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Pont Gille-Gisclard-Pigeaud.

Le commandant Gille, ingénieur principal de la marine, a réalisé un type de pont à grande portée pour l'artillerie lourde en combinant. d'une manière ingénieuse les travées Pigeaud renforcées, les pylônes, ancrages et suspensions Gisclard.

Il a constitué les appuis intermédiaires au moyen d'une poutre transversale à caisson soutenue par des câbles.

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Les matériels existants Pigeaud et Gisclard ont permis de franchir par ce procédé des brèches de 54 m. 45 avec un pont à deux travées mesurant 27 m. 50 chacune, et des brèches de 74 m. 60 avec un pont de trois travées de 25 mètres chacune.

La poutre de suspension a été le seul matériel supplémentaire qu'il a` fallu constituer.

Toutefois, le contreventement du pont Pigeaud, qui était calculé pour une portée maxima de 37 m. 50, a nécessité un renforcement; le commandant Gille l'a réalisé très simplement au moyen de haubans prélevés sur le matériel des ponts Gisclard-Pigeaud; ces haubans sont ancrés d'un côté à l'extrémité d'une antenne prolongeant la traverse de suspension, de l'autre dans les massifs de maçonnerie des culées.

Plusieurs applications ont été faites de ce type d'ouvrage, notamment à Pommiers sur l'Aisne et à Boran sur l'Oise; en supprimant les piles en rivière, dont les fondations eussent été fort difficiles, il a permis de raccourcir considérablement les délais d'exécution. En outre, ce mode de franchissement est particulièrement favorable à la navigation. Son seul inconvénient est d'absorber une quantité relativement importante de câbles.

Le procédé s'appliquerait également au pont Pigeaud à double poutre de rive (type du pont de Soissons sur l'Aisne). Le calcul démontre qu'on pourrait alors aller jusqu'à 50 mètres pour la longueur des travées, l'ouvrage livrant passage aux camions automobiles, mais non à l'A. L. G. P.

Le montage des ponts à appuis suspendus s'opère avec des chariots analogues à ceux employés à la construction du pont GisclardPigeaud.

On commence par amener les noeuds à leurs places à l'aide d'une nacelle circulant sur deux câbles jetés d'une rive à l'autre ; on suspend les nœuds au moyen de palans à une hauteur convenable pour amener les extrémités des câbles au pylône opposé.

On place la traverse de suspension.

On monte à terre les poutres de rive Pigeaud en les rapprochant de manière qu'elles passent entre les pylônes et en les entretoisant provisoirement avec des pièces de bois.

On les lance en les suspendant au chariot et à des palans à une hauteur un peu supérieure à celle de la traverse. On fait reposer leurs abouts sur la traverse. On les ramène à leur écartement normal et on met en place les pièces de pont.

Les poutres peuvent être lancées des deux rives ou d'une seule rive on les fait passer sur les travées déjà montées.

Cintres Descubes et fermettes Frontard.

Nous ne dirons qu'un mot d'un procédé de construction des cintres pour les ponts en maçonnerie et en ciment armé, procédé dont il a été fait une large application pendant la guerre et qui est sans doute appelé à devenir d'un usage courant.

Le procédé est dû à M. Descubes, ingénieur en chef de la voie à la Compagnie de l'Est.

Il consiste à former un premier anneau en béton armé, dont l'ossature métallique est constituée par des rails ou des fers cornières cintrés. Le premier anneau sert de cintre, et c'est sur lui qu'on monte le deuxième anneau de la voûte et les tympans.

Le capitaine Frontard, ingénieur des ponts et chaussées, a imaginé de substituer aux rails cintrés un système de fermettes à treillis qui interviennent d'une manière directe dans la résistance de l'ouvrage ; les éléments, extensibles à volonté, peuvent être préparés à l'usine et assemblés sur place. Ils sont d'un transport et d'un montage faciles.

Compagnies du génie maritime.

Il ne suffisait pas qu'un ingénieur eût étudié et trouvé des matériels pratiques de ponts-routes; il fallait les faire fabriquer dans les conditions d'extrême rapidité qu'exigeaient les circonstances et constituer des unités pour leur emploi.

