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distinction générale qui ferait considérer la famille royale comme une caste distinguée sous tous les rapports de toutes les autres familles : les principes de l'égalité et de la Constitution exigent au contraire que cette distinction soil renfermée très strictement dans les termes précis de la loi.

» D'ailleurs, messieurs, il est une observation importante qui tient au premier principe de cette question; c'est qu'il n'est pas possible de regarder les membres de la famille du roi qui n'exercent point actuellement les fonctions auxquelles ils sont appelés éventuellement par la Constitution comme des fonctionnaires publics déjà revêtus d'une autorité spéciale; ce droit est incertain, il est éventuel', il n'existe point pour eux; il n'existe point jusqu'à ce que le moment fixé par la loi soit arrivé jusque là ils sont des citoyens qui peuvent être un jour appelés à la royauté; mais jusqu'à ce que ce jour soit arrivé ils ne sont pas des fonctionnaires publics, ils ne sont point des magistrats suprêmes; ils ne sont que de simples citoyens. Or comment voudriez-vous, sur cette distinction éventuelle, qui est aux yeux des lois et des principes comme si elle n'existait pas tant qu'elle n'est pas réalisée par l'événement; comment, dis-je, sur cette faculté future et incertaine voudriez-vous établir une exclusion actuelle et permanente à l'exercice des droits de citoyen! J'ai déjà dit qu'une pareille distinction avilissait en général la nation.

» Il est facile d'apprécier cette réflexion par une considération particulière. Quoi qu'on en ait dit, il est certain qu'on ne peut pas impunément déclarer qu'il existe en France une famille quelconque élevée au dessus des autres; vous ne pouvez pas le faire sans réchauffer pour ainsi dire le germe de la noblesse, détruit par vos décrets, mais qui n'est point encore détruit dans les esprits, et que beaucoup de personnes, comme vous ne pouvez l'ignorer, désireraient voirrevivre: il ne paraît évident que lorsque nous serons accoutumés à voir l'égalité des familles et des citoyens violée en un point nous serons beaucoup moins révoltés de la voir violée dans un autre point; il me semble que lorsque nous serons familiarisés avec l'idée que la famille qui occupait le premier rang dans l'ordre de la noblesse conserve une distinction si extraordinaire nous

serons moins choqués de voir des familles distinguées par leur naissance et leur grandeur prétendre aussi à être distinguées ; nous serons moins étonnés de les voir reprendre hautement les titres honorifiques proscrits par la Constitution.

» Ainsi nous verrons cette famille unique rester au milieu de nous comme la racine indestructible de la noblesse, s'attacher aux hommes, s'allier avec eux, caresser leur orgueil, au point que bientôt il se formera entre toutes les familles qui regrettent leurs anciennes prérogatives une ligue formidable contre l'égalité et contre les vrais principes de la Constitution dont l'altération augmentant graduellement en proportion de la diminution de l'influence de l'opinion publique, et à mesure qu'on verra augmenter l'influence du gouvernement et de ceux qui tenaient jadis le premier rang dans l'Etat, ramenera bientôt la noblesse et les autres distinctions au milieu de nous, presque sans que nous nous en fussions aperçus, mais d'une inanière si formidable qu'il serait impossible d'arrêter les progrès de ces dépravations des principes de notre Constitution.

» Il est si vrai, messieurs, que le maintien de l'égalité politique et civile exige qu'il n'existe point dans l'Etat de familles distinguées, que chez les peuples modernes mêmes où il y a eu quelque idée d'égalité on s'est appliqué constamment à empêcher une pareille institution : je vous citerai l'Angleterre. En Angleterre les membres de la famille du roi forment-ils, comme on veut vous le faire décréter, une famille distinguée des autres citoyens? (Murmures.) Je ne parle point du titre de prince, car c'est là une de ces mauvaises institutions que je combats; je parle d'une loi plus importante, qui existe en Angleterre; je dis que les membres de la famille du roi sont, comme les autres nobles, membres de la chambre des pairs...>> ( Murmures.)

Une voix : « Ils sont donc nobles, puisqu'ils sont de la chambre des pairs? »

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M. Dumeunier. « Je demande à répondre. » (Non, non. )

M. Robespierre. « Je citerai un exemple plus frappant.

Dans les pays où la noblesse, jouissant exclusivement du droit politique, forme à elle seule la nation, elle n'a pas voulu de distinction de familles; je citerai la Bohème et la Hongrie, parce qu'elles ont senti que si une famille était distinguée des autres l'égalité des membres du souverain était violée, et qu'elle serait le germe d'une aristocratie nouvelle au sein de l'aristocratie même... ( Murmures. ) Ceci s'applique évidemment à la France. Les comités, s'ils avaient conçu cette crainte, auraient cherché à en tarir la source; ils ne peuvent ignorer que le moyen de donner lieu à toutes les influences dangereuses c'est d'attaquer les principes de l'égalité, c'est de porter un coup funeste à la Constitution ; ils devaient par conséquent s'abstenir de proposer à l'Assemblée une loi qui distingue une famille de toutes les autres. (Nombreux murmures.)

>> Je renonce donc au projet de développer mon opinion : (Violens murmures.) Je suis fâché de voir que je n'ai pas eu la liberté de l'énoncer... » ( Bruit.)

