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donne le roi, au lieu qu'en France on a encore beaucoup de récompenses à attendre du peuple en vertu de vos institutions mêmes lorsqu'on s'est montré défenseur de sa cause, puisque, le gouvernement étant essentiellement représentatif dans toutes ses branches, le peuple trouve par là le moyen de reconnaître ceux qui lui ont rendu de véritables services. Ainsi donc vous aurez toujours, et réellement pour l'intérêt du peuple, et par l'intérêt particulier, qui se confond avec celui du peuple, une forte opposition, mais une opposition patriotique et sainte dans le sein de l'Assemblée nationale : ainsi s'évanouissent toutes les craintes qu'on vous a présentées.

» On dit au reste, messieurs, qu'il serait désirable que le peuple pût avoir quelque part à la nomination des ministres ; que l'unique moyen de lui donner cette participation sans danger est de laisser passer les membres de la législature dans le corps ininistériel.... Hé bien, messieurs, quand cela serait vrai qu'en résulterait-il? Le système de suspension de quatre années n'empêche certainement pas que des gens que le peuple aura honorés de son choix, qu'il aura placés dans la législature, ne puissent être ministres ; il n'y a évidemment qu'une lacune de quatre années à l'exercice de cette faculté de la part du roi, car, les quatre premières années écoulées, il est clair qu'il se succédera dans le nombre des hommes parmi lesquels le roi pourra choisir. Je conclus donc, messieurs, par dire que non seulement le parti de l'opposition, si l'on me permet de me servir de ce mot, peut invoquer ici et le décret et le titre constitutionnel qui lui a été donné, mais aussi les motifs qui ont été sentis alors par tout le monde, quoiqu'ils n'aient été exposés par personne, pour donner ce décret et le faire placer dans l'acte constitutionnel.

» Je finis par une dernière observation. Quand même ce décret ne vaudrait rien pour une législature il serait excellent pour tous les corps constituans; il serait nécessaire dans tout corps qui crée des pouvoirs ; et je ferai observer à l'Assemblée que si l'on rejetait ce décret parmi les articles purement réglementaires, il est évident que rien n'empêcherait que les membres de cette législature ne pussent être élus incessamment au ministère, car le premier acte que pour

rait faire la législature qui nous remplacera serait d'anéantir le décret, même pour les membres sortis du corps constituant, et après demain... (Applaudissemens.) Je finis. (Aux voix, aux voix. La question préalable.)

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MM. Goupil et Chabrond demandent que le décret soit applicable à l'Assemblée actuelle, mais non aux législatures qui la suivront.

M. Buzot. « Je m'oppose d'abord à ce que vient de demander le préopinant, et par une raison bien simple; c'est que certainement si l'article ne vaut rien pour cette législature-ci il ne vaut rien non plus pour la législature nouvelle, car, quoi qu'on en puisse dire, j'aimerais autant que les députés actuels entrassent dans le ministère que les députés à venir. Mais j'ai demandé la parole pour un amendement qui peut-être conciliera tout le monde; c'est pour accorder cet article avec un autre qui est également constitutionnel. Vous avez dit, messieurs, qu'un législateur ne pourrait être commissaire du roi que deux années après la législature; je ne vois pas de raison pourquoi il y aurait ici quatre ans lorsque dans l'autre cas il n'y en a que deux. Je crois que pour ne pas mettre de dissonance dans vos décrets il faut se contenter de deux ans, non seulement pour l'Assemblée actuelle, mais pour les législatures à venir, mais pour toujours, pour tout le monde. Mon amendement est qu'on change les quatre années en deux. » ( Nombreux applaudissemens.)

Cet amendement est mis aux voix, et adopté à une grande majorité. L'Assemblée confirme et décrète, comme disposition constitutionnelle, « que les membres de l'Assemblée actuelle et des législatures suivantes ne pourront être promus au ministère ni à aucunes places données par le pouvoir exécutif pendant la durée de leurs fonctions ni pendant deux ans après en avoir cessé l'exercice. » Ainsi se trouvait adoptée la motion de M. Saint-Martin; seule ́ment il avait demandé que le décret du 7 avril 1791 fût placé dans la section III, chapitre Ier du titre III, et il fut reporté à la partie relative aux ministres, section IV, chapitre Il du même titre. ( Voyez la Constitution.)

La séance du 13 se termina par la lecture et l'adoption successive des articles du projet jusques et compris la première section, chapitre II du titre III. Le lendemain en rouvrant la discussion le rapporteur fit à l'Assemblée la déclaration qui suit:

M. Thouret, au nom des comités de Constitution et de révision. (Séance du 14 août 1791.)

Messieurs, avant de commencer l'ordre du jour je suis chargé par les comités dont je suis l'organe de faire à l'Assemblée une observation qui n'interrompra pas la suite du travail, que je vais reprendre immédiatement après. L'Assem blée veut certainement, tant pour son honneur que pour le salut de la France, établir par la Constitution un gouvernement stable, et tel qu'il donne au pouvoir exécutif les moyens de concourir au maintien de la liberté publique sans pouvoir jamais l'opprimer, et qu'il ait cependant tous les moyens de sûreté et d'énergie nécessaires pour être capable de maintenir l'ordre public; c'est la difficulté d'atteindre ce double but qui a fixé principalement votre attention, et qui, j'ose le dire à l'Assemblée, a fait en quelque sorte notre tourment pendant tout le travail de la révision. Bien convaincus du désir de l'Assemblée d'étendre jusqu'au dernier terme possible toutes les précautions contre le danger des tentatives et des attributions du pouvoir exécutif, nous avons calculé sévèrement tout ce qui pouvait en être retranché, et nous n'avons laissé que les dispositions sans lesquelles il était démontré pour nous qu'il n'est point de gouvernement effectif et durable.

