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rions pas cru pratiquement réalisable l'entretien, ou, pour mieux dire, la réfection continue d'une chaussée sous une circulation ininterrompue de camions, de voitures de tourisme, de convois hippomobiles et de défilés de troupes à pied.

Mais à quelle somme d'efforts correspond l'exécution de ces travaux ! Pour en donner un premier aperçu, il nous suffira de dire que, pendant la guerre, le service des routes militaires a construit, de toutes pièces, 900 kilomètres de chemins, en a transformé plus de 9.000 de simple à double voie charretière et a mis en œuvre plus de 27 millions de tonnes de matériaux d'empierrement.

Qu'on songe aux conditions dans lesquelles travaillaient les cantonniers, par tous les temps, dans la boue l'hiver, dans la poussière l'été, souvent la nuit, sur des routes marmitées, objectifs particulièrement intéressants pour l'ennemi, n'ayant, pour prendre du repos, qu'une cagna ou une maison ouverte à tous les vents; on se rendra compte de ce que leur tâche a été pénible et périlleuse souvent, ingrate toujours, étant accomplie sous les yeux d'usagers plus frappés par ce qui restait à faire pour réparer la route que par les travaux déjà exécutés, et enclin à ne retenir d'une longue randonnée que les quelques sections sur lesquelles leur automobile avait dû ralentir son allure rapide.

Telle a été la vie de ces braves cantonniers militaires, « pépères de la route », dont nombre ont payé de leur vie ou de leur santé leur obscure fidélité au poste, des officiers et sous-officiers techniques, ingénieurs, sous-ingénieurs, conducteurs et adjoints techniques des ponts et chausssées, agents voyers, mobilisés ou non, qui, dans la zone des armées, se sont dévoués à la direction des chantiers, lourde tâche, ne connaissant ni trêve ni repos.

<« Il faut, à tout prix, que la route tienne, qu'on fasse le nécessaire », nous a dit, à nous-même, le maréchal Joffre, le 4 mars 1916, nous parlant de la situation à Verdun; le nécessaire a été fait, nous verrons à quel prix. La route a tenu à Verdun et ailleurs, et si elle n'avait pas tenu, le poilu, malgré son héroïsme, n'aurait pas pu tenir. Le service des routes militaires peut donc être inscrit au nombre de ceux qui ont bien mérité de la patrie; c'est lui rendre un modeste hommage que de dire ce qu'ont été son organisation, son rôle et son œuvre.

M. Lorieux traite ensuite de l'organisation des Services routiers aux Armées. Ces Services ont été placés d'abord sous la direction de M. Charguéraud jusqu'en décembre 1915 et ensuite sous celle de M. Mahieu.

SERVICE D'EXÉCUTION

Des officiers techniciens, recrutés dans les service de voirie du temps de paix ont été placés à la tête des services d'exécution. Chaque territoire d'armée et de D. E. était divisé en un nombre variable de zones et chaque zone en secteurs.

a) Personnel de Direction.

Dans chacune des zones et des secteurs, la direction des travaux était centralisée entre les mains d'un officier ou d'un officier d'administration, ingénieur, conducteur, adjoint technique ou agent voyer, qui, autant que possible, n'avait pas à assumer en outre la charge absorbante du comm andement et de l'administration d'une compagnie.

Quelle que fût la précarité de l'abri leur servant de bureau et de chambre, tous ces officiers avaient l'ordre d'y faire immédiatement installer le téléphone. instrument bien insupportable parfois, mais indispensable à la rapidité des liaisons et dont l'usage soit dit en passant permettrait à l'administration de réaliser d'appréciables économies de personnel, s'il était étendu aux bureaux de tous les subdivisionnaires, voire même de certains chefs cantonniers.

La même remarque s'applique à l'automobile: le service des routes militaires n'a pas, à cet égard, été assez largement doté par les armées et il en a été souvent gêné pendant la guerre une voiturette, si modeste soit-elle, est un outil indispensable à l'agent chargé de la surveillance d'un réseau de routes et de la direction de chantiers épars.

b) Main-d'œuvre.

