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la hausse ou la baisse d'une denrée ou marchandise; si quelques-profiter, il n'est pas coupable. Inculper et punir de tels faits, ce uns sont spécifiés, c'est qu'ils sont le plus ordinairement employés et que la fraude est évidente. C'est ce qui résulte de la discussion de cet article et du rapport de M. Faure, que nous avons rapporté plus haut (V. en ce sens MM. Carnot, t. 2, p. 368; Chauveau et Faustin-Hélie, t. 7, p. 482 et 483).

Mais quels sont les éléments du délit? 10 Il faut d'abord qu'il y ait fraude, c'est-à-dire intention frauduleuse dans les moyens employés; ainsi les bruits faux ou calomnieux doivent avoir été semés à dessein dans le public. Quant aux sur-offres, réunions ou coalitions, elles ne peuvent pas ne pas être frauduleuses lorsqu'elles tendent au but et qu'elles produisent le résultat prévus par l'art. 419. Mais si les bruits faux ou calomnieux n'avaient été semés dans aucune intention frauduleuse, ils ne formeraient pas un délit, alors même que la hausse ou la baisse du prix des denrées ou marchandises en aurait été le résultat, et même, selon MM. Chauveau et Faustin-Hélie, t. 7, p. 484, alors que l'auteur de ces bruits en aurait profité. Mais dans ce cas, ce serait à lui à prouver qu'il n'a pas semé les bruits à dessein; la présomption lui est contraire. L'appréciation des moyens frauduleux employés est abandonnée à la sagesse des tribunaux (V. en te sens Crim. rej. 17 juill. 1818) (1).—Ainsi jugé que l'individu qui est déclaré, au moyen de la fraude, avoir contribué autant qu'il était en lui au renchérissement du blé dans un temps de pénurie et de misère, se trouve dans le cas prévu par l'art. 419 c. pén., et encourt la peine prononcée par l'art. 420 (Crim. rej. 25 nov. 1813) (2).

436. L'omission de la déclaration prescrite par le décret du 4 mai 1812 (V. Grains, nos 66, 67), relatif à la circulation des grains, et même la fausse déclaration faite par suite des combinaisons d'une cupidité répréhensible, constitue-t-elle le délit puni par l'art. 419 c. pén. La négative a été adoptée par arrêt de cassation:-«Attendu que le décret du 4 mai 1812 n'ordonne, par son art. 1, de poursuivre devant les cours et tribunaux que les auteurs d'opposition à la libre circulation des grains et farines; que, si le même décret oblige (art. 5) tout fermier, propriétaire ou cultivateur de déclarer aux préfets ou sous-préfets les quantités de grains et farines par eux possédées, et les lieux où elles sont déposées, aucune des dispositions qu'il renferme ne soumet, ni à des poursuites judiciaires, ni à des peines, ceux qui négligent de faire les déclarations prescrites, ou se permettent d'en donner d'infidèles; que l'art. 419 C. pén. n'assujettit aux peines que ceux qui se trouvent dans les cas qu'il prévoit; que, pour que les contraventions aux dispositions du decret du 4 mai rentrent dans la classe des délits susceptibles des peines des art. 419 et 420 c. pén., il faut donc que la justice puisse les considérer comme ces voies ou moyens frauduleux dont parle le premier de ces articles, et qu'elles aient eu le résultat que le législateur a eu pour objet de réprimer et de punir, c'est-❘ à-dire la hausse ou la baisse effective du prix des grains, farines, etc.» (Cr. cass. 24 déc. 1812, M. Aumont, rap., aff. Cousin).— Mais, comme l'exprime la décision qui précède, il y aurait délit tombant sous l'application de l'art. 419, si la fausse délaration avait amené la hausse ou la baisse des denrées (même arrêt).

