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par le passage continuel des marines militaires européennes au travers de la mer de Marmara et les deux détroits.

L'empire ottoman n'aurait pas un moment de sécurité; l'Europe serait sans cesse dans la crainte de voir la paix troublée par des tentatives contre cet empire. D'ailleurs, cette convention atteint un autre but bien autrement important; elle fait passer la Turquie elle-même, l'inviolabilité des droits souverains du sultan, le repos de l'empire ottoman, dans le droit public européen.

Dans quel état se trouvait à son tour la France au 29 octobre? D'abord la guerre immédiate, un armement considérable, une situation qui présentait toujours les apparences révolutionnaires, ensuite la paix armée, l'isolement de la France, une situation pesante et périlleuse. Par la convention du 13 juillet, l'isolement cesse, la bonne intelligence est officiellement rétablie et proclamée entre toutes es puissances de l'Europe. Déjà une réduction considérable est opérée dans les charges du pays. Or, par quelle voie cet état de choses avait-il été amené? La France avait-elle été au-devant de l'Europe? Non; elle dit simplement qu'elle ne voulait entendre parler de rien tant que la question turco-égyptienne ne serait pas terminée, tant que l'existence du pacha ne serait pas réellement réglée; elle dit, en outre, qu'elle ne pouvait, en aucun cas, adhérer au traité du 15 juillet.

« On est venu au devant de nous, continuait le ministre: la question égyptienne est réellement terminée; on ne nous a demandé aucun sacrifice; on ne nous a pas demandé d'adhérer au traité du 15 juillet. Sur notre demande, on a changé, dans les actes qu'on nous proposait, toutes les expressions qui pouvaient impliquer une adhésion quelconque à ce traité. La question ainsi posée, la France pouvait-elle refuser de rentrer en bonne intelligence avec l'Europe, lorsqu'elle n'avait pas jugé à propos de faire la guerre pour l'exécution de ce traité? »

Cependant le ministre pensait que la France avait essuyé un échec en 1840. La France s'était trompée sur deux choses: sur l'importance de l'intérêt qu'elle avait dans l'établissement égyptien, et sur la force de cet établissement; sous l'empire de cette double erreur qui avait été l'erreur de tout le monde, la France avait poussé cette question outre mesure au-delà des limites de la bonne politique. L'Angleterre, elle aussi, s'était trompée en sacrifiant la grande politique à la petite, l'amitié de la France au mince avantage de voir quelques districts de la Syrie passer quelques années plus tôt de la domination d'un vieillard à celle d'un enfant. L'Autriche et la Prusse avaient commis une faute en n'arrêtant pas, comme elle pouvaient le faire, la question dans son origine, en empêchant qu'on mît en péril le repos et l'avenir de l'Europe. La Russie avait eu aussi son erreur et sa faute: elle avait sacrifié ses intérêts essentiels et permanents en Orient à des impressions superficielles et passagères; elle avait sacrifié sa politique d'état à ce qui n'était pas de la politique; mais grâce au refus opiniâtre de la France de s'associer au traité du 15 juillet, un grand enseignement est sorti de ces erreurs on a vu que l'on ne pouvait sans embarras, sans périls, se passer de la présence et de l'action de la France. M. Guizot aborda ensuite une autre face de cette question : il crut devoir donner à la Chambre quelques éclaircissements sur la politique du Cabinet à l'égard des chrétiens d'Orient. Il déclara positivement que le Cabinet ne poussait point aux mouvements insurrectionnels qui se manifestaient dans l'empire ottoman; il ne les approuvait pas ; il ne les encourageait pas, étant persuadé que tout démembrement, même partiel dans l'empire, pouvait avoir des conséquences immenses; mais en revanche il travaillait à bien convaincre l'empire ottoman lui-même que son plus grand danger provenait des insurrections intérieures, et que les insurrections chrétiennes sont le véritable mal qui le ronge, et qu'il n'y a qu'un moyen d'y échapper, c'est de faire aux populations chré

tiennes un meilleur sort, de changer leur condition et de l'améliorer (1).

(1) Voici à ce sujet une dépêche de M. Guizo!, en date du 13 décembre 1841, et communiquée aux principales cours de l'Europe :

Nous sommes frappés du danger des associations propaganistes formées pour seconder ou même exciter au sein de l'empire ottoman le soulèvement des populations chrétiennes; mais ce serait, à notre avis, une grave et périlleuse erreur que de voir dans ces associations l'unique ou même la principale cause du mouvement qui agite l'Orient. L'affaiblissement graduel de la puissance ottomane ne pouvait manquer de réveiller les espérances des chrétiens orientaux et de susciter dans leur esprit des pensées d'affranchissement et d'indépendance; enhardis par le succès de l'insurrection grecque, trouvant dans la tendance générale des idées du siècle, et dans tes dispositions de l'opinion publique en Europe, des encouragements qu'il n'était au pouvoir de personne de leur enlever, on les eût vus probablement se livrer à d'audacieuses tentatives pour recouvrer leur liberté, quand même la conduite du gouvernement oltoman n'y eût donné aucun prétexte. Malheureusement, ces prétextes, on pourrait dire ces légitimes excuses, n'ont pas manqué.

