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exemple, il y avait déjà les trois puits de la ferme et nous en avons creusé dix autres; à la ferme de Bouy, il y a trois puits; dans la région de Baconnes, j'en citerai cinq, etc., qui tous présentent les mêmes caractères de faible débit.

En Argonne et dans la Montagne de Reims où j'ai eu également à m'occuper d'alimenter les troupes en eau, le régime est tout à fait différent; c'est là que la nappe est discontinue ou plutôt qu'il n'y a pas de nappe à proprement parler. Tel puits sera abondant parce que l'on aura traversé une fissure aquifère de la gaize ou de la craie à bélemnites, tandis qu'un autre puits situé à quelques mètres ne donnera presque rien. Pour les mêmes raisons, le niveau variera beaucoup et brusquement d'un puits à l'autre, et de plus, comme à Florent par exemple, l'on verra, sur les plateaux, des puits, où, en hiver, l'eau affleure la margelle tout comme dans les puits qui se trouvent au pied du

-coteau.

En Champagne, au contraire, la situation est bien celle que j'ai décrite plus haut, et les nombreuses observations que j'ai faites pendant la guerre ont permis de vérifier complètement l'exactitude des idées que Daubrée exposait dans son rapport de 4857.

Comme ce savant l'indiquait alors, la nappe a un relief qui suit celui du sol mais qui en est une sorte de réduction dans le sens vertical; c'est un plan en relief dont les hauteurs seraient seulement une fraction des cotes du sol.

La réduction est d'ailleurs variable suivant les saisons; alors que dans les thalwegs les variations de niveau ne seront que d'un mètre, du mois de mars au mois de novembre, elles atteindront 10, 15 ou 20 mètres sur les plateaux élevés.

La réduction varie également suivant les années; dans les grandes sécheresses les reliefs de la nappe sont moins accusés que dans les années humides et si, par un hasard qui ne s'est jamais produit sur nos climats, on avait une succession de vingt années très sèches, les reliefs de la nappe deviendraient insigni'fiants et l'on aurait une surface presque horizontale.

Puisque — ainsi - ainsi que nous l'avons toujours vérifié par les puits que nous avons creusés l'on rencontre la nappe d'eau même sur les plateaux les plus élevés, et puisque, comme l'analyse chimique le montre, c'est toujours la même nappe, pourquoi les puits des plateaux ont-ils des débits si différents de ceux des vallées?

La raison en est que la craie, tout en étant chimiquement homogène, ne l'est pas au point de vue de sa texture physique. Dans les vallées la roche est tendre, friable, alors que sur les sommets elle est dure et compacte.

Ce n'est point, je me hâte de le dire, parce qu'une région est un sommet que la craie y est plus dure, c'est au contraire parce que le terrain était dur qu'il a résisté aux érosions et que les thalwegs se sont formés ailleurs.

Mais sans qu'il soit besoin, pour ce qui nous intéresse, de discerner l'effet de la cause, toujours est-il que la nature de la craie influe grandement sur la perméabilité.

Quand la craie est tendre et friable, elle est extrêmement perméable, une dénivellation légère produit un puissant appel et le débit du puits est considérable.

Au contraire si l'on a affaire à une craie dure et compacte, la perméabilité est faible, les 'mouvements de l'eau sont lents et les puits peuvent n'avoir plus qu'un débit insignifiant.

Ce fut le cas des puits de Villers-Marmery, Piémont, Ferme de Bouy, dont j'ai parlé plus haut.

A la ferme de Bouy, le caractère a été particulièrement net, le puits a en effet été curé, approfondi, et les parois ont été grattées et mises à vif; malgré cela la filtration de l'eau demeurait très faible et l'augmentation de profondeur ne procurait aucun gain dans le débit; le rayon d'action du puits équipé avec pompe à moteur était en somme si petit qu'un puits voisin dans lequel on puisait peu n'était aucunement influencé et conservait son niveau bien que la distance qui le sépare du premier ne fût que

de 50 mètres.

Même phénomène à Villers-Marmery, car le puits de la maison voisine situé à 25 mètres de celui que l'on voulait équiper,

conservait son niveau alors que ce dernier était aisément maintenu à sec.

La constance du niveau dans les puits auxquels on ne touchait pas montre d'une manière évidente qu'il n'y avait point là épuisement ni baisse générale de la nappe, et du reste aussitôt que l'on eut arrêté les travaux de fonçage, les puits rendus à euxmêmes se sont remplis peu à peu, et au bout de quelques jours ils avaient repris leur niveau.

Ces puits qui, en été, ne pouvaient servir à l'alimentation des troupes, seraient considérés comme inépuisables dans une ferme où l'on a rarement besoin de plus de 1.000 à 1.500 litres d'eau par jour.

Dans les thalwegs la craie n'est friable et par suite très perméable qu'au voisinage du sol, sur une épaisseur variable suivant les cas, mais qui ne doit pas dépasser 50 à 60 mètres.