437. L'accaparement tombe-t-il sous le coup de l'art. 419 c. pén.? Si l'on entend par accaparement l'acte par lequel un négociant achète des grains dans un temps de baisse pour ne les revendre qu'à la hausse, il est sensible qu'une telle spéculation, qui n'a rien que de très-licite, ne constitue pas le délit puni par l'art. 419. Il n'y a là ni fraude, ni voies ou moyens frauduleux ; la hausse peut avoir été le résultat de ses achats, mais s'il n'avait pas eu l'intention de l'opérer, s'il ne fait que la prévoir et en

(1) (Moine.)LA COUR;-Attendu, sur le deuxième moyen, que l'arrêt a jugé en point de fait que Moine avait, par des moyens frauduleux, opéré une hausse de prix des grains dans la halle de Honfleur; que la loi ne détermine pas ce qui constitue ces moyens frauduleux; que l'appreciation en est laissée à l'arbitrage des juges d'après la nature des faits soumis à leur examen, et n'entre point dans les attributions de la cour de cassation; Rejette le pourvoi contre l'arrêt de la cour de Caen, chambre criminelle, du 13 nov. 1817.

Du 17 juill. 1818.-C. Č., sect. crim.-MM. Barris, pr.-Lecoutour, rap. (2) (Le Lièvre.)-LA COUR;-Attendu que l'arrêt attaqué ne peut être apprécié que d'après les faits reconnus constants par la cour dont il émaue; qu'il est dit textuellement dans cet arrêt que « la déclaration

serait rendre le commerce impossible. Mais si, par accaparement, on entend désigner cet ensemble de mesures frauduleuses employées pour procurer la baisse, afin d'acheter à bas prix, et puis pour procurer la hausse et vendre cher: c'est évidemment là un des faits prévus et punis par l'art. 419. — V. pour l'autorité du décret de 1812, vo Grains, no 66.

Les moyens frauduleux doivent comme la coalition avoir eu le résultat qu'ils tendaient à produire; l'art. 419 est formel sur ce point: s'ils n'ont opéré ni la hausse ni la baisse, ils ne tombent pas sous le coup des dispositions de l'art. 419. — V. en ce sens les arrêts cités no 426; MM. Carnot, t. 2, p. 369, et Chauveau et Faustin-Hélie, t. 7, p. 500.

Les divers moyens frauduleux employés pour procurer la hausse ou la baisse des denrées et marchandises, autres que les réunions ou coalitions, sont punis des mêmes peines que ces dernières, c'est-à-dire de l'emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 500 fr. à 10,000 fr., plus la surveillance de la haute police pendant deux à cinq ans, avec aggravation du double si les manœuvres ont été pratiquées sur les grains, ou grenailles... (art. 419 et 420).

CHAP. 6.

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TRAVAIL DES ENFANTS DANS LES MANUFACTURES. 438. Depuis longtemps on signalait de toutes parts les résultats désastreux pour l'humanité, qui sont produits par le travail excessif des enfants employés dans les manufactures, usines et ateliers, dès l'âge le plus tendre. Depuis longtemps, on s'élevait contre la scandaleuse cupidité de certains maîtres et chefs d'établissement, qui spéculaient sur la modicité du salaire alloué à de chétifs et jeunes enfants pour exiger d'eux un travail d'une durée excessive et au-dessus de leurs forces. On s'indignait également contre la coupable conduite des parents qui, dans la vue d'accroftre le salaire que gagnaient leurs enfants, avaient la barbare complaisance de consentirà ce qu'on les épuisât ainsi par des travaux qui dépassaient toutes les forces de leur âge (V. no 97). — C'est pour mettre un terme à un état de choses aussi funeste, que furent rendues diverses lois tant en Angleterre qu'en France.—Veiller sur le sort des enfants, sur leur santé et leur bien-être, tout en conservant, autant que possible, à l'autorité paternelle, sa légitime part d'influence; satisfaire à ce que réclame le juste soin de l'éducation religieuse, morale est intellectuelle des enfants; tel est le but important que cette loi est destinée à atteindre.-Le problème que le législateur avait à résoudre était, certes, un des plus difficiles qui puisse être soumis aux méditations des hommes d'État et des amis de l'humanité. Il fallait, en effet, édifier un système qui protégeât l'enfance sans porter atteinte à deux principes sasacrés de notre droit civil, à savoir, la puissance paternelle et la liberté du travail et de l'industrie. «Dans cette question, disait M. Rossi, nous sommes toujours entre deux terribles écueils : l'un, de permettre qu'on impose aux enfants un travail meurtrier; l'autre, de leur arracher le morceau de pain qui les nourrit. Nous sommes toujours entre deux écueils dont le résultat cependant est le même, d'abréger le cours de la vie des enfants déjà si fragile, ou par les excès du travail ou par les souffrances non moins douloureuses de la faim. » - On pouvait craindre, en effet, en voulant réprimer les abus, d'imposer à l'industrie des conditions qui la missent dans une position défavorable, et la forçassent de remplacer les enfants par des adultes ou par d'autres moyens de travail.-Avant d'examiner les dispositions de la loi, il sera utile de jeter un coup d'œil sur les faits

