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des législatures subsequentes s'autorisassent de cette faute-lá même, y trouvassent une sorte d'invitation d'aller plus loin, et portassent le coup mortel à la loi ?

» Je sais bien, messieurs, que beaucoup d'excellens esprits ne sont pas sans inquiétude sur le succès de notre système administratif, et qu'ainsi il ne faut pas inconsidérément donner à la totalité de ce système l'immutabilité constitutionnelle; mais je ne prétends pas non plus qu'il doive être placé en entier dans la Constitution ; je pense qu'il ne faut pas y placer l'organisation des corps administratifs, leur nombre, leurs rapports; je pense même qu'il ne faut pas régler constitutionnellement la manière dont le roi pourra exercer son autorité près de ces corps : ce que je demande seulement c'est que la répartition des contributions, la conservation des revenus publics soient confiées par la Constitution à des citoyens élus par le peuple; et pour cet effet il faut commencer par changer les articles 2, 3 et 4 du titre III (1), qui renferment des expressions absolument contraires aux principes.

» En conséquence voici comment je rédigerais les articles qui font seuls l'objet de la délibération actuelle, me réservant de proposer ceux qui en seront les conséquences lorsque l'ordre du jour amenera la discussion du système administratif :

» Art. 2. La nation ne peut exercer par elle-même sa souveraineté ; elle institue pour cet effet des pouvoirs représentatifs et des pouvoirs commis, qui seront pour la plus grande partie exercés par des citoyens nommés par le peuple; ce qui constitue le gouvernement représentatif.

» Art. 3. Le pouvoir législatif est essentiellement représentatif ; il est délégué à une Assemblée nationale composée de représentans temporaires librement élus par le peuple, pour être exercé par elle avec la sanction du roi.

» Art. 4. Le pouvoir exécutif est essentiellement commis... ( Murmures.)

» A moins qu'on veuille décider qu'on ne pourra parler de la royauté qu'à genoux, je prie qu'on me laisse continuer.

(1) Il est inutile de rapprocher ces trois articles de ceux que M. Rœderer propose d'y substituer; leur rédaction selon le projet ayant été confirmée par l'Assemblée, on peut les comparer dans la Constitution.

» Art. 4. Le pouvoir exécutif est essentiellement commis; il doit être exercé sous l'autorité du roi, qui en est le chef suprême, par des ministres et administrateurs responsables. » (1)

Discours de M. Robespierre sur la délégation de la souveraineté. (Méme séance.)

« Il y a dans l'opinion de M. Ræderer beaucoup de principes vrais, et auxquels il serait difficile de répliquer d'après vos principes... ( Ah, ah, ah!) Cependant ce n'est pas sur cet objet principalement que je me propose d'insister; je crois qu'il y a dans le titre soumis à votre délibération beaucoup

(1) Note de M. Roederer (août 1791). « L'Assemblée nationale n'a adopté aucun de mes amendemens; je fais néanmoins imprimer mon opinion, parce qu'elle renferme des observations qui pourront être utiles lorsqu'il s'agira du système administratif, et qu'elle a été prononcée dans un moment où il y avait peu de députés à l'Assemblée.

» Plusieurs motifs différens ont été exposés pour faire nommer le roi représentant de la nation : je ne sais par lequel l'Assemblée nationale s'est décidée ; je ne sais pas non plus si les membres de la majorité se sont tous déterminés par le même; mais du moins j'ai lieu de penser que personne n'a donné son assentiment aux trois considérations que je vais rapporter. On a prétendu prouver que le roi était représentant 1o parce qu'il represente par son éclat la dignité nationale; 2o parce qu'il représente le peuple français en exerçant le droit de sanction; 3° parce qu'il représente la nation dans ses rapports avec les nations étrangères.

» Je ne dirai qu'un mot sur le premier de ces motifs, qui est trop ridicule pour mériter une réponse sérieuse; il consiste à confondre le caractère auguste de la représentation nationale avec le faste domestique du premier fonctionnaire public, avec la représentation des palais, des carrosses et du grand couvert.

