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Cependant, dès cette époque, on commençait à reconnaître l'erreur qui avait été commise, dans les années précédentes, en construisant à l'écartement normal un assez grand nombre de lignes maigres et dont le trafic ne paraissait pas appelé à se développer. Dans son livre « Les chemins de fer à faible trafic », paru en 1888, Sampité écrivait, en effet, comme conclusion d'une étude très complète (p. 432): « En résumé, au point de vue de l'exploitation, la voie normale ne présente aucun avantage sur la voie étroite; au point de vue de l'établissement, elle est beaucoup plus coûteuse en général. Donc il faut en faire abandon pour les nouvelles lignes.

« Que d'économies la France eût pu réaliser si cette vérité simple n'avait pas été longtemps méconnue. »

Même pour l'époque, cette conclusion était peut-être un peu trop absolue. En tout cas, il semble bien qu'elle serait jugée comme telle aujourd'hui par un certain nombre d'ingénieurs et d'exploitants de chemins de fer. Aussi et utilisant les renseignements que nous avons recueillis touchant l'exploitation des réseaux d'intérêt local avant la guerre, nous nous proposerons de rechercher s'il n'y aurait pas quelques réserves à formuler.

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RENSEIGNEMENTS AU SUJET DE DEUX POINTS INDIQUÉS EN 1888.

Tout d'abord, il est intéressant de constater que les éléments d'appréciation donnés par Sampité pour justifier la conclusion qu'il formule sont, dans l'ensemble, à peu près d'accord avec l'expérience de l'exploitation des réseaux locaux dans ces dernières années. Sur deux points toutefois, nous signalerons une certaine divergence:

1er point. Nous ne partageons pas entièrement l'opinion. émise que l'inconvénient du transbordement n'est pas aussi important qu'on pourrait le penser à priori. En le mesurant à la seule dépense qu'il entraîne, Sampité indique, en effet, que, pour une ligne de trafic kilométrique de 3 à 4000 francs, cette dépense serait de 50 francs par kilomètre.

Si ce chiffre peut être exact sur certaines lignes, dont la recette est assurée en grande partie par le trafic voyageur, il serait loin de s'appliquer à des lignes où domine le transport des marchandises par wagons complets. D'un autre côté, ainsi que nous le rappelions dans un chapitre précédent, il faut tenir compte des détériorations causées à certaines marchandises et de la difficulté de trouver, au moment voulu, la main-d'œuvre nécessaire.

Depuis le début des hostilités, cette difficulté de la maind'œuvre a été bien plus accusée et l'on doit prévoir qu'elle se présentera encore pendant de longues années après la guerre. D'ailleurs, il n'est pas douteux que la dépense correspondante ne fera que s'accroître.

A notre avis, on ne peut donc pas mesurer les inconvénients du transbordement par la seule dépense qu'entraîne ou même qu'entraînera cette opération; et il ne nous paraît pas contestable qu'il y a, en vue de l'avenir, et plus qu'avant la guerre, un très sérieux intérêt à supprimer ou au moins à diminuer le transbordement.

2e point. Sampité disait aussi que, quel que soit l'écartement de la voie, la puissance des machines et la consommation du combustible peuvent être identiques, avec ces deux voies, si les machines sont bien construites.

En réalité, et probablement parce que l'on n'a pas encore réalisé un type de machine à voie de 1 m. 44 parfaitement adapté au service des lignes secondaires, la consommation du combustible est plus grande avec la voie normale.

D'un autre côté, l'entretien du matériel est certainement plus coûteux avec la voie normale. Cela n'est pas douteux pour les wagons à voie normale qui sont appelés à parcourir des trajets assez longs.

Enfin, et au moins avec le matériel actuel, le poids mort à remorquer est plus lourd - pour le même trafic, voyageurs ou marchandises avec la voie large.

Quoi qu'il en soit, dans une étude insérée dans les Annales des Ponts et Chaussées (1917, vol. V), nous avons montré que, pour les années 1912 et 1913, l'on pouvait admettre en moyenne, et

pour des situations comparables, que le Service du Matériel et Traction exigeait, par train kilométrique, une dépense qui était de l'ordre de grandeur des chiffres ci-après :

et

0 fr. 64 avec la voie normale,

0 fr. 45 avec la voie étroite.

Pour ce qui concerne les autres dépenses d'exploitation, la même étude montre que, sauf celles du Service de la Voie, elles sont sensiblement les mêmes avec les deux types de voie.

De sorte que, en admettant la circulation de 4 trains journaliers dans chaque sens, on peut dire, en laissant de côté les dépenses de transbordement et toutes les dépenses dans les gares communes avec le grand réseau, que l'exploitation d'une ligne secondaire, avant la guerre, aurait exigé, avec la voie normale, une dépense kilométrique supérieure d'environ 640 francs (1) à ce qu'elle aurait été avec la voie étroite.

VIII. COMPARAISON AU POINT DE VUE

DE LA CONSTITUTION DE LA VOIE LARGE ET DE LA VOIE ÉTROITE

Relativement au tracé d'une ligne d'intérêt local, Sampité donnait l'indication suivante :

« Le rayon de 150 m. en voie étroite correspond aux rayons de 250 m. à 300 m. en voie normale; mais si le tracé l'exige, la voie de 1 m. d'écartement peut sans danger être construite avec des courbes de 100 m.. 75 m. ou 50 m. de rayon, ce qui correspond à 200 m. ou 180 m. en voie normale ».

