Page images
PDF
EPUB

En conséquence, quand un testateur a légué l'usufruit d'une rente, avec la condition d'incessibilité, cette condition s'attachant aux arrérages de la rente comme au droit d'usufruit lui-même, s'oppose à ce que le legataire puisse les déléguer valablement à un tiers (1).

(Caron C. Rose).

Par son testament authentique du 23 mars 1870, la dame Masse-Caron a légué à Flore Caron, femme Coquel, l'usufruit d'une somme de 20,000 fr., en ajoutant : « Je › veux et j'entends que l'usufruit de ma nièce Flore Caron > soit incessible et insaisissable, et je déclare le constituer › à titre de pension alimentaire. » Après le décès de la • dame Masse-Caron, les héritiers achetèrent un titre de rente 5 p. 100 sur l'Etat, de 890 fr. et le firent immatriculer au nom de la légataire Flore Caron pour l'usufruit incessible.

En 1881, la dame Coquel, se trouvant débitrice d'un sieur Rose, d'une somme de 9,000 fr., lui donna en nantissement son titre de rente, l'autorisant à en percevoir les arrérages pour les appliquer à l'extinction de sa dette. Cependant, en 1883, la dame Coquel voulut obtenir la restitution de son titre de rente; sur refus de son créancier, elle l'actionna devant le Tribunal de commerce de Lille, basant sa demande sur la condition d'incessibilité attachée à son titre, qui lui interdisait de s'en dessaisir valablement.

Le sieur Rose soutenait que la demanderesse ne pouvait revenir sur un contrat librement consenti; qu'il ne s'agissait, du reste, que d'une simple délégation des arrérages, et non pas d'une véritable cession de l'objet du legs.

Le Tribunal de commerce de Lille, ayant fait droit aux conclusions de Rose, sur appel de la dame Coquel, son jugement fut réformé par l'arrêt qui suit:

(1) V. Cass., 25 août 1863 (S., 1864, 1, 466).

ARRÊT.

LA COUR; - Attendu qu'en cause d'appel Rose ne conteste plus la recevabilité de l'action personnellement exercée par la dame Coquel quoique faillie;-Adoptant au besoin de ce chef les motifs des premiers juges; - Attendu qu'il résulte de la possession, par Rose, depuis le 15 octobre 1881, du titre de 890 fr. de rente 5 0/0 sur l'Etat français, immatriculé pour l'usufruit au nom de Flore Cáron, épouse séparée de corps et de biens d'AugustinAlexandre-Joseph Coquel, de la perception des arrérages faite par Rose, au su de la dame Coquel, du 16 novembre 1881 au 16 août 1883 inclusivement, et des autres faits et documents de la cause, que ce titre de rente a été donné en nantissement par la dame Coquel à Rose, pour, à l'aide des arrérages trimestriels de la rente, garantir le remboursement en capital et intérêts à 4 1/2 p. cent d'une somme de 9,000 fr., importance d'un prêt fait le 15 octobre 1881 par Rose à la dame Coquel, alors cafetière à Lille, pour les besoins et affaires de son commerce; Attendu qu'il

ressort du titre même remis par la dame Coquel à Rose que l'usufruit de la dame Coquel était « incessible, confor› mément à un testament reçu par Me Planquette, notaire » à Arras, le 23 mars 1870; » que, par ledit testament, la dame Masse-Caron a, en effet, légué à la dame Coquel, sa nièce, l'usufruit d'une somme de 20,000 fr., « voulant » et entendant que l'usufruit fût incessible et insaisissable, › déclarant le constituer à titre de pension alimentaire; > que c'est pour assurer l'exécution du legs en usufruit et garantir en même temps les nu-propriétaires, que la somme de 20,000 fr. a été employée à l'acquisition du titre de rente de 890 fr.; - Attendu que le caractère imprimé par la testatrice à l'usufruit légué, et les précautions pri