. Dans ces derniers temps surtout, la Porte s'est trop souvent montrée impuissante à couvrir ses sujets de cette protection qui constitue le titre principal des gouvernements capables de l'exercer. Les horreurs dont la Bulgarie a été récemment le théâtre, celles qui désolent, en ce moment, la montagne du Liban, ne fournissent que de trop justes griefs à des populations déjà peu satisfaites de leur situation habituelle. Que de coupables ambitions, que des intrigues révolutionnaires cherchent et réussissent parfois à s'emparer de ces légitimes mécontentements, pour les faire concourir à d'odieux projets de bouleversement et d'anarchie, rien n'est plus certain. C'est un devoir de loyauté, comme un acte de sagesse, pour les puissances alliées de la Porte, de travailler à faire échouer ces projets. Mais le meilleur, et peut-être le seul moyen d'y réussir, c'est d'enlever aux agitaleurs leurs armes les plus puissantes, c'est-à-dire de soustraire les chrétiens orientaux à l'intolérable oppression sous laquelle ils gémissent. Qu'ils cessent d'être en proie à toutes sortes d'iniquités et de misères qu'ils voient leur condition; s'améliorer graduellement par des voies régulières et pacifiques, ils seront bien moins enclins à poursuivre leur but à travers les chances terribles des révolutions, et les intrigues anarchiques perdront leur principal moyen de succès. Quelque difficile que puisse être une telle entreprise, elle n'est pas, nous le croyons, au-dessus des forces des puissances alliées de l'empire ottoman.

La Chambre passa bientôt à l'examen des articles: elle enregistra l'amendement annuel de M. d'Harcourt, en faveur de la Pologne opprimée.

Ensuite, elle ne s'arrêta sérieusement que sur les allusions de la presse, aux négociations commerciales qui avaient lieu entre la France et la Belgique. M. de Boissy réclama pour les forges françaises. Après lui, M. d'Argout prononça un substantiel discours, aboutissant aux mêmes conclusions. Un incident imprévu interrompit en cet endroit la discussion.

M. de Daunant demanda, conformément à l'art. 15 de la loi du 25 mars 1822, à porter une réclamation devant la Chambre. Un journal, organe avoué d'une fraction de la gauche dynastique, et qui avait été l'un des appuis du ministère du 1er mars: le Siècle, avait parlé en termes qui pouvaient paraître peu convenables de la précédente séance de ja Chambre des pairs, et en particulier dú discours de M. de Boissy la personne même de plusieurs membres était peu ménagée dans cet article. M. de Daunant y voyait encore <«<la négation la plus évidente des droits de la Chambre. » Il de

» Qu'elles s'accordent à lui conseiller, en faveur des populations chrétiennes soumises à son autorité, une politique plus juste, plus prévoyante, plus énergique; et pourvu que ces conseils soient donnés avec ensemble, sans réserve, sans arrière-pensée, sans aucune de ces circonstances équivoques qui trop souvent affaiblissent auprès des Musulmans la voix de l'Europe, en laissant soupçonner des dissentiments, il est permis d'espérer qu'ils seront entendus, qu'ils porteront d'heurenx fruits, que le pouvoir du sultan, devenu tolérable pour ses sujets, se raffermira pour longtemps encore, et que les complots des sociétés propagandistes échoueront misérablement. Si on suivait une autre marche, si les puissances, uuiquement préoccupées des attaques dirigées contre le pouvoir du sultan, négligeaient de faire disparaître les causes qui font la gravité de ces attaques et les rendent réellement dangereuses, on peut prédire que ces puissances ne réussiraient pas dans Feurs efforts, et que tôt ou tard le sentiment européen, révolté des àtrocités d'un tel regime, les forcerait de l'abandonner à sa destinée. Ce qui s'est passé il y a quinze ans à l'égard de la Grèce dit clairement ce qui arriverait,»

mandait, en conséquence, que le gérant du Siècle fut mandé à la barre du Luxembourg.

M. Dubouchage proposa de renvoyer l'affaire devant le jury.

Les précédents de la Chambre demandaient que malgré l'heure avancée de la séance, la Chambre délibérât sur-lechamp.

M. Cousin conseilla d'ajourner la décision à la séance suivante, (13 janvier), dans laquelle il prit la parole: il reconnaissait que l'article incriminé contenait une injure à la dignité de l'assumblée mais qu'il ne renfermait point une négation de l'autorité de la Chambre.

Il croyait, d'ailleurs, qu'il y avait des motifs pour ne pas exiger la réparation de cette injure: ces motifs, c'étaient les services rendus par le Siècle à la cause de l'ordre et de la liberté; c'était la place qu'il occupait parmi les organes de la presse un simple avertissement suffisait. M. de Daunant répondit que par cela même que le Siècle était très-répandu, par cela même qu'il affectait des couleurs dynastiques, il était beaucoup plus dangereux, lorsqu'il attaquait les pouvoirs établis l'orateur persistait d'ailleurs à penser qu'il y avait dans ce journal, à la fois attaque systématique contre l'autorité constitutionnelle de la Chambre, et injure répétée envers elle.

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La proposition de M. Dubouchage, appuyée par M. de Brezé fut repoussée à la presque unanimité, et celle de M. de Daunant adoptée à une très-forte majorité.

La Chambre revint à la discussion de l'adresse.

M. d'Harcourt se prononça pour une union douanière avec la Belgique.

M. Charles-Dupin ajouta de nouveaux développements à la pensée de M. d'Argout..

De ce dernier discours on passa bientôt au scrutin secret. Le projet d'adresse fut adopté à l'unanimité moins une Voix.

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