>> L'observation sur laquelle les comités désirent fixer votre attention est que dans le plan qu'ils ont présenté tout était lié, tout était correspondant, et que, comme il n'y avait que le nécessaire très juste, tout changement important a dû en altérer les bases. Par exemple, c'était en compensant dans la main du roi l'affaiblissement des moyens de puissance par la restitution des moyens de confiance et de facilité dans le choix de ses agens que nous avions pensé qu'il pourrait remplir les fonctions difficiles du pouvoir exécutif, et qu'avec un

roi attaché à la Constitution nous pourrions avoir un bon gouvernement.

» Vos comités ont donc dù prendre en considération les résultats des changemens opérés depuis deux jours dans notre plan par les délibérations de l'Assemblée; et c'est après la méditation la plus approfondie, après un examen religieux et dignè des hommes honorés tant de fois de votre confiance, et qui ont travaillé avec tant de persévérance à cet ouvrage même de la Constitution, que nous avons unanimement reconnu que les entraves mises à la rééligibilité, combinées avec l'interdiction au pouvoir exécutif de prendre dans les membres d'une législature finissant les agens qui lui seront nécessaires, et que le peuple aura jugés dignes de sa confiance, détruisirent tous les moyens de force et d'énergie du pouvoir exécutif, et enlèvent réellement tout ce que nous avions laissé subsister de bases efficaces pour l'établissement d'un gouvernement actif et durable.

» Notre unanimité sur ce point capital nous a fait penser aussi qu'il était de notre devoir, de notre honneur et de la courageuse persistance que vous devez attendre de nous, de vous faire cette déclaration de l'opinion des comités, que la Constitution telle qu'elle existe maintenant ne saurait aller et atteindre le but que nous nous sommes tous proposé.

» Nous ne cherchons pas à faire prévaloir notre opinion, quelque évidente qu'elle nous paraisse ; mais lorsque nous touchons tous à une responsabilité commune, qui s'attachera plus particulièrement aux comités sur les parties de leur travail, chacun des membres de l'Assemblée doit méditer encore à part soi, froidement, impartialement, sur les grands intérêts de ses commettans, avant que l'acte d'où doit dépendre irrévocablement le bonheur ou le malheur du peuple français soit irrévocablement consommé. Je passe à l'ordre du jour.

Cette déclaration fut accueillie avec froideur. On reprit aussitôt la discussion. De légers amendemens admis ou rejetés sans opposition, le renvoi aux comités de quelques propositions pour être examinées à la fin de la révision, permirent à l'Assemblée de décréter dans la même séance

un assez grand nombre d'articles (1); mais le lendemain la délibération fut interrompue par les débats qui s'élevèrent à l'occasion de l'article io du chapitre III (toujours titre III. )

Sur la présence des ministres dans les assemblées nationales, et sur les cas dans lesquels ils peuvent y être entendus. (Voyez tome V, pages 166 et suiv., la première discussion qui eut lieu sur le même point. )

Cet article 10 était ainsi conçu dans le projet :

« Les ministres du roi auront entrée dans l'Assemblée nationale législative; ils y auront une place marquée; ils seront entendus sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l'être, et toutes les fois qu'ils seront requis de donner des éclaircissemens. »

Les comités proposaient dans cet article une disposition déjà rejetée par l'Assemblée, quoique proposée et soutenue par Mirabeau : on s'étonna de la retrouver dans le projet de Constitution. M. Robespierre fut le premier à la combattre comme étant subversive de tous les principes de la représentation nationale, de la séparation et de l'indépendance des pouvoirs ; il conclut au rejet le plus absolu. M. Barrère obtint ensuite la parole.

M. Barrère. ( Séance du 15 août 1791. ) « Je n'attaque dans l'article proposé que la trop grande latitude et le dangereux pouvoir qu'on me paraît donner aux ministres dans ces paroles ils seront entendus sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l'étre; c'est leur donner

(1) Lorsqu'on mit aux voix la section qui concerne les ministres MM. Guillaume et Saint-Martin firent la motion qu'on y ajoutât le décret du 6 avril 1791 (voyez tome V, pages 177 à 202), portant que le corps législatif pourra déclarer au roi que ses ministres ont perdu la confiance de la nation. M. Thouret s'y opposa au nom des comités :

« Il nous a paru, dit-il, que c'était une disposition qui ne méritait pas d'être dans l'acte constitutionnel, car aux termes du décret le roi peut garder ses ministres malgré la déclaration du corps législatif; or nous ne croyons pas digne de la Constitution d'y mettre de ces sortes de dispositions qui n'aboutissent à aucune exécution. »>

Sur cette seule raison donnée par le rapporteur l'Assemblée laissa tomber la motion, qui d'ailleurs fut retirée par ses auteurs.

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