» Le second motif, sans être aussi ridicule, n'a pas plus de vérité. Le droit de sanction, comme je l'ai prouvé, n'est point une part dans le pouvoir législatif ; c'est un simple droit d'appel au peuple, remis au roi comme le reste du pouvoir exécutif suprême. Si c'était une part du pouvoir législatif la souveraineté du peuple serait réellement aliénée, car le pouvoir législatif est la délégation de l'exercice de la souveraineté ; done si une parcelle de ce pouvoir était déléguée héréditairement et à perpétuité au roi des Français il y aurait aliénation de la souveraineté.

» Je passe à la troisième proposition, que le roi représente la nation. dans ses rapports extérieurs. Cette proposition est celle qui me parait avoir fait le plus de fortune dans l'Assemblée; voici le principe sur

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d'expressions équivoques et de mots qui altèrent le véritable sens et l'esprit de votre Constitution : c'est pour rectifier ces mots et pour rendre d'une manière claire les principes de votre Constitution que je vous supplie d'écouter avec patience quelques principes dont le développement ne sera pas long.

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Je commence par le premier article du projet

:

« La

» souveraineté est une, indivisible, et appartient à la nation ; aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice. » J'ajoute que la souveraineté est inaliénable. Il est dit ensuite que la nation ne peut exercer ses pouvoirs que par délégation... Les pouvoirs doivent être bien distingués des fonctions : les pouvoirs ne peuvent être ni aliénés ni délégués. Si l'on pouvait déléguer les pouvoirs en détail il s'ensuivrait que la souveraineté

lequel on l'a mise en avant. Le représentant, a-t-on dit, est celui qui est chargé de vouloir au nom du peuple; le simple délégué est celui qui est chargé d'agir: le roi, comme le chef du pouvoir exécutif, est simple délégué, parce que dans l'exercice de ce pouvoir il n'est chargé que d'agir; mais il est représentant de la nation dans ses relations extérieu res, parce que là il est chargé de vouloir. Je réponds à cette doctrine que rien n'est plus vicieux que cette définition du caractère représentatif et de la simple délégation; on peut être représentant pour agir, et ne pas l'être pour émettre un vœu : le contraire est également possible. Lorsqu'une législature examine un compte des finances publiques, l'apure ou le censure, elle agit, elle ne veut pas; elle ne fait pas une loi. A quel titre agit-elle? Direz-vous que ce n'est pas comme corps représentant, mais seulement comme corps délégué? Si le corps des ministres était élu par le peuple, si le roi était électif, ne diriez-vous pas qu'il est représentant, quand même il n'aurait pas le droit de négocier avec les nations étrangères, et qu'il serait simplement pouvoir exécutif ou actif, chargé de faire et non de vouloir ? En portant dans la théorie que je relève là lumière de l'analise on y découvrirait une foulé d'absurdités; mais j'adopte pour un moment la distinction du vouloir et du faire comme celle des vrais caractères de la représentation, et je dis qu'elle n'est útile qu'à mon opinion; car le pouvoir donné au roi relativement aux puissances étrangères n'est pas une faculté de vouloir, mais la faculté de faire ce que la nation a voulu et veut en vertu de la Constitution même, c'est à dire la guerre quand la nation a résolu de la déclarer, et ensuite la paix quand il y a guerre, et la paix encore quand il y a menace de guerre, et encore et toujours la paix quand le roi, malgré la législature, veut personnellement la guerre, et que ses ministres la veulent avec lui, et avec ses ministres les intrigans de la législature.

pourrait être déléguée, puisque ces pouvoirs ne sont autre chose que les diverses parties essentielles et constitutives de la souveraineté ; et alors remarquez que contre vos propres intentions vous décréteriez que la nation a aliéné sa souveraineté; remarquez bien surtout que la délégation proposée par les comités est une délégation perpétuelle, et que les comités ne laissent à la nation aucun moyen constitutionnel d'exprimer une seule fois sa volonté sur ce que ses mandataires et ses délégués auront fait en son nom. Il n'est pas même question de convention dans tout le projet ; de manière que la délégation des trois pouvoirs constitutifs serait, d'après le projet des comités, l'aliénation de la souveraineté ellemême. J'observe en particulier que rien n'est plus contraire aux droits de la nation que l'article 3, qui concerne le pouvoir législatif. (Lisez cet article 3 dans la Constitution, où il est conforme au projet.)

