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CHAPITRE VII

SESSION LEGISLATIVE. MATIÈRES ADMINISTRATIVES.

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Ouverture de la session ordinaire de 1855, vote unanime de l'emprunt de 500 millions. Dotation de l'armée, exonération, rengagement: projet du Gouvernement, exposé des motifs, rapport de la commission, amendements, objections et réponses, M. de Montalembert, vote, la loi jugée par ses effets. - Organisation municipale, rapport de M. Langlais, vote. Réforme de la procédure civile, contrainte par corps, vote. - Réforme de la procédure cri- Justices de paix, modifications apportées à leur régime. - Transcription hypothécaire, portée de la loi nouvelle. - Travaux divers, taxe municipale sur les chiens, etc. Clôture de la session ordinaire. de la session extraordinaire.

minelle.

Ouverture

Session législative. Ouverte le 29 décembre 1854, la session législative de 1855 avait été inaugurée par le vote unanime de l'emprunt de 500 millions, couvert avec un enthousiasme que nous avons raconté dans cet Annuaire et dans le précédent.

Dotation de l'armée, Exonération, Rengagement. - Le plus important des projets présentés au corps législatif (26 janvier) substituait l'exonération vis-à-vis de l'État au remplacement libre de l'armée et développait le système des rengagements. Nous l'étudierons dans son ensemble et dans ses détails.

L'exposé des motifs, dû à M. le général Allard, président de la section de la guerre au conseil d'État, indiquait la raison qu'avait eue le gouvernement pour modifier l'organisation militaire de la France, si excellente et si justement admirée.

Le principe fondamental de notre état militaire est écrit dans la loi de l'an vi; c'est celui-ci : Tout Français doit le service à la patrie. Confirmé par la loi de 1818, consacré par la loi du 21 mars 1832, ce principe est devenu le fondement de toute organisation militaire en France.

Rappelons-en, avec M. Adolphe de Belleyme, rapporteur de la commission, les dispositions générales. Nous en empruntons le résumé à son excellent travail.

En vertu de la loi de 1832, le service militaire personnel et gratuit est obligatoire pour tous les Français âgés de vingt ans.

Tous les jeunes gens ayant atteint cet âge sont soumis au recrutement; des listes sont dressées à cet effet dans chaque canton, et l'ensemble des jeunes gens portés sur ces listes forme ce qu'on appelle la classe de l'année.

Une loi votée comme l'impôt détermine le nombre d'hommes mis annuellement à la disposition du Gouvernement pour entrer dans les rangs de l'armée. Un tirage au sort fixe l'ordre dans lequel les jeunes gens doivent être examinés par les conseils de révision, pour savoir s'ils sont propres au service. Ceux qui sont reconnus aptes au service forment la liste du contingent jusqu'à concurrence du nombre fixé par la loi. Les conseils de révision arrêtent cette liste et proclament libérés du service tous ceux qui, par le bénéfice du sort, ne s'y trouvent pas compris.

La loi reconnaît à tout individu faisant partie du contingent le droit de fournir un autre homme à sa place; c'est le droit de remplacement.

La durée du service est fixée à sept ans.

Enfin, les jeunes gens faisant partie du contingent prennent le titre de jeunes soldats appelés.

La loi du recrutement, l'obligation générale du service militaire, la fixation annuelle et législative du contingent, le tirage au sort, tels sont les éléments principaux qui constituent la

puissance et la force d'extension de l'état militaire de la France.

C'est au moyen de cette combinaison que l'on peut, suivant les circonstances, faire des appels de 80,000, de 100,000, de 140,000 hommes, que l'on passe du pied de paix à la paix armée ou au pied de guerre, et d'un effectif de 300,000 hommes à un effectif de 500,000 et même de 900,000 hommes.

C'est grâce à l'élasticité de notre organisation militaire qu'on peut, chaque année, la réduire à sa plus simple expression ou la livrer à son plus redoutable développement, tout cela sans trouble, sans difficulté, sans changement dans la loi ni dans la manière de procéder. Les populations, qui y sont depuis longtemps façonnées, n'éprouvent aucune surprise, et leurs habitudes sont préparées d'avance à ses exigences.

En vertu de ce système, nous avons une armée que l'on peut véritablement appeler nationale, et qui répond dignement à tous les sentiments de la France.

Par l'effet et le jeu régulier de la loi, notre armée se recrute et se retrempe chaque année dans la jeunesse encore intègre des villes, et surtout des campagnes, dans la population calme, patiente, courageuse et disciplinable de notre pays. Dans ce milieu sain et robuste, les natures ardentes, les gens plus ou moins déclassés, les enrôlés volontaires, ceux qui se jettent dans la carrière des armes pour ses chances, ses aventures et les perspectives qu'elle ouvre à l'ambition, peuvent trouver sans inconvénient leur place et leur emploi.

