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évidemment la voix consultative, c'est à dire les admettre dans la discussion sur tous les points de législation quelconques.

>> Sans doute il est sage, il est utile au gouvernement, à son activité, à ses rapports avec le corps législatif, que les ministres y aient une place marquée; sans doute il est utile que quand ils seront requis ils puissent répondre; sans doute il est utile, lorsqu'il y a des conférences à avoir avec un ministre, qu'elles ne soient pas secrètes, qu'elles ne soient pas avec les comités, mais qu'elles soient en public; il est utile encore que quand les ministres des différens départemens ont à se plaindre de ce que quelques lois sont insuffisantes ou obscures le , que gouvernement ne peut pas marcher, ils viennent à l'Assemblée nationale présenter les obstacles, les vices de ces lois : ce sont toujours là des objets appartenans purement aux fonctions ministérielles.

» Mais leur donner le pouvoir que le peuple seul peut conférer, que le pouvoir constituant ne peut pas donner, car il ne le tient lui-même que des assemblées primaires et des assemblées électorales, c'est à diré de voter..... 【 Murmures.) Je n'entends point par voter ce que Vous appelez voter par assis et levé pour délibérer sur une affaire; le véritable vote, celui qui a de l'influence sur les esprits, c'est celui de l'orateur messieurs, supposez un homme qui a acquis une réputation quelconque de patriotisme; cet homme passe au ministère; cet homme arrive dans l'Assemblée; il a l'initiative sur toutes les lois, initiative que votre Constitution refuse au roi lui-même : hé bien, le ministre exerce avec cette réputation de popularité, avec le jeu d'intrigue qu'il saura faire, avec les places qu'il peut donner, l'influence la plus terrible et la plus dangereuse! (Applau dissemens.)

» Je prends pour exemple ce qui se passe en Angleterre, surtout depuis la moitié du règne actuel, et surtout depuis le ministère de Pitt. 1

>>

Qui est-ce qui ignore que M. Pitt est reçu dans la chambre des communes? et tout le monde sait qu'il y a une majorité constante,

» Hé bien, messieurs, ne craignez-vous pas que dans l'Assemblée nationale un Pitt obtienne la même influence, et entraîne la nation dans le même danger?

» D'ailleurs je soutiens que plusieurs de vos décrets s'y opposent le premier est celui par lequel vous déclarez que vous ne pouvez pas délibérer en présence du roi ; or délibérer en présence du pouvoir exécutif et par son influence est bien plus dangereux.

» Le second est celui qui porte que l'initiative de la loi appartient non pas au pouvoir exécutif, mais au roi; et quelle initiative encore! Le roi demande pour un besoin du royaume, il demande pour un besoin de loi, il demande pour des objets que vous n'avez pas saisis; mais les ministres sont ici avec leurs cabales, leurs intrigues, leurs partisans, et là ils opinent, ils délibèrent, ils votent avec toute l'influence d'individus qui tiennent en leurs mains les rênes d'un grand pouvoir.

» Ici je rappelle ce qui fut dit hier par M. Duport relativement à l'admission des membres de la dynastie régnante à l'exercice des droits de citoyen actif (1).

>> M. Duport a fait sentir qu'il pouvait être dangereux qu'un homme destiné à succéder au trône puisse faire partie du corps politique; pourquoi? Parce qu'il est (ce sont ses propres paroles) trop voisin du pouvoir exécutif... Or je demande si les ministres ne sont pas bien voisins du pouvoir exécutif, puisqu'ils en sont les seuls agens, et si le danger de laisser quelques membres de la dynastie exercer les droits politiques de simple citoyen est comparable au danger de l'extrême influence qu'on propose d'accorder aux ministres dans la formation même de la loi ! »

M. Lanjuinais, qui en 1789 s'était opposé de toutes ses forces à la proposition de Mirabeau dont l'objet était le même, s'éleva également contre celle des comités; il appuya les objections présentées par M. Barrère, et finit en pro

(1) Cette question fut renvoyée à la fin de la révision. Voyez plus

posant que les ministres ne soient entendus, quand ils demanderaient à l'être, que lorsque le corps législatif jugerait à propos de leur accorder la parole. M. Camus opina dans le même sens. M. Beaumetz, membre des comités, soutint leur proposition.

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M.Pétion (après M. Beaumetz), « Les comités insistent pour vous faire admettre l'article tel qu'il vous a été proposé, et il semble évident pour tous que l'article ainsi conçu ne pourrait pas subsister; et il a été proposé des amendemens qui dans tous les cas doivent être admis. Selon l'article les ministres peuvent venir vous dire l'inexécution de la loi éprouve tels et tels obstacles; il faut lever ces obstacles; il faut faire telle ou telle chose... Et moi je dis que les ministres, quoiqu'on ne leur accorde que la voix consultative, se trouvent députés de fait dès qu'ils sont admis à être entendus au corps législatif; ensuite, messieurs, ils le peuvent sur tous les objets, et rien n'est plus clair que cette phrase: sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l'étre; ainsi non seulement ils sont députés de fait, mais ils ont même un privilége que ne pourrait pas avoir un député, celui qui résulte de l'article même, qu'on ne peut refuser de les entendre lorsqu'ils demandent à l'être. (Applaudissemens.)