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du prévenu présente les caractères de la fraude, et non ceux d'une simple erreur involontaire, et que par ce moyen frauduleux ledit prévenu avait contribué, autant qu'il était en lui, au renchérissement du blé dans un temps de pénurie et de misère; » que les faits ainsi reconnus placent nécessairement le prévenu dans la classe des individus dont parle l'art. 419 c. pén., qui, par des moyens frauduleux quelconques, auront opéré la hausse ou la baisse du prix des denrées ou marcbandises, etc.; -Qu'en prononçant contre lui les peines fixées par l'art. 420 du même code pour le cas où il s'agit de grains, farines, etc., la cour impériale de Caen a donc fait une juste application de cet article; - Rejette le pourvoi contre l'arrêt de la cour impériale de Caen, du 12 août 1815. Du 25 nov. 1813.-C. C., sect. crim.-MM. Barris, pr.-Aumont, r.

qui ont provoqué l'intervention du législateur, et de signaler les causes et l'intensité des maux qui en ont été le résultat, tant en France qu'à l'étranger.

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Voici comment M. Ch. Dupin, rapporteur de la commission de la chambre des pairs, a résumé l'exposé des faits douloureux qui ont motivé la loi : La concurrence excessive des individus qui, dans chaque pays, exercent la même industrie, la concurrence non moins redoutable des nations qui luttent ensemble, afin d'obtenir l'avantage en fabriquant un même genre de produits telles sont les causes les plus générales de la funeste tendance d'accroître au delà de toutes bornes la durée du travail journalier. Cette extension devient plus dangereuse dans les établissements où la force productive est produite par des moteurs à la fois inépuisables et infatigables; tels que les moteurs mécaniques de l'eau, du feu et de la vapeur.-Ainsi, dans l'industrie, les progrès qu'on admire le plus, à raison du génie de l'inventeur, peuvent conduire à des conséquences fatales à la santé, à la vie même des hommes. Les travailleurs deviennent en quelque sorte des accessoires plus ou moins sacrifiés aux grandes forces impulsives qu'on emprunte à la nature inanimée. Si la soif immodérée du lucre conduit certains chefs d'établissements industriels, à dépasser les justes limites où la nature suffit à réparer les forces perdues par le travail de l'homme fait et robuste, qu'on juge du dépérissement où doivent tomber les adolescents, et surtout les enfants lorsqu'on les assujettit à la même longueur démesurée d'un travail journalier !-Quelles sont les conséquences de pareils excès? Un rapide affaiblissement de la santé, des maladies professionnelles, variées et fréquentes, des infirmités graves et précoces. De sorte que ceux des jeunes travailleurs qui ne périssent pas victimes d'un tel excès de barbarie n'atteignent la virilité qu'avec un tempérament délabré, des forces énervées et avec des maux la plupart incurables.-Le rapporteur compare ensuite la population des départements agricoles avec celle des départements manufacturiers et industriels; et la statistique fournit la plus affligeante disproportion, tant sous le rapport de la moralité des individus, que sous le rapport de leur constitution physique. Dans les manufactures et ateliers, c'est une immoralité et une corruption de mœurs hideuses, et qui semblent être plus grandes précisément là où les enfants sont reçus trèsjeunes. Dès lors, rien d'étonnant que de pareils excès, joints à ceux du travail, ne rendent ces malheureux difformes, infirmes et tout à fait incapables de supporter, par exemple, les fatigues militaires. Aussi, dans ces départements, sur 10,000 jeunes gens appelés par la loi du recrutement, 9,930 sont réformés comme infirmes ou difformes, tandis que dans les départements agricoles, sur le même nombre, le chiffre des réformés n'est que de 4,029.« D'aussi grandes inégalités, continue M. Dupin, ne pouvaient laisser le législateur plus longtemps indifférent; elles attestent des plaies profondes et douloureuses; elles révèlent des souffrances individuelles intolérables; elles rendent la patrie plus faible sous le point de vue des travaux militaires, et plus pauvre sous celui des travaux pacifiques...>>