Ce fut l'œuvre de M. Maugas, inspecteur général de la marine.

Son ardeur patriotique, partagée par les ingénieurs des constructions navales, ne pouvait s'accommoder longtemps de l'inaction à laquelle il s'est trouvé condamné, au moment de la mobilisation, par l'arrêt des travaux dans les arsenaux.

Le ministre de la guerre n'eut garde de refuser le concours, qui lui fut offert par le ministère de la marine, d'officiers réunissant une haute compétence technique à une grande expérience des chantiers, et, dès le mois de septembre 1914, M. Maugas et M. Bahon, ingénieur en chef de la marine, reçurent l'ordre d'entrer en collaboration avec M. Pigeaud pour l'étude de la question des ponts-routes militaires.

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Ils donnèrent la preuve qu'avec de la diplomatie, beaucoup d'activité et de volonté, on peut arriver à triompher des lenteurs administratives, même quand trois ministères sont en cause, comme c'était le cas. Le 7 octobre, les plans d'exécution du pont Pigeaud qui n'était pas conçu trois semaines auparavant étaient entre les mains du directeur des ateliers de la marine à Lorient, les commandes de matières premières étaient passées en France et à l'étranger et, deux mois après, on pouvait entreprendre la construction du pont de Verberie.

Restait la question de personnel le général de division Chevalier, directeur du génie, s'était préoccupé de la question et entrevoyait des difficultés considérables à trouver des cadres suffisamment techniques pour l'exécution des travaux. Aussi n'hésita-t-il pas à accepter la proposition que lui fit M. Maugas de constituer cinq équipes qui prirent le titre de compagnies du génie maritime, pleinement justifié par leur origine et leur composition. Placées sous le commandement d'un ingénieur de la marine, elles eurent comme cadres d'officiers un agent technique de la marine et un officier des travaux hydrauliques, et leur effectif de 50 hommes fut recruté pour une notable partie parmi les ouvriers spécialistes en fer et en bois des arsenaux et parmi des gabiers dont l'agilité professionnelle était tous les jours mise à contribution pour les lancements de câbles et toutes sortes de manoeuvres plus ou moins acrobatiques.

Ces cinq compagnies du génie maritime, qui furent portées à sept dont une compagnie de parc, restèrent à la disposition du général commandant en chef. Rattachées au service des routes militaires, elles furent placées sous le commandement direct de M. Maugas jusqu'en avril 1915, puis de M. Gille, ingénieur principal de la marine, jusqu'en avril 1917, enfin du commandant du génie territorial Isabelle.

Les officiers qui se succédèrent à la tête de ces compagnies furent, comme ingénieurs de la marine, MM. Falcoz, Ficheur, Gille, Stroh, de Boysson, Poncet, Nicolle, Ledoux, Aubert et de Metz-Noblat.

Ils furent tous réclamés successivement par leur ministre quand les arsenaux retrouvèrent leur activité: seul M. de Metz-Noblat put être, non sans peine, maintenu jusqu'à la fin comme représentant de la marine.

Des remplaçants furent trouvés, les uns parmi les ingénieurs des ponts et chaussées, les capitaines Dégardin, Méchin, Grelot et Casanova; les autres parmi des officiers de réserve et de l'armée territoriale que leurs connaissances techniques et leurs professions désignaient pour la direction des travaux confiés à ces compagnies, les capitaines Isabelle, Thobie, Daydé et Daguin, l'officier d'administra

tion Gianotti, les lieutenants Marcellet et Abgrall, et un officier de l'arme du génie, le capitaine Verrier qui trouva une mort glorieuse en dirigeant des travaux tout près des lignes ennemies en Belgique.

L'emploi de ces unités subit la même évolution que celui du service des routes en général.

Constituées à l'origine pour la reconstruction de ponts à caractère permanent dans la zone arrière, elles durent bientôt à la renommée qu'elles s'acquirent et aussi à l'allant de leurs officiers d'être réclamées par les généraux commandant les armées pour des travaux de l'avant; là où se préparait une offensive, le commandement voulait disposer immédiatement en arrière de nos lignes de ponts susceptibles de livrer passage aux camions et à l'artillerie lourde; puis, le front ennemi étant rompu, la poursuite exigeait le remplacement aussi prompt que possible, par des ponts plus forts, des ouvrages légers pour la construction desquels le génie n'avait disposé que de moyens de fortune.

