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personne, cela ne donne lieu à aucune espérance, et les mêmes factions que vous voulez éteindre se perpétuent; en voyant à une époque trop éloignée l'espoir de faire changer quelque partie de la Constitution, elles cherchent lès moyens de la renverser plus tôt: cette époque est-elle très rapprochée, alors vous tenez les partis en présence; les factions se conservent telles qu'elles sont ; elles ne s'anéantissent pas par l'expérience, par le délai trop court qui doit s'écouler entre les législatures et le moment où la Convention arrive, et le désordre se perpétue encore.

>> Voilà les raisons qui nous out fait éloigner l'idée d'une Assemblée constituante générale, ayant et exerçant le même pouvoir que nous avons eu et que nous avons exercé.

» Préfère-t-on des Conventions à époques fixes? C'est un système pris en Amérique, et qui ne peut appartenir ni à la forme de notre gouvernement ni à l'étendue de notre territoire. En Amérique le gouvernement est composé de petites républiques et d'une association générale, d'un pacte fédératif entre toutes ces petites républiques; une Assemblée constituante qui examine dans le pays la Constitution trouve d'abord un territoire très étendu, peu d'habitans, des mœurs sages et paisibles; là l'examen de la Constitution ne fait pas une révolution; elle empêche une révolution : ici au contraire, où tous les hommes sont en quelque sorte pressés les uns les autres, où la population est énorme, où tous les changemens sont désirés avec une sorte d'avidité, où les passions sont vives et les caractères pétulans, où l'esprit de la nation se porte souvent bien plus loin qu'il ne devrait aller; ici une Assemblée constituante périodique serait toujours l'époque d'une révolution.

» Une autre combinaison est de prescrire des formes pour provoquer et exiger le convocation d'une Assemblée constituante.... Alors, messieurs, les partis qui existent maintenant seraient encore perpétués, et vous verriez que, cherchant à acquérir la majorité pour provoquer une Assemblée constituante, on s'agiterait prodigieusement, on troublerait encore la tranquillité publique, et l'on parviendrait peutêtre à obtenir sous très peu de temps une majorité factice

qui appellerait une Assemblée de révision pour examiner la constitution lorsque l'expérience n'aurait nullement éclairé sur les avantages ou sur les défauts de quelques-unes de ses parties. Ainsi un autre mode doit être suivi.

» J'arrive à celui que vous proposent vos comités, c'est à dire à une Assemblée de révision qui ne pourra jamais s'emparer de toute la Constitution, mais bien examiner si les pouvoirs constitués sont restés dans les bornes prescrites et si les points sur lesquels les citoyens, le corps législatif et le roi se seront expliqués devront être réformés. C'est là le système où nous nous sommes arrêtés; ce concours nous a paru le meilleur possible : les grands agens du gouvernement sont ceux qui doivent le mieux connaître quels sont les ressorts qui empêchent le jeu général de la machine. Ne voulant donner que l'aperçu des raisons des comités, et me réservant de faire les observations que la discussion rendra nécessaires, je vais vous donner lecture du projet de décret des comités.

» L'Assemblée nationale, après avoir rempli la mission qui lui avait été donnée par le peuple français, après avoir établi une Constitution fondée sur les droits imprescriptibles de l'homme et du citoyen et sur les principes de la raison et de la morale;

» Considérant d'une part que si les maximes qu'elle a prises pour bases de son ouvrage portent le caractère de l'évidence, et si un assentiment général, l'adhésion la plus solennelle de toutes les parties de l'empire, l'exécution rapide et scrupuleuse des lois nouvelles n'ont laissé aucun doute sur la volonté de la nation de consacrer et de suivre les décrets constitutionnels faits par ses représentans, et sur l'opinion générale que ces lois atteignent le but d'une grande et heureuse régénération;

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Considérant que si cette réunion de sentimens, ce mouvement spontané vers la liberté qui a porté tous les habitans de l'empire à se presser pour ainsi dire les uns sur les autres pour confondre leurs droits et leurs intérêts, se rallier aux mêmes principes, et se soumettre aux mêmes

obligations, donne à l'assemblée nationale le droit et lui impose le devoir d'imprimer à son ouvrage le caractère inviolable de la volonté générale, et de disposer de toute la puissance publique pour l'affermir et le maintenir; cependant, ayant eu à lutter contre toutes les passions et tous les préjugés; ayant été obligée de substituer rapidement un corps d'institutions nouvelles à un amas monstrueux d'abus décriés; ayant enfin donné au milieu des chocs de toute espèce, des dangers de tout genre, des désordres trop exagérés, mais pourtant réels et malheureusement inséparacles d'une révolution; ayant donné une nouvelle forme à un grand empire, on peut craindre que dans ces institutions il ne se soit glissé quelques imperfections que l'expérience seule peut découvrir;

» Considérant d'autre part que la nation a le droit inaliénable de revoir, de réformer, de changer et le système de ses lois constitutionnelles et l'acte même de son association;

>> Qu'il est donc nécessaire qu'en même temps que, pour l'utilité de tous, les représentans de la nation exigent en son nom l'obéissance aux lois qu'ils ont décrétées et qu'elle a approuvées, ils indiquent un moyen sûr et prompt de les réformer, et de profiter à cet effet de tous les secours que la nation puisera dans les vertus, les lumières, l'expérience dont ces lois mêmes vont devenir pour elle et la source et l'objet ;