439. En Angleterre, dès la fin du dernier siècle, de généreux citoyens avaient déjà élevé la voix en faveur de l'enfance; ils avaient signalé au législateur les mesures de prudence qu'il devenait urgent d'adopter en faveur des jeunes gens des deux sexes exploités jusqu'à la barbarie par les possesseurs de grandes fabriques hydrauliques. Aussi ce fut en Angleterre, où le mal avait été porté à son comble, que parurent les premières dispositions législatives destinées à y mettre un terme. En 1802, le père de sir Robert Peel, l'ancien ministre anglais, manufacturier qui avait vu de près les désastreuses conséquences de la liberté en cette matière, fit passer dans le parlement un bill destiné à préserver la société et la moralité des apprentis et autres, employés dans les fabriques de coton et de laine. Ce bill, restreint à certaines manufactures, défendait de faire travailler les jeunes ouvriers entre neuf heures du soir et six heures du matin; il fixait le maximum de la journée de travail à douze heures, sur lesquelles était même prélevé, chaque jour ouvrable, un temps pour l'instruction élémentaire, et le dimanche pour l'instruction religieuse. Ce bill, qui était passé inaperçu, resta sans exécution. Les juges de paix chargés d'y veiller ne le firent, pas, ou du moins interprétant la loi judaïquement, ne la firent appliquer

qu'aux apprentis; et les manufacturiers purent s'y soustraire en ne passant plus de contrats d'apprentissage. Sir Robert Peel présenta alors (en 1815) un nouveau bill pour étendre à tous les jeunes travailleurs le bill de 1802. Après trois années d'enquête, il fut voté, en 1819; mais la gratuité de l'inspection en paralysa complétement l'efficacité. En 1825, nouveau bill qui retranche trois heures du travail du samedi pour les enfants au-dessous de seize ans. Enfin, en 1833, fut adopté, après une lutte mémorable soutenue au sein du parlement, le bill qui a servi de base à la loi de 1841. Voici en quoi consistent ses principales dispositions: 1 minimum d'âge, neuf ans pour les enfants admis dans les manufactures qui font usage de machines à vapeur ou de moteurs hydrauliques; 2° limitation de la durée de la journée de travail pour les enfants au-dessous de treize ans, neuf heures par jour, quarante-huit heures par semaine; pour les enfants audessous de dix-huit ans, à onze heures par jour, soixante-neuf heures par semaine; 3° interdiction du travail de nuit; 4o une heure et demie est accordée pour les repas, deux heures par jour pour l'instruction pour les enfants travaillant quarantehuit heures par semaine; 5o quatre inspecteurs généraux salariés et vingt inspecteurs divisionnaires sont chargés de surveiller l'exécution de la loi, et de poursuivre les contraventions. C'est à cette dernière disposition, et au choix des inspecteurs, que l'on a dû, surtout en Angleterre, le succès du bill de 1833. Mais ce bill n'a pas été le dernier, et un autre du 15 mars 1844 l'a modifié en quelques points. Ainsi, d'un côté, le travail des enfants a été réduit de huit à six heures et demie, d'un autre côté la limite d'âge a été abaissée de neuf à huit ans. En 1847, la journée des adultes a été réduite par un nouvel acte du parlement à dix heures, celle des femmes et filles de tout âge l'avait été déjà en 1844, à douze heures. D'après les derniers rapports des inspecteurs, ces modifications ont produit les plus heureux résultats.

