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N° 22

NOTE

SUR

LA PROPAGATION DES CRUES

et leur prévision journalière

Par M. PIGEAUD,

Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées.

EXPOSÉ DU PROBLÈME. — La prévision des crues peut être considérée comme une science indépendante de toute hypothèse sur les lois de l'écoulement des liquides. Sa méthode particulière est alors la méthode statistique. Elle a fourni nombre de résultats au point de vue pratique.

En particulier, on a pu, dans beaucoup de cas, établir entre deux stations placées sur un même cours d'eau des règles de correspondance entre les cotes maxima atteintes par les crues. En portant sur un graphique l'une des cotes en abscisse, l'autre en ordonnée, on a pu reconnaître souvent que l'ensemble des points obtenus s'écarte peu d'une courbe moyenne, laquelle définit pratiquement la loi de correspondance cherchée, du moins dans des circonstances moyennes et avec une approximation convenable. Les perfectionnements consistent ensuite à démêler l'influence de causes, dites secondaires, telles que le degré d'imbibition du sol, l'évaporation, les apports variables de toute nature entre les deux stations considérées.

En observant les instants des maxima entre les deux stations, on peut également se rendre compte de leurs durées de propagation et établir des moyennes pour des crues de grandeurs comparables. On obtient ainsi des courbes faisant connaître

approximativement la durée de propagation en fonction de l'importance de la crue, ou de sa cote maxima, à la station d'amont par exemple.

On procède d'une manière analogue quand il s'agit de problèmes plus complexes. Si l'on considère par exemple trois stations dont l'une correspond au confluent de deux cours d'eau, un cours d'eau principal et un cours d'eau secondaire, on peut parfois relier sur un graphique par une courbe continue les points qui correspondent à un même état du cours d'eau secondaire. On a alors une série de courbes respectivement valables pour différents états du cours d'eau secondaire et on opère entre elles par interpolation.

Toutefois la précision devient généralement beaucoup moins. grande que dans le cas simple précédent.

Ces résultats sont précieux pour les services d'annonces de crues. Ils permettent de prévoir quelque temps à l'avance et avec une certaine approximation quelle sera la cote maxima atteinte par une crue, à une station d'aval, en fonction de la cote maxima réalisée à une station d'amont sur le cours d'eau principal et des cotes réalisées à une ou plusieurs stations sur un ou plusieurs affluents d'amont. On peut aussi prévoir, dans une certaine mesure, l'instant de réalisation de cette cote maxima.

On est allé plus loin. Dans un important mémoire paru en mai 1889, M. l'Inspecteur général Allard avait abordé le problème de la prévision journalière des hauteurs de la Seine en différents points, et il avait, par une généralisation assez hardie, appliqué à ce problème les règles qu'il avait obtenues ou perfectionnées pour la prévision des hauteurs maxima. Il concluait dans. les termes suivants : « La prévision journalière des hauteurs d'un cours d'eau, qui constitue l'idéal à réaliser, ne peut, dans l'état actuel des études sur ce sujet, se faire qu'avec une approximation assez grossière, mais il sera sans doute possible de l'améliorer par des recherches nouvelles. >>

Depuis la guerre, nous avons repris la généralisation de M. Allard, afin de renseigner l'Administration, jour par jour, sur les mouvements probables de la Seine entre Montereau,

Paris et Mantes. L'expérience a montré que les méthodes empiriques, déduites des patients travaux de nos prédécesseurs, conduisaient généralement à une approximation suffisante, et nous nous y tenons par prudence et faute de mieux. Mais nous avons été amené bien des fois à nous demander s'il n'y avait pas avantage à sortir de ces méthodes empiriques et à utiliser plus largement les théories sur la propagation des crues, en les réduisant à leurs éléments pratiques.

Le problème de la propagation des crues et celui de leur prévision sont en effet deux problèmes connexes pour ne pas dire identiques. On ne voit pas bien pourquoi, quand il s'agit du second, on renoncerait systématiquement à prendre en considération des réalités physiques telles que les volumes d'eau. ou les débits, pour s'en tenir à la seule considération des hauteurs, seules observables, il est vrai, mais en relation étroite avec les débits.

Un système fort simple et très cohérent a depuis longtemps été suggéré par Graeff, dans son traité d'hydraulique paru en 1883 (notamment pages 438 à 442). Nous commencerons par en donner un exposé sommaire.

