Page images
PDF
EPUB

No. XXV.

Lettre de l'empereur au prince des Asturies, de Bayonne, le 16 Avril, 1808.

Mon frère, j'ai reçu la lettre de V. A. R.; elle doit avoir acquis la preuve dans les papiers qu'elle a ens du roi son père, de l'intérêt que je lui ai toujours porté. Elle me permettra dans la circonstance actuelle de lui parler avec franchise et loyauté.

En arrivant à Madrid, j'espérais porter mon illustre ami à quelques réformes nécessaires dans ses états, et à donner quelque satisfaction à l'opinion publique. Le renvoi du prince de la Paix me paraissait nécessaire pour son bonheur et celui de ses sujets. Les affaires du Nord ont rétardé mon voyage. Les événemens d'Aranjuez ont eu lieu. Je ne suis point juge de ce qui s'est passé, et de la conduite du prince de la Paix; mais ce que je sais bien, c'est qu'il est dangereux pour les rois d'accoutumer les peuples à répandre du sang et à se faire justice euxmêmes. Je prie Dieu que V. A. R. n'en fasse pas elle-même un jour l'expérience. Il n'est pas de l'intérêt de l'Espagne de faire du mal à un prince qui a épousé une princesse du sang royal, et qui a si long-tems régi le royaume. Il n'a plus de tranquillité si jamais elle est malheureuse. Les peuples se vengent volontiers des hommages qu'ils nous rendent. Comment d'ailleurs pourrait-on faire le procès au prince de la Paix, sans le faire à la reine, et au roi votre père? Ce procès, alimentera les haines et les passions factieuses: le résultat en sera funeste pour votre couronne. V. A. R. n'y a de droits que ceux que lui a transmis sa mère. Si le procès la deshonore, V. A. R. déchire par là ses droits. Qu'elle ferme l'oreille à des conseils faibles et perfides. Elle n'a pas le droit de juger le prince de la Paix. Ses crimes, si on lui en reproche, se perdent dans les droits du trône. J'ai souvent manifesté le désir que le prince de la Paix fût éloigné des affaires : l'amitié du roi Charles m'a porté souvent à me taire et à détourner les yeux des faiblesses de son attachement. Misérables hommes que nous sommes faiblesse et erreur, c'est notre dévise. Mais tout rela peut se concilier: que le prince de la Paix soit exilé d'Espagne, et je lui offre un réfuge en France. Quant à l'abdication de Charles IV, elle a eu lieu dans un moment où mes armées couvraient les Espagnes; et aux yeux de l'Europe et de la postérité, je paraîtrais n'avoir envoyé tant de troupes que pour précipiter du trône mon allié et mon ami. Comme souverain voisin, il m'est permis de vouloir connaître, avant de reconnaître l'abdication. Je le dis à V. A. R., àux Espagnols, au monde entier; si l'abdication du roi Charles est de pur mouvement, s'il n'y a pas été forcé par l'insurrection et l'émeute d'Aranjuez, je ne fais aucune difficulté de l'admettre, Ꭰ Ꭰ

TOME IV.

et je reconnais votre altesse royal comme roi d'Espagne. désire donc de canser avec elle sur cet objet.

Je

La circonspection que je porte depuis un mois dans ces affaires, doit lui être garant de l'appui qu'elle trouvera en mor, si à son tour, des factions "de quelque nature qu'elles soient, venaient à l'inquiéter sur son trône. Quand le roi Charles me fit part de l'événement du mois d'Octobre dernier, j'en fus douloureusement affecté; et je pense contribuer, par les insinuations que j'ai faites, à la bonne issue de l'affaire de l'Escurial. Votre altesse royale avait bien des torts; je n'en veux pour preuve que la lettre qu'elle m'a écrite, et que j'ai constamment voulu ignorer, Roi à son tour, elle saura combien les droits du trône sont sacrés. Toute démarche près d'un souverain étranger de la part d'un prince héréditaire, est criminelle. V. A. R. doit se défier des écarts, des émotions populaires. On pourra commettre quelques meurtres sur mes soldats isolés; mais la ruine de l'Espagne en serait le résultat. J'ai déjà vu avec peine qu'à Madrid on ait répanda des lettres du capitaine-général de la Catalogne, et fait tout ce qui pouvait donner du mouvement aux têtes. V. A. R. connaît ma pensée toute entière, Elle voit que je flotte entre diverses idées qui ont besoin d'être fixées.