Certains ouvrages furent construits avec une remarquable audace, à quelques centaines de mètres des tranchées, notamment les ponts en Belgique, pendant la bataille des Flandres; celui sur l'Aisne, en remplacement du pont dit des Anglais » à Soissons, à l'abri d'habiles camouflages donnant à l'ennemi l'illusion du statu quo.

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La longueur totale des ponts construits pendant la guerre par ces six compagnies, avec le seul concours d'unités de travailleurs, atteint le chiffre de 8.427 mètres, se répartissant comme suit :

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La première année, leurs champs d'action furent les vallées de la Marne, de l'Oise, de la Moselle et de la Meurthe.

En 1916, l'équipement pour A. L. G. P. des rivières d'Oise et d'Aisne absorba la majeure partie de leur activité. Entre temps, elles trouvèrent encore le moyen de prêter leur concours pour la construction de portes d'écluse et pour celle de baraquements.

Le 1er trimestre de 1917 retint deux compagnies entre Reims et Soissons pour la construction de 730 mètres de ponts, dont 400 mètres en charpente: puis, après le recul de l'ennemi, 655 mètres furent rapidement jetés dans la région dévastée.

En 1918, la première offensive allemande sur l'Oise conduisit au doublement des ponts en aval de Compiègne pour assurer les mouvements de l'A. L. G. P.; quelques semaines plus tard, les compagnies du génie maritime concentrèrent leurs principaux efforts sur la Marne, entre La Ferté-sous-Jouarre et Lagny.

Après la contre-offensive de juillet, ce furent Château-Thierry, Mont-Saint-Père, Jaulgonne, Dormans, Verneuil et Port-à-Binson qui devinrent simultanément les théâtres de leurs opérations. Au total, douze ouvrages d'une portée moyenne de 75 mètres furent construits en moins de trois mois.

Deux compagnies restées dans l'Est firent des ponts pour A. L. G. P. dans la région de Toul.

Enfin, après le mois d'août, quatre compagnies furent envoyées dans l'Oise et l'Aisne, et construisirent, en septembre et octobre, les ponts de Béthancourt, Montmacq, Le Joncquoy, Pontoise, Appilly et Chauny sur l'Oise et le canal latéral; de Pommiers, Soissons, Vailly, Berry-auBac, Neufchâtel, sur l'Aisne; en novembre, les ponts de Rethel, Vouziers et de Mézières.

Les officiers et les hommes des compagnies du G. M. acquirent une dextérité remarquable pour tous les travaux de ponts, et notamment pour l'emploi des matériaux Pigeaud et Gisclard-Pigeaud.

Un délai supérieur à trois semaines s'écoulait rarement entre la date de l'ordre d'exécution d'un pont de 50 à 70 mètres de longueur et celle où l'ouvrage était livré à la circulation.

Le pont Gisclard-Pigeaud (54 mètres d'ouverture). sur lequel la route 16 franchit l'Oise à Creil, a été exécuté en quatorze jours; à Boran-sur-l'Oise, le pont Gisclard-Pigeaud avec pile suspendue (système Gille), mesurant 64 mètres, fut construit en dix-huit jours; le pont de Verneuil, sur la Marne (quatre travées Pigeaud renforcées, total 75 mètres), demanda trente et un jours seulement, y compris réfection des culées et de la pile; le pont de Lagny (trois travées Pigeaud faisant ensemble 83 mètres) fut terminé en dix-huit jours..

Quand il s'agissait simplement de mettre en place une travée sur des appuis existants, c'était l'affaire de peu de jours, quatre ou cinq en moyenne; un passage supérieur de 27 m. 50 sur ligne de chemin de fer fut même rétabli en deux jours à Longpont.

Ces exemples, qu'il nous serait facile de multiplier, démontrent à la fois combien les matériels de ponts-routes constitués par le service des routes militaires pendant la guerre ont été pratiques et quel excellent parti les compagnies du génie maritime ont su en tirer.

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