On a fait une objection qui au premier coup d'œil paraît très spécieuse, mais qui me paraît tourner absolument contre ceux qui l'ont faite. On vous a dit : hé qu'importe que vous entendiez les ministres dans les assemblées, puisque, retirés ensuite au conseil, ils peuvent faire apposer le veto sur la loi; de là il vaut beaucoup mieux qu'ils soient entendus dans le corps législatif.... On aurait même pu dire qu'il valait mieux leur laisser faire la loi, car alors il n'y aurait plus de veto! Voilà positivement un des plus grands dangers: remarquez, je vous prie, quelle prodigieuse influence un ministre se trouverait avoir quand en effet les membres d'un corps législatif seraient convaincus que s'ils refusent d'accéder aux propositions du ministre le veto sera apposé!

» N'était-ce pas assez de dire : les ministres seront admis toutes les fois qu'ils seront requis de donner des éclaircis

semens.........? Maintenant pouvez-vous concevoir que le corps législatif soit assez imprudent, soit assez ennemi de la nation pour ne pas appeler les ministres toutes les fois que leur présence sera nécessaire?

» Mais il est bon, a-t-on dit, d'avoir les ministres présens.... Hé bien, messieurs, c'est là ce qui est purement illusoire, car un ministre un peu adroit ne répond pas à toutes les questions qu'on lui fait, et les ministres se conduisent partout comme en Angleterre; il y a une multitude de circonstances où les ministres vous répondent : le secret de l'Etat ne le permet pas. On ne peut alors forcer le ministre à répondre; ainsi vous ne tirez aucun parti de la présence d'un ministre. L'admission de droit dans le corps législatif ne me paraît nullement nécessaire; ou le corps législatif appelle le ministre, et alors tout est dit; ou bien on ne l'appelle pas, et il fait ses observations par écrit. La présence d'un ministre, quoi qu'on en dise, n'est bonne. que pour la corruption; et enfin, nous avons l'expérience devant les yeux, il est évident que les ministres en Angleterre non seulement sont chefs d'opinion, mais qu'ils soutiennent, et avec de grands talens, les opinions qu'ils ont, et qu'avec ces grands talens ils entraînent tous ceux qu'ils n'ont pu

corrompre.

» Encore une fois la présence du ministre sera exigée toutes les fois qu'elle sera nécessaire, et s'il n'est pas appelé alors il fera passer ses observations et on l'appellera. Je demande donc qu'on rejette cette phrase : ils seront entendus sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l'étre, et qu'on décrète que les ministres seront entendus toutes les fois que le corps législatif les appellera. » (Aux voix, aux voix les amendemens.)

Les comités avaient une telle confiance dans leur rédaction, que cette fois ils avaient consenti à laisser parler contre presque sans interruption; cependant, le succès devenant incertain, M. Barnave prit la parole immédiatement après M. Pétion.

M. Barnave. « Cette question est d'une telle évidence,

messieurs, qu'elle n'a besoin que d'être présentée sous SOR véritable point de vue pour qu'il ne puisse exister un ami vrai de la liberté.... (Murmures.) Je dis que la question est tellement évidente qu'elle n'a besoin que d'être présentée dans son véritable jour pour qu'il ne puisse exister un seul doute dans l'esprit d'un ami de la liberté. Voici où la question est placée : donnera-t-on l'influence ou à l'opinion publique, ou à la corruption, ou à la confiance; à la publicité, au jugement de tous, où à l'intrigue? Sera-ce dans notre gouvernement la voix du peuple qui indiquera ses agens, ou sera-ce comme autrefois des moyens secrets et toutes les manœuvres des cours? Voilà où est véritablement placée la question.

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Quelques opinans ont demandé, et cette opinion ne m'a pas paru fort appuyée, que les ministres ne soient admis dans l'assemblée législative que lorsqu'ils y seront appelés moi je pense qu'il est absolument indispensable qu'ils y soient habituellement admis, soit pour répondre aux interpellations qui pourraient leur être faites, soit pour développer personnellement leurs opinions et donner leurs lumières sur les lois présentées dans le corps législatif.

» Pour le premier objet je supplie chaque membre de considérer où est le véritable moyen de connaître la vérité. Que devez-vous désirer dans les agens de l'administration? Qu'ils ne puissent pas vous tromper d'une part, et que d'autre part on ne puisse pas les décrier, les détruire, les arrêter dans leur marche par des accusations fausses et tardivement repoussées. Or pour que cela soit ainsi il faut que vous puissiez toujours trouver l'homme là, et lui demander compte de ce qu'il a fait, afin qu'à l'instant même la dénonciation, l'attaque et la défense se succèdent, et que l'homme à qui l'inculpation s'adresse n'ait pas le temps d'apprêter des réponses artificieuses et des moyens d'éluder l'interpellation juste et pertinente qui lui aura été adressée. Toutes les fois que vous demanderez à un homme de bonne foi s'il désire qu'on l'interroge publiquement, ouvertement, à tous les momens, il vous dira: je le désire; toutes les fois qu'un homme de mauvaise foi sera dans le

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