sont partis de France, chargés de matériel pour le futur établissement.

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Voici maintenant ce que nous avons pu recueillir dans les récits des navigateurs sur cet archipel jusque-là assez ignoré; nous prendrons surtout nos renseignements dans le récit d'une visite que M. Dupetit-Thouars lui-même fit à ces iles, sur la frégale la Venus, au mois d'août 1838. Après lui elles n'ont plus été visitées, autant que nous le sa chions du moins, que par l'amiral d'Urville: mais la partie de son récit qui doit rendre compte du séjour de l'Astrolabe et de la Zélée aux fles Marquises, le quatrième volume n'a pas en core paru. 05 TICM**

Les iles Marquises se composent de deux groupes bien distincts situés dans une, direction générale du S.-E. au N.-O.; elles sont comprises entre les parallèles 7° 50' et 20° 31' de latitude sud, et les 140° 59' et 145° 6' de longitude occidentale du méridien de Paris; elles sont toutes d'origine volcanique et très-élevées; elles peuvent être apersues, par un beau temps, de quinze et vingt lieues de distance. Cette haute

élévation au-dessus du niveau de la mer rend le climat de ces îles très-sain et leur assure une température inоyenne beaucoup plus basse qu'on ne devrait le supposer dans une latitude si voisine de l'Equateur.

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Quoique ces iles forment deux grou pes, si l'on considere cependant les distances relatives des terres qui en font partie, la langue, les mœurs et le caractère des peuples qui les habitent, on ne peut s'empêcher de les réunir en un seul archipel qui, à raison de ja priorité de découverte, doit prendre le nom de Marquises de Mendoça. C'est le nom que leur donna, en 1595, le nayigateur espagnol qui les aperçut Je premier, Mendana, en l'honneur du vice-roi qui gouvernait, alors le Pérou et avait ordonné cette expédition,

Le groupe du sud fut découvert je premier; il se compose de cinq iles qui sont, en commençant par la plus méridionale: Madalena ou Fatu - Hiva, Christiana ou Tahuata, San Pedro qu O-Nateaya, Dominica ou O Hivaoa, et Hood ou Fétou-Hougou. Lors de la découverte de ce groupe, l'ile Hood n'avait pas été aperçue; elle le fut plus tard, en 1774, par Cook; il Jui donna le nom de Hood, d'après celui da midshipman qui la signala le premier et qui depuis est devenu lord Hood, amiral et ministre de la marine en Angleterre. Les fles ou plutôt les ilots San Pedro et Hood ne sont pas habités : la Madalena contient de 2 à 3,000 habitants; la Dominica un peu plus de 6,000; Christiana 1,000 ou 1,200.

Le groupe du N.-O, se compose, de six fles: Roa-Poua, Roa-Houga, NukaHiva ou Marchand, Chanal, Masse, et enfin la petite ile d'Hergest; les trois premières sont seules habitées. NukuHiva est la plus considèrable et la plus connue du groupe, mais sa population n'est pas aussi nombreuse que celle de la Dominica, qui compte de 4 à 5,000 âmes. Les les Roa-Poua et Roa-Houga n'ont guère que 2 à 3,000 habitants chacune.

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Ainsi la population entière des îles Marquises ne s'élève pas aujourd'hui à plus de 20 ou 25,000 âmes.

Le groupe du N.-O. ne fut déconvert que bien des années après celui du S.-O.; ce fut seulement le 12 juin 1791, c'est-à-dire presque deux cents

ans plus tard, qu'il fut aperçu pour la première fois par Marchand, capitaine du commerce, parti de Marseille sur le navire le Solide, pour aller faire le commerce sur la côte N. O. de l'Amé rique. Marchand donna à ce groupe le nom d'îles de la Révolution, en mémoire des événements qui s'accom. plissaient alors en France. Cependant la priorité de découverte est contestée au navigateur français par un capitaine Ingraham, de Boston, qui prétendit avoir eu connaissance de ces îles quel ques mois avant notre compatriote. Mais ces prétentions n'ont jamais été justifiées par aucune publication, ni sous aucun prétexte raisonnable. On sait d'ailleurs de quoi est capable la vanité américaine. N'avons-nous pas vu, il y a quelques semaines, un capitaine de la marine militaire des EtatsUnis traduit devant un conseil de guerre, et accusé d'avoir fait des faux sur les registres de bord afin d'essayer de prouver au monde qu'il avait aperçu la terre Adélie quelques heures avant l'amiral d'Urville?

