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Enfin, sous le rapport du ravitaillement et des objets de matériel nécessaires aux bâtiments en relâche, le commerce local de Tahiti est amplement pourvu, et, manquât-il de quelques objets, l'arsenal lui vient en aide et consent toujours, presque à prix coûtant, à livrer aux capitaines les marchandises que les négociants n'auraient pas en magasin. Les naturels, qui commencent à sentir le prix du travail, et dont l'émulation a été excitée au contact de la civilisation européenne, s'adonnent à la culture et à l'élève des bestiaux; ils fournissent à des prix modérés des bœufs, des cochons, de la volaille, des légumes, des fruits, etc., etc.

Les baleiniers n'ont pas longtemps méconnu ces avantages, et la sollicitude de notre administration a été récompensée de ses soins et de ses travaux en voyant, pendant les trois dernières saisons surtout, les capitaines baleiniers venir prendre à Papaété leurs quartiers d'hiver. Une portion notable de ceux qui faisaient autrefois la même relâche aux îles Sandwich viendront dorénavant à Tahiti.

Mais ce qui est surtout destiné à faire de cette île le centre d'un mouvement actif, c'est sa position exceptionnelle qui la désigne de préférence à toute autre comme l'étape forcée de la navigation à voiles et à vapeur sur toute la côte de l'Amérique du Sud, depuis Panama et l'Australie. C'est à Tahiti que les steamers chargés de passagers et de fret pour la NouvelleHollande feront relâche à l'aller et au retour; c'est là qu'ils trouveront de l'eau, des vivres frais et du charbon. Par une coïncidence également favorable, il pourrait arriver que les découvertes de ce combustible récemment faites à la NouvelleCalédonie nous permissent de trouver à Tahiti même un important débouché pour ce produit de la colonie voisine.

Malheureusement les préoccupations de la guerre européenne et la nécessité où le gouvernement anglais s'est trouvé de se servir, pour les besoins de son armée, des steamers désignés à l'Australie, n'ont pas permis que cette ligne fût encore établie, et le contre-coup a eu pour effet d'arrêter l'essor prospère que Tahiti a pris depuis deux ans. Mais ce n'est qu'un retard momentané, qui n'affecte nullement notre colonie; car, nous

l'avons dit, elle offre, entre toutes les fles semées dans l'océan Pacifique, des avantages uniques qui lui assurent le présent et lui garantissent l'avenir.

En dehors des avantages principaux que nous avons énumérés et qui destinent Tahiti à devenir le centre d'un commerce actif, l'agriculture, dont le développement sera la conséquence naturelle du mouvement maritime, peut offrir des ressources importantes au colon. Parmi les produits tropicaux qui y croissent avec une facilité extrême et dont la qualité est reconnue, des plantations de café y obtiendraient un plein succès, et il serait facile de créer, au bout de peu d'années de travail, des plantations au moins aussi importantes que celles de CostaRica. Les indigènes ne refusent pas de travailler, et ils se contentent d'un modeste salaire, et de ce côté, d'ailleurs, le colon français ou étranger trouve un appui énergique de la part de l'administration.

Les taxes sont légères et le commerce n'en est nullement obéré : elles consistent en un faible droit perçu sur les spiritueux et dans le droit de patente. Ainsi une barrique de vin paye à l'entrée la somme de 10 fr., et les patentes de première classe, celles qui confèrent le droit de vendre toutes les marchandises sans exception, sont de 400 fr. par an. Malgré cela, pour donner une idée de la prospérité présente de la colonie, ces deux uniques sources du revenu colonial ont produit en 1854, 175,000 fr., et ont permis à l'administration de la marine de réduire de 100,000 fr. la subvention annuelle que la métropole paye à cette colonie.

Dans ces derniers temps enfin, le nombre des négociants s'est considérablement accru, et l'aisance que l'on remarque dans leurs demeures ainsi que leur genre de vie prouvent suffisamment que le commerce auquel ils se livrent produit des résultats avantageux.

Les colonies françaises ont été dignement représentées à la grande exposition universelle de 1855.

