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indépendance sur les mers, à faire cause commune avec la France, à sommer de concert avec elles les trois cours de Copenhague, de Stockholm et de Lisbonne, de fermer leurs ports aux Auglais, et de déclarer la guerre à l'Angleterre; et à insister avec force auprès des puissances, pour qu'elles adoptent les mêmes principes.

L'empereur Napoléon accepta la médiation de la Russie; mais l'Angleterre n'y répondit que par une violation du droit des gens, jusqu'alors sans exemple dans l'histoire. Elle vint de guerre, attaen pleine paix, et sans déclaration préalable quer le Dannemarck,, surprendre sa capitale, brûler ses arsenaux et s'emparer de sa flotte qui était désarmée et en sécurité dans ses ports. La Russie se conformant aux stipulations et aux principes du traité de Tilsitt, déclara la guerre à l'Angleterre; proclaina de nouveau les principes de la neutralité armée, et s'engagea à ne déroger jamais à ce systême. Ce fut alors que le cabinet britannique jeta le masque, en publiant au mois de Novembre 1807, ces arrêts du conseil, par lesquels l'Angleterre levait un octroi de 4 à 500 millions sur le continent, et elle soumettait tous les pavillons aux tarifs et aux dispositions de sa législation. Ainsi d'un côté, elle se mettait en état de guerre contre toute l'Europe; de l'autre elle s'assurait les moyens d'en perpétuer indéfiniment la durée, en fondant ses finances sur les tributs qu'elle prétendait imposer à tous les peuples.

Déjà en 1806, et pendant que la France était en guerre contre la Prusse et la Russie, elle avait proclamé un blocus qui mettait en interdit toutes les côtes d'un empire. Lorsque S. M. fut entrée à Berlin, elle répondit à cette prétention monstrueuse, par le décret du blocus des Isles Britanniques. Mais pour repousser les arrêts du conseil de 1807, il fallait des mesures plus directes, plus précises, et S. M. par le décret de Milan, du 17 Décembre de la même année déclara dénationalisés tous les pavillons qui laisseraient violer leur ́neutralité en se soumettant à ces arrêts.

L'attentat de Copenhague avait été soudain et public. L'Angleterre préparait en Espagne des attentats nouveaux, ourdis avec méditation et dans les ténèbres.

N'ayant pu ébrauler la fermeté du roi Charles IV, elle forma un parti contre ce prince, qui ne voulait pas sacrifier à l'Angleterre les intérêts de son royaume; elle se servit du nom du prince des Asturies, et le père fut chassé de son trône au nom du fils; les ennemis de la France et les partisans de l'Angleterre s'emparèrent du pouvoir.

S. M., appelée par le roi Charles IV, fit entrer ses troupes en Espagne; et la guerre de la péninsule fut allumée.

Par une des stipulations de Tilsitt, la Russie devait évacuer la Valachie et la Moldavie. Cette évacuations fut différée. TOME IV.

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De nouvelles révolutions survenues à Constantinople, avaient plusieurs fois ensanglanté le sérail.

Ainsi, un an s'était à peine écoulé depuis la paix de Tilsitt, les affaires de Copenhague, d'Espagne, de Constantinople, et les arrêts publiés en 1807 par le conseil britannique, avaient déjà placé l'Europe daus une situation tellement inattendue, que les deux souverains jugèrent convenable de se concerter et de s'entendre: l'entrevue d'Erfurth eat lien.

Unis d'intention et animés de l'esprit de Tilsitt, ils se mirent d'accord sur ce qu'exigeaient d'eux de si grands changemens: l'empereur consentit à faire évacuer la Prusse par ses troupes, en même tems qu'il consentit que la Russie nonseulement n'évacuât point la Valachie et la Moldavie, mais réunit ces provinces à son empire.

Les deux souverains pénétrés du même désir du rétablissement de la paix maritime, et alors aussi fermement attachés qu'à Tilsitt, à la défense des principes pour lesquels ils s'étaient unis, résolurent de faire en commun une démarche solennelle auprès de l'Angleterre. Vous vintes, M. le Comte, en suivre les effets à Paris, et vous échangeâtes alors plusieurs notes avec le gouvernement britannique. Mais le cabinet de Londres qui entrevoyait qu'une guerre allait se rallumer sur le continent, repoussa toute négociation.

La Suède s'était refusée à fermer ses ports à l'Angleterre. La Russie, conformément aux stipulations de Tilsitt, lui avait déclaré la guerre. Il en résulta pour elle la perte de la Finlande, que la Russie réunit à son empire. En même tems, les armées Russes occupèrent les places fortes du Danube, et firent une guerre avantageuse contre la Turquie.