Les résultats dé l'expérience de ces 30 dernières années ne sont pas en contradiction avec ces indications. En effet, aux différents points de vue qu'il y a lieu d'envisager (facilité d'entretien de la voie et du matériel roulant, vitesse à admettre avec la

(1) Cette somme se décompose comme il suit :

Service de la Voie.....

Service du Matériel et Traction : (0,64 0,45) X 365 =

En tout..

Ann. des P. et Ch., MÉMOIRES, 1919 -I.

85 fr. 00

554 fr. 80

639 fr. 80

même sécurité, etc.), on peut considérer comme sensiblement comparables, en pleine voie, le rayon de 125 m. de la voie de 1 m. avec le rayon de 250 m. de la voie normale et cela en admettant, d'une part, que cette dernière voie devrait livrer passage aux wagons des grands réseaux et à des machines convenablement étudiées et, d'autre part, que l'on s'en tient aux vitesses limites généralement admises sur des lignes d'intérêt local, 60 kil. pour la voie normale et 45 kil. pour la voie de 1 m.

Bien entendu, des courbes plus raides peuvent être adoptées en pleine voie par exemple pour la voie de 1 m., courbes de 100 m. et au-dessous. Mais, sous le prétexte que le Cahier des charges autorisait l'emploi de rayons inférieurs à 100 m., on a souvent exagéré l'emploi de ces rayons minima, même quand un obstacle sérieux ne s'opposait pas à l'agrandissement du rayon. Il en résulte parfois de gros inconvénients pour l'exploitation et sur lesquels on ne saurait trop insister. De même, pour la voie normale, on peut descendre à la rigueur jusqu'aux rayons de 200 m. et même de 159 m.; mais, il ne faut recourir, en pleine voie, à ces très faibles rayons que lorsqu'il y a un très réel intérêt au point de vue de la réduction de la dépense de construction. Autrement, l'exploitation est grevée d'assez lourdes charges du fait de l'entretien du matériel roulant et de la voie.

A cette occasion, nous signalerons l'indication de M. le Directeur des Chemins de fer départementaux de l'Aisne, dont le réseau comporte à la fois des lignes à voie normale et des lignes métriques :

Une courbe de 100 m. sur voie de 1 m. n'oblige pas normalement à limiter la vitesse, lorsque cette courbe est isolée et que son développement n'est pas trop grand; au contraire, sur les lignes à voie normale, on a dû prescrire des limitations pour des courbes de 200 m. dont la voie avait été très fatiguée par le passage des convois à la vitesse normale.

En ce qui concerne le poids du rail, on a admis souvent qu'il était raisonnable, pour la plupart des réseaux d'intérêt local, de choisir le rail de 20 kilos avec la voie de 1 m. et le rail de 25 kilos

avec la voie normale; mais la tendance, dans les dernières années d'avant-guerre, était de se rapprocher de 22 à 23 kilos avec la voie de 1 m. et de 30 kilos avec la voie normale, à la condition bien entendu que le trafic de la ligne justifie une telle mesure. Nous signalons cette tendance d'avant-guerre, mais nous croyons que, pour l'après-guerre, il faudrait en revanche tenir compte à la fois de l'augmentation de la valeur qu'aura subie le métal et des difficultés que l'on rencontrera pour se le procurer; et nous estimons que, pour les travaux des quelques années qui suivront la paix, il serait justifié, pour les lignes à trafic modeste, de se contenter des rails de 20 kilos pour la voie de 1 m. et de 25 kilos pour la voie normale.

Sur ce point, nous reproduirons encore le renseignement ciaprès, donné antérieurement au mois de mars 1918, par M. le Directeur des Chemins de fer départementaux de l'Aisne :

« Sur la ligne de Saint-Quentin à Ham (voie normale), l'armée allemande, qui y faisait passer des trains de gros tonnage remorqués par des machines puissantes, a laissé subsister le rail de 25 kilos; mais elle avait à peu près doublé le nombre des traverses. Les deux ans et demi d'exploitation que la ligne a supportés dans ces conditions n'ont pas apporté de déformations apparentes du rail. »

On peut aussi discuter sur l'épaisseur relative à donner au ballast. Bien que cette dimension soit fonction de la qualité du ballast et de la nature de la plateforme, il semble que l'on puisse dire, qu'en général, il n'y aura pas à admettre une épaisseur supérieure à 0 m. 35 pour la voie de 1 m., tandis que pour la voie de

1 m. 44, il serait difficile de descendre au-dessous de 0 m. 45. De ces indications, et laissant de côté la considération de l'espace à réserver de chaque côté du gabarit du matériel roulant, considération sur laquelle nous reviendrons, on peut déduire, au point de vue de la largeur à donner à la plateforme de la voie, qu'il suffirait, pour maintenir le ballast et ménager deux banquettes de circulation, d'adopter 4 m. à 4 m. 20 sur la voie de 1 m. et au moins 5 m. 10, avec la voie normale.

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