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tion par une erreur de principe. Le droit de sanction n'est nullement une portion du pouvoir législatif; ce n'est qu'un droit d'appel à la nation d'un acte du corps législatif : ce droit est si peu une portion du pouvoir législatif, que malgré le refus de la sanction le décret devient loi après deux législatures persévérantes. Le droit d'appel à la nation d'un décret du corps législatif ne donne pas au roi plus de part dans le pouvoir législatif que le droit d'appel d'un commissaire du roi sur un jugement de première instance ne donne à ce commissaire le pouvoir judiciaire; ainsi l'on ne peut fonder sur le caractère de colégislateur, que n'a pas le roi, la nécessité de lui donner un titre correspondant à ce caractère.

» S'il est clair qu'il n'y a point de représentation sans élection, il est clair aussi que tout citoyen élu est représentant de celui qui l'a élu, pour le temps et pour la chose qui est l'objet de l'élection ; et c'est sur cette vérité évidente que j'établis ma seconde proposition, savoir, que les administrateurs sont représentans.

» Eh! si les administrateurs comme les juges ne l'étaient pas, à quel titre notre Constitution serait-elle appelée représentative? Pourquoi dirait-on partout et sans cesse que notre Constitution est une création toute nouvelle, qu'elle n'a de modèle nulle part?

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» Si les membres du corps législatif, et même le roi si l'on veut, étaient seuls représentans, notre Constitution ne serait qu'une simple monarchie, où le peuple exercerait la souveraineté par des représentans, et où l'exécution de ses lois serait commise à un seul homme il ne peut pas exister de monarchie autrement : un état où le pouvoir législatif ne serait pas exercé par des représentans serait ou en pleine aristocratie ou en plein despotisme ; il ne serait pas en monarchie. Si notre Constitution n'établissait la représentation que dans le corps législatif elle ne serait pas plus représentative qu'elle ne l'était il y a deux siècles, qu'elle ne l'est maintenant en Angleterre. A la vérité une partie de cette Constitution, c'est à dire le pouvoir législatif, serait mieux représentée parce qu'il n'y a plus d'ordres en France, et que les bases de la représentation sont meilleures; mais il n'y aurait

pas dans la Constitution plus de parties des pouvoirs publics où la représentation ait lieu, la Constitution ne serait pas plus représentative.

» Je dis donc que le roi n'est pas représentant; que les administrateurs le sont, et qu'il faut qu'ils le soient pour que les comités puissent dire avec exactitude: la constitution française est représentative.

Ce qui a sans doute égaré les comités, ce qui fait résister plusieurs bons esprits aux observations que je viens d'exposer, c'est cette idée fort juste que des administrateurs élus ne doivent pas être placés sur la même ligne que des députés à la législature; que ces premiers sont comptables et responsables au chef du pouvoir exécutif, tandis que les seconds en sont indépendans, ont même des fonctions supérieures aux siennes, et que de plus ils ne peuvent être gênés par aucun mandat du peuple qu'ils représentent; mais cette différence ne prouve pas que les uns aient et que les autres n'aient pas le caractère représentatif; elle vient de la différence des pouvoirs communiqués aux législateurs d'une part et aux administrateurs de l'autre.

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» Les députés au corps législatif sont non seulement représentans du peuple, mais encore représentans du peuple pour exercer un pouvoir représentatif, par conséquent égal à celui du peuple, indépendant comme le sien; sans quoi il n'en serait pas l'image, la fidèle représentation; tandis que les administrateurs ne sont représentans du peuple que pour exercer un pouvoir commis, un pouvoir subdélégué et subordonné c'était donc entre les pouvoirs représentatifs et les pouvoirs commis qu'il fallait établir une distinction nette, et si les comités l'eussent faite ils se seraient préservés des erreurs dangereuses que présentent les articles dont il s'agit.

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» Allons plus loin, et voyons à quelles conséquences ces erreurs de principes ont conduit relativement au système administratif.

» J'ai toujours cru, messieurs, et je n'ai pas été seul à croire que votre intention, celle de la France entière, celle des gens mêmes qui d'ailleurs approuvent le moins la Constitution, était de garantir invariablement par celle Consti

tution que des délégués du peuple, des citoyens élus par le peuple, surveillés les uns par les autres, subordonnés les uns aux autres, seraient désormais chargés sous l'autorité du roi de faire la répartition des contributions directes imposées à chaque département, la collecte de ces contributions, la recette particulière tant de ces contributions que des perceptions dites indirectes, et que la trésorerie nationale, destinée à rassembler et à distribuer la totalité des revenus publics, serait au moins surveillée dans tous ces détails par des représentans de la nation. (Murmures.) J'ai toujours cru que comme la justice devait être préservée par la Constitution de magistratures vénales, perpétuelles, héréditaires, ou conférées par le prince et révocables à sa volonté, de même l'administration des charges publiques et le dépôt des revenus de l'Etat devaient être préservés par la Constitution de ces magistratures monstrueuses qui ne se vendaient pas, qui ne se donnaient pas non plus pour un temps fixe ou à perpétuité, mais avec lesquelles le prince achetait les hommes à vendre ou payait les homines vendus, et retenait en sa propriété tous les hommes achetés.