Cependant, M. le comte, le système de l'Angleterre triomphait; ses arrêts du conseil menaçaient d'obtenir les plus immenses résultats; et l'octroi, qui devait fournir les moyens d'entretenir la guerre perpétuelle qu'elle avait proclamée, se perce. vait sur les mers. La Hollande et les villes anséatiques, continuant de commercer avec elle, leur connivence rendit illusoires les dispositions salutaires et décisives des décrets de Berlin et de Milan, qui pouvaient seuls combattre victorieusement les principes et les arrêts du conseil britannique. L'exécution de ces dispositions ne pouvait être assurée que par l'action journalière d'une administration ferme, vigilante et à l'abri de toute influence ennemie, la Hollande et les villes anséatiques durent être réunies. Mais, tandis que les sentimens les plus chers cédaient, dans le cœur de S. M. aux intérêts de ses peuples et à ceux du continent, de grands changements s'opéraient. La Russie abandonnait les principes pour lesquels elle s'était engagée à Tilsitt, à faire cause commune avec la France, qu'elle avait proclamés dans sa déclaration de guerre à l'Angleterre, et qui avaient dicté les décrets de Berlin et de Milan, Ils furent éludés par l'ukase

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sur le commerce qui ouvrit les ports de la Russie à tout bâtiment anglais, pourvu qu'il prît le masque d'uu pavillon étranger. Ce coup inattendu annula le traité de Tilsitt, et ces transactions fondamentales qui avaient fini la lutte des deux plus grands em pires du monde, et qui avaient promis à l'Europe le grand bienfait de la paix maritime. On pressentit dès, lors des bouleverse mens prochains et des guerres sanglantes.

La conduite de la Russie depuis fut constamment dirigée vers ces funestes résultats. La réunion du duché d'Oldenbourg, enclavé de toutes parts dans les contrées nouvellement soumises au même régime que la France, était une suite nécessaire de la réunion des villes anséatiques. Une indemnité fut offerte. Cet objet était facile à régler selon les convenances réciproques. Mais votre cabinet en fit une affaire d'état, et l'on vit pour la première fois paraître une protestation d'un allié contre un allié. La réception des vaisseaux anglais dans les ports russes et les dispositions de l'ukase de 1810, avaient fait connaître que les traités n'existaient plus; la protestation montra que non-seulement les licns qui avaient uni les deux puissances étaient rompus, mais que la Russie jetait publiquement le gant à la France pour une difficulté qui lui était étrangère, et qui ne pouvait se résoudre que par le moyen que S. M. avait offert. On ne se dissimula point que le refus de cette offre décelait le projet déjà fornié d'une rupture. La Russie s'y préparait en effet. Au moment de dicter les conditions de la paix de la Turquie, elle avait rappelé tout-à-coup cinq divisions de l'armée de Moldavie, et dès le mois de Février, 1811, on apprit à Paris que l'armée du duché de Varsovie avait été obligée de repasser la Vistule pour se mettre à portée d'être secourue par la confédération, tant les armées russes sur la frontière étaient déjà nombreuses et menaçantes.

Lorsque la Russie s'était déterminée à des mesures contraires aux intérêts de la guerre active qu'elle avait à soutenir, lorsqu'elle avait donné à ses armemens un développement onéreux à ses finances et sans objet dans la situation où se trouvaient toutes les puissances du continent, toutes les troupes françaises étaient en-deça du Rhin à l'exception d'un corps de 40,000 hommes rassemblés à Hambourg pour la défense des côtes de la mer du Nord et pour le maintien de la tranquillité dans les pays nouvellement réunis ; les places réservées en Prusse n'étaient occupées que par des troupes alliées; il n'était resté à Dantzic qu'une garnison de 4000 homines, et les troupes du duché de Varsovie étaient sur le pied de paix; une partie était même en Espagne.

Les préparatifs de la Russie se trouvaient donc sans objet, à moins qu'elle n'eût l'espérance d'en imposer à la France par un grand appareil de force, et de la porter à mettre fin aux discussions d'Oldenbourg, en sacrifiant l'existence du duché de Varsovie; peut-être aussi ne pouvant se dissimuler qu'elle avait violé le traité de Tilsitt, la Russie n'avait-elle recours à la force

que pour chercher à justifier des violation qui ne pouvaient pas l'être.

Cependant, sa majesté resta impassible. Elle persista dans le désir d'un arrangement; elle pensait qu'il était toujours tems d'en venir aux armes; elle demanda que des pouvoirs fussent envoyés au Prince Kourakin et qu'une négociation fût ouverte sur des différends qui pouvaient se terminer facilement et qui n'étaient assurément pas de nature à exiger l'effusion du sang. Ils se réduisaient aux quatre points suivans;

1o. L'existence du duché de Varsovie qui avait été une condition de la paix de Tilsitt et qui dès la fin de 1809, donna lieu à la Russie de manifester des défiances auxquelles S. M. répondit par une condescendance portée aussi loin que l'amitié la plus exigeante pouvait le désirer et que l'honneur pouvait le permettre.