Après les navigateurs que nous avons déjà cités, on peut encore nommer, parmi ceux qui visitèrent ces lles, le lieutenant de la marine royale d'Angleterre, Hergest, qui en fit l'hydrographie en 1792, et le capitaine Wilson, qui vint en 1797 y déposer des missionnaires protestants, lesquels ne restèrent que fort peu de temps dans l'archipel, quoiqu'il ne paraisse pas qu'ils y aient été mal accueillis. L'un d'eux, nommé Harris, fut même pris en affection par le roi, et d'une façon si particulière que, partant pour une expédition, le bon prince lui délégua, pendant son absence, tous ses droits de mari sur la reine, sa femme.

C'est la coutume du pays, et le facile monarque né se doutait pas des embarras où son excessive générosité allait jeter le malheureux missionnaire. Un missionnaire devenir l'allumeur du feu du roi! comme on dit aux iles Marquises. La princessé, étonnée de la réserve de celui qu'il était de son honneur de traiter comme un époux, se désole d'abord, puis conçoit des doutés étranges, et finit par se persuader que cette inexplicable froideur ne peut s'attribuer à autre chose qu'à un cas de force majeure. Par une belle

nuit où Harris dormait du sommeil de l'innocence, il sent des mains qui se promènent sur son corps; il s'éveille, et se voit entouré d'une troupe de femmes qui procédaient sur sa personne à la plus singulière vérification. Epouvanté d'une pareille tentative, le malheureux missionnaire s'enfuit dans les bois, et au point du jour regagne à la nage le bâtiment qui l'avait apporté.

Depuis, d'autres missionnaires ont succédé à Harris, mais il ne paraît pas que leurs travaux aient obtenu plus de succés. En 1838, M. Dupetit-Thouars qui y conduisait lui-même deux missionnaires catholiques, MM. Devaux et Borgella, qui paraissent avoir été plus heureux que leurs devanciers, trouva établi dans l'île Christina un M. Stulworthy, envoyé par la société de Londres. Habitant le pays depuis une dixaine d'années, il occupait une jolie maison de bois, la seule dans toute l'île qui méritât ce nom. Ce gentleman accueillit fort bien les officiers de la Vénus, et leur avoua sincèrement que, malgré son long séjour et les peines qu'il avait prises, les résultats de sa mission étaient complètement nuls. Pendant quelque temps, il avait eu pour coadjuteur un autre missionnaire marié ; mais la curiosité des naturels, à l'égard de sa femme, devenant inquiétante pour son repos, il avait été forcé d'abandonner l'archipel.

En 1804, M. de Krusenstern trouva ún Français établi dans l'ile de Nouka-Hiva. C'était un matelot de Bordeaux, nommé Joseph Kabris, qui, fait prisonnier pendant la guerre, et ensuite embarqué sur un baleinier aniglais, était venu se perdre avec son navire sur les côtes de l'ile. Selon ce qu'il racontait de son histoire, il allait, après son naufrage, être mangé comme ses compagnons par les naturels (car les habitants des Marquises sont encore anthropophages), lorsque la fille du roi, la belle Valmiki, demanda sa grâce ét l'épousa. Depuis lors Kabris avait vécu à la mode du pays; il s'était fait tatouer et passait pour un grand guerrier. Ramené en Europe par M. de Krusenstern, il rentra en France en 1817, fut présenté à Louis XVIII et au roi de Prusse, puis finit par se montrer pour de l'argent dans le Ca

binet des Illusions, à Paris. Lorsque ia capitale fut satisfaite, Kabris courut les foires, et c'est ainsi qu'il arriva en 1822 à Valenciennes, où il mourut. La commission du Musée de Douai, ayant oui dire qu'un homme parfaitement tatoué était mort à Valenciennes, fit des démarches pour obtenir le corps de Kabris, afin de le faire préparer et d'en orner son Musée; mais elle s'y prit trop tard, les restes mortels du gendre du roi de Nouka Hiva ne furent pas exhumés, et reposent encore dans le cimetière de Valenciennes.

