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retirée aux Cours d'assises et rendue aux tribunaux de police correctionnelle. Le nouveau décret sur la presse avait étendu la même mesure aux délits commis par la voie des journaux. Cependant les Cours d'assises continuaient à connaître de quelques autres délits analogues par leur nature ou assimilés par le législateur à ceux qui étaient déjà rentrés dans la loi commune. Tels étaient, par exemple, les délits politiques proprement dits prévus par la loi du 8 octobre 1830, les délits commis par les afficheurs et les crieurs publics, les délits d'attroupement, les délits en matière de clubs et de sociétés secrètes, enfin les délits qui peuvent être commis en matière électorale.

Un décret, en date du 26 février, fit cesser cette anomalie en rendant aux tribunaux correctionnels le jugement de tous les délits dont la connaissance était antérieurement attribuée aux Cours d'assises. De cette manière, on rentrait complétement dans la règle de compétence établie par l'article 179 du Code d'instruction criminelle qui forme le droit commun en cette matière, et qui défère aux tribunaux correctionnels la connaissance de tous les délits dont la peine excède cinq jours d'emprisonnement et 15 fr. d'amende. Il est admis en jurisprudence que le principe de la non-rétroactivité ne s'applique pas aux lois de compétence et de procédure. En conséquence, le décret disposait que les tribunaux correctionnels connaîtraient des délits commis antérieurement à ce décret, et sur lesquels il n'aurait pas encore été statué par une autre juridiction (Voyez à l'Appendice le texte du décret).

CHAPITRE V.

LOI ÉLECTORALE.

Décret organique du suffrage universel pour les élections des députés au Corps législatif; nombre des députés par département; l'Algérie et les colonies; conditions du suffrage; incapacités, incompatibilités; pénalités; restriction importante au suffrage de l'armée; circulaire de M. de Morny, les préférences du gouvernement, sesl'influences, recommandations aux fonctionnaires publics; circulaire de M. de Persigny; nécessité de l'intervention gouvernementale dans l'élection, liberté de l'élection.

Pour compléter l'organisation de l'état public nouveau, il y avait encore à promulguer la loi organique du seul pouvoir qui ne dérivât pas directement du pouvoir exécutif. Déjà la constitution avait fixé la place et les attributions du Corps législatif, la loi électorale du 2 février réglementa le suffrage universel dans ses applications à la représentation nationale et acheva la constitution des corps publics.

Voici les dispositions principales de la loi :.

Aux termes de la Constitution, il y aurait dans chaque département un député pour 35,000 électeurs. La loi complétait cette disposition en ajoutant que néanmoins il était attribué un député de plus à chacun des départements dans lesquels le nombre excédant des électeurs s'élèverait à 25,000. Il en résultait que le nombre total des députés au Corps législatif, pour 1852, serait de 261.

L'Algérie et les colonies ne nommeraient pas de députés. Le suffrage serait direct et universel. Les réunions électorales auraient lieu au chef-lieu de chaque commune.

Tous les Français âgés de vingt et un ans accomplis seraient électeurs à deux conditions: la première, qu'ils jouiraient de leurs droits civils et politiques, la seconde, qu'ils habiteraient la commune depuis six mois.

D'après la loi du 31 mai, la liste électorale était dressée par le maire, assisté de deux délégués du juge de paix. D'après la loi nouvelle, elle serait dressée par le maire seul.

Les militaires en activité de service seraient portés sur les listes des communes où ils étaient domiciliés avant leur départ. Mais ils ne pourraient voter pour la nomination des députés, que lorsqu'ils seraient présents, au moment de l'élection, dans la commune où ils seraient inscrits.

La loi nouvelle ne faisait à peu près que reproduire la liste des incapacités électorales établie soit par la loi du 15 mars 1849, soit surtout par la loi du 31 mai 1850, qui avait soulevé de si longs et de si violents débats. On n'y remarquait qu'une seule incapacité nouvelle, qui avait été adoptée dans la dernière discussion de l'Assemblée nationale : c'est celle qui s'appliquait aux individus condamnés pour avoir vendu des marchandises falsifiées. Tous les électeurs âgés de vingt-cinq ans seraient éligibles sans aucune condition de domicile.

Le mandat de député était déclaré incompatible avec toute fonction publique rétribuée. Cette incompatibilité s'étendrait même aux six mois qui suivraient la destitution, la démission ou tout autre changement de position, à l'égard de certains fonctionnaires pour tout ou partie de leur ressort : ce seraient les premiers présidents, les procureurs généraux des Cours d'appel, les présidents des tribunaux et les procureurs de la République; le commandant supérieur des gardes nationales de la Seine, le préfet de police, les préfets et les sous-préfets; les archevêques, évêques et vicaires généraux; les officiers généraux commandant les divisions et subdivisions militaires; les préfets maritimes.

