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[ARTICLE 2002.]

C'est en vain qu'on voudrait argumenter en faveur de ce dernier de l'art. 2073 du Code civil. Ce texte n'en dit pas plus que l'art. 2095. On convient que le gagiste, ayant un privilége, doit être payé avant les autres créanciers; mais cela ne veut pas dire qu'il sera payé avant tous créanciers privilégiés. L'art. 2073 ne parle que des créanciers simples, de même que l'art. 2095.

Ce que je viens de dire du gagiste milite avec une égale force contre la créance de l'aubergiste, du voiturier et de ceux qui ont le privilége sur le cautionnement.

75. MM. Persil et Dalloz se prévalent beaucoup des art. 661 et 662 du Code de procédure civile. "D'après ces deux "articles, disent-ils, le locateur dans une poursuite en con"tribution, peut se faire payer de tous les loyers qui lui sont "dus, même par préférence aux frais de poursuite, qui sont "frais de justice. Ne résulte-t-il pas de là que le locateur "prime les frais funéraires, les frais de dernière maladie, "etc.? Or, ce que ces articles établissent pour les loyers "s'applique aux autres créances de l'art. 2102, puisque les "raisons sont les mêmes, et qu'à l'égard de presque toutes "la préférence est accordée en faveur du droit de gage qu'a "le créancier ou de la possession qu'il a obtenue."

J'ai déjà répondu à cet argument par les observations que j'ai présentées suprà, no 65. MM. Persil et Dalloz s'attachent avec une docilité trop servile à la lettre des art. 661 et 662 du Code de procédure civile.

Et comment ne voient-ils pas qu'à force de vouloir trop prouver, ils ne prouvent rien? Quoi! le privilége du locateur serait préférable aux frais funéraires ! Mais l'humanité n'est-elle donc rien ! Et n'est-il pas même dans l'intérêt du locateur que sa maison soit débarrassée du corps du défunt, afin que sa propriété ne devienne pas un repaire infect et qu'il puisse l'utiliser ?

76. Appelée à se prononcer sur cette question, la cour royale de Paris a donné la préférence à l'opinion que je combats. M. Favard-Langlade a montré, avec beaucoup de

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raison, combien sont légères les raisons contenues dans son arrêt qui est du 27 novembre 1814 (1). Je me bornerai à dire qu'il est assez étrange que cette cour assure que “jamais "l'on a prétendu que les frais funéraires et les gages des doσε mestiques fussent préférés au privilége particulier du propriétaire." Mais oublie-t-elle la loi 14, § 1, D. De relig., qui est si formelle; l'autorité de Brodeau (2), de Chopin (3), de Charondas (4), qui étend sa décision aux frais de dernière maladie, de Loyseau (5), de Basnage (6), de Pothier (7), etc.?

La cour de Rouen a jugé aussi, par arrêt du 17 juin 1826(8), que le privilége des gens de service est primé par celui du propriétaire et du vendeur, par la raison que le privilége spécial affecte davantage la chose; mais cette cour est revenue à l'opinion contraire et seule véritable par un arrêt postérieur du 12 mai 1828 (9). C'est aussi dans ce dernier sens que se sont prononcées les cours de Limoges dans un arrêt du 15 juillet 1813, et de Pothiers dans un arrêt du 30 juillet 1830 (10). Je citerai enfin un arrêt de la Cour de cassation, du 14 décembre 1824, qui donne au privilége général de la douane la préférence sur le privilége spécial du vendeur à la grosse (11). Les considérans opposent avec une sorte de soin la généralité du privilége de la régie à la spécialité du privilége du prêteur, et il semble résulter de ce rapprochechement, que c'est à cause de la vertu que lui donne la généralité que le privilége du trésor a été préféré à celui du prêteur à la grosse.

(1) Sirey, 16, 2, 205. Dalloz, Hypoth., p. 82.

(2) Art. 161, Cout. de Paris.

(3) Cout. de Paris, chap. 20, n. 273, 275.

(4) Cout. de Paris, art. 172.

(5) Offices. liv. 3, ch. 8, n. 50.

(6) Hyp., passim.

(7) Procéd. civ., p. 196 et suiv. Orléans, t. 20, n. 116.

(8) Dalloz, 22, 2, 4.

(9) D. 29, 2, 61.

(10) Dalloz, Hyp., p. 81; et 1831, 2, 90.

(11) D. 25, 1, 9.

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134. Les vieux monuments de notre jurisprudence prouvent qu'en France les lois romaines sur la préférence des frais funéraires furent reçues avec plus de docilité. Loyseau, qui écrivait à une époque où l'on suivait encore les principes du droit romain sur les priviléges, assimile les frais de sépulture à une créance accompagnée d'hypothèque privilégiée (1). Plus tard, et lorsque les priviléges acquirent dans notre jurisprudence une supériorité non contestée sur les hypothèques, celle des frais funéraires, sur tous les autres priviléges, fut moins douteuse que jamais. Elle est enseignée par Basnage (2), par Pothier (3), Delacombe (4), Bourjon (5), et une foule d'autres jurisconsultes rappelés cidessus, no 76.