Main-d'œuvre spécialisée. De même que pour le personnel des conducteurs et des agents voyers, aucune disposition n'avait été prise en vue de la non-affectation des cantonniers. Ceux-ci sont donc partis avec les hommes de la classe à laquelle ils appartenaient, et les services civils se sont trouvés démunis de main-d'œuvre professionnelle, de même qu'ils l'étaient de personnel dirigeant.

En fait, l'expérience a prouvé qu'en temps de guerre, dans la région de circulation intensive, l'action d'un ouvrier isolé est négligeable; son ravitaillement devient d'ailleurs difficile dès qu'il se trouve dans une zone avancée. Il n'y a donc pas lieu de regretter que les cantonniers mobilisables n'aient pas été maintenus à leurs postes.

Mais il eût été intéressant de disposer plus tôt des compagnies de

cantonniers constituées, au nombre de vingt-huit, en exécution du décret du 7 novembre 1914, ainsi que des quatre sections de paveurs

formées en 1915.

Les compagnies de cantonniers, dont les officiers ont été recrutés exclusivement parmi les ingénieurs, sous-ingénieurs, conducteurs, adjoints techniques et agents voyers, les sous-officiers, parmi les adjoints techniques, les agents voyers et les chefs cantonniers, comptaient chacune 200 cantonniers et 20 ouvriers (maçons, ouvriers en fer ou en bois). Composées d'officiers et d'hommes de la réserve de l'armée territoriale, elles devaient en principe n'être affectées qu'à des travaux de l'arrière; mais leur emploi a suivi la même évolution que celui du service des routes, et nos braves cantonniers, dont le rendement, supérieur à celui des autres travailleurs non professionnels, a été vite reconnu, ont été de plus en plus poussés vers les chemins de l'extrême avant, l'objet des constantes préoccupations de l'étatmajor. Comme beaucoup de ces hommes étaient soit engagés volontaires, soit soutiens de familles nombreuses, la décision fut prise, le 4 septembre 1917, de constituer sur les vingt-huit compagnies, neuf unités, dites d'étapes, qui, à moins de nécessité absolue, étaient employées dans les D. E. ou dans l'arrière des zones de l'armée, et dont les cadres et les hommes étaient pris parmi les plus vieilles classes.

Les sections de paveurs, également recrutées parmi les ouvriers spécialistes R. A. T. et A. T., comptaient chacune une cinquantaine d'hommes.

Inutile de dire que ces ving-huit compagnies de cantonniers fournissant un effectif théorique de 5.600 hommes et réel d'au plus 4.000 hommes, et les 200 paveurs ont été loin de suffire à l'encadrement de la main-d'œuvre de toute nature qui a été employée aux routes.

Trente-trois compagnies du génie d'étapes qui, pendant les premières années de la guerre, avaient travaillé d'une manière presque continue aux routes, ont été, à un moment donné, considérées comme spécialisées à ce service.

C'est à ces cinquante et une unités que s'est bornée la spécialisation de main-d'œuvre qu'il a été possible d'obtenir du Commandement, malgré les observations réitérées des chefs de service au sujet des pertes de temps et de rendement occasionnées par les constantes relèves. dans les unités mises à leur disposition.

Il est incontestable que, pour des travaux exigeant une certaine technicité, ou tout au moins un assez long apprentissage, tels que l'exploitation des carrières et l'entretien proprement dit des chaussées empierrées et pavées, un résultat meilleur aurait pu être réalisé

avec un nombre bien moindre d'unités, à condition qu'elles fussent stables.

