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Egypte. Le successeur du vice-roi rétrograde AbbasPacha, le continuateur des traditions intelligentes de MehemetAli, S. A. Mohammed-Saïd-Pacha, s'est honoré en remplissant avec le dévouement le plus absolu ses devoirs de vassal envers son suzerain de Constantinople. Il a donné une impulsion nouvelle aux travaux qui doivent régénérer l'Égypte et assuré sa haute protection à une création gigantesque appelée à changer les destinées commerciales du monde. Le 12 mars, il a posé solennellement la première pierre des fortifications du barrage à Alexandrie et, dans les derniers jours de l'année, il a approuvé le tracé direct par Suez et Peluse d'un canal destiné à joindre la Méditerranée à la mer Rouge. M. Ferdinand de Lesseps, auteur de ce beau projet, a été autorisé par le vice-roi à constituer par privilége spécial une Compagnie universelle du canal maritime de Suez, ayant pour objet le percement de l'isthme, l'exploitation d'un passage propre à la grande navigation, la fondation ou l'appropriation de deux entrées suffisantes, l'une sur la mer Rouge, l'autre sur la Méditerranée, et l'établissement d'un ou de deux ports.

Tunis. Le bey de Tunis, Achmet-Bey, avait, plutôt par déférence religieuse que par reconnaissance de la suzeraineté d'Abdul-Medjid, envoyé à Constantinople un contingent dont la présence n'eut d'autres résultats que des actes déplorables d'indiscipline et de violence exercés contre les chrétiens. Mort le 30 mai, Achmet-Bey fut remplacé sur le trône de la régence par Mohammed-Bey, l'aîné de la famille et bey du camp. MohammedBey adopta, dans les premiers jours de son règne, quelques mesures administratives qui semblaient devoir être le prélude d'une série de réformes projetées dans l'intérêt de l'agriculture et du commerce tunisiens.

Le droit que prélevait le fisc sur la récolte des céréales fut considérablement diminué. Le chiffre de ce droit est déterminé dans la Régence deux ou trois semaines avant l'époque de la moisson, d'après le rapport fait par des agents-collecteurs chargés d'aller expertiser les champs ensemencés, et qui fixent approximativement, et d'une manière souvent arbitraire, l'impôt en nature que doit payer le propriétaire sur la récolte,

impôt calculé d'après l'importance du terrain labouré et ensemencé par lui'.

Tripoli. Cette régence, dont l'existence se révèle rarement à l'Europe, fut troublée cette année par une insurrection sérieuse, à la tête de laquelle s'était placé un cheik arabe. Ce chef, du nom de Ghouma, avait la prétention de représenter la nationalité des tribus indigènes contrairement au gouvernement existant, qui doit hommage au Sultan. Ghouma avait, vers l'année 1835, le commandement du Gebel ou district montagneux. Une question relative à la succession contestée à la souveraineté de Tripoli fut soumise au Sultan Mahmoud qui, au lieu d'agir en médiateur, envoya une flotte et une armée prendre possession du pays. Ghouma résista; mais il fut à la fin obligé de se rendre, et il fut envoyé à Trébizonde d'où il réussit plus tard à s'échapper. Il fut reçu dans sa patrie avec enthousiasme, et il arbora le drapeau de l'indépendance. Le gouvernement central ne laisserait pas longtemps cette révolte impunie.

PERSE.

La situation intermédiaire de la Perse entre les possessions coloniales de la Grande-Bretagne et l'extrême frontière de l'empire russe en Asie, a attiré l'attention du monde sur ce royaume. La neutralité était assurément, pour la Perse, la seule politique praticable: mais la lutte d'influences qui depuis longtemps s'est établie à la cour de Téhéran entre les représentants des cours de Saint-Pétersbourg et de Saint-James, a failli plus d'une fois entraîner la politique persane hors du cercle de ses intérêts véritables.

C'est ainsi que, sur l'instigation de la diplomatie russe, ún conflit survint entre la Perse et la Grande-Bretagne.

Un fonctionnaire persan, du nom de Mirza, ayant été mis

1. La base de ce calcul est la Machia, mesure agraire qui se dit d'une paire de bœufs et de l'étendue de terrain qu'on peut labourer avec pendant toute une saison. C'est la même mesure appelée en Algérie: Zouidja, dans la province d'Alger; Sekka, dans l'ouest; Djebba, dans la majeure partie de la province de Constantine. La Machia de Turris équivant à sept hectares et demi.

hors d'emploi, offrit ses services à l'ambassade anglaise, qui l'agréa en qualité d'agent britannique dans la ville de Chiraz.

On sait qu'en Persc il est certains endroits qui souffrent difficilement la présence d'agents étrangers par leur nationalité. Chiraz est un de ceux-là, et le gouvernement anglais avait saisi l'occasion de s'y faire représenter par un agent de nationalité persane.

Lorsqu'il fallut consacrer la nomination du nouveau consul, le gouvernement persan fit à l'ambassade de nombreuses et très-aigres objections. M. Murray demanda alors qu'on lui donnåt par écrit les raisons de cette fin de non-recevoir qui lui paraissait motivée sur des prétextes tout autres que celui d'une vindicte à l'égard de Mirza. Pour toute réponse, on intima à l'ambassade l'ordre de remettre son consul entre les mains du Gouvernement. M. Murray répondit que Mirza était sous la protection britannique en sa qualité de fonctionnaire anglais, et qu'il pouvait encore moins obtempérer aux ordres qu'il n'avait obtempéré aux représentations. Cependant comme des menaces avaient été portées contre l'agent de Chiraz, M. Murray déclara qu'il se trouvait dès ce moment placé sous la protection immédiate du pavillon britannique.

