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Je n'ai point distingué la conscription de cette année en contingent actif et en réserve, parce qu'il m'a paru que l'intention de V. M. était de ne faire les levées que progressivement et dans le courant de l'année.

A mesure que les nouveaux conscrits arrivent sous les drapeaux, un pareil nombre de vieux soldats devraient être renvoyés dans leurs foyers. Beaucoup sont déjà rentrés, et V. M. prendra conseil des circonstances de la guerre d'Espagne et de Portugal, pour m'autoriser à accorder plus ou moins de congés définitif.

La conscription est la base de la prospérité de la France; c'est elle qui, depuis tant d'années, a éloigné de notre territoire les fléaux de la guerre.

Lorsque V. M. aura conclu la paix maritime, et qu'elle. pourra licencier ses armées, il sera également nécessaire de lever chaque année, une partie de la conscription, afin de maintenir les forces de V. M. sur le pied qui convient à son .. empire; mais je n'estime pas qu'il faille alors plus du tiers de la conscription que je propose de lever aujourd'hui, ce qui formera tout au plus le neuvième des hommes susceptibles d'être appelés comme conscrits. On sent alors, combien sera allégée cette contribution, la première de celles que les Français doivent à la patrie. La milice, qui paraissait une institution modérée, mais qui était aggravée par une multitude d'exemptians à beaucoup pesé sur la nation lors des guerres de Louis XIV, et même des guerres de Flandres et de Bohême. La conscription de 1811 occasionnera des dépenses extraordinaires pour la première mise d'habillement et d'équipement, pour les frais de route, &c. &c. d'un nombre d'hommes aussi considérable. Je les ai portées au budjet de l'année, et elles sont comprises dans les dispositions générales que V. M. a faites pour les finances de cet exercice, sans que cette augmentation de dépenses nécessite aucune augmentation d'impo sitions. Mon ministère se ressent de la situation prospère des finances de V. M. A peine quelques objets contentieux, et qui méritent examen, restent-ils à acquitter; aucune partie du service ne languit, et toutes mes dépenses, jadis si arriérées, sont à jour.

Je suis avec respect,

Sire,

De votre majesté impériale et royale,

Le très-humble serviteur et très-fidèle sujet,
Le ministre de la guerre,

(Signé) Duc de FELTRE.

Après cette lecture, M. comte Regnaud de Saint-Jean d'Angely porte la parole en ces termes:

Monseigneur,

Sénateurs,

Quand S. M. appella sous ses aigles les conscriptions des

années 1809 et 1810 avant l'époque ordinaire, elle annonça la victoire et la paix comme le prix du dévoament de ses nouveaux soldats.

L'empereur a tenu sa promesse; il a vaincu et pacifié, sans qu'il ait été besoin de dévancer encore le moment où les Français, soumis à la eonscription, doivent acquitter leur dette envers la patrie.

Le tems a amené le retour du terme périodique où l'appel doit avoir lieu.

Au commencement de 1811, la conscription de cette année doit se préparer à entrer successivement dans les cadres, pour y remplacer ou les braves atteints dans les batailles, ou les vétérans qui vont au sein de leurs familles, porter leur gloire et chercher le repos.

Le nombre levé sur les conscriptions antérieures a été de 120 mille hommes, mais l'appel ne vous en a été proposé que successivement et avec la distinction de destination immédiate et de réserve.

Bien que la totalité d'une levée, égale à celle des conscriptions précédentes, ne soit pas actuellement nécessaire, S. M. a pensé qu'il était plus convenable de mettre à la disposition de son ministre de la guerre le nombre des conscrits employés les années précédentes.

Ils ne seront ensuite appelés que successivement, en vertu des décrets de S. M. et autant que le besoiu se fera sentir.

Aucune augmentation de revenu ne sera nécessaire, et les fonds assignés par le budjet de 1810 pour cet exercice, ou mis à la disposition pour celui de 1811, suffiront aux dépenses de ces deux années et de tous les départemens du ministère.

Pour se maintenir dans une attitude honorable, pour se montrer protectrice ou menaçante aux yeux de ces amis ou de ses ennemis, la France n'a donc besoin, Messieurs, d'aucun effort nouveau, d'un sacrifice extraordinaire.

Car ce n'est pas ainsi qu'il faut jamais appeler la levée de la conscription, tribut personnel, garant de l'indépendance, de la puissance et de la gloire de l'empire, et qui doit, en tems de paix comme eu tems de guerre, être acquittée chaque année dans une proportion plus ou moins forte.