Main-d'œuvre non spécialisée. En dehors de ces cinquante et une unités de spécialistes professionnels ou d'occasion, le service des routes militaires a employé toute la main-d'œuvre imaginable en premier lieu, les compagnies d'infanterie territoriale dont certaines avaient acquis la valeur de compagnies de cantonniers quand elles ont été enlevées à nos chantiers; puis les indigènes de toutes races et de toutes couleurs, parmi lesquels les Malgaches se sont en général montrés des ouvriers vigoureux et intelligents; les Annamites, des ouvriers peu forts, mais consciencieux et adroits (ces derniers sont aptes, en particulier, à faire d'excellents paveurs). Anglais, Belges, Américains, Russes, Italiens, Portugais, Sénégalais, Bulgares, Kabyles, Chinois, prisonniers de guerre et compagnies de discipline se sont succédé et mélangés sur les chantiers de routes, dans les carrières, dans les gares et ports à macadam, sans parler de la main-d'oeuvre civile à laquelle il a été fait partout appel dans la plus large mesure et qui a constitué un sérieux appoint dans certaines régions et à certaines époques, notamment dans le Pas-de-Calais, en Meurthe-et-Moselle, en Alsace.

Tel était le service des routes, dans son ensemble, véritable tour de Babel, où l'on s'expliquait souvent par gestes, ce qui n'était pas fait pour faciliter la tâche, déjà si ardue par elle-même, des chefs de service et des surveillants de chantiers.

Le nombre total des travailleurs employés aux routes dans la zone des armées a beaucoup varié, suivant les saisons et les besoins résultant des opérations militaires; la moyenne, qui a atteint son maximum en 1917, ressort :

1re année de guerre.. 27.800 hommes dont 4.500 civils env.

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Il va de soi qu'une pareille armée de travailleurs comporte les transports de formidables quantités de matériaux; nous avons déjà donné sur ce point quelques chiffres impressionnants.

Compagnies de tombereaux.

Dès les premiers mois de la guerre, la nécessité fut reconnue de constituer de toutes pièces des unités spéciales pour le transport des cailloux.

Dix compagnies de tombereaux attelés, à quatre sections chacune et comptant 100 véhicules, sous les ordres d'un officier du train des

équipages, furent créées par décision ministérielle du 22 novembre 1914; trois autres par décision du 29 mars 1915; des groupes indépendants de 25 tombereaux furent ensuite successivement formés; des tombereaux fournis sans attelage furent pourvus de chevaux par les soins des armées et constitués en secteur. Finalement, le service routier disposa de quatre-vingt onze sections de 25 tombereaux et 50 chevaux (soit 2.275 tombereaux et 4.550 chevaux) réparties à raison de quatre, cinq, six ou huit sections en dix-sept compagnies.

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L'insuffisance du nombre des compagnies de tombereaux manifesta rapidement, mais la pénurie de chevaux a fait obstacle à leur développement.

Cependant le tombereau était le seul moyen de transport utilisable dans bien des cas, notamment pour la sortie de la pierre de certaines carrières, pour la construction des chemins à l'extrême avant, pendant la période où les camions ne pouvaient y accéder, et pour les premiers travaux de réfection de routes dans un terrain bouleversé par le marmitage.

Si l'organisation était à refaire, nous préconiserions le rattachement à chaque compagnie de cantonniers de quatre sections de tombereaux, comprenant ensemble 100 véhicules, 320 chevaux et 200 conducteurs; un officier, placé sous les ordres du capitaine commandant la compagnie de cantonniers, serait chargé de l'administration des sections de tombereaux.

L'excédent des chevaux sur les tombereaux se justifie par ce fait que ces formations sont, de toutes les unités de transport des armées, les seules qui soient astreintes à un travail ininterrompu du matin au soir, et souvent la nuit, sans trêve ni repos. Un roulement est indispensable à établir entre les chevaux. D'autre part, un certain nombre d'attelages sont indispensables pour la traction des tonnes d'arrosage et les prélèvements qu'il fallait faire sur les compagnies de tombereaux pour ce service ont eu pour conséquence l'immobilisation d'un grand nombre de tombereaux.

Une autre mesure indispensable à prendre serait la mise à la disposition du service routier de chaque armée d'au moins 100 tombereaux et 200 harnachements à colliers (100 de limon et 100 de flèche) pour être prêtés aux divisions en vue des transports de matériaux qu'exigent les divers travaux dont elles sont chargées; elles disposent bien, en général, d'hommes et de chevaux, mais manquent de véhicules appropriés au transport des pierres et des terres.

Sections de camions routiers. En même temps qu'elle demandait au ministère de la guerre la création de compagnies de tombereaux,

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