» La propriété et la liberté ne sont pas moins intéressées sans doute à ce que la répartition soit exempte d'arbitraire, et les revenus publics en sûreté tant du côté de l'administration que du côté des tribunaux; elles ne sont pas moins menacées par l'une que par les autres; et au fond, messieurs, dans tout ce qui regarde la répartition le pouvoir judiciaire fait évidemment partie du pouvoir administratif, puisque décider que tel citoyen doit payer une telle contribution, soit qu'il réclame ou non contre sa taxe, c'est réellement statuer par un jugement sur sa propriété.

» Pour réduire ma pensée en deux mots, j'ai cru, mes sieurs, que comme la Constitution proscrivait pour jamais les parlemens, de même la Constitution devait proscrire sans retour les intendans de province et les surintendans plénipotentiaires des finances.

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Jusqu'à présent les décrets avaient dit : le pouvoir exécutif supréme réside aux mains du roi... Mille fois, quand l'Assemblée travaillait à la formation des corps administratifs,

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les orateurs ont dit à la tribune: le pouvoir exécutif s'orga nise... Mille fois on a réfuté, aux grands applaudissemens de l'Assemblée, les royalistes qui, ne voyant le pouvoir exécutif que dans le roi, disaient: il faut enfin rendre de la force au pouvoir exécutif, pour dire : il faut donner du pouvoir au roi... Estil quelqu'un qui ne se rappelle cette séance où M. de Mirabeau, réfutant une opinion royaliste, dit à peu pres ces paroles: « Le pouvoir exécutif ne peut être que le résultat de toutes les parties de la Constitution qui sont ou seront instituées pour l'exercer; les municipalités sont établies, les corps administratifs le sont ou vont l'être.... >> Tout le monde applaudit à cette réponse : tou le monde entendait donc que le pouvoir exécutif serait réparti entre différentes mains créées par la Constitution, toujours sans doute sous l'autorité du roi, chef suprême du pouvoir exécutif, et non dépositaire unique de la totalité du pouvoir exécutif.

» Hé bien, messieurs l'article 4 du titre III ébranle les bases de ce système. « Le pouvoir exécutif, porte cet article, est délégué au roi, pour être exercé sous son autorité par des ministres et autres agens responsables, de la manière qui sera déterminée ci-après. « Vous le voyez, messieurs, le roi n'est plus seulement le chef suprême du pouvoir exécutif; ce pouvoir tout entier lui est délégué!

Mais, va-t-on demander, n'est-ce point là une simple erreur de rédaction? mais les articles qui règlent la manière dont le pouvoir administratif sera exercé ne rectifient-ils pas, n'expliquent-ils pas cette énonciation de l'article 4 du titre III? Pour lever les doutes que moi-même je me suis plu à concevoir à cet égard j'ai eu recours à la section II du chapitre IV, qui concerne l'administration ; j'y ai cherché au moins le principe des importantes dispositions qui ont été insérées dans l'article 1er de la section III du décret du 22 décembre 1789, de ce décret rendu dans les temps les plus glorieux de l'Assemblée nationale; je veux parler des dispositions suivantes : « Les administrateurs de département seront chargés, sous l'inspection du corps législatif et en vertu de ses décrets, de répartir les contributions directes imposées à chaque département...; d'ordonner et de faire faire les rôles

d'assiette et de cotisation entre les contribuables de chaque municipalité.....; de régler et de surveiller tout ce qui concerne la perception et le versement du produit des contributions, etc. » J'y ai cherché aussi le principe des décrets qui placent les revenus publics dans chaque département entre des mains populaires, et soumettent dans tous ses détails la trésorerie nationale à l'inspection immédiate et journalière de représentans du peuple.

>> Mais c'est en vain que j'ai cherché dans la Constitution l'attribution à des délégués du peuple de ces fonctions qui touchent si essentiellement à la liberté et à la propriété, et qui sont si peu susceptibles d'être abandonnées à des préposés du prince; il y a plus, j'ai trouvé positivement le contraire de ce que je cherchais. Les comités, en parlant des fonctions des corps administratifs, non seulement ne les résér vent pas constitutionnellement, mais même ils les déclarent positivement objet réglementaire : il appartient, disent-ils, article 4, au pouvoir législatif de déterminer l'étendue et les règles de leurs fonctions (des corps administratifs). Ainsi, messieurs, la prochaine législature peut les réduire à n'être que les administrateurs des propriétés publiques, des chemins, des édifices nationaux, des hôpitaux, etc; elle peut rétablir les intendans ou toute autre magistrature semblable pour la répartition des charges publiques et autres fonctions de cette nature: ainsi la disposition des finances peut être remise à des agens du roi, sous cette vaine responsabilité que la puissance de l'or rend toujours si illusoire; ainsi ma proposition est démontrée, savoir, que les bases constitutionnelles du système administratif sont absolument écartées de la Constitution.

On doit sans doute avoir une grande confiance dans les législatures; il faut espérer qu'elles respecteront les bonnes lois réglementaires à l'égal des lois constitutionnelles.

» Mais en partant de ce principe il faudrait ne rien régler constitutionnellement; et, pour parler franchement, si le corps constituant d'aujourd'hui pouvait être induit à reléguer contre toute raison les articles que je vous ai cités entre les articles purement réglementaires, ne serait-il pas très possible que

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