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Rapport du ministre de la guerre à sa majesté l'empereur

Sire,

et roi.

La plus grande partie des troupes de V. M. sont appelées hors du territoire pour la défence des grands intérêts qui doivent assurer la prépondérance de l'empire, et maintenir les décrets de Berlin et de Milan, si funestes à l'Angleterre. Il y a à peine quinze mois que le système continental est en exécution, et déjà l'Angleterre est aux abois. Sans ces circonstances que V. M. ne devait pas caculer, peut-être que déjà ce court espace de tems aurait vu s'anéantir entièrement la prosperité de l'Angleterre, et que des convulsions se seraient fait sentir dans son intérieur, qui auraient achevé de décréditer la faction de la guerre et appeler à l'administration des hommes modérés et amis de la justice.

"Toutefois, personne ne sait mieux que V. M. attendre du tems ce que le tems doit produire, et maintenir avec une imperturbable constance un système et un plan de conduite dont elle a calculé les résultats qui sont infaillibles.

"Pendant l'éloignement de la plus grande partie de nos forces de ligne, ce grand nombre d'établissemens maritimes, de places fortes, et de points importans de l'empire, se trouvera gardé par les 5es bataillons et les depôts, et par les troupes de la marine, ce qui a l'inconvénient de detourner sans cesse par des marches et des contres-marches les 5e bataillons et les dépôts de leur véritable destination, qui est l'aliment des armées actives. Ces marches fatiguent le soldat et compliquent l'administration. D'ailleurs, lorsqu'on voit des armées aussi nombreuses au delà de toutes les frontières, il pourrait être permis aux citoyens, qui ne peuvent pas connaître les mesures prises par l'administration pour la défense des établisssmens intérieurs, de nourrir des inquiétudes; ces inquiétudes seules sont contraires à la dignité de l'empire; il faut les empêcher de naître par l'établissement d'une force constitutionelle uniquement affectée à la garde du territoire.

"Par nos lois constitutionnelles, la garde nationale est spécialement chargée de la garde des frontières, de celle de nos établissemens maritimes, de nos arsenaux et de nos places fortes; mais la garde nationale, qui embrasse l'universalité des citoyens, ne peut être mise en permanence que pour un service local et momentané.

66 “Eu divisant la garde nationale en trois bans, et en composant le premier des tous le conscrits des six dernières classes, c'est-à-dire, de l'âge de 20 à 26 ans, qui n'ont pas été appelés l'armée active; le second des hommes de 26 â 40, et l'arrière ban, des homines de 40 à 60. On pourra confier au premier ban le service actif. Alors les deuxième et troisième bans n'auront qu'un service de réserve tout-à-fait local et de police intérieure.

Pour 1812, le premier ban, comprenant les conscrits de 1806 à 1812, qui n'out pas été appelés à l'armée, et qui ne se sont pas mariés depuis, qui sont valides et en état de servir, formerait une ressource de 600,000 hommes.

"Je propose à V. M. de lever sur ce nombre cent cohortes; ce qui ferait marcher le cinquième de ce qui reste des classes de 1806, 1807, 1808, 1809, 1810, 1811, et 1812. Ces hommes seraient, organisés et habillés au chef-lieu de chaque division militaire. Les cadres seraient composés d'officiers et soldats ayant servi dans l'armée de ligne.

"Ces cohortes, composées de huit compagnies, dont six de fusiliers, une d'artillerie et une de dépôt, seraient de près de mille hommes. V. M. aurait ainsi cent cohortes ou bataillons, qui, constamment sous les armes et réunis en brigade et en divisiones sous les ordres de l'état major de la ligne, offriraient une armée d'élite, qui pourrait être assimilée aux anciens gre nadiers de France. Ces troupes constamment campées, et par la nature de leur service abondamment pourvues de tout, feraient peu de pertes par la guerre.

"Par ce moyen, nos places fortes du Rhin, nos établissemens du Helder, de la Meuse, de l'Escaut, de Boulogne, de Cherbourg, de Brest, de l'Orient, de Rochefort, de Toulon, de Gènes, seront gardées par une combinaison de force telle qu'en cinq jours 30,000 hommes seraient réunis sur un point quelconque de la côte qui serait attaquée; et qu'avant dix jours, vu les moyens accélerés que V. M. établit dans les cir constances urgentes, 60 à 80 mille hommes tant du premier ban que des troupes de la marine, des gardes départementales, de la gendarmerie, et des 5es bataillons qui sont à portée de tous les points menacés, et qu'on ferait marcher dans ces circonstances, seraient réunis sur le point menacé, indépendamment des secours qu'offrirait le second et le troisième bans de la garde nationale des départemens voisins, qui accour raient dans le cas d'une attaque imminente.

