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mins de grande communication et d'intérêt commun, aboutissant à la route nationale n° 3 (carrefour du Moulin-Brûlé), en passant par Naives, Rumont, Erize-la-Grande, Erize-la-Petite, Chaumont-sur-Aire, Souilly et Lemmes. Tel est l'itinéraire de la fameuse voie sacrée que l'État tiendra à honneur, nous n'en doutons pas, d'incorporer à son réseau national.

De l'ouest à l'est, on disposait de quatre transversales :

La première, Villers-Daucourt à Dugny, par Passavant, Fleurysur-Aire, Ippécourt, Vadelaincourt?

La seconde, Givry-en-Argonne à Dieue, par Triaucourt, Evres, Saint-André et Souilly;

La troisième, Sommeilles à Issoncourt, par Laheycourt, Beauzée; La quatrième, Revigny à Chaumont-sur-Aire, par Brabant-le-Roi, Villotte-devant-Louppy.

Tous ces chemins, à l'exception de celui de Bar-le-Duc au MoulinBrûlé, qui avait été, en 1915, porté à 6 mètres de largeur sur la plus grande partie de sa longueur, n'offraient que des chaussées de 3 mètres à 4 mètres de largeur, insuffisantes pour le croisement des camions. Toutes étaient en matériaux calcaires du Barrois, sauf la section de Bar à Naives du chemin de grande communication 11 bis, qui était en matériaux durs,

Triste réseau de chemins au regard des prévisions de trafic fournies par le Commandement, savoir :

Transport journalier par camions de 2.000 tonnes de munitions, de 1.500 à 2.000 tonnes de vivres et matériel divers pour le ravitaillement de 15 à 20 divisions; de 15 à 20.000 hommes;

Évacuation du matériel de toute nature existant dans la place de Verdun.

Tel était le problème en face duquel s'est trouvé le service routier au 21 février 1916, et il fallait « à tout prix que la route tînt ».

Tout le poids des organisations à prendre les premiers jours pesa sur les épaules du commandant Laroche, alors capitaine, chef du service des routes de la 3o armée; la tâche se divisa bientôt entre lui et le commandant Richard, chef du service des routes de la 2o armée, et leurs actifs adjoints, également ingénieurs des ponts et chaussées, le capitaine Colson et le capitaine Martin, qui a gagné à 29 ans ses galons de commandant, comme chef de service des routes de l'armée d'Orient.

Dès la première heure, un programme fut dressé pour l'exploitation de carrières et l'emploi des matériaux, les besoins en main-d'œuvre et matériel furent évalués, et réclamés au Commandement. En même temps, des dispositions spéciales furent prises pour la circulation.

La route de Bar-le-Duc à Verdun fut exclusivement réservée à la circulation automobile (ce fut la première des routes dites gardées). La circulation hippomobile, de l'ouest à l'est, fut répartie entre les transversales 2 et 4, et celle de l'est à l'ouest entre les transversales 1 et 3.

Un service de police de la circulation fut organisé sous les ordres d'une commission régulatrice dépendant de la direction des services automobiles; cette commission, comme d'ailleurs toutes les autres instituées par la suite, avait pour mission l'exploitation d'une route déterminée, mais n'intervenait en rien dans la direction des travaux de la voie dont était exclusivement chargé le service des routes.

Les moyens d'action du service routier, qui, le jour de l'attaque, se composaient seulement de deux compagnies de cantonniers, deux compagnies du génie d'étapes, trois bataillons d'infanterie, 150 tombereaux et une trentaine de camions, furent très rapidement grossis. Dès les premiers jours de mars, on disposait pour les routes, comme main-d'œuvre, de:

75 compagnies, dont sept de cantonniers et sept du génie d'étapes, fournissant un total d'environ 8.200 travailleurs effectifs;

140 camions;

400 tombereaux attelés.

Sur la route de Bar-le-Duc-Verdun, la moyenne des travailleurs a été, pendant la période la plus dure, de 20 hommes par kilomètre ; les transports des matériaux occupaient, pour cette seule route, deux tombereaux 1/4 et près d'un camion par kilomètre.