Elle peut être certaine que dans tous les cas je me comporterai avec elle comme envers le roi son père. Qu'elle croie à mon désir de tout concilier et de trouver des occasions de lui donner des preuves de mon affection et de ma parfaite estime. Sur ce, je prie Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa saiute et digne garde.

Bayonne, le 16 Avril 1808.

(Signé)

No. XXVI.

NAPOLÉON.

Lettre du prince Ferdinand à l'empereur.

que

Monsieur mon frère, c'est avec la plus grande satisfaction que je viens de recevoir la lettre que V. M. I. et R. a bien voulu me faire remettre par le général Savary en date du 16. La confiance que V. M. m'inspire, et le désir que j'ai de la convaincre l'abdication du roi mon père a été faite en ma faveur de pur mouvement, m'ont décidé à me porter iminédiatement à Bayonne. Je me propose donc demain à partir pour aller coucher à Yrun, et après demain je me rendrai à la maison de campagne de Marrac, où V. M. I. et R. se trouve maintenant.

Je suis avec les sentimens de la plus haute estime, et l'attachement le plus sincère.

De V. M. I. et R.

Le bon frère,

(Signé)

FERDINAND.

Vittoria, le 18 Avril 1808.

No. XXVIL

Lettre du prince Ferdinand à l'empereur.

Monsieur mon frère, en conséquence de ce que j'ai eu l'honneur d'écrire à V. M. I. et R. en date d'hier, je viens d'arriver à Yrun, et je me propose de sortir à huit heures du matin demain, pour avoir l'avantage de faire la connaissance de V. M. I. et R. à la maison de Marrac: ce que j'ambitionne depuis long-tems, si toutefois elle veut bien me le permettre : en attendant, je suis avec les sentimens de la plus haute estime et considération.

[blocks in formation]

Lettre du roi Charles IV, à l'empereur..

Monsieur mon frère, accablé de douleurs rhumatiques qui m'ont pris aux mains et aux genoux, je serais au comble de l'infortune, si l'espérance de voir en peu de jours V. M. I. ne soulagerait tous mes maux. Je ne puis tenir ma plume; et je demande mille pardons à V. M. I. si l'empressement que je me fais un doux plaisir de mettre à me rappeler à ses généreuses bontés, me force à me servir de la main d'un secrétaire pour écrire à V. M. I. et R.

La reine écrit aussi à V. M. I, et B. et je la prie de vouloir bien agréer nos communs sentimens d'amour et confiance en celle. C'est dans sa protection que je trouve un baume aux plaies dont mon cœur est navré; et je me flatte d'avance que le moment de me voir entre les bras de V. M. I. sera un des plus heureux de ma vie, comme aussi le premier qui, depuis ce qui s'est passé, luira d'une pure clarté sur mon existence. Puissent mes vœux être accomplis!

Sur quoi, je prie Dien, Monsieur mon frère, qu'il ait V. M. I. dans sa sainte et digue garde.

Monsieur mon frère, de V. M. I. et R. le très-fidèle ami et allié.

Aranda, le 25 Avril 1808.

(Signé)

No. XXIX.

Lettre de la reine Louise à l'empereur.

CHARLES.

Monsieur mon frère,-Je me serais empressée d'écrire à V. M. I. et R. si la mauvaise position dans laquelle nous avons entrepris notre voyage ne s'y aurait pas opposé. Nous arrivons dans ce moment à Aranda. Le roi est dans un état terrible, les douleurs reumatiques l'ayant pris fortement aux

mains et aux genoux; mais malgré ça nous brûlons tant l'heureux moment de nous jeter entre les bras de V. M. I. et R. dont la grandeur et la générosité est au-dessus des expressions de notre reconnaissance.

Qu'il nous tarde déjà de nous voir arrivés à Bayonne; mais malheureusement les dispositions ne répondent à nos ardens désirs; le voyage de mon fils nous ayant laissés sans relais ni rien de tout ce que nous aurions un besoin urgent.

Puisse le ciel, Monsieur mon frère, rendre le moment de notre entrevue aussi intéressant pour V. M. I. et R. qu'il le sera pour ses dignes et plus fidèles amis. Nous sommes rassurés: il n'y a rien au monde qui puisse être comparé à l'extrême et douce confiance qui nous porte à mettre notre sort sous la toute-puissante protection et sauve-garde de V. M. I. et R. dont l'immuable équité est aussi grande que critique, la situation de son plus fidèle ami et allié, depuis l'époque malheureuse des événemens inouïs d'Aranjuez. Plût à Dieu que les troupes de V. M. I. et R. fussent déjà arrivées; elles auraient protégé la légitimité des droits comme son grand capitaine daigne protéger; et le ciel nous réservait ces fléaux, et ses coups nous ont foudroyés manque d'appuis et de moyens pour nous soutenir. J'ignore le jour que nous arriverons à Bayonne, parce que si l'indisposition du roi le permet, nous avons la plus grande envie de doubler nos journées. Ce que je puis assurer à V. M. I. et R. c'est que nous volerions à ses bras, tant nous avons d'impatience d'y verser les doux liens d alliance et d'amitié.