2°. La réunion du duché d'Oldenbourg, que la guerre contre l'Angleterre avait nécessitée, et qui était dans l'esprit de Tilsitt.

3. La législation sur le commerce des marchandises anglaises et les bâtimens dénationalisés, qui devait être réglée par l'esprit du traité de Tilsitt.

4. Enfin les dispositions de l'ukase de Décembre 1810, qui, en détruisant toutes les relations commerciales de la France avec la Russie, et en ouvrant les ports aux pavillons simulés chargés de propriétés anglaises, étaient contraires à la .lettre du traité de Tilsitt.

Tels devaient être les objets de la négociation.

Quant à ce qui regardait le duché de Varsovie; S. M. s'empressait d'adopter une convention par laquelle elle s'engageait à ne favoriser aucune entreprise qui tendrait directement on indirectement au rétablissement de la Pologne.

Quant à l'Oldenbourg, elle acceptait l'intervention de la Russie, qui cependant n'avait aucun droit de s'immiscer dans ce qui concernait un prince de la confédération du Rhin, et elle consentait à donner à ce prince une indemnité.

Quant au commerce des marchandises anglaises et aux bâtimens dénationalisés, S. M. demandait à s'entendre pour concilier les besoins de la Russie, avec de principes du système continental, et l'espirit du traité de Tilsitt.

Enfin, quant à l'ukase, S. M. consentait à conclure un traité de commerce qui, en assurant les relations comnierciales de la France, garanties par le traité de Tilsitt, ménagerait tous les intérêts de la Russie.

L'empereur se flattait que des dispositions dictées par un eprit de conciliation aussi manifeste, ameneraient enfin un arrangement. Mais il fut impossible d'obtenir de la Russie qu'elle, donnât des pouvoirs pour ouvrir une négociation. Elle répondit constamment aux nouvelles ouvertures qui lui étaient

faites par de nouveaux armemens, et l'on fut forcé de comprendre enfin qu'elle refusait de s'expliquer parce qu'elle n'avait à proproposer que des choses qu'elle n'osait point énoncer, et qui ne pouvaient pas être accordées; que ce n'était pas des stipulations qui, en identifiant davantage le duché de Varsovie à la Saxe, en le mettant à l'abri des mouvemens qui pouvaient inquiéter la Russie sur la tranquillité de ses provinces, qu'elle désirait l'obtenir, mais le duché même qu'elle voulait réunir; que ce n'était pas sou, commerce, mais celui des anglais qu'elle voulait favoriser pour soustraire l'Angleterre à la catastrophie qui la menaçait; que ce n'était pas pour les intérêts du due d'Oldenbourg que la Russe voulait intervenir dans l'affaire de la réunion, mais que c'était une querelle ouverte contre la France qu'elle voulait tenir en réserve, pour le moment de la rupture qu'elle préparait.

L'empereur reconnut alors qu'il n'y avait pas un moment à perdre. Il eut aussi recours aux armes. Il se mit en mesure d'opposer des armées pour garantir un état du second ordre si souvent menacé, et qui faisait reposer toute sa confiance sur sa protection et sur sa foi.

Cependant, M. le comte, S. M. saisit encore toutes les occásions pour manifester ses sentimens. Elle déclara publiquenient, le 15 Août dernier, la nécessité d'arrêter la marche si dangéreuse que prenaient les affaires, et le veu d'y parvenir par des arrangemeus pour lesquels elle ne cessait point de demander à entrer en négociation.

A la fin du mois de Novembre suivant, S.M. crut pouvoir espérer que ce vœu allait enfin être partagé par votre cabinet. Vous annoncâtes, M. le comte, à l'ambassadeur de S.M., que M. de Nesselrode était désigné pour se rendre à Paris avec des instructions. Quatre mois s'étaient écoulés lorsque S.M. apprit que cette mission n'aurait pas lieu. Elle fit aussitôt appeler M. le comte Czernichen, et lui donna pour l'empereur Alexandre une lettre qui tendait de nouveau à ouvrir des négociations. M. de Czernichen est arrivé le 10 mars à Saint Pétersbourg, et cette lettre est encore sans réponse.

Comment se dissimuler plus long tems que la Russie élude tout rapprochement? Depuis dix-huit mois, elle a eu pour règle constante de porter la main sur son glaive toutes les fois que des propositions d'arrangement lui ont été faites.

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Se voyant ainsi forcée de renoncer à toute espérance du côté de la Russie, sa majesté, avant de commencer cette lutte qui fera couler tant de sang, a pensé qu'il était de son devoir de s'adresser au gouvernement anglais. La gène qu'épronve l'Angleterre, les agitations auxquelles elle est en proie, et les changemens qui ont eu lieu dans son gouvernement, ont décidé S.M. Un sincère désir de la paix a dicté la démarche dont j'ai reçu l'ordre de vous donner connaissance. Aucun agent n'a été en

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