Rien n'est plus favorable qu'un pareil état de choses à l'esprit militaire; il entretient dans les familles et chez les jeunes gens cette idée que tout Français naît soldat de son pays : chacun s'habitue d'avance à la perspective du service militaire qui attend indistinctement tous les hommes de 20 ans, et chacun se fait un point d'honneur de ses devoirs et de ses dangers.

Le principe de la loi du recrutement n'est plus discuté : cette égalité de tous devant la loi, scrupuleusement observée, rigoureusement pratiquée, ce devoir pareil pour tous de se dévouer à la défense du pays, l'absence de toute distinction, de tout privilége, de toute faveur, fait que chacun comprend et subit à son tour la nécessité du service militaire.

L'impôt le plus lourd, le sacrifice le plus grand, celui de la famille, de la liberté et de la vie, se fait ainsi accepter sans

murmure.

Aussi n'est-ce pas seulement un principe écrit dans la loi, mais un fait pratique et une chose passée dans les mœurs, que l'obéissance à l'appel du recrutement.

A 20 ans, tout le monde est prêt à porter les armes, et c'est vraiment quelque chose de merveilleux que cette facilité avec laquelle la France se lève tout entière pour la défense de l'indépendance ou de l'honneur national. Elle est véritablement ainsi un peuple de soldats, et jamais des aptitudes plus précieuses n'ont rencontré une organisation plus favorable.

Ces principes généraux, on ne pouvait songer à les ébranler; mais il avait paru qu'il y avait lieu à modifier le régime du remplacement et à organiser plus fortement l'armée et sa réserve.

Si l'organisation des cadres de l'armée est irréprochable, il n'en était pas de même du corps même de l'armée, constitué par les officiers et les soldats. Là, il ne semblait pas que les services rendus fussent suffisamment reconnus. La carrière militaire n'existait que pour les officiers il fallait en faire, pour les sous-officiers et les soldats qui s'y dévoueraient librement, un état et un avenir. L'amélioration du sort de ces derniers, leur rengagement, leur maintien durable dans les rangs de l'armée, seraient à la fois une réparation et un moyen de constituer une armée forte, expérimentée, aguerrie, éprouvée. Le rengagement des anciens soldats permettrait d'organiser facilement la réserve, en conservant des cadres toujours prêts à recevoir et à s'assimiler les levées nouvelles. Il y aurait là, même temps, un moyen puissant et efficace d'arriver, en temps de paix, à la réduction de l'effectif de l'armée et à des économies sur le budget de la guerre.

en

Le monopole aux mains de l'État du remplacement militaire par le moyen d'une caisse de dotation de l'armée, ressortait logiquement de la nécessité d'arriver à la substitution du rengagement au reinplacement. D'ailleurs, des raisons d'ordre et de moralité publique commandaient cette réforme du système

de remplacement suivi jusqu'alors. Sans parler des abus imputables aux établissements spéciaux de remplacement, l'élément fourni par le remplacement à l'armée augmentait d'une façon inquiétante. Chaque année, les remplaçants composaient environ le quart du contingent et il était impossible de nier que cet élément ne fût inférieur à l'autre.

Ainsi, d'une statistique des condamnations prononcées par les tribunaux ordinaires et par la justice militaire, il résulte que parmi les jeunes soldats la proportion a été de 1 prévenu sur 80, et 1 condamné sur 132; pour les remplaçants, elle s'est élevée à 1 prévenu sur 44 et à 1 condamné sur 62, c'està-dire à peu près au double. Quant aux peines disciplinaires, un relevé fait sur les registres de punitions de 24 régiments, 12 d'infanterie et 12 de cavalerie, a donné les résultats suivants : par cent appelés servant pour eux-mêmes, 74 jours de prison et 310 de salle de police; par cent remplaçants, 200 jours de prison et 630 de salle de police.

Dans ces chiffres on a tenu compte aux appelés des délits pour insoumission. Si l'on veut en déduire cette nature de délits, qui n'est que le retard apporté par les appelés à rejoindre leur régiment, qui ne touche en rien à leur moralité et ne peut être commis que fort rarement par les remplaçants, on trouve que pour les jeunes soldats il y a 1 condamné sur 239, et pour les remplaçants 1 sur 62.

Cette proportion différente augmente à mesure que l'on s'élève dans la gravité de l'échelle des peines. Ainsi, pour les condamnations capitales, ou à des peines afflictives et infamantes, les jeunes soldats représentent 1 condamné sur 1,951; tandis que les remplaçants en ont 1 sur 374; enfin ce ne sont pas seulement les prisons ou les salles de police que les remplaçants sont destinés à peupler, ce sont aussi les infirmeries, les hôpitaux et les ambulances, autant pour des maladies feintes et simulées que pour des maux que l'on ne peut pas comparer aux blessures reçues devant l'ennemi. (Ces chiffres et ces données sont extraits d'un excellent rapport de M. Vivien, 1853.)

En conséquence de ces principes, le projet admettait d'une manière générale et absolue, tous les jeunes gens compris dans

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