Au camp de Mailly, ainsi que je l'ai relaté plus haut, M. Maître, l'entrepreneur des forages, m'a déclaré qu'au-dessous de 25 mètres le débit n'avait pour ainsi dire plus augmenté, et qu'on n'avait en somme rien gagné à pousser jusqu'à 75 mètres la profondeur de l'un des puits du camp.

Dans le grand forage entrepris à Mourmelon sur le bord du Cheneu on a eu de la craie friable jusqu'à 50 mètres; au-dessous la roche était dure et compacte et l'on n'a plus retrouvé d'eau que vers 300 mètres de profondeur.

Puisque la perméabilité de la craie diminue ainsi avec la profondeur et devient pratiquement nulle à moins de 30 à 60 mètres, on voit de suite que c'est cette roche elle-même qui constitue le support de la nappe aquifère; mais alors que dans certaines formations, par exemple gravier sur argile, il y a une séparation nette et brusque entre la couche aquifère et la couche qui ne contient pas d'eau, il y a dans la craie de Champagne une véritable continuité. C'est par degrés insensibles que l'on passe des régions où la nappe est abondante à celles où elle est pauvre, et cela aussi bien dans le sens vertical que dans le sens horizontal. On a dit et écrit bien souvent que la craie, comme les autres calcaires, n'était perméable qu'à cause des fissures qu'elle renferme.

Cette assertion est, à mon avis, tout à fait inexacte, du moins avec le sens qu'on attribue au mot « fissure » dans le langage

courant.

Mon Service a fait creuser en Champagne quelque chose comme 500 puits, de plus il en a curé, nettoyé, approfondi ou équipé 200 ou 300 autres; en outre, pour installer les pompes à moteur, l'on a eu souvent à pratiquer des chambres profondes dont les parois peuvent être plus facilement et plus minutieusement examinées que celles des puits.

Eh bien, sauf dans deux puits voisins creusés près du village de la Veuve, c'est-à-dire au voisinage des contreforts de la montagne de Reims où la nature géologique n'est plus la même, on n'a jamais trouvé aucune fissure proprement dite.

La roche est plus ou moins dure, plus ou moins compacte, mais les parties en lesquelles elle se divise quand on la pioche s'appliquent les unes sur les autres, sans aucun vide interposé, et les blocs ainsi obtenus se divisent eux-mêmes sous un nouveau choc en une série de fragments plus petits montrant également entre eux les mêmes surfaces de délit.

Il y a en somme non pas des fentes plus ou moins nombreuses assimilables à des canaux de dimensions mesurables mais un réseau très serré de fissures très fines, capillaires, qui, au point de vue hydraulique, rendent la roche tout à fait comparable aux terrains de sable que tout le monde s'accorde à reconnaître comme le type des terrains perméables.

De même que la perméabilité du sable varie suivant la grosseur des grains, et suivant aussi qu'il y a plus ou moins d'argile mélangée, de même aussi la perméabilité de la craie variera suivant que les fissures seront plus ou moins serrées et plus ou moins fines.

Dans les régions où la craie est de texture lâche et par conséquent très perméable, la pente de la nappe est faible, cette pente devient au contraire très accusée dans les régions où la craie est compacte et où par suite les mouvements de l'eau sont rendus difficiles.

Le fait qui a surpris les personnes non averties, et sur lequel

je me suis étendu dans le mémoire, c'est l'abondance, en quelque sorte insoupçonnée, de la nappe aquifère par rapport aux bassins versants.

Or cette abondance s'explique aisément si l'on veut bien remarquer qu'en Champagne il n'y a pas beaucoup d'évaporation et pas du tout de ruissellement, de sorte que presque toute l'eau qui tombe est absorbée par le sol et descend alimenter la nappe. La moyenne de huit années, à trois postes différents : Châlons, Mourmelon. et Sommesous donne 720 mm. d'eau par an; il n'est pas téméraire de croire que sur cette quantité au moins 500 mm., soit 5.000 mc. par hectare, vont à la nappe souterraine et alimentent les puits et aussi et surtout les rivières : Vesle, Suippe, Noblette, Somme-Soude, Huîtrelle, etc., qui sont en somme les exutoires et le trop-plein de cette nappe.

CHAPITRE V

QUALITÉ DES EAUX

DE L'ANALYSE DES FAUX

Avant de parler de la qualité des eaux puisées dans la craie et de faire connaître les moyens propres à obtenir, pour ainsi dire partout en Champagne, de l'eau potable, il me paraît utile de rappeler les principes qu'on doit suivre pour analyser une eau, ou plus exactement pour déterminer la qualité d'un puits ou d'une source.

Autrefois on appréciait une eau par l'analyse chimique et l'on classait les eaux d'après le dosage de chlore, de la matière organique, des nitrites, de l'ammoniaque, etc.

Depuis que les progrès de la bactériologie ont permis de compter les germes contenus dans une eau à un moment donné, et d'autre part de déterminer dans une certaine mesure la nature et parfois même l'origine de ces germes, l'analyse bactériologique de l'eau est venue compléter l'analyse chimique, et souvent

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