Et le minimum de cette proportion doit être toujours, même en paix, en raison composée, 1o, du résultat de la mor talité ordinaire; 2o, du nombre de congés délivrés.

Ce nombre de congés serait alors du cinquième de l'armée, s'il n'arrivait pas qu'un grand nombre de Français préfèrent la vie militaire, ses chances glorieuses et ses honorables hasards, à un repos ou à un travail dont ils sont désacoutumés.

Ces braves acquittent ainsi volontairement et pour un tems qui embrasse souvent la durée de leur vie, la dette d'une partie de leurs concitoyens, en même tems qu'ils forment dans tous les corps de l'armée, cette réserve inépuisable, ce fonds de vieux

guerriers, à l'exemple desquels se forment les nouvelles levées garantissent la victoire.

En songeant à l'étendue de leur dévouement à la durée de leurs services, quel Français peut hésiter à s'y associer, quand il entend la voix de la patrie qui l'appelle, de la loi qui lui com mande, et de la gloire qui l'attend.

Projet de sénatus-consulte.

Art. 1er. 120,000 hommes de la conscription de 1811, sont mis à la disposition du ministre de la guerre pour le recrutement de l'armée.

2. Ils seront pris parmi les Français qui sont nés du Jèr Jauvier, 1791, au 31 Décembre de la même année.

3. Les appels et leurs époques seront déterminés par des régleniens d'administration publique.

6. Le présent sénatus-consulte sera transmis par nn message, à S. M. 1. et R.

SÉNAT CONSERVATEUR.

Séance du sénat du 13 Décembre.

Le sénat se réunit à trois heures après-midi, sous la présidence de S. A. S. le prince archi-chancelier de l'empire.

M. le comte de Sémonville, au nom d'une commission spéciale, composée, outre le rapporteur, de MM. les comtes Garnier, Colchen, Lapparent, prononce le dicours suivant sur le projet du sénatus-consulte, portant réunion de la Hollande, des villes anséatiques et du Simplon.

Monseigneur, sénateurs,

La commission à laquelle vous avez renvoyé le sénatus-oonsulte relatif à la réunion de la Hollande et des villes auséatiques au territoire de l'empire français, m'a chargé de vous exposer les motifs qui réclament l'adoption de mesures d'un si grand intérêt.

Dans le cours du travail de la commission, une observation principale s'est emparée, de notre pensée; nous n'avons cessé de nous étonner que des événements commandés par tant de circonstances diverses eussent été différés aussi long-temps.

En effet, sénateurs, dès l'époque où nos armées victorieuses arrachèrent la Batavie à la triple oppression des puissances coalisées, elle perdit l'existence qu'avait signalée Frédéric avec tant d'énergie et de vérité; elle cessa d'être une chaloupe remorquée tour-à-tour par les deux grands vaisseaux de guerre, l'Angleterre et la France; son équipage, pour suivre cette comparaison, était passé à notre bord; le Brabant faisait partie de notre territoire, et la Hollande était conquise sans retour. I ne s'est pas écoulé, depuis, un seul jour où sa réunion à l'empire français n'eût été un bienfait, inappréciable, puisqu'il PPP

TOME IV.

lui eût épargné une longue suite de privations, de pertes et de malheurs.

Mais tel est l'empire des habitudes et de l'amour-propre sur les peuples comme sur les individus: vainement les change. ments qui frappent leurs regards dans tout ce qui les entoure, les avertissent de leur propre décadence; les uns et les autres repoussent la conviction secrète qui les poursuit. Uo senti ment aveugle les détourne des leçons de l'expérience, et ils rendent leur fin plus funeste par les efforts qu'ils ont tentés pour s'y soustraire.

Nos drapeaux flottaient sur tout le territoire batave; les partisans de l'Angleterre fuyaient sur les vaisseaux indignement vendus par eux à l'ennemi. L'incorporation à la France, l'association des Bataves avec leurs frères de la Belgique devait être le premier de leurs vœux, le plus pressant de leurs besoins. La dette publique qui n'avait pas encore pris l'immense accroissement auquel elle est ensuite parvenue, pouvait être sauvée toute entière du naufrage; d'immenses débouchés de commerce étaient ouverts avec la France; des charges énormes n'auraient pas pesé durant quinze ans sur ces intéressantes contrées, et pourquoi ? pour obtenir le stérile honneur d'un gouvernement prétendu national, comme s'il existait une nation là où il n'y a point d'indépendance, d'armée, de territoire sus❤ ceptible de défense.

