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bres avait pour principe une pensée de justice distributive: on avait voulu arriver à une répartition plus équitable des impôts directs. Était-il vrai que le gouvernement eût substitué à cette pensée de bien public des idées d'une autre nature, et que le recensement n'eût été dirigé que dans des vues de fiscalité? Sans doute, l'un des avantages du recensement devait être d'améliorer le revenu de l'État, en donnant à l'administration le moyen d'appliquer plus exactement la loi de l'impôt. C'eut été dans tous les temps, un devoir pour l'administration de réclamer des contribuables leur quote-part légitime et proportionnelle dans l'acquittement des charges publiques; mais ce devoir devenait impérieux en présence d'une accumulation de découverts, absorbant pour plusieurs années les réserves de l'amortisssement, d'un emprunt de 450 millions à ouvrir pour des services votés, et d'un déficit de 116 millions dans le budget de 1842. Le ministre avait été fidèle à la règle de conduite qu'il s'était tracée l'année précédente et que les Chambres avaient approuvée : suffire aux besoins du trésor, sans demander de nouveaux impôts, sans rehausser les tarifs des taxes existantes, en prenant soin que les tarifs fussent appliqués sans faiblesse.

Le ministre avait été justifié d'avance d'avoir voulu que la loi de l'impôt, en ce qui concernait les propriétés bâties et les patentes, reçût une application juste, égale et en même temps profitable au trésor. Or, c'est sur ces deux points seulement qu'un résultat favorable au revenu pourrait être atteint. La contribution mobilière et celle des portes et fenêtres, sont des impôts de répartition auxquels le gouvernement ne peut rien retrancher ni ajouter : Eh bien, c'étaient précisément ces impôts qui avaient servi de texte aux accusations de fiscalité. M. Humann citait à cet égard les paroles d'un conseil général du Midi : « Des agents, répandus dans les villages et qui n'ont pas craint même de pénétrer dans les villes, ont jeté l'alarme dans le sein des familles pauvres et privées d'instruction, en leur persuadant qu'on allait faire

l'inventaire des moindres meubles de leurs maisons et compter tous les animaux nourris dans les campagnes, parce que meubles et animaux devaient être frappés d'une taxe. Des mensonges si révoltants ne devaient-ils pas livrer les contribuables aux résolutions les plus désespérées ? »

Quant aux mesures employées pour arriver à l'exécution du recensement, le ministre en démontrait la légalité par des citations empruntées à la loi du 22 brumaire an vi, et à celle du 15 septembre 1807. En effet, en vertu de ces deux lois, l'action des communes disparaît et s'efface pour faire place à celle des agents des contributions opérant sous la direction du ministre. Il n'est fait mention du concours des municipalités, ni dans la loi du 21 avril 1832, qui prescrit la formation des tableaux de la matière imposable, ni dans la loi du 14 juillet 1838, qui, en vue d'une nouvelle répartition à soumettre aux Chambres, porte que les agents des contributions directes continueront de tenir au courant les renseignements destinés à faire connaître le nombre des individus passibles de la taxe personnelle, le montant des valeurs localives et le nombre des ouvertures à imposer. M. Humann citait à l'appui de ses mesures la doctrine de M. Henrion de Pansey: « Il est de la nature du pouvoir municipal de se concentrer sur une seule commune; toutes les mesures quien embrassent plusieurs, appartiennent au pouvoir administratif. » Or, précisément ce n'est pas l'individu, mais la commune, que le recensement avait en vue; aucun résultat n'était obtenu tant que l'opération n'était pas achevée dans la commune : c'est alors, mais seulement alors, que les renseignements recueillis, pouvaient être utilement communiqués à l'autorité municipale, et c'était aussi ce que les instructions prescrivaient. La dernière partie du discours du ministre, portait sur les reproches de contradiction ou d'imprudence adressés à l'administration, et il terminait par ces paroles « Sauf le redressement, les omissions concernant les propriétés bâties, la situation des contribuables

est ce qu'elle était avant, et pour remédier aux inégalités existantes, les Chambres auront désormais les éléments qui n'existaient pas.

Un amendement avait été présenté par M. Lestiboudois sur cette question du recensement; M. Odilon-Barrot proposa de renvoyer ce débat au moment où la Chambre aurait à se prononcer par un vote précis sur l'amendement. La Chambre, sur cette proposition, passa à l'examen des autres matières qu'embrassait le paragraphe 2.

M. de Tracy demanda si le ministre de la guerre s'occupait de l'organisation de l'armée de réserve et de la réforme du Code Pénal militaire?