Le cube de pierre extrait a été, en moyenne, de 2.300 mètres cubes par jour, dont la moitié seulement était cassée, le reste était employé comme blocage. Sur la route Bar-le-Duc-Verdun, la consommation s'est élevée, en moyenne, à 10 mètres cubes par jour et par kilomètre; elle a dépassé 15 mètres cubes certains jours, parmi lesquels on peut compter ceux de dégel où, sur certaines sections, on voyait s'engloutir dans le sol, comme dans une mer de boue, des chargements entiers de tombereaux en gros moellons.

On travaillait de jour et de nuit, et toute lumière était interdite. On s'imaginera aisément ce qu'était, dans ces conditions, un chantier sur lequel, d'après plusieurs comptages, il passa jusqu'à 6.000 véhicules par vingt-quatre heures, soit un véhicule par quatorze secondes.

Avions-nous tort de dire, en commençant, que pareil tour de force semblait irréalisable? Les cantonniers l'ont cependant accompli, aidés par des territoriaux qui, ces jours-là, << en ont mis », voir même par des hommes de l'active qui, descendus la veille des tranchées, venaient, officiers en tête, s'offrir pour travailler à la route, comprenant bien

que, sans elle, les camarades qui se battaient à leur place ne pourraient pas << tenir ». A tous ces braves et à leurs chefs s'applique le mot d'un général voyant défiler les camions : « Il est certain que sans ces bougres-là nous étions f..... ! »

Sans oser une expression aussi énergique, nous sommes certain qu'à son tour le service routier aurait été fort en peine si la brusque offensive des Allemands avait eu lieu dans un secteur où il n'aurait pas trouvé, comme à Verdun, des matériaux en abondance, matériaux calcaires, médiocres assurément, mais qui, par leur facilité d'extraction, de cassage et de prise, sont, tout compte fait, ceux s'adaptant le mieux aux besoins des routes militaires en pareille occurrence. Nous en avons eu la preuve, quelques mois plus tard, à l'occasion de l'offensive de la Somme.

Offensive de la Somme en 1916.

Les ressouces en matériaux du secteur Albert-Bray-Chaulnes sont littéralement nulles, et le terrain naturel, constitué en surface par une épaisse couche de terre forte, ne se prête, en aucun temps, à la circulation même légère.

De même qu'à Verdun, la route axiale d'Amiens à Vermand par Villers-Bretonneux et Foucaucourt n'était pas nationale; mais sa chaussée était en porphyres belges, matériaux couramment utilisés avant la guerre dans la région du Nord, même sur les chemins secondaires.

Éclairés par l'expérience de Verdun sur l'intensité du trafic qu'une route gardée est appelée à recevoir, le chef du service, le lieutenantcolonel Le Gavrian, et le capitaine Seignobos n'hésitèrent pas à entreprendre l'élargissement à 7 m. 50 ou 8 mètres et le rechargement général de le route entre Amiens et Bray. Deux courants de camions et un troisième de voitures de tourisme pouvaient se croiser en même temps sur la route. Ce ne fut pas inutile.

Ce travail à lui seul absorba plus de 50.000 tonnes de pierres et occupa pendant plusieurs mois consécutifs un cylindre par 2 kilo

mètres.

En même temps, sous la direction du capitaine Schwob, s'effectuait l'élargissement à deux voies d'une seconde artère d'Amiens à Bray par Corbie et la vallée de la Somme.

Avisé dès le mois d'avril par le haut Commandement des opérations projetées pour l'été suivant, le service routier put réaliser ces travaux de préparation dans des conditions relativement faciles, bien que tous les matériaux fussent apportés par chemin de fer et en partie transbordés sur bateau.

Mais les choses se compliquèrent terriblement après l'avance du front; pour la première fois, le commandement avait appliqué la méthode de la préparation de l'assaut par plusieurs jours de pilonnage du terrain avec des obus de gros calibre; l'opération avait pleinement réussi, mais du terrain il ne restait qu'un cahos de profonds entonnoirs jointifs ou chevauchant les uns sur les autres : des chemins de Suzanne, Maricourt, Combles, Bouchavesnes, on ne trouvait plus trace et il fallait en reconstituer le tracé, la carte à la main.

Bien entendu, il ne pouvait être question, pour les chemins de fer, de suivre les troupes dans leur rapide progression.

On avait bien constitué quelques dépôts avancés de traverses, madriers et de fascines, mais, pour s'en servir, il fallait qu'un chemin praticable aux tombereaux chargés fût déjà ouvert.