>> Permettez-moi de vous citer ici l'autorité d'un homme dont vous adoptez les principes, puisque vous lui avez décerné une statue à cause de ces principes-là et pour le livre que je vais citer. Jean-Jacques Rousseau a dit que le pouvoir législatif constituait l'essence de la souveraineté, parce qu'il était la volonté générale, qui est la source de tous les pouvoirs délégués; et c'est dans ce sens que Rousseau a dit que lorsqu'une nation déléguait ses pouvoirs à ses représentans cette nation n'était plus libre, et qu'elle n'existait plus. Et remarquez comment on vous fait déléguer le pouvoir législatif; à qui? Non pas à des représentans élus périodiquement et à de courts intervalles, mais à un fonctionnaire public héréditaire, au roi! D'après l'article des comités le roi partage véritablement le pouvoir législatif, et j'observe qu'il a dans le pouvoir législatif une portion plus grande que celle des représentans de la nation, puisque sa volonté peut seule paralyser pendant quatre ans la volonté de deux législatures. Votre Constitution, vos premiers décrets ne portaient pas, et vous n'avez pas entendu que le roi faisait partie du pouvoir législatif. Le veto suspensif accordé au roi ne fut jamais regardé que comme un moyen de prévenir les funestes effets des délibérations précipitées du

corps législatif, et ne fut considéré que comme un appel au peuple; mais il a toujours été reconnu que l'exercice du pouvoir législatif résidait essentiellement et uniquement dans l'Assemblée nationale. Le roi ne fut jamais regardé comme partie intégrante du pouvoir législatif, et l'on ne peut supposer ceci dans la rédaction des comités sans anéantir les premiers principes de la Constitution.

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Qu'il me soit permis de lier cette idée aux principes développés par M. Roederer.

» M. Ræderer vous a dit une vérité qui n'a pas même besoin de preuve; c'est que le roi n'est pas le représentant de la nation, et que l'idée de représentant suppose nécessairement un choix par le peuple; et vous avez déclaré la couronne héréditaire : le roi n'est donc pas représentant du peuple; le hasard seul vous le donne, et non votre choix. M. Roederer vous a dit avec raison qu'il ne fallait pas donner au roi seul cette prérogative, ou qu'il fallait la donner à tous les fonctionnaires publics. Si l'on entend par représentant celui qui exerce une fonction publique au nom de la nation, si le titre de représentant a quelque chose de relatif à la nomination du peuple, certes le roi n'a pas ce caractère, ou les autres ne l'ont pas. Il est évident qu'on ne peut lui appliquer la qualité de représentant; mais ce qu'il est important de remarquer c'est la conséquence immédiate de cette idée de représentant; pourquoi veut-on investir le roi du titre de représentant héréditaire de la nation? Voilà, messieurs, une partie des atteintes que porte à la Constitution la rédaction des comités.

» Il est dit dans deux articles de la Constitution : « Aucune section du peuple ne peut s'attribuer l'exercice de la » souveraineté. » J'adopté bien le véritable sens qu'on veut exprimer par ces mots, mais je dis qu'il faut éclaircir les mots équivoques. On ne peut pas dire d'une manière absolue et illimitée qu'aucune section du peuple ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté. Il est bien vrai qu'il sera établi un ordre pour la souveraineté; il est bien vrai encore qu'aucune section du peuple en aucun temps ne pourra prétendre qu'elle exerce les droits du peuple tout entier ;

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