L'article 30 de la nouvelle loi électorale, relatif à l'éligibilité des premiers présidents et des procureurs généraux, ne s'appliquait qu'aux premiers présidents et aux procureurs généraux des Cours d'appels et autres fonctionnaires ayant un ressort limité, et contre lesquels cet article prononçait l'incapacité relative d'être

élus dans le ressort où s'exercerait leur influence immédiate, la loi leur laissant la capacité d'être élus ailleurs, c'est-à-dire hors de ce ressort.

Mais la Cour de cassation et la Cour des comptes n'ont pas de ressort limité, ni de subordonnés présumés être dans leur dépendance. Ces corps sont établis pour toute la France; ils seraient donc dans une incapacité absolue, en vertu d'un article qui ne prononçait qu'une incapacité relative, vraie seulement pour les autres fonctionnaires.

Tel était le sens de l'article, reproduction de l'article 64 de la loi du 19 avril 1851.

La loi maintenait également, à quelques légères modifications près, les pénalités établies par la loi du 15 mars 1849. (Voyez à l'Appendice le texte du décret organique du 2 février).

La grande innovation de cette loi, c'est la transformation du droit de suffrage de l'armée et la condition du vote au domicile originaire pour les soldats. Cette restriction, qui équivaut à peu près à un retrait absolu du droit de suffrage, n'avait pas été inspirée par la défiance, mais par un juste sentiment des conditions de la discipline militaire.

Les incompatibilités établies par le décret organique furent assez généralement approuvées.

Le nouveau mécanisme électoral fut expliqué, le 19 janvier, dans un document officiel dû à M. de Morny.

Une circulaire adressée par M. le ministre de l'intérieur aux préfets, fit connaître aux autorités locales la manière dont le gouvernement entendait l'application du suffrage universel, en ce qui concernait l'élection des nouveaux députés.

En attendant que la nouvelle loi électorale fût promulguée (elle ne l'était pas encore à cette époque), M. de Morny annonçait qu'elle établirait des incompatibilités. Les fonctionnaires seraient exclus du mandat législatif. Le gouvernement manifestait une préférence formelle pour les hommes qui auraient fait leur fortune par le travail, l'industrie, l'agriculture, qui se seraient occupés d'améliorer le sort des ouvriers, qui se seraient rendus populaires par l'usage de leurs biens.

La question importante était celle des influences diverses

exercées sur le vote. La circulaire l'abordait franchement, nettement. Et d'abord le gouvernement interdisait, même à ses partisans, l'organisation de comités électoraux, la réunion de délégués, système incompatible avec la suppression du scrutin de liste. Puis, le suffrage universel étant de nature à prévenir les abus d'influence qu'on avait reprochés avec plus ou moins de justice aux gouvernements précédents, le gouvernement nouveau pouvait, devait même, sans compromettre sa dignité et son autorité, éclairer les électeurs. Il n'est pas de faveurs, pas de séductions qui puissent peser sur un pays tout entier appelé à exprimer ses préférences. « Avec le suffrage universel, il n'y a qu'un ressort puissant, immense, qu'aucune main humaine ne peut comprimer ni détourner du courant qui le dirige: c'est l'opinion publique, ce sentiment imperceptible, indéfinissable, qui abandonne ou accompagne les gouvernements sans qu'ils puissent s'en rendre compte, mais rarement à tort; rien ne lui échappe, rien ne lui est indifférent; elle n'apprécie pas seulement les actes, elle devine les tendances; elle n'oublie rien, ne pardonne rien, parce qu'elle n'a et ne peut avoir qu'un mobile, l'intérêt égoïste de chacun; elle est sensible à tout, depuis la grande politique qui émane du chef du gouvernement, jusqu'aux moindres procédés des administrations locales; et l'opinion politique d'un département dépend plus qu'on ne croit de l'esprit et de la conduite de son administration. Depuis longtemps les administrations locales ont été subordonnées aux exigences parlementaires; elles s'oc-. cupaient bien plus à plaire à quelques hommes influents à Paris qu'à satisfaire les légitimes intérêts des communes et des populations. Ce temps est heureusement passé. »

M. le ministre de l'intérieur terminait sa circulaire en recommandant à tous les fonctionnaires publics « d'être bienveillants pour les personnes et faciles pour les intérêts; car la bureaucratie ne doit pas se croire créée pour l'objection, l'entrave et la lenteur, tandis qu'elle ne l'est que pour l'expédition et la régularisation. Si j'attache autant d'importance à ces détails, c'est que j'ai été à même de remarquer que les agents inférieurs croient souvent grossir leur importance par des difficultés et des embarras. Ils ne savent pas ce qu'ils recueillent de malédictions et

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