--

At

ses par la dame Masse-Caron pour empêcher sa nièce d'être privée ou de se priver elle-même de la réserve alimentaire qui lui était assurée, rendaient la dame Coquel incapable de disposer du titre de rente et d'en céder les arrérages à Rose; que l'incapacité de la dame Coquel a été portée à la connaissance de Rose par les énonciations mêmes du titre remis en nantissement; que le nantissement concédé à Rose est ainsi nul et de nul effet; Attendu, qu'en vain, Rose soutient que la dame Coquel n'aurait pas disposé du droit d'usufruit; qu'elle ne lui aurait pas, à proprement parler, cédé ledit usufruit; qu'elle lui aurait purement et simplement délégué les arrérages de la rente pendant le temps nécessaire pour opérer, å l'aide de ces arrérages, l'extinction en capital et intérêts de la somme par lui prêtée, et que cette délégation, qui ne serait pas contraire à la condition d'incessibilité de l'usufruit, ne ferait pas obstacle au nantissement; tendu que le droit d'usufruit sur une somme d'argent est, quant à son exercice, inséparable des intérêts que la somme produit; que le droit d'usufruit d'une somme ou d'une rente se confond d'une manière absolue avec le droit de toucher les intérêts de la somme ou les arrérages de la rente; Attendu que les conditions d'incessibilité attachées au droit d'usufruit sont ainsi attachées aux intérêts et arrérages de la rente, objet de l'usufruit, et que la délégation par l'usufruitier des arrérages d'une rente n'est, en réalité, que la cession de l'usufruit de cette rente;- Attendu, d'ailleurs, qu'il suffit de se reporter aux termes du testament dont la date est rappelée dans le titre de rente, aux circonstances dans lesquelles l'usufruit a été légué, aux précautions prises par la testatrice dans l'intérêt de la légataire, pour reconnaître que, dans l'intention manifeste de la dame Masse-Caron, la condition d'incessibilité et le

[ocr errors]

caractère alimentaire de l'usufruit légué étaient évidemment attachés aux revenus de la somme léguée, et que le dessaisissement de l'usufruitière était tout aussi bien prohibé par une délégation d'environ douze à quatorze années de revenus que par la cession directe du droit d'usufruit; Attendu que la dame Coquel n'a jamais réclamé les arrérages touchés par Rose du 15 juillet 1881 au 23 juillet 1883; qu'elle ne méconnaît pas que ces arrérages soient définitivement acquis à Rose; Par ces motifs, met le jugement dont est appel au néant en tant qu'il a refusé à la dame Coquel la restitution du titre de rente détenu par Rose, et condamné la dame Coquel aux dépens; émendant, décharge la dame Coquel des condamnations contre elle prononcées; etc.

Du 17 janv. 1885. 2me Chamb. civ. Prés., M. Duhem; Minist. publ., M. Berton, avoc.-gén.; Avoc., Mes Deschodt et Testelin (du barreau de Lille); Avou., Mes Gennevoise et Druelle.

[blocks in formation]

La mère nourrice, qui, la nuit, prend son enfant dans son lit pour l'allaiter, s'endort en le tenant dans ses bras, et occasionne involontairement sa mort en l'étouffant sous. les couvertures, ne commet pas le délit d'homicide par imprudence.

(Ministère public C. Femme Blondel).

A la date du 25 novembre 1884, contrairement aux

réquisitions du Ministère public et sur la plaidoierie de Me Paris, avocat, le Tribunal correctionnel d'Arras avait rendu le jugement suivant:

JUGEMENT.

<< Considérant que l'enfant de la prévenue, le jeune Henri Blondel, âgé d'un mois à peine, est décédé le 21 octobre 1884, et qu'il résulte du rapport du médecin commis, qu'il a succombé à une asphyxie par suffocation; qu'au dire de la prévenue, elle prit son enfant dans le berceau, où, il était couché, et qu'après s'être assise ellemême sur son lit, elle l'approcha de son sein pour l'allaiter; qu'elle s'endormit ensuite, et qu'en s'éveillant plus tard, elle le trouva sans vie sous les couvertures; que rien ne contredisant ses explications, il y a lieu de les tenir pour vraies ;

» Considérant qu'en allaitant son enfant dans son propre lit, la prévenue a fait ce que font fréquemment les mères les plus attentives; qu'on ne saurait donc la considérer comme ayant ainsi commis une imprudence grave de nature à engager sa responsabilité pénale; qu'on ne saurait non plus lui reprocher d'avoir cédé au sommeil, pendant qu'elle allaitait l'enfant dans ses bras, puisqu'il est possible qu'elle ait obéi à un besoin irrésistible, contre lequel elle aurait vainement lutté;

Par ces motifs, renvoie la femme Blondel des fins de la plainte. >

Sur appel du Ministère public :

LA COUR;

confirme.

ARRÊT.

Adoptant les motifs des premiers juges;

Du 19 févr. 1885. Chamb. corr. Prés., M. Honoré;

« PreviousContinue »