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N° 29

LE SERVICE DES ROUTES MILITAIRES PENDANT LA GUERRE 1914-1919

PAR

le Lieutenant-Colonel LORIEUX,

Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées,
Adjoint au Chef du Service des Routes militaires.

COMPTE RENDU

Par M. JACQUINOT, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées.

M. Lorieux, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, a publié une note (1) très complète sur l'organisation des Routes militaires pendant la guerre, les difficultés que ce Service a eu à vaincre et les résultats qu'il a obtenus.

Beaucoup d'Ingénieurs des Ponts et Chaussées ont été occupés par ce Service; la note de M. Lorieux est donc l'exposé de l'un des principaux rôles (2) du Corps des Ponts et Chaussées pendant les hostilités. A ce titre, le Mémoire dont il s'agit avait sa place indiquée dans les Annales.

M. Lorieux était particulièrement compétent pour ce compte rendu car il était, de 1914 à la fin de 1918, le Commissaire technique des Réseaux routiers au G. Q. G.

Il montre quelles difficultés insoupçonnées on a rencontrées pour l'entretien des routes dans la zone des armées, en raison de la circulation intensive à desservir.

On a dû créer de toutes pièces un Service nouveau, ouvrir des

(1) Chez Lavauzelle, 124, boulevard Saint-Germain, 1919.

(2) L'exploitation des chemins de fer a constitué l'autre partie principale du rôle des Ingénieurs pendant la guerre.

carrières pour fournir les matériaux nécessaires avec des concasseurs mécaniques, organiser par camions automobiles, par voies ferrées, par voies navigables et par mer, le transport, quelquefois à longues distances, de tonnages considérables, on a dû ensuite employer ces matériaux et les cylindrer. Le Service des routes ainsi organisé a permis au Commandement des armées d'employer une tactique qui était impraticable pour l'ennemi, lequel a dû recourir à l'emploi d'un matériel important de voies ferrées à faible écartement, beaucoup moins souple que nos camions automobiles. Le Service des Routes a donc été un élément très important de la victoire.

Il a paru utile d'insérer dans les Annales les extraits ci-après de la note de M. Lorieux afin de conserver le souvenir du rôle essentiel du Corps des Ponts et Chaussées pendant la guerre. Les Services routiers ont utilisé pendant la guerre des procédés de construction et d'entretien qui comportent pour les Ingénieurs un enseignement même pour le temps de paix, notamment en ce qui concerne les routes à fréquentation intensive.

Des transports en général

et des transports par automobiles en particulier.

Dans l'histoire de la guerre 1914-1919 les transports occuperont une place prépondérante en fait, ils ont été, après la vaillance des troupes, l'un des facteurs essentiels de la victoire.

C'est une vérité qui apparaîtra quand on sera en possession de tous les éléments d'appréciation, et ce jour-là, loin de s'étonner de la crise des transports dont on a tant parlé depuis quatre ans, le public comprendra aisément certaines gênes et privations qu'il a eu à supporter pendant la guerre.

Jamais pareil problème ne s'était posé effectifs des armées, ravitaillement en vivres, consommation en munitions, matériel du génie, évacuations de blessés, tout a atteint des proportions inconnues. jusqu'alors et dépassant les prévisions les plus larges.

Jamais, il est vrai, un commandant en chef n'avait disposé, pour les transports, de moyens comparables; mais coordonner leur utilisation de manière à faire parvenir à destination, au moment voulu, ce qui est nécessaire à des millions de soldats pour se nourrir, se loger,

se vêtir et se battre, représente une ceuvre formidable, et le fait d'avoir triomphé dans la réalisation de cette œuvre sur un ennemi réputé pour son esprit de méthode dénote chez le Français des qualités d'organisation qu'avec sa tendance à se dénigrer il se dénie volontiers à soi

même.

Nous ne sommes pas qualifié pour traiter la question dans son ensemble; nous parlerons seulement du rôle joué par la route pendant la dernière guerre.

On aurait pu croire, étant donné le développement de nos réseaux de chemin de fer d'intérêt général et d'intérêt local, que l'importance de la route serait passée au second plan.

C'est vraisemblablement ce qui a eu lieu chez nos ennemis faute de carburants, d'huile et de caoutchouc, ils n'ont pas été à même de donner d'essor à l'emploi de l'automobile, et l'histoire établira que notre supériorité à cet égard a été, dans bien des batailles, l'un des éléments de notre succès.