"Je ne propose l'établissement d'aucune cavalerie; la gendarmerie seule, formant une force d'élite de 16,000 hommes, fournira toujours une réunion suffisante de cavalerie, contre les attaques que nous avons à prévenir.

"Cependant, tandis que cette institution mettra le territoire de l'empire à l'abri même de l'idée d'une attaque, tous les dépôts et 5es bataillons, n'ayant plus à s'occuper des garnisons ni de la défense du territoire, alimenteront l'armée avec bien plus d'activité et d'efficacité: cela équivaudra réellement à une augmentation de troupes de ligne. C'est cent mille Français de plus sous les drapeux de votre majesté. Mais ces hommes seront renouvelés tous les six ans par la conscription de l'armée. Cette augmentation n'en fera pas une dans les pertes, puisque ces troupes ne seront guères exposées qu'aux chances de mortalité ordinaire. C'est aussi un accroissement

de dépense de 48 millions, mais ce surcroît de dépense ne peut pas entrer en balance avec les immenses avantages qui en sont le résultat.

"Cette institution est éminemment conservatrice et nationale. Elle est utile et nécessaire. Les Français sont prêts à tous les sacrifices pour acquérir la liberté des mers; ils savent qu'ils doivent être armés tant que ce grand résultat ne sera pas rempli."

Après la lecture de ces rapports, MM. les conseillers d'état ont présenté le projet de sénatus consulte dont la teneur

suit.

Projet de sénatus consulte.

(Voyez ci-après, séance du 13.)

1

Ce projet de sénatus consulte est renvoyé à une commission spéciale, et le sénat s'ajourne au 13 de ce mois.

Séance du 13 Mars.

Le sénat se réunit à midi, sous la présidence de S, A. S. le prince archi-chancelier de l'empire.

M. le comte de Lacepede, au nom de la commission spéciale nommée dans la séance du 10, présente le rapport suivant sur le projet de senatus consulte:

Monseigneur,

Sénateurs,

"Votre commission spéciale a examiné avec toute l'attention que commandait l'importance du sujet, le projet de sénatus-consulte relatif à l'organisation de la garde nationale de l'empire, ainsi qu'à la levée de cent cohortes du premier ban de la garde nationale; et elle en comparé avec soin les diverses dispositions, avec les motifs qui vous ont été exposés. "Ce project se divise en deux titres.

"Le premier crée une de ces importantes institutions qui signaleront le plus illustre de règnes; le second met en moavement une partie de la force établie par le premier; l'un est le principe et l'autre la conséquence de l'application,

"Examinons, avant tout, les dispositions du premier."

"Il sépare en trois bans la garde nationale de l'empire; il indique les Français qui, d'après la différence de leur âge, doivent appartenir à chacun de ces trois bans; il règle les renouvellemens successifs de leurs diverses parties; ile détermine la la nature des services que la patrie et le souverain ont le droit d'en attendre.

"Et cependant qu'est-ce que la garde nationale de l'empire? La nation armée; et quelle nation que celle qui s'étend depuis les bords dela mer Baltique jusqué au-delà du Tibre, et dont l'antique renommée acquiert chaque jour un éclat nouveau, et

par ses heureuses et nouvelles associations, et par la gloire immortelle de celui qui la gouverne?

"Cette nation armée n'avait reçu de différentes lois successives que des organisations particuliéres; elle va recevoir d'une grande loi politique une organisation générale,

"Et quel grand changement va produire cette conception profoude de l'empereur! L'ordre s'établit à sa voix, parmi ce nombre immense de Français, que leur zèle et leur bravoure mêmes, non encore réglés par la prévoyance, auraient entraînés vers le désordre et la confusion; et ce mouvement admirable et régulier est le résultat de la haute saggesse de celui qui, combinant avec les fruits de son génie, les produits de l'expérience, porte sa vue sur les siècles à venir pour donner le sceau de la durée à tous les monumens qu'il élève,

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"Mais quel est le grand et premier effet de cette nouvelle institution?

"La sûreté de l'intérieur et la sécurité publique.

