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priver la Suède du grand homme qu'elle avait vu naître. Ses antagonistes employèrent tous les moyens pour lui faire défendre de donner des leçons, et ils allèrent jusqu'à intéresser les principes de la morale dans leur cause. On représenta à la reine Ulrique-Eléonore, alors assise sur le trône, et déjà avancée en âge, le système de Linné, qui avait pour base le sexe des plantes, comme indécent et propre à gâter les mœurs de la jeunesse. La reine, peu versée dans l'étude des sciences, et très-portée au rigorisme, allait obtenir du roi son époux un arrêt contre Linné, lorsque des hommes puissans s'intéressèrent pour le botaniste, et enlevèrent la victoire à ses ennemis.

Avec quelle satisfaction j'ai parcouru ce jardin, où le père de la botanique s'entretenait journellement avec la nature, où il fit tant d'observations lumineuses, où il découvrit tant de rapports étonnans! Le jardin avait peu d'étendue;

mais Linné y suppléait par sa vaste correspondance, par les relations et les envois que lui faisaient ses disciples, et par la sagacité de son esprit. Les collections qui formaient son cabinet, et dont il s'était servi dans ses travaux, sont maintenant en Angleterre. On a reproché à la Suède d'avoir laissé passer dans un autre pays ces objets précieux ; mais il faut la justifier, en apprenant au public que le marché s'était fait très-à la hâte, et qu'aussitôt que Gustave III en eut eu connaissance, il expédia un courrier à Gothenbourg. Mais le courrier arriva trop tard, et les collections étaient déjà parties.

Un autre jardin vient de remplacer celui où le grand botaniste avait sa demeure. Il est beaucoup plus vaste, pourvu de plus de secours,et les serres ont obtenu un espace plus convenable. Dans le bâtiment qui appartient à ce jardin, et qui a été construit avec autant de solidité que d'élégance, il y a un logement pour

le professeur et une salle pour les cours, qui est décorée du buste de Linné. C'est le fameux voyageur Thunberg qui occupe maintenant la chaire de botanique, et qui a l'intendance du jardin.

L'université d'Upsal possède une trèsbelle bibliothèque, dont Gustave-Adolphe jeta les fondemens. Elle a trente mille volumes, et un grand nombre de manuscrits relatifs à l'histoire de Suède et à celle du nord en général. Le comte Magnus-Gabriel de la Gardie lui fit présent du manuscrit le plus complet de l'Edda, apporté d'Islande par un Islandais, et du Code d'Ulphilas, appelé le Code d'argent. Ulphilas était évêque des Mésogoths dans le cinquième siècle, et fit une traduction de la Bible en langue mésogothique, dont le manuscrit d'Upsal contient des fragmens. Les lettres sont en or et en argent, et tracées avec beaucoup de soin. Comme la langue dont l'évêque fit usage était un dialecte teutonique, sa traduction est le plus

ancien monument qui existe de toutes les langues qu'on parle maintenant dans le nord de l'Europe. Le manuscrit était resté long-temps caché dans la bibliothèque des moines de Verden; il fut transporté de là à Prague, où, pendant

la guerre de trente ans, il tomba entre les mains du général suédois, comte de Koenigsmarck, qui en fit hommage à la reine Christine. Isaac Vossius, en quittant la cour de cette reine, emporta le manuscrit qui lui avait été confié pour l'étudier, et le vendit en Angleterre, où le comte de la Gardie le racheta. Il a été imprimé plusieurs fois avec des commentaires, tant en Suède qu'en Angleterre et en Allemagne.

CHAPITRE XIX.

Progrès des sciences, des lettres et des beaux arts. - Institutions qui s'y rapportent.

L'UNIVERSITÉ d'Upsal donna la première impulsion aux talens dans le dixseptième siècle; il se forma des savans des littérateurs, et même des poètes. Charles XI eut à sa cour un peintre habile, né en Allemagne, mais naturalisé en Suède sous le nom d'Ehrenstrahl. Cependant les circonstances n'étaient pas toujours favorables au développement des travaux littéraires et aux progrès des arts; ce ne fut qu'après la mort de Charles XII, lorsque la nation s'occupa de remplacer la gloire des grandes entreprises par celle des efforts paisibles, et que l'agriculture, l'industrie, le com

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