Les meneurs de cette querelle, se voyant déjoués dans leur projet, cherchèrent une satisfaction dans un acte qui violait ouvertement le droit des gens. Ils enlevèrent, sous un prétexte de parenté avec la famille royale, la femme de l'agent de Chiraz et la mirent en lieu sûr après avoir déclaré qu'ils ne rendraient la liberté à leur otage que lorsque Mirza serait restitué entre leurs mains. M. Murray protesta énergiquement contre cette mesure arbitraire, et réclama la mise en liberté de la femme de Mirza; il déclara qu'une détention prolongée constituait un cas d'insulte à la nation britannique. Le Gouvernement ne tint aucun compte de cette protestation, et accusa directement M. Murray de ne réclamer la liberté de la femme de Mirza que parce qu'il entretenait avec elle des relations coupables. Cette insulte toute gratuite ne fut pas la seule; elle donna le signal à de nouveaux outrages.

En vain l'ambassadeur français, M. Bourrée, essaya-t-il de

ramener la cour de Téhéran à des sentiments plus conformes à sa dignité, en vain des représentations officieuses furent-elles également faites par des fonctionnaires et des étrangers, tout fut inutile, et la cour persistant dans sa conduite, M. Murray déclara qu'il laisserait s'écouler quarante-huit heures jusqu'à réparation de l'offense, à la suite desquelles il amènerait son pavillon.

Des intermédiaires officieux, espérant que cette situation. était le résultat d'un malentendu, décidèrent M. Murray à prolonger l'intervalle de la suspension. Le pavillon anglais avait été amené le 20 novembre; quatorze jours s'écoulèrent, pendant lesquels la situation devint plus intolérable que jamais; à bout de patience, M. Murray fit une dernière sommation. Il lui fut répondu par la menace d'enlever de vive force l'agent de Chiraz au milieu du personnel même de la légation, s'il manifestait l'intention d'accompagner l'ambassadeur dans sa retraite.

Le quinzième jour (4 décembre) s'étant écoulé sur ces entrefaites, M. Murray se disposa à effectuer son départ qui eut lieu le 6. L'agent consulaire, craignant que la menace proférée contre lui ne fût mise à exécution, n'osa accompagner la légation dans sa retraite. L'ambassadeur français, qui avait mis en œuvre tous les moyens propres à faire rendre justice à son collègue, déclara qu'il réclamerait à son tour du gouvernement persan une satisfaction complète pour le mépris dans lequel on avait tenu son intermédiaire, d'abord officieux et devenu plus tard officiel.

A la situation créée par cet incident s'ajouta la violation d'une promesse formelle faite en 1853, par le gouvernement persan, de s'abstenir de toute espèce d'intervention dans les affaires de l'Afghanistan. Malgré cet engagement, le gouvernement de Téhéran avait entrepris une expédition contre Hérat, point important, dont l'occupation par une puissance hostile menacerait gravement les intérêts de la Grande-Bretagne dans l'Asie centrale.

La prise d'Hérat par les Persans fut tout à tour annoncée, démentie, puis affirmée de nouveau, bien que cette nouvelle

fût au moins prématurée. Selon les uns, une révolution de palais ayant renversé le souverain de cette principauté indépendante, un prince indigène, soutenu par des troupes commandées par un chef au service de la Perse, était monté sur le trône, et avait fait périr dans de sanglantes exécutions son prédécesseur et toute la famille royale; selon d'autres, au contraire, l'initiative du mouvement serait partie de Téhéran, à l'instigation de la Russie, et le nouveau khan d'Hérat ne serait qu'un instrument de la Perse.

Ces questions, indépendamment de la confusion résultant des distances et des informations incomplètes, sont fort difficiles à résoudre quand les événements auxquels elles se rattachent se passent dans des pays qui rappellent, par leur situation intérieure et le relâchement des liens sociaux, le régime qui pesait sur l'Europe lorsque le moyen âge y voyait régner mille petits tyrans, détrousseurs de grand chemin et rebelles à toute autorité supérieure.

Quoi qu'il en soit, Dost-Mohammed, roi de Caboul, un des chefs les plus énergiques de l'Afghanistan, se serait ému des faits accomplis à Hérat; il aurait fait appel à toutes les tribus qui obéissent plus ou moins à ses ordres, et se réconciliant avec ses frères, qui redoutaient son ambition, il aurait réuni une armée très-considérable pour tenir tête à toute invasion qui pourrait venir du côté de la Perse.

Celle-ci aurait cru devoir répondre à ces démonstrations, et comme Hérat a toujours été une pomme de discorde, un objet de convoitise entre les Afghans et les Perses, elle aurait concentré des troupes dans les provinces nord-ouest de l'empire et les aurait dirigées vers Hérat, sa nouvelle conquête selon les uns, son alliée selon les autres.

Dans tous ces conflits d'influence, la France, par la nature même de ses intérêts territoriaux, ne saurait avoir d'autre part que celle que peut et doit réclamer une grande puissance privée d'action immédiate sur ces contrées lointaines. Aussi, le Gouvernement impérial s'est-il contenté de reconstituer sa légation à Téhéran, par l'envoi de M. Bourrée. Un traité d'amitié et de commerce fut conclu, le 12 juillet, entre le ministre de France

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