"Jusqu'à ce jour, on avait pourvu à la sûreté des empires, par des armées qui devenaient offensives et défensives, suivant les circonstances de la guerre et les hasards des succès.

"Mais la sécurité n'était ni entière ni durable. La crainte d'un revers l'affaiblissait; un mauvais succès pouvait l'anéantir; et quelle situation que celle d'un peuple dont les loisirs et les travaux pouvaient à chaque instant être troublés par J'anxiété et le découragement.

"Qu'on ouvre les fastes de l'histoire, et l'on verra combien de fois des gouvernement faibles n'out pu rassurer les peuples qu'en dévoilant imprudemment le secret du nombre de leurs troupes, de leurs dispositions militaires, de leurs arrangemens politiques, et se sont crus forcés de céder, par des distributions dangereuses et absurdes de leurs forces, à toutes les idées bi sarres que suggerait le besoin de la sécurité, réuni à de fausses nations sur les véritables élémens d'une bonne défense.

"Le projet du sénatus consulte qui vous est présenté, sénateurs, prévient pour toujours tous ces malheurs.

"Quand bien même toutes les armées actives dépasseraient nos frontiéres, et iraient faire éclater la foudre impériale à d'immenses distances, la vaste enceinte de l'empire présente rait de nombreux défenseurs que des défenseurs plus nombreux encore pourraient remplacer; et l'empire français considéré, si je puis parler ainsi, comme une immense citadelle placée au milieu du monde, montrerait sa garnison naturelle dans une garde nationale regulièrement organisée, et réunissant à la constance et à l'instruction des vieux guerriers, toute la vigueur d'une jeune armée.

"Voilà ce que le héros croit devoir faire pour rendre les frontières inviolables, pour tranquilliser les esprits les plus prompts à concevoir des alarmes, pour garrantir la sécurité publique de toutes les atteintes du faux zèle, de l'impéritie, ou d'une malveillance perfide

"Voici ce que fait le père de ses sujets, pour que ce grand bienfaits exige le moins de sacrifices.

"Les cohortes du premier ban, se renouvelant par sixième chaque année, les jeunes Français qui en feront partie connaîtront l'époque précise à laquelle, revenus sous le toit paternel, et rendus à leurs affections, à leur travaux, à leurs habitudes, ils jouiront du prix de leur dévouement.

"Parvenus à l'âge où l'ardeur est réunie à la force, ils trouveront dans leurs exercices militaires des jeux salutaires et des délassemens agréables, plutôt que des devoirs sévères et des occupations pénibles.

"La surveillance, la direction, l'administration de leurs cohortes, porteront l'empreinte de l'attention parternelle de l'empereur pour les braves auxquels il contiera la garde du terri toire de l'empire et de ses propriétés les plus précieuses.

66

"Ils ne seront étrangers à aucun des avantages dont jouissent les anciennes phalanges de Napoléon.

"Et la défense expresse que leur fait le sénatus consulte, de quitter les rivages, et de franchir les frontiers qu'ils doivent garder, sera pour leur courage un frein que ne pourra briser l'impétuosité française.

"Passons maintenant, sénateurs, à l'examen du second

titre.

"Vous avez entendu le ministre des relations extérieures, celui de la guerre, et les orateurs du conseil d'état, exposer les principes généreux de la politique franche, ferme et modérée de l'empereur.

"Le commerce européen doit être affranchi du joug honteux qu'on a voulu lui imposer.

"Ainsi le veut la nature.

"Ainsi le prescrivent les traités les plus solennels.

"Ainsi l'a réglé le célèbre traité d'Utrecht.

"Ainsi le commande impérieusement l'intérêt de l'état.

Déjà l'ennemi de l'indépendance du continent, éprouve dans son ile, une partie de ces calamités dont il a voulu inonder la terre,

"Relégué au milieu des mers, qu'il apprenne du malheur, à respecter la justice.

"Que repoussé de l'Europe, il trouve l'aigle française partout où il voudra tenter de jeter des braudons de discorde. "Il a juré une guerre éternelle;

"Qu'une puissance formidable rende vain cet attentat con. tre l'humanité.

"Que toutes les armées actives de l'empire, puissent se porter partout où les appelera le plus grand des héros.

"Que cent cohortes du premier ban da la garde nationale répondent à la patrie, de ses frontières, de ses rivages, de ses places fortes, de ses ports, de ses arsenaux.

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