Après M. de Krusenstern, presque tous les navigateurs qui ont fait des voyages autour du globe ont touché aux Marquises, mais sans que de leurs visites il soit résulté rien de bien curieux. En 1812, le capitaine Porter, commandant la frégate américaine l'Essex, prit, au nom des Etats-Unis, possession de ces îles; mais la petite garnison qu'il y avait laissée fut, au bout de quelques jours, attaquée par Jes indigènes et forcée de se rembarquer. Depuis, le gouvernement de l'Union n'a pris aucune mesure pour soutenir les prétentions du capitaine Porter, et en 1838, lors du passage de la Vénus, les habitants vivaient encore dans l'état d'indépendance où Mendana les avait trouvés en 1595, divisés par des discordes intestines, se faisant toujours la guerre d'ile à île, de tribu à tribu, dans l'intérieur de la même île, et n'ayant pas encore renoncé à l'affreuse pratique de l'anthropophagie.

Les iles Marquises, bien qu'elles soient de formation volcanique, ne renferment aucun volcan en activité, et ne paraissent point exposées aux tremblements de terre qui désolent quelques uns des archipels voisins. Les vieillards n'ont souvenir d'aucune commotion de ce genre; ce qui, joint à la fertilité du sol, tend à prouver qu'elles sont d'une origine déjà très-reculée.

Les habitants ne connaissent aucune forme de gouvernement; les tribus vivent indépendantes les unes des autres, et suivent la loi naturelle, c'est-à-dire la loi du plus fort. Le seul titre de distinction, au point de vue civil, est celui d'ariki, que l'on traduit ordinairement par chef ou roi, mais qui cependant ne semble désigner qu'une

personne possédant des terres. Toutefois, parmi celles-ci il y en a qui, par leurs qualités personnelles ou leurs succés à la guerre, obtiennent une supériorité réelle; on les désigne alors sous le titre d'ariki-noui, grand chef.

Les naturels de ces îles paraissent n'avoir aucune religion et ne pratiquer aucun culte. Cependant on remarque dans leurs fêtes certains individus qui prennent des costumes étranges, ont l'air d'inspirés, paraissent s'adresser au ciel en exécutant des danses accompagnées de gestes qui ressemblent à des invocations. Ces espèces de prêtres ou de sorciers exercent une grande influence et prononcent les tabous, tout comme si la nécessité leur en avait été révélée. Les tabous prononcés sont ordinairement respectés; c'est la seule loi en quelque sorte d'institution divine qui soit connue et obéie. Si les tabous sont violés, c'est à Dieu seul qu'on laisse le soin de panir les coupables. L'opinion générale est qu'ils seront frappés de mort ou atteints dukovi, maladie affreuse qui tient de la lepre ou de l'éléphantiasis. Le tabou peut s'étendre à toutes sortes de choses; c'est une défense rigoureuse de faire tel ou tel acte, de manger tels ou tels aliments, de toucher à tel ou tel objet, etc.

Le mariage n'existe point comme institution religieuse ou civile; c'est tout au plus une coutume. 11 ne dépend d'ailleurs que du consentement mutuel, et n'oblige point à la constance, encore moins à la fidélité; il se rompt comme il se forme, sans aucune formalité, d'un commun accord, ou souvent par la volonté d'un seul. Quelques hommes ont plusieurs femmes qui vivent ensemble; mais ces exemples sont rares, tandis qu'il n'est pas une femme qui ne soit à plusieurs hommes à la fois et du consentement du mari en titre. Un mari serait bien ridicule s'il s'offensait de ces licences; au contraire, il est le premier à les provoquer ; il se fait honneur de sa femme, de sa fille, de sa mère, tout comme chez nous on se tient honoré d'offrir sa maison à un voyageur de marque, à un ami.

Quelquefois les jeunes filles n'attendent même pas qu'elles soient nubiles pour quitter la case maternelle ; maî

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