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d'impopularité au gouvernement central; cet esprit administratif doit être inflexiblement modifié, cela dépend de vous; entrez fermement dans cette voie. Soyez sûr qu'alors, au lieu de voir dans le gouvernement et dans l'administration locale des ennemis, le peuple n'y verra qu'un appui et un secours. Et quand vous viendrez ensuite, au nom de ce gouvernement loyal et paternel, recommander un candidat au choix des électeurs, ils écouteront votre voix et suivront votre conseil. Toutes les vieilles accusations des oppositions tomberont devant cette politique nouvelle et simple, et l'on finira par comprendre en France que l'ordre, le travail et la sécurité ne s'établissent dans un pays, d'une manière durable, que sous un gouvernement écouté et respecté. »

Quelques jours après, le 11 février, le successeur de M. de Morny au ministère de l'intérieur, M. de Persigny, parlait aux préfets un langage plus accentué.

« Ce n'est pas, disait M. de Persigny, ce n'est pas, comme sous les gouvernements précédents, par des influences clandestines, qui abaissent les caractères et dégradent les consciences que vous avez à exercer votre action. Sous le gouvernement légitime de l'élu du peuple français, le temps des intrigues et des corruptions parlementaires est passé. Ce que vous avez à faire aujourd'hui, c'est au grand jour que vous le ferez.>>

Le bien ne pouvait se faire aujourd'hui qu'à une seule condition, à savoir que le Sénat, le conseil d'Etat, le Corps législatif et l'administration fussent, avec le chef de l'Etat, en parfaite harmonie d'idées, de sentiments et d'intérêts. Le peuple pouvait-il se passer de l'intervention du gouvernement? Comment 8 millions d'électeurs pourraient-ils s'entendre pour distinguer, entre tant de candidats, et sur tant de points à la fois, deux cent soixante et un députés animés du même esprit, dévoués aux mêmes intérêts, et disposés également à compléter l'œuvre du 20 décembre. Il fallait que le peuple fût mis en mesure de discerner quels étaient les amis et les ennemis du gouvernement qu'il venait de fonder par son vote.

Toute fois, M. le ministre de l'intérieur recommandait que l'élection restât libre. « Vous ne devez rien faire qui puisse

gêner ou embarrasser en quoi que ce soit l'exercice du suffrage universel. Toutes les candidatures doivent pouvoir se produire sans opposition, sans contrainte. Le prince Président se croirait atteint dans l'honneur de son gouvernement si la moindre entrave était mise à la liberté des votes. »

Les élections avaient été fixées au dimanche 29 février. Le moment était proche où le suffrage universel serait appelé à compléter l'œuvre du 20 décembre. C'est ici le lieu de dire quel était alors l'état des partis en France et d'esquisser l'histoire du pays pendant les premiers jours de la dictature présidentielle.

CHAPITRE VI.

LES PARTIS VAINCUS.

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Mesures d'exception et de sûreté générale ; déportations, exils; effet produit sur l'opinion publique; les persécutions en matière politique, opinion de Napoléon, esprit de la civilisation moderne ; adoucissements aux premières mesures, les égarés, ordres nouveaux dans le sens de la modération, circulaire du ministre de l'Intérieur, commissions mixtes. Décrets relatifs aux biens de la famille d'Orléans; importance du parti orléaniste; considérants du décret, la loi de dévolution, la donation du 7 août 1830; destination des biens faisant retour à l'État, fondations, dotations, renonciation personnelle du Président de la République ; effet produit par ces mesures; protestation, affaire Bocher, protestation des exécuteurs testamentaires de Louis-Philippe, consultations, objections des adversaires du décret, réponse; démission de M. Dupin comme procureur général à la cour de Cassation; modifications mi-...nistérielles. Le nouveau ministère, circulaires électorales, le système du Gouvernement, influence et indépendance; interprétations excessives des agents inférieurs du pouvoir; dispositions des masses électorales, populations agricoles, armée, clergé, bourgeoisie ; élections de Paris, élections des dépar tements, composition du Corps législatif.

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-La première et la plus triste préoccupation des gouvernements d'exception sortis d'une.crise violente, c'est celle d'assurer par la répression leur propre existence et leur liberté d'action. Le gouvernement nouveau y obéit en décrétant, le 9 janvier, des mesures de sûreté générale destinées à atteindre les chefs possi*bles d'une opposition future (Voyez à l'Appendice).