M. Teste répondit en l'absence du maréchal Soult, que ces deux questions étaient à l'étude.

M. Lacrosse souleva une discussion relative à la marine, et provoqua le ministre de ce département à déclarer que le désarmement dont il avait été parlé dans la presse, n'avait point eu lieu. Comme en 1840, après le 15 juillet, il y avait toujours en mer vingt vaisseaux de guerre armés; un mouvement avait été opéré dans la flotte; mais si une partie des vaisseaux qui se trouvaient dans la Méditerranée avait passé dans l'Océan, ce mouvement avait été commandé par les circonstances. En effet, il avait eu lieu à l'époque où des difficultés éclataient entre l'Angleterre et les États-Unis ; il était nécessaire à ce moment que la France se mît en mesure de faire respecter sa neutralité.

Cette déclaration satisfit la Chambre et l'on passa outre, en adoptant le paragraphe 2. Le paragraphe 3, qui répondait au vœu du gouvernement, de présenter un projet pour l'exécution du chemin de fer, fut ensuite voté.

Le paragraphe 4 touchait à des intérêts très-graves, et à la fois politiques et industriels; en un mot, aux traités de commerce, et particulièrement à celui que l'on voulait ménager entre la France et la Belgique. Les expressions dont s'était servie à ce sujet la commission étaient loin

d'être nettes et concluantes : « La prudence avec laquelle le gouvernement doit suivre les négociations entamées par vos ordres, disait-elle au roi, nous répond que la production nationale conservera la protection qui lui est due. » La discussion produisit des faits de statistique industrielle, quelques considérations de politique; mais un grand nombre de membres furent d'accord pour déclarer que le débat était inopportun; la Chambre en convint et ne chercha pas à s'éclairer davantage, à instruire davantage le pays sur cette matière. Et cependant dans le cours même de l'année cette question mettra le pays en émoi : des obstacles s'élèveront de toutes parts, pour entraver un projet d'union douanière de la France et de la Belgique, et en présence de ces manifestations combattues, du reste, par d'autres manifestations moins puissantes, mais non moins éclairées, le Cabinet prendra une détermination que les uns appelleront de la condescendance, les autres de la faiblesse.

Un des plus jeunes et des plus ardents députés de la gauche dynastique, M. Billault, avait proposé un paragraphe additionnel à celui que la Chambre venait de voter; le droit de visite en faisait l'objet. L'honorable membre adjurait le gouvernement de mettre à l'abri de toute atteinte les légitimes intérêts de notre commerce maritime et la complète indépendance de notre pavillon, c'est-à dire, en d'autres termes, de refuser sa ratification au traité récemment signé à Londres.

Dans la séance du 22 janvier, l'auteur lui-même de cet amendement, prit la parole pour développer les motifs qui le lui avaient dicté. Dans un long historique de la question, par lequel il chercha d'abord à faire ressortir la tradition de la politique anglaise, relativement au droit de visite et cette suite d'ambitieux efforts pour obtenir la souveraineté des mers, il exposa comment les hommes d'état de l'Angleterre poursuivent, à travers la paix et la guerre, cette prétention du droit de visite; comment la France,

les États-Unis, le Portugal, lui-même, l'avaient combattue, soit qu'elle se produisît dans des projets de traités, soit qu'elle s'exerçât en violant le droit des neutres. Il aborda ensuite les inconvénients qui résultaient pour la France, des conventions pour le droit de visite. Le premier de ces inconvénients était de porter une atteinte profonde aux principes fondamentaux du droit international maritime et de la liberté des mers; le second, c'était de refroidir l'ardeur de nos marins, leur sentiment de fierté pour notre pavillon; le troisième, c'était de nous dépouiller d'une situation essentielle indispensable pour nous, celle qui fait de la France la tête de colonne des marines de second ordre contre l'Angleterre; le quatrième de compromettre nos intérêts commerciaux.

Le ministre des affaires étrangères répondit en donnant de son point de vue l'interprétation des traités relatifs au droit de visite. Il pensait que ces traités avaient eu pour objet unique d'atteindre un but généreux, la répression de la traite. Il croyait qu'ils avaient, en effet, beaucoup contribué à atteindre ce but; qu'ils avaient donné lieu à de minces abus, et qu'ils contenaient en eux-mêmes des garanties efficaces contre les abus possibles. Et d'abord il n'était point question du droit des neutres; il n'était en aucune façon entamé, ni réduit par les conventions dont il s'agissait. D'ailleurs le texte même des traités offrait des moyens de prévenir ou de réprimer les abus. En effet, il n'est pas au pouvoir de l'une des parties contractantes de faire un croiseur; il n'appartient pas à la reine d'Angleterre seule de donner à un croiseur anglais le droit d'arrêter un bâtiment négrier français; il faut qu'il ait reçu en outre un mandat du roi des Français. Et si le gouvernement français s'apercevait qu'on abusât réellement du droit de visite, qu'on en abusât dans d'autres intentions que celles du traité, au-delà des limites du traité, il pourrait refuser de nouveaux mandats. Une autre garantie, c'est que la juridiction nationale

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