Nos trois belles colonies de la Martinique, de la Guadeloupe et de l'île de la Réunion, dont les héroïques efforts agricoles et industriels feraient certainement triompher la cause du travail

libré sans l'énormité du tarif métropolitain, ont envoyé des échantillons de leurs plus riches comme de leurs plus modestes produits. Sucres d'usine de la Martinique, fabriqués par les anciens procédés améliorés; cafés de Cayenne, de Mayotte, de Sainte-Marie de Madagascar; beaux échantillons de coton de la Guadeloupe; spécimens de bois de construction et de bois précieux, parmi lesquels on remarquait l'ébène verte de la Guyane; ananas conservés de la Martinique et de la Guadeloupe; colles de poisson de Cayenne: ivoires et pelleteries du Gabon; toileries des comptoirs de l'Inde et spécialement de Pondichéry telles sont les productions qui, avec celles de l'Algérie, ont le plus attiré les regards et éveillé dans les esprits et dans les cœurs, en France, l'espérance de progrès plus rapides sous un régime de liberté mieux entendue.

HISTOIRE ÉTRANGÈRE

CHAPITRE PREMIER

BELGIQUE.

Retraite du ministère de Brouckère, crise ministérielle, entrée aux affaires du cabinet de Decker. Bilan de l'administration tombée, causes véritables de sa chute. Caractère de l'administration nouvelle, hostilités, démission du président de la chambre des représentants. - Clôture de la session, élections nouvelles, progrès du parti catholique. Résumé de la session précédente, projet relatif aux travaux de defense d'Anvers. Rôle de la Belgique dans les complications européennes, voyages politiques du roi des Belges, inquiétudes sans fondement concernant la neutralité du royaume.. Ouverture de la session nouvelle, discours royal, déclaration relative à l'indépendance de la Belgique, incident Jaquin, demande d'extradition faite par le gouvernement français, difficultés élevées, annonce d'un projet de loi sur l'attentat politique, exagérations libérales; les réfugiés en Belgique, la diplomatie hostile à la France. Projet de révision du tarif des douanes, pourquoi n'aboutit pas. - Budget, dette, situation de l'Union du crédit. - Population. — Marine marchande. Voyages du duc de Brabant.

Un fait important qui domine l'histoire politique de la Belgique en 1855, c'est la retraite de l'administration de Brouckère, remplacée le 29 mars par un nouveau cabinet, appartenant au parti catholique ou conservateur.

Le cabinet présidé par M. Henri de Brouckère devait avoir le sort de tous les gouvernements de conciliation. Exposé aux

attaques des partis extrêmes, il ne trouvait d'appui que dans la fraction la plus modérée du parti libéral. Entré aux affaires le 31 octobre 1852, le cabinet de Brouckère n'avait pas eu à subir une opposition bien sérieuse, et sa position n'avait pas été menacée plus vivement qu'il n'avait semblé s'y attacher luimême. Mais il ne tenait pas par ses principes et par ses notabilités aux partis qui représentent vraiment l'opinion en Belgique. Il avait eu, pour les questions graves, la majorité dans le parlement; il avait réussi à terminer le différend commercial imprudemment élevé entre la Belgique et le France; il avait honoré son passage au pouvoir par la consécration du principe de la propriété littéraire; il avait, par la convention d'Anvers, cherché à concilier l'autorité civile et le clergé catholique; il avait, enfin, par diverses mesures telles que la conversion des rentes (1er décembre 1852), le développement des relations commerciales et des communications maritimes, attaché son nom à l'histoire du pays; mais il lui manquait un caractère, une passion, un drapeau. Le ministère de Brouckère tomba par impuissance de durer.

La crise produite par cette retraite dura presque tout un mois, du 2 au 29 mars. Cette crise s'aggravait surtout d'un bruit mensonger qui lui assignait pour cause déterminante une pression étrangère. Ce bruit, M. Henri de Brouckère vint le repousser de la manière la plus formelle.

L'attitude de la France avait-elle donné à cette calomnie le moindre prétexte? On sait le contraire. Dès le début de la guerre d'Orient, il est vrai, le patriotisme peu éclairé de quelques hommes de parti avait excité les esprits contre le gouvernement impérial. On avait hautement professé des sympathies inopportunes et dangereuses pour la Russie, pour répondre à de prétendues menaces contre la nationalité belge, et on avait vu, à la fin de 1854, lors de l'ouverture de la session des Chambres, le président de la Chambre des représentants faire, en s'asseyant au fauteuil, cette espèce d'oraison funèbre de la Belgique :

« Nous vivons dans des temps difficiles, l'inquiétude agite les esprits; c'est un état de choses qui exige beaucoup de pru

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