Dans la première catégorie figuraient les individus convaincus d'avoir pris part aux insurrections récentes; ils étaient, suivant leur degré de culpabilité, déportés à la Guyane française ou en Algérie. Dans la seconde catégorie se trouvaient les chefs re

connus du socialisme; leur séjour en France paraissant de na ture à fomenter la guerre civile, ils étaient expulsés du territoire de la République, et ils seraient transportés s'ils venaient à y rentrer. Dans la troisième étaient compris les hommes politiques qui s'étaient fait remarquer par leur violente hostilité au gouvernement, et dont la présence paraissait être une cause d'agitation; ceux-là n'étaient que momentanément éloignés. Enfin, quelques anciens représentants, MM. Marc-Dufraisse, Greppo, Miot et Richardet étaient transportés à la Guyane française.

Dans la seconde catégorie, on remarquait les noms de MM. Victor Hugo, Charles Lagrange, Martin Nadaud, Charrassin', Savoye, Joly, Boysset, Baune, Schoelcher, de Flotte, Joigneaux, Esquiros, Madier de Montjau, Raspail, Théodore Bac, Bancel, Bourzat, Brives, Chavoix, Dupont (de Bussac), Mathieu (de la Drôme), Charras.

Dans la troisième se trouvaient compris MM. Duvergier de Hauranne, Creton, Baze, Thiers, Chambolle, de Rémusat, Jules de Lasteyrie, Emile de Girardin, Pascal Duprat, Edgar Quinet, Antony Thouret, Victor Chauffour, Versigny et les généraux Changarnier, de Lamoricière, Bedeau, Le Flô et Laidet.

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Sans doute il n'y avait rien que de provisoire dans la plupart de ces actes d'autorité : l'opinion publique accueillit comme nécessaires ceux qui atteignaient les chefs de l'opposition militante; elle parut plus disposée à plaindre les hommes politiques éminents ou honorables qui n'avaient d'autre tort que celui d'appartenir aux partis vaincus. Mais on comprit facilement que, pour beaucoup d'entre eux, l'exil n'avait rien d'irrévocable, et les partisans les plus sincères du régime nouveau espérèrent que la vengeance ne se dissimulerait pas derrière la précaution. La civilisation moderne n'admet plus l'abus de la victoire en matière politique, et le vaincu de la veille est trop souvent le vainqueur du lendemain, pour que le pardon et l'oubli ne soient pas habileté et prudence.

Il ne pouvait d'ailleurs entrer dans la pensée du gouvernement nouveau d'annihiler les partis. Eléments essentiels de la vie sociale, les partis correspondent chacun à un besoin différent de la société. C'est de l'action et de la réaction des partis les uns sur

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les autres que sortent le mouvement et la vie de la société. L'homme d'Etat véritable, loin de s'indigner de ces manifestations variées de l'activité et de la pensée humaine, s'y accommode et s'en sert, comme le laboureur s'accommode aux saisons diverses et utilise leurs influences variées.

Aussi pouvait-on croire que le gouvernement sorti du coup d'Etat ne commettrait pas, lui aussi, cette faute insigne de se réduire aux proportions d'un parti, en se déclarant l'ennemi de tous les autres. Il ne chercherait pas sans doute une force précaire dans la proscription, et ne persécuterait pas ses rivaux en invoquant les cruelles et trompeuses nécessités du salut public.

Pénétré, nourri par une longue étude, par une juste admiration des idées napoléoniennes, le dictateur absous par les suffrages de la nation, se rappellerait bientôt que le grand homme, son modèle politique, s'abstint avec bonheur de toute passion. réactionnaire, «< cicatrisa toutes les plaies, récompensa tous les mérites, adopta toutes les gloires, et fit concourir tous les Français à un seul but, la prospérité de la France (1). »

Le premier Consul révoqua les lois qui excluaient les parents des émigrés de l'exercice des droits politiques et des fonctions publiques, fit cesser les réquisitions en nature et abolit la loi des otages. Il rappela les écrivains condamnés à la déportation par la loi du 19 fructidor an V, ouvrit les portes de la France à plus de cent mille nobles, admit des conventionnels dans les emplois publics et, suivant sa propre expression, réunit en les amalgamant tous les éléments antipathiques au lieu de les extirper.

N'est-ce pas Napoléon qui disait au conseil d'État :

« Gouverner par un parti, c'est se mettre tôt ou tard dans sa dépendance. On ne m'y prendra pas; je suis national. Je me sers de tous ceux qui ont de la capacité et la volonté de marcher avec moi. Voilà pourquoi j'ai composé mon conseil d'État de constituants qu'on appelait Modérés ou Feuillants, comme Defermon, Roederer, Regnier, Regnault; de royalistes comme Devaines et Dufresnes; enfin de jacobins comme Brune, Réal et Berlier. J'aime les honnêtes gens de tous les partis. »

(1) Idées Napoléoniennes, par Louis-Nupoléon Bonaparte.

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