SYSTÈME DE GRAEFF. Il procède des deux propositions suivantes, étant entendu qu'il s'agit de rivières à fond fixe et où l'eau s'écoule sans perte comme sans apport:

1o En un point déterminé d'un cours d'eau, il y a une relation définie entre le débit q et la hauteur à atteinte par l'eau. Si on prend comme abscisses les hauteurs et comme ordonnées les débits, cette relation. se traduit graphiquement par la courbe de jaugeage au point considéré.

2o Entre deux points situés sur un même cours d'eau, il y a une relation définie entre chaque débit q et le temps T que met ce débit à se propager d'amont en aval entre ces deux points. En prenant comme abscisses les débits (ou les hauteurs) et comme ordonnées les temps de propagation, cette relation se traduit graphiquement par une courbe des durées de propagation en fonction des débits (ou des hauteurs).

Voici comment, de cette hypothèse sur la propagation des crues, on peut déduire un procédé pratique de prévision.

Supposons d'abord deux stations A et B sur un même cours d'eau. A l'aide des cotes observées à la station d'amont B et de la courbe de jaugeage de cette station on pourra connaître à chaque instant les débits qui y sont réalisés et par suite construire au fur et à mesure la courbe (c) des débits de la crue (abscisses les temps, ordonnées les débits), figure 1. Soit p

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le point de cette courbe qui correspond au temps t. La courbe (C) des débits à la station d'aval A s'en déduira par une simple transformation ponctuelle consistant à transporter horizontalement chaque point p d'une quantité pP = Tq, égale à la durée de propagation du débit q, relevée sur la courbe des durées de propagation. Le point P a ainsi pour ordonnée q et pour abscisse t + Tq, et peut être déterminé dès l'instant t, c'est-à-dire avec une avance Tq sur l'instant où le débit q se réalise en A. Au moyen de la courbe de jaugeage de la station A, on déduira de chaque point P la hauteur correspondante H. La construction effective de la première courbe (c) n'est pas même nécessaire en réalité.

Graeff n'a pas généralisé son procédé, mais il est facile de le faire.

Supposons maintenant une station A placée un peu en aval du confluent de deux cours d'eau importants et deux stations d'amont B et B' respectivement placées sur ces cours d'eau. On pourra construire séparément deux courbes (C) et (C'), analogues à la précédente, avec des avances respectivement égales aux durées de la propagation Tq et T'q'. Pour une abscisse infé

rieure ou égale à la plus petite des deux quantités t + Tq et t +T'q, le débit en A sera évidemment la somme des débits correspondant aux deux cours d'eau, c'est-à-dire la somme des ordonnées des deux points P et P' situés sur une même verticale. La hauteur s'en déduira encore par la courbe de jaugeage.

On peut généraliser encore et appliquer le même procédé au cas où les hauteurs et les débits aux stations d'amont ne résulteraient pas directement d'observations de cotes réalisées, mais résulteraient de prévisions antérieurement faites.

On peut donc ainsi, pourvu que l'on dispose d'un ensemble convenable de stations, tant sur le cours d'eau principal que sur les affluents, reporter les prévisions de plus en plus loin vers l'aval. On peut remarquer d'ailleurs que les stations à placer aux confluents (ou mieux un peu à l'aval de ceux-ci) ne servent en somme que de relais et n'ont pas toujours besoin d'avoir une existence effective.

On peut enfin se débarrasser pratiquement de la considération des petits affluents, ainsi que de la réserve faite au début au sujet de l'absence de perte ou d'apport en cours de route. On peut admettre que ces éléments sont relativement petits et qu'il suffit d'en obtenir par un procédé quelconque une évaluation approchée, en tenant compte par exemple de données fournies par le pluviomètre, par la connaissance du degré de saturation du sol, du coefficient d'évaporation, etc. Il suffira d'ajouter ce débit complémentaire, qui pourra d'ailleurs être tantôt positif et tantôt négatif, au débit principal déterminé par le procédé ci-dessus, avant d'en déduire la hauteur Hà la station A.

Il y a d'ailleurs un procédé très simple pour effectuer la correction correspondant au débit complémentaire toutes les fois que ce débit complémentaire est une fonction qui, sans être négligeable, ni même spécialement petitè au regard du débit principal, est simplement à variation lente. Si on l'a négligé, ou inexactement évalué au commencement d'une crue, on s'en apercevra dès que l'on sera en mesure de confronter à la station d'aval la prévision avec la réalité et l'on aura ainsi le moyen de rectifier les prévisions ultérieures, ce qui est l'essentiel.

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