Sur ce je prie Dieu qu'il ait V. M. I. et R. en sa sainte et digne garde.

Monsieur mon frère,

De V. M. I. et R. la très-affectionnée sœur.

Aranda, 25 Avril 1808.

(Sigué)

LOUISE.

TROISIÈME PARTIE,

Pièces relatives aux événemens qui se sont passés pendant le séjour du roi Charles et des princes à Bayonne.

No. I.

Mon fils-Les conseils perfides des hommes qui vous environnent, ont placé l'Espagne dans une situation critique. Elle ne peut plus être sauvée que par l'empereur.

Depuis la paix de Bâle, j'ai senti que le premier intérêt de mes peuples était de vivre en bonne intelligence avec la France. Il n'y a pas de sacrifice que je n'aie jugé devoir faire pour arriver à ce but important; même quand la France était en proie à des gouvernemens éphémères. J'ai fait taire mes inclinations particulières pour n'écouter que la politique et le bien de mes sujets. Lorsque l'empereur des Français eut ré

tabli l'ordre en France de grandes craintes se dissipèrent, et j'eus de nouvelles raisous de rester fidèle à mon systême d'alliance.

Lorsque l'Angleterre déclara la guerre à la France, j'eus le bonheur de rester neutre, et de conserver à mes peuples les bienfaits de la paix, l'Angleterre, depuis, saisit quatre de mes frégates, et me fit la guerre avant inême de me l'avoir déclarée. Il me fallut repousser la force par la force; les malheurs de la guerre atteignirent mes sujets.

L'Espagne, environnée de côtes, devant une grande partie de sa prospérité à ses possessions d'outre-mer, souffrit de la guerre plus qu'autre état, La cessation du commerce et les calamités attachées à cet état de choses, se firent sentir à mes sujets. Plusieurs furent assez injustes pour les attribuer à

moi et à mes ministres.

J'eus la consolation du moins d'être assuré du côte de la terre et de n'avoir aucune inquiétude sur l'intégrité de mes provinces, que seul de tous les rois de l'Europe j'avois maintenue au milieu des orages de ces dernier tems. Cette tranquillité, j'en jouirais encore sans les conseils qui vous ont éloigné du droit chemin. Vous vous êtes laissé aller trop facilement à la haine que votre première femme portait à la France, et bientôt vous avez partagé ses injustes ressentimens, contre mes ministres, contre votre mère, contre moi-même.

J'ai dû me ressouvenir de mes droits de père et de roi je vous fis arrêter: je trouvai dans vos papiers la conviction de votre culpabilité; mais sur la fin de ma carrière, en proie à la douleur de voir mon fils périr sur l'échaufaud, je fus sensible aux larmes de votre mère, et je vous pardonnai,

Cependant, mes sujets étaient agités par les rapports men'songers de la faction, à la tête de laquelle vous vous étiez placé. Dis ce moment, je perdis la tranquillité de ma vie, et aux maux de mes sujets, je dus joindre ceux que me causaient les discussions de ma propre famille.

On calomnia même mes ministres auprès de l'empereur des Français, qui, croyant voir les Espagues échapper à son alliance, et les esprits agités même dans ma famille, couvrit, sous différens prétextes, mies états de ses troupes. Tant qu'elles restèrent sur la rive droite de l'Ebre et parurent destinées à mainteuir la communication avec le Portugal, je dus espérer qu'il reviendrait aux sentimens d'estime et d'amitié qu'il m'avait toujours montrés. Quand j'appris que ses troupes s'avançaient sur ma capitale, je sentis la nécessité de réunir mon armée autour de moi, pour me présenter à mou auguste allié dans l'attitude qui convenait au roi des Espagues. J'aurais éclairci ses doutes et concilié mes intérêts. J'ordonnai à mes troupes de quitter le Portugal et Madrid et je les réunis de differens points de la monarchie, non pour quitter mes sujets, mais pour soutenir dignement la gloire du trône. Ma longue

« PreviousContinue »