La défense de Verdun en est le premier et le plus célèbre des exemples.

Le brillant historiographe de l'automobile, M. Paul Heuzé, a fait un émouvant récit du rôle joué par les transports sur la route de Bar-leDuc à Verdun, dans un article paru, sous le titre de « La Voie sacrée », dans la Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1918.

Éclairé par les événements de 1916 sur tout le parti qu'il pouvait tirer d'un outil aussi souple et aussi rapide, le Haut Commandement a mis de plus en plus les camions automobiles à contribution dans ses plans de bataille; la route n'a pas été seulement le prolongement du rail; elle s'est juxtaposée à lui pour de longs transports auxquels elle ne paraissait plus destinée. Aussi n'y a-t-il pas eu qu'une voie sacrée pendant la guerre; la route d'Amiens à Bray-sur-Somme, Maricourt et les au delà peut légitimement revendiquer ce même titre pour les services qu'elle a rendus pendant la bataille de la Somme en 1916.

Ni les opérations de Champagne en 1915 et 1916, ni l'offensive de l'Aisne en 1917, ni la bataille des Flandres, ni la reprise des forts de Verdun, ni l'affaire du moulin de Laffaux et de la Malmaison n'eussent été possibles si les camions automobiles n'avaient pas assuré le ravitaillement en vivres, munitions, matériel de toutes sortes à travers la zone dévastée par l'ennemi et par la mitraille, pendant la période forcément longue de reconstruction des voies ferrées.

Mais c'est peut-être en 1918 que le service automobile a cueilli ses plus beaux lauriers d'abord en amenant, dans des conditions de rapidité inouïes, les divisions, y compris artillerie et chevaux, qui ont enrayé la seconde ruée allemande sur Paris, puis, quelques semaines

plus tard, après la rupture du front ennemi, en permettant la bataille de poursuite pendant trois mois consécutifs, sur un front de plusieurs centaines de kilomètres et une profondeur de 70 à 80, poursuite qui a jeté le désarroi dans les communications de notre adversaire, a provoqué l'embouteillage sur ses lignes de chemins de fer et l'a finalement contraint à capituler.

Pour ses débuts dans la guerre, le service automobile a donc tenu une grande place auprès de son aîné, le service des chemins de fer, et il a eu d'autant plus de mérite qu'il n'existait guère qu'à l'état embryonnaire en 1914 parti avec 6.000 ou 7.000 véhicules, il a terminé la guerre avec 95.000. Les armées britanniques en comptaient 45.000, plus 800 carterpillars; les armées américaines 40.000. C'est donc un total d'environ 180.000 véhicules automobiles qui circulaient, fin 1918, dans la zone des armées, sans compter les tanks qui, bien que capables de passer en tout terrain, ne se privaient pas d'emprunter les routes. quand cela leur était loisible.

Du rôle de la route.

Mais si le service automobile a souvent accompli de véritables tours de force, ce n'est pas faire injure à sa brillante direction, justement glorifiée, que de dire qu'elle eût été paralysée sans le service des routes qui a su construire et entretenir des chemins en état d'assurer la cir culation. Nous ne prétendons pas que la voiture de tourisme ait trouvé partout et toujours le tapis de billard permettant de satisfaire les goûts de vitesse de tout automobiliste, ni que le camion soit toujours parvenu sans efforts à son but; mais il a passé, et, pour ce faire, il a fallu que la chaussée offrit partout une certaine résistance, car il n'en est pas du véhicule automobile et d'une pièce d'artillerie lourde à tracteur comme d'une voiture de train régimentaire ou de canon de 75 qu'on fera passer par un chemin défoncé en attelant dessus deux, quatre ou six chevaux de renfort ou, à leur défaut, des hommes.

Eh bien, ce minimum de résistance indispensable à la circulation des poids lourds a été aussi le prix de véritables tours de force de la part du Service des routes militaires.

Pour notre part, nous devons avouer que si, avant la guerre, on nous avait posé le problème de la route tel qu'il s'est présenté en maintes circonstances critiques, nous l'aurions déclaré probablement insoluble, et nous sommes certain que notre sentiment est partagé par tous les techniciens qui ont vu la chose de près; la résistance des chaussées empierrées, même dépourvues de fondation, a dépassé de beaucoup celle que nous leur attribuions, et, d'autre part, nous n'au

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