Néanmoins, Basnage parle d'un arrêt du parlement de Paris, qui abjugea la préférence au locateur, au préjudice d'un marchand qui avait fourni les habits de deuil et frais des obsèques. Mais il est douteux que dans cette espèce il s'agit véritablement de ce qu'on doit appeler frais funéraires. Au reste cette décision est critiquée avec raison par Basnage, en tant qu'elle aurait abjugé la préférence sur les frais funéraires. Mais, quoi qu'il en soit de cet arrêt, on voit par cet historique de notre droit français, si la cour royale de Paris a été bien fondée à dire dans un arrêt du 27 novembre 1814 (6), qu'on n'a jamais prétendu que les frais funéraires fussent préférés au prévilége spécial du locateur !!!

135. Il faut maintenant expliquer quelles sont les sommes qu'on peut proprement appeler frais funéraires,et qui jouissent du privilége. Car il ne faut pas croire que tout ce qui est dépensé pour l'inhumation soit privilégié.

(1) Off., liv., ch. 8 n. 23.

(2) Hyp. ch. 9.

(3) Procéd. civ. p. 193, et Orléans, Int., t. 20, ₹ 9, n. 117. (4) V° Frais funéraires.

(5) Droit commun. t. 2. p. 687, n. 64.

(6) Dalloz, Hyp., p. 82. Suprà, n. 76.

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Les lois romaines offrent à cet égard des documens précieux.

Indépendamment de l'obligation imposée par la loi des Douze-Tables, d'éviter un luxe dispendieux dans les funérailles (1), les jurisconsultes s'étaient appliqués à faire connaître par des décisions spéciales ce qui devait entrer dans les dépenses des funérailles, et donner lieu à l'action funéraire dont il est parlé au titre du Dig. de relig. et impensis funer.

Par la loi 12, § 6, il est dit que les frais funéraires doivent être arbitrés selon les facultés et la dignité du défunt. "Sumptus funeris arbitrantur pro facultatibus vel dignitate "defuncti."

La loi 14, § 6, dit que l'action funéraire ne doit être accordée que pour les impenses, c'est-à-dire les dépenses nécessaires, et non pas pour les dépenses de luxes appelées sumptus.

Cet même loi 14 explique dans plusieurs de ses §§ quelles sont les impenses qui doivent être allouées.

Ce sont d'abord les sommes dépensées pour le transport du corps, in elationem mortui, et pour disposer le lieu de l'inhumation à recevoir le cadavre. "Si quid in locum fuerit "erogatum in quem mortuus inferetur, funeris causâ videri "impensum Lebeo scribit, quia necessario locus paratur in "quo corpus conditur (2)."

Ce sont aussi les frais du sarcophage (3).

Et les dépenses faites pour la garde du corps avant sa conduite au lieu de la sépulture (4), et pour le revêtir de la robe mortuaire que les anciens avaient coutume de mettre sur le défunt (5).

Du reste, tout ce qui est luxe, ornemens et monument n'est pas alloué à titre de frais funéraires (6).

(1) Cicer., De legib. lib. 2.

(2) L. 14, § 3 et 4. De relig. (3) L. 37, D. Idem.

(4) L. 37 et 14, 4. Idem.

(5) L. 14, 27. Idem.

(6) L. 14, 85, et 37, 2 1. Idem.

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En France, il a toujours été d'usage de ne comprendre dans les frais funéraires proprement dits que ce qui était indispensable pour la sépulture.

Un acte de notoriété du châtelet de Paris du 4 août 1692, fixait ces frais à une somme de 20 livres; mais il n'était pas suivi, d'après Pothier, qui enseigne qu'on s'en rapportait au juge pour arbitrer les frais, en égard à la qualité du défunt (1).

Pothier cite, dans son traité sur la procédure, un autre acte de notoriété du châtelet, du 24 mai 1694, portant que le privilége des frais funéraires était restreint par l'usage au port du corps et à l'ouverture de la fosse; c'est là ce qu'on appelait frais funéraires du premier ordre; que le surplus des frais funéraires, qu'on qualifiait de second ordre, ne se payait que par contribution avec les créanciers privilégiés, et par privilége à l'égard des autres créanciers non privilégiés (2).

Je pense que cet usage ne pourrait être suivi aujourd'hui, et qu'il serait difficile de scinder les frais funéraires en deux portions jouissant de priviléges différens. La loi ne leur assigne qu'un privilége unique, qu'un seul et même rang.

J'ai peine à croire d'ailleurs qu'on n'allouât pas les frais du sarcophage, de garde du cadavre, et du service religieux qui accompagne l'inhumation, pourvu toutefois que ces dépenses fussent modestes et proportionnées à la qualité et à la fortune de la personne. Les lois romaines me paraissent un guide plus sûr et plus raisonnable que les actes de notoriété dont parle Pothier (3).

(1) Orléans, introd., t. 20, ¿ 9, n. 117.

(2) Procéd. civ., p. 194.

(1) Les frais occasionnés par les prières et le service funèbre dits la neuvaine et du bout de l'an ne sont pas privilégiés. Arrêt d'Agen du 28 août 1834 (Dalloz, 33, 2, 152. Sirey, 35, 2, 426).

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