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[ARTICLE 1980.]

dans ce chapitre, après que nous aurons fait quelques observations préliminaires communes à toutes.

Observations préliminaires.-Pour bien pénétrer l'intention du législateur dans l'institution des formalités qui se trouvent dans les contraintes, il faut connoître quelles sont les considérations qui l'ont déterminé.

L'intérêt public est la premiere regle consultée; ainsi, toutes les autres considérations doivent lui céder, parce que le salut du peuple est la suprême loi.

L'humanité entre pour beaucoup dans ces considérations, et l'équité y tempere souvent la rigueur du droit.

En même temps que la loi considere l'intérêt du créancier et celui du condamné, elle ne perd pas de vue que celui-ci peut avoir d'autres créanciers qui aient des droits sur ses biens, et dont il faut ménager les intérêts.

Telles sont les considérations qui ont servi de guide à notre législation sur ce point; c'est d'après elles que nos loix ont déterminé, 1o quels sont les biens sur lesquels on peut exercer ces contraintes, et dans quel ordre on peut le faire; 2o la maniere dont elles doivent être dirigées, pour que l'intérêt public et particulier, l'humanité et l'équité, soient conservés autant qu'il est possible.

Nous ne donnerons ici aucun exemple pour le prouver; mais lorsque nous entrerons dans le détail des contraintes, nous aurons occasion de le faire à chaque pas.

Ces contraintes s'appellent en général saisies: on y ajoute ensuite une qualification en conséquence des objets sur lesquels elles s'exercent.

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*10 Pont, sur art.) I.-2. Toute obligation crée un lien 2092, C. N. de droit, une nécessité légale imposée à une personne au profit d'une autre personne. Or, l'obligation cesserait d'avoir ce caractère si, en même temps qu'elle lui permettrait de naître, la loi ne s'occupait pas des moyens d'en assurer l'exécution. En conséquence, le Code nous dit ici, d'une manière générale, que quiconque s'est obligé per

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sonnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens présents et à venir. C'est le rappel de l'ancien adage : Qui s'oblige oblige le sien.

Le Code, du reste, consacre en ceci un principe de haute moralité, une de ces règles qui ont pour base l'intérêt même de la société, la paix et la sécurité publique, une de ces règles dès lors qui sont de tous les temps et de tous les lieux, qui émanent de la loi naturelle, et que la loi positive constate bien plus qu'elle ne les crée.

3. Nous disons d'abord que le principe a pour base la paix et la sécurité publique. Et, en effet, le repos de la société est intéressé non-seulement à ce que les droits s'y établissent sans empiétement et suivant les modes déterminés, mais encore à ce que, ces droits une fois établis, l'exercice en soit assuré ou protégé par la loi. Or, l'obligation qui ne porterait pas avec elle, comme corrélatif, le droit, pour le créancier, d'agir contre son débiteur sous l'autorité de la loi et de le contraindre à l'exécution, serait inévitablement une cause de trouble, car le créancier n'aurait alors pour toute garantie que le bon vouloir du débiteur ou le devoir de conscience que l'obligation engendre, d'où sortirait pour lui, en présence d'un débiteur sans foi, l'alternative ou de voir son droit périr, ou de ne pouvoir le revendiquer que par un appel à la force.

4. Nous disons que le principe est puisé dans la loi naturelle et qu'il est de tous les temps et de tous les lieux. Toullier enseigne cependant que c'est seulement depuis l'établissement de l'état civil que tous les biens du débiteur ont été affectés de plein droit à l'accomplissement de ses engagements, et que jusque-là le débiteur n'a pu obliger ses biens qu'à la condition de les donner spécialement en gage à son créancier. Mais l'idée est fausse. Sans doute, le droit de gage sur les biens du débiteur, établi comme corrélatif de l'obligation, est un progrès de la civilisation, en ce sens que plus on s'est éloigné de la tradition des peuples barbares, plus on a senti que le gage principal du créancier, celui qui doit venir en premier ordre, c'est le bien du débiteur et non pas sa per

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sonne; d'où vient que partout où l'on s'est fait une idée exacte de la dignité de l'homme, la contrainte par corps n'a eu qu'un rang secondaire dans l'ordre des sûretés établies par la loi. Mais ce n'est pas à dire que l'établissement de l'état civil ait été pour quelque chose dans la pensée d'affecter de plein droit les biens du débiteur à l'accomplissement de ses engagements: cette pensée est nécessairement antérieure à l'établissement de l'état civil; elle a dû être révélée par l'instinct même du droit, et il n'y a eu besoin d'aucun développement de l'esprit juridique pour faire comprendre que celui qui a des biens doit souffrir qu'ils soient affectés à la sûreté de ses dettes, et que c'est là l'une des garanties sans lesquelles le lien naturel engendré par l'obligation laisserait cette obligation sans force ni valeur. L'idée de Toullier est donc fausse; et M. Troplong a mille fois raison contre lui quand il nous montre que, même à l'époque où la seule occupation faisait le droit du possesseur, et où la propriété ne s'appuyait pas encore sur l'hérédité (si tant est que cette époque ait existé jamais), une loi dictée par la conscience a dû commander impérieusement au débiteur de satisfaire à ses engagements par tous les moyens en son pouvoir, et permettre au créancier de l'y contraindre non-seulement par la saisie de 'la personne, mais encore par la saisie des biens. C'est cette loi aussi que nos articles rappellent et consacrent, avec cette réserve toutefois qu'ils affectent seulement les biens du débiteur, laissant à l'écart sa personne, laquelle ne répond que dans des cas tout à fait exceptionnels et expressément déterminés.