Une voix. « Il y a une heure que vous parlez; con

cluez. »

M. Robespierre. « Je suis fâché aussi de l'avoir développée d'une manière qui a pu offenser quelques personnes ; mais je prie l'Assemblée de considérer avec quel désavantage ceux qui soutiennent les principes que j'ai défendus émettent leurs opinions dans cette tribune. Je crois que l'amour de la paix, motif dont on s'est servi pour l'émouvoir, doit engager désirer du moins que ceux qui ont adopté des opinions contraires à la mienne et à celle d'une partie des membres de cette assemblée veuillent bien se dispenser de présenter toujours nos opinions comme tendant à avilir la royauté, comme étrangères au bien public, comine si dans le moment actuel il ne nous était pas permis, sans être mal intentionnés, de professer encore les opinions que nos adversaires ont eux-mêmes soutenues dans cette Assemblée! » (L'extrémité gauche applaudit. )

La discussion, qui se prolongea animée et souvent tumultueuse sans présenter un nouvel argument pour ou

contre, amena enfin une série de questions sur lesquelles l'Assemblée délibéra.

Première question. Les membres de la famille du roi jouiront-ils des droits de citoyen actif? l'Assemblée

décréta l'affirmative.

Seconde question. Les membres de la famille du roi seront-ils éligibles aux fonctions et emplois qui sont à la nomination du peuple? - Sur cette seconde question deux épreuves parurent douteuses; on eut recours à l'appel nominal, qui donna deux cent soixante-sept non, et cent quatre-vingts oui.

L'Assemblée porta le décret conforme à ce résultat, et ajourna les autres questions au lendemain.

M. Demeunier, rapporteur. (Séance du 26 août 1791.)

<< Vous vous rappelez, messieurs, les points que vous avez décidés hier. Après avoir discuté longtemps le projet des comités on est convenu qu'on irait aux voix sur cinq questions la première et la seconde de ces questions ont été résolues; vous avez décrété que les membres de la famille du roi jouiraient des droits de citoyen actif; vous avez décrété ensuite que les membres de la famille du roi ne seraient point éligibles aux places et emplois à la nomination du peuple. Il s'agit maintenant d'examiner 3° si les membres de la famille du roi seront éligibles aux places et emplois à la nomination du pouvoir exécutif; 4° si les membres de la famille du roi auront une dénomination particulière, et enfin quelle sera cette dénomination.

» Avant de reprendre la troisième question il est bon de faire à l'Assemblée quelques observations très courtes que la discussion d'hier a rendues nécessaires. Les deux comités ne sont allés chercher dans aucun pays l'exemple qu'ils vous proposent; mais comme on a articulé nettement un fait d'une fausseté manifeste qui pourrait induire en erreur, je demande à le relever en peu de mots. On vous a dit qu'en Angleterre les membres de la famille du roi n'étaient pas distingués des autres citoyens... Le fait est complétement faux tous les membres mâles de la famille du roi sont

pairs nés; ils entrent dans la chambre des pairs et y jouissent du droit de pairie, privilége unique qui leur est spécialement réservé; en effet, les autres pairs sont divisés en cinq classes, les ducs, les comtes, les vicomtes, marquis et barons à la suite du régime féodal. Cette constitution anglaise a imaginé des bizarreries, nommément sur les droits des fils des pairs de la Grande-Bretagne : le fils aîné du pair qui est duc entre dans la chambre des pairs; tous les autres fils, marquis, vicomtes ou barons, ne peuvent y entrer que lorsque la pairie leur survient par droit d'hérédité. Ainsi en Angleterre, par un privilége spécial inhérent à la royauté, conséquence immédiate de la succession héré– ditaire, les parens mâles de la famille du roi forment une classe tellement particulière que chacun de ses enfans mâles entre de plein droit dans la chambre des pairs.

» Je n'ai voulu que détruire un fait et rétablir la vérité ; il faut maintenant examiner les seules questions qui restent à résoudre les membres de la famille du roi peuvent-ils être éligibles aux emplois et places à la nomination du pouvoir exécutif; faut-il leur donner une dénomination, et enfin quelle sera cette dénomination? Je serai très court sur ces questions.

» D'après le décret que vous avez rendu hier nous devons marcher avec circonspection, et examiner avec soin le décret qui va nous occuper. Il est des fonctions données par le pouvoir exécutif qui présentent quelques dangers; mais il en est qui n'en offrent aucun, parce qu'elles sont assujéties à une marche constitutionnelle dont on ne peut s'écarter. Nous pensons qu'il n'y a pas d'inconvénient à laisser les membres de la famille du roi exercer ces sortes d'emplois, tels que ceux de l'armée, par exemple, s'ils y ont da goût. Ainsi un membre de la branche d'Orléans (le duc de Chartres) se distingue déjà par une conduite non seulement héroïque, mais patriotique et sage dans tous les sens; il serait cruel de lui faire abandonner la carrière dans laquelle il est entré et qui semble lui être destinée; car le même citoyen, quoique appelé éventuellement au trône ou à la régence, d'après l'organisation militaire et les décrets que vous avez rendus, ne

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