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Qu'il faut seulement que les formes par lesquelles elle fera connaître son opinion soient fixées de manière à ne pas entraîner des erreurs et à ne pas donner à des mouvemens tumultueux ou à des délibérations irréfléchies le caractère imposant de la volonté nationale, et fixer un délai auquel cette volonté sera examinée; délai qui ne doit être ni assez éloigné pour que la nation souffre de quelques parties vicieuses de son organisation sociale, ni assez rapproché pour que l'expérience n'ait pas eu le temps de donner ses salutaires leçons, ou que l'esprit de parti, le souvenir des anciens préjugés prennent la place de la raison et de la justice, par lesquelles tous les citoyens doivent désormais être guidés;

» Considérant enfin que la fixation de ce délai et la dé

termination de formes rassurantes pour la volonté nationale doivent, en portant toutes les idées vers l'utilité commune et le perfectionnement de l'organisation sociale, avoir l'heureux effet de calmer les agitations de l'époque présente et de ramener insensiblement les esprits à la recherche paisible du bien public, a décrété et décrète, etc. »

Ce projet, composé de vingt-six articles, ne parut satisfaire aucun parti de l'Assemblée : il portait en somme que la première Assemblée de révision serait convoquée en 1800; qu'elle réunirait deux cent quaranteneuf élus dans chaque département, à l'exclusion des membres du corps législatif; que les fonctions de cette Assemblée seraient d'examiner si les pouvoirs constitués étaient restés dans leurs limites, de les y replacer s'ils s'en étaient écartés, et de prononcer sur les demandes de réformes constitutionnelles qui auraient pu être faites par les pétitions des citoyens, lorsque ces demandes auraient été approuvées par le corps législatif et sanctionnées par le roi mais si, dans le cas de non approbation du corps législatif et de refus de sanction du roi, et après un délai de dix-huit mois depuis que le corps législatif et le roi auraient fait connaître leurs motifs, les trois quarts des départemens eussent représenté les mêmes vœux, le concours du corps législatif et du roi n'était plus nécessaire; les réformes demandées étaient soumises de droit à l'Assemblée de révision. M. Malouet prit la parole immédiatement après le rapporteur.

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Opinion de M. Malouet. (Séance du 29 août 1791).,

« Messieurs, on vous propose de déterminer l'époque et les conditions de l'exercice d'un nouveau pouvoir constituant. Il me semble que M. le rapporteur vient de vous indiquer par ses observations quelques-uns des inconvéniens de son projet de décret : il a insisté avec raison sur le danger d'une grande fermentation des esprits lorsqu'on annonce pour une époque précise des changemens dans la Constitution; et cependant tel est en substance le plan qu'il vous propose! Celui que je vais vous soumettre en diffère essentiellement, en ce que je pense que la Constitution que vous venez d'arrêter ne peut

être que provisoire jusqu'à ce qu'elle ait été soumise à un examen réfléchi, à une acceptation libre tant de la part du roi que de la part de la nation : ce sont donc les motifs et les conditions de cet examen définitif que je viens vous proposer. Je ne prétends pas renouveler ici la tentative que j'ai déjà faite inutilement de m'expliquer devant vous sur les points principaux de la Constitution... ( Murmures.) La dernière tâche qui me reste à remplir est de vous parler librement des moyens de la réformer; qu'il me soit enfin permis de vous dire tout ce que je crois utile et vrai. Vous voulez sans doute que cette Constitution soit exécutée, qu'il en résulte le rétablissement de l'ordre, que nous jouissions de la liberté, de la paix intérieure... Tel est aussi l'objet de mes vœux ; cherchons-en donc les moyens.

» Fixer une époque éloignée pour la réforme d'une Constitution c'est supposer que pendant l'intervalle de temps qui s'écoulera jusqu'à cette époque il ne s'y développera aucun vice essentiel qui en altérera la solidité.

» Si à cette supposition on substituait celle des grands inconvéniens constatés, des vices essentiels reconnus, il serait absurde de dire qu'il faut atteindre vingt-cinq ans de désordre et d'anarchie pour y remédier.

>> Les conventions périodiques ne sont donc admissibles que dans le cas où l'on ne prévoit pas la nécessité d'un changement assez important pour en accélérer l'époque; cette hypothèse ne convient qu'à une Constitution éprouvée par le temps et formée successivement par le résultat des mœurs, des usages, des habitudes d'un peuple; car, il faut le dire en passant, il n'exista jamais de Constitution absolument neuve qui eût quelque succès que celle de Lycurgue, et elle était fondée sur les mœurs: tous les autres gouvernemens dont nous avons eu connaissance se sont formés par des actes successifs dont l'amélioration et le complement à une certaine époque est devenue une Constitution; ainsi les capitulaires sous Charlemagne, la grande charte en Angleterre, la bulle d'or dans l'empire Germanique ont été la Constitution de ces états, en fixant des droits et des usages autérieurs garantis par l'expérience et par le consentement ou les récla mations des peuples.

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