II.-5. Ceci dit, il faut rétablir d'abord la pensée réelle de notre article, pour passer ensuite au commentaire. La pensée de la loi doit être rétablie avant tout, puisque, en effet, notre article paraît à la fois dire trop et ne dire pas assez.

6. D'abord l'art. 2092 nous dit que " quiconque s'est obligé personnellement, etc."; et ici il est évident que la loi ne dit pas tout ce qu'elle doit dire et tout ce qu'elle veut dire. Ses rédacteurs sont encore sous l'empire de cette confusion, déjà

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signalée par Marcadé, qu'ils ont faite perpétuellement, sinon dans les choses, au moins dans les mots, entre l'obligation elle-même et le contrat ou le fait qui donne naissance à l'obligation. En la forme, ils paraissent séparer encore deux choses parfaitement identiques, deux dénominations complétement synonymes, l'obligation, terme qu'ils emploient pour indiquer le lien de droit résultant d'un contrat, d'une convention, et l'engagement, expression qu'ils réservent pour les obligations naissant de la loi, des quasi-contrats, des délits et des quasi-délits; et ils donnent à penser, par leurexpression restrictive, qu'il faut, pour que le débiteur soit tenu dans les termes de l'art. 2092, qu'il se soit obligé, c'est-à-dire qu'il y ait eu une convention, un contrat, tandis que, au fond, il est évident pour tout le monde, et pour les rédacteurs de la loi eux-mêmes, que l'effet qu'ils signalent dans cet article est commun à tous les engagements, quelle qu'en soit l'origine, soit qu'ils procèdent de la convention, soit qu'ils procèdent des autres sources de l'obligation. Il n'est donc pas indispensable que le débiteur se soit obligé, il suffit qu'il soit obligé pour que l'effet indiqué par l'art. 2092 se produise : c'est en ce sens que le texte de cet article doit être rectifié.

7. D'un autre côté, le même article dit d'une manière générale et sans aucune réserve que celui qui est obligé est tenu sur tous ses biens, mobiliers et immobiliers, présents et à venir. Mais la loi,qui tout à l'heure était trop réservée dans l'expression, devient maintenant trop générale; car il y a certains biens, et en assez grand nombre, que des textes positifs enlèvent à l'action des créanciers, et que l'art. 2092 n'a pas eu l'intention assurément de replacer sous cette action. Nous aurons à dire bientôt, en fixant l'étendue du droit de gage consacré par notre article, quels sont les biens que ce droit n'embrasse pas d'après les textes auxquels nous faisons allusion (voy. n. 10). Nous nous bornons, quant à présent, à constater l'existence de ces textes pour justifier notre observation, à savoir que notre article dit trop à la fois et ne dit pas

assez.

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8. C'est, du reste, ce que la Faculté de Caen avait parfaitement compris lorsque, dans ses observations sur les projets de réforme hypothécaire préparés par le gouvernement en 1841, elle proposait de substituer à l'art. 2092, tel que nous le trouvons dans le Code, la rédaction suivante: "Quiconque est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir, sauf les exceptions admises par les lois."

Au surplus, si notre article, tel qu'il est, ne dit pas précisément cela, c'est du moins cela précisément qu'il veut dire. Nous avons maintenant à indiquer le principe du droit qu'il consacre et à fixer l'étendue de ce droit.

III.-9. Quant au principe même du droit, notre article l'indique d'une manière précise: il faut que le débiteur soit obligé personnellement. Ainsi, le tiers acquéreur d'un immeuble grevé d'hypothèque ne se trouve pas dans les con. ditions de loi. Celui-là est tenu hypothécairement, et à ce titre il doit souffrir sans doute que le créancier exerce son recours sur l'immeuble grevé, puisque la charge hypothécaire suit l'immeuble en quelques mains qu'il passe. Mais le détenteur actuel n'est pas tenu autrement: il n'est pas le débiteur direct, personnel du créancier; ce n'est pas lui qui a contracté la dette à la sûreté de laquelle l'immeuble est affecté; s'il peut être actionné à raison de cette dette, c'est accidentellement, à cause de cet immeuble et parce qu'il en est actuellement détenteur, en sorte que l'immeuble venant à sortir de ses mains,soit qu'il ait péri par cas fortuit,soit qu'il ait été abandonné aux créanciers de qui l'action émane, le détenteur est libéré à l'instant, car l'obligation à son égard n'a plus de cause, et les créanciers n'ont plus rien à lui demander (voy. le comm. des art. 2166 et suiv., infrà, n. 1111 et suiv.). Telle est encore la situation des héritiers irréguliers réglée par les art. 756 et suivants du Code Napoléon; comme ils succèdent aux biens sans succéder à la personne, ils ne peuvent être tenus qu'à raison des biens et en tant qu'ils les détiennent. Telle aussi celle de l'héritier bénéficiaire auquel

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