Les temps sont passés où les conceptions de quelques hommes d'état avaient accrédité dans l'opinion le systême des balances, des garanties, des contre-poids, de l'équilibre politique. Pompeuses illusions des cabinets du second ordre! Espérances de la faiblesse qui toutes s'évanouissent devant cette puissance régulatrice de la durée et des rapports respectifs des empires, la nécessité.

Les gouvernements successifs de la Hollande n'auraient-ils pas obéi mille fois aux agitations intérieures, aux plus légers efforts de l'Angleterre, si la force de l'Angleterre, si la force de l'empire français n'eût agi constamment sur eux pour les maintenir ou pour les défendre?

Et lorsque l'Angleterre faisait à la France l'injure de la croire absente parce que l'empereur méditait la victoire et la paix sur les rives du Danube, est-ce la Hollande qui a pu repousser la flotte et les légions britanniques assemblées pour recom mencer l'oppression et la honte du Helder?

Nou, sans doute, des vérités de cette évidence n'ont besoin ni de preuves ni d'exemples. La Hollande, comme les villes anséatiques, resterait livrée à des incertitudes, des dangers, des révolutions de tout genre, si le génie qui dispose des destinées de l'Europe, ne la couvrait de son invincible égide; l'empereur a résolu dans sa sagesse de les incorporer à l'immense famille dont il est le chef.

En adoptant cette grande détermination, peut-être obéit-il

lui-même plus qu'on ne se permettrait de le penser, à la loi de la nécessité.

S'il commande la gloire des temps présents, les événements qui ont précédé sa venue commandent ceux de son règne; succession non interrompue de causes et d'effets qui composent l'histoire des nations et la destinée de leurs chefs. Celle de Napoléon était de régner et de vaincre: la victoire est à lui, la guerre est à son siècle.

Parmi ceux qui appartiennent à notre histoire, il n'en est pas un seul durant lequel la jalouse rivalité de l'Angleterre n'ait été la cause directe de nos troubles, de nos malheurs, de nos dangers, de notre énergie, de nos combats et de nos con quêtes.

Dans l'âge de la féodalité, l'Angleterre divisait nos princes, soudoyait nos vassaux, ravageait nos campagnes; elle avait la préscience que le trône de nos suzerains serait un jour le premier de l'univers; rejetée dans ses iles, partout elle a cherché des vengeurs de sa querelle; l'Allemagne, l'Italie, les Espagnes comptent peu de cités où l'on n'ait combattu depuis trois ans pour la cause de l'Angleterre.

A l'entendre, nos rois prétendaient à la monarchie universelle lors du siége de la Rochelle, des travaux de Toulon, de la reddition de Courtray. Les règnes les plus pusillanimes n'ont pu imposer silence à ses accusations, ni assoupir sa haine. A ses yeux le peuple français était toujours le même; il ne lui manquait que des circonstances et un chef pour reprendre le nom de grand.

Une subversion totale était nécessaire au projet de l'Angleterre; elle voulait une révolution sanglante, parce que les siennes avaient été cruelles, et qu'au milieu de nos discordes elle frappait du même glaive et notre industrie et nos institutions, et les vainqueurs et les vaincas, et le peuple et la dynastie. L'Europe entière est appelée à cette œuvre de destruction: partout repoussée, partout menacée, tremblante pour elle-même, elle s'arrête en présence de l'incendie allumé par les brandons du cabinet britannique. Enfin, après dix ans d'une lutte glorieuse pour la France, le génie le plus extraordinaire que la nature ait formé dans sa magnificence, rassemble dans ses mains triomphantes les débris épars du sceptre de Charlemagne.

Les outrages de la France sout vengés; des frontières ressérrées par la modération et tracées par la nature, sont les 1rophées élevés au bonheur de ses peuples, à la tranquillité de l'Europe.

L'empereur propose la paix. Vain espoir d'une grande âme; trois fois le cri d'alarme se fait entendre de toutes parts; trois fois la victoire n'amène que des victoires; et la paix toujours offerte, toujours demandée, et comme poursuivie, recule devant nos aigles jusqu'aux extrémités de l'Europe.

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