Après un rapide nivellement du sol, on constitua un blocage avec des matériaux de démolition des villages; grâce aux nombreux chantiers qui furent ouverts simultanément, les convois hippomobiles pouvaient déjà passer pour ravitailler leurs unités quarante-huit heures après l'assaut.

Impossible de chiffrer les matériaux de pierres de toute nature et de toute grosseur qui se sont engouffrés, jour et nuit, dans ce chemin de Maricourt, sous l'active et courageuse direction du capitaine Lefort; la circulation, sans jamais s'arrêter, avait quelques heures d'accalmie, de 21 heures vers 2 heures du matin ; c'était le moins mauvais moment pour les cantonniers; mais le marmitage ne cessait jamais sur ce chemin bien repéré et encadré de pièces d'artillerie britanniques et françaises.

Malgré tout, quand les pierres dures commencèrent à arriver à la gare du Plateau, à force d'en jeter dans le sol entre les pieds des chevaux et les roues des camions, on parvint à constituer une chaussée solide de 5 m. 50 à 6 mètres de largeur sur laquelle se croisaient, d'une manière ininterrompue, plusieurs milliers de véhicules par jour; ce n'était pas précisément la chaussée unie, bien profilée, avec pierres cassées à l'anneau classique de 0 m. 06, que nos professeurs de la rue des Saints-Pères nous avaient enseignée; nous ne demandions plus aux carrières que des matériaux cassés à 12/18, sortes de petits pavés qui, bien que non cylindrés, finissaient par s'enchevêtrer les uns dans les autres et faire prise.

Bientôt apparut, avec le mauvais temps, le pire fléau : la boue; de toutes les boues qui ont été pour le poilu l'une des plus cruelles souffrances de la guerre, celle de la Somme occupe dans ses souvenirs la première place; boue lourde, gluante, dans laquelle on ne risque pas de disparaître, comme en Woëvre, mais d'où on ne sort pas.

Des camps s'étaient, pendant l'été, installés dans le bled, de part et d'autre des chemins, provoquant un va-et-vient perpétuel de piétons et de chevaux montés ou attelés.

Dès la première pluie, les apports de boue grasse sur la chaussée eurent comme conséquence l'arrachement des matériaux. La lutte contre la boue devint la grande préoccupation du service.

On ouvrit, non pas le petit fossé type de 0 m. 50 de plafond, mais de véritables tranchées latérales aux chemins et séparées d'eux par un cavalier en terre; de nombreuses et larges saignées, constamment entretenues, raccordaient ces douves au chemin.

Profitant des moments où la boue était liquide, et la liquéfiant au besoin artificiellement, on la poussait au balai dans les fossés où, après décantation, elle était extraite pour faire place à d'autre.

Puis, pour essayer de réduire les apports de boue, on fit, avec des rondins rugueux, des aires de décrottage, constamment nettoyées, que les véhicules étaient obligés d'emprunter pour accéder du camp riverain au chemin.

Des tronçons de chemins neufs faisant ensemble une longueur totale de 900 kilomètres ont été construits pour les voies d'accès aux gares, etc. Ces chemins, presque tous dans la zone des armées, ont présenté des difficultés spéciales en raison de la proximité de l'ennemi. Ils ont nécessité l'établissement de camouflages pour les dissimuler.

Pistes provisoires.

Contournement des entonnoirs.

On n'eut pas toujours les moyens ni le temps de donner aux ouvrages un caractère définitif, qui d'ailleurs n'eût pas été justifié, et, dans bien des cas, on fit des pistes essentiellement provisoires en graviers sur lits de fascines, notamment pour la traversée des terrains marécageux de la Vesle et de l'Aisne. Le madrier de 4 mètres de long sur 0 m. 08 d'épaisseur fut de tous les matériaux le plus pratique pour l'exécution rapide de pistes provisoires; il en fut fait un copieux usage au cours des poursuites de l'ennemi, en 1917, lors de son repli volontaire sur le front de l'Aisne et de l'Oise, puis en 1918, lors de son recul non volontaire celui-là sur tout le front de Nieuport à Verdun.

Le madrier servit notamment au rapide établissement de la circulation sur une section, longue de 1.800 mètres, de la route nationale n° 32 que l'ennemi avait dépavée, non dans le but d'entraver le passage des camions, mais pour construire des abris avec les pavés sous

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