Dans ces derniers temps, des mesures analogues ont été prises par deux des principales puissances du continent européen, par la Prusse et la Russie. Enfin l'Autriche a fixé aussi, par une loi, la limite du plus jeune âge où l'on puisse admettre les enfants au travail des manufactures.-En présence de l'exemple donné par ces quatre nations, qui prenaient ainsi l'initiative dans les mesures restrictives à apporter à cet état funeste, la nation française ne pouvait, sans déshonneur, rester sourde aux réclamations qui s'élevaient de toutes parts en faveur des jeunes travailleurs des manufactures.-Sans doute, la France n'offre pas, sous ce rapport, une situation aussi cruelle que celle qui a été signalée en Angleterre par la dernière enquête ordonnée par le parlement. Toutefois, le mal était grave et profond, et il était urgent d'opposer enfin une barrière à ses ravages.-On peut consulter à cet égard les détails qui ont été donnés à la tribune par M. Alban de Villeneuve, et le rapport qui a été présente en déc. 1837 au ministre du commerce par le bureau des manufactures. Il faut consulter également le Moniteur des 1er et 16 juin 1839, qui contient, sur la matière qui nous occupe, des rapports remarquables de M. Tascher à la chambre des pairs, et de M. Billaudel à celle des députés.

440. Comme nous l'avons dit, deux grands principes se trouvent en opposition avec la loi nouvelle, le principe de l'autorité paternelle et celui de la liberté de l'industrie, proclamé par l'art. 7 de la loi du 2 mars 1791.-On a répondu à ces deux sérieuses objections: 1° sans doute, ce serait un malheur public que d'ébranler l'autorité paternelle : le père doit toujours avoir le droit de diriger l'éducation de ses enfants, de choisir leurs travaux et de préparer leur carrière. Mais la loi, en reconnaissant ce droit, a le pouvoir d'en empêcher et d'en réprimer l'abus.

La puissance paternelle, c'est le droit du bienfait et non le droit de l'abus. En respectant les droits de l'autorité paternelle, la loi ne doit pas oublier ceux de la société. Or, le droit de la société est que le corps des enfants puisse se développer librement tant qu'il n'a pas acquis la plénitude de ses forces physiques; le droit de la société est que l'âme des enfants et leur intelligence soient conduites vers le bien, tant que la faiblesse de l'âge ne leur permet pas de se diriger elle-mêmes;—2o Et quant au principe de la liberté de l'industrie, on peut lui appliquer également ce qui vient d'être dit du droit sacré de l'autorité paternelle. Ce

n'est pas enchaîner cette liberté que de punir ses fautes et de ré-mis à la surveillance de l'autorité publique ; que ce principe es primer ses écarts.-L'industrie est, sans doute, une source pré-posé par la loi de 1810. cieuse de travail et de richesse; c'est une des formes les plus significatives de l'activité humaine; mais ce n est pas à dire qu'elle doive être sans frein et sans bornes.-La liberté, qui est le choix entre le bien et le mal, est intéressée à ce que le choix du mal soit sévèrement réprimé. C'est donc au principe même de la liberté qu'on peut s'adresser pour légitimer la punition des atteintes portées à la santé, à l'intelligence, à la moralité des enfants par des faits qui sont un usage coupable de cette liberté.

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441. Après avoir reconnu que la loi nouvelle pouvait ainsi se concilier avec les droits de la puissance paternelle et avec le principe de la liberté de l'industrie, il fallait préciser l'application de la loi et poser la limite de ses prohibitions. Deux systèmes ont été proposés à cet égard. D'après le premier, qui était celui du projet du gouvernement, la loi devait se borner à prononcer des peines contre tout emploi des forces d'enfants au dessous de seize ans, qui serait de nature à nuire à leur développement physique, intellectuel et moral, laissant à des règlements le soin de déterminer, pour chaque localité, les cas et les conditions de l'application. On appuyait ce système sur cette double considération, que la nature des industries, extrêmement variable et différente, ne permettait pas de régler, d'une manière uniforme, l'emploi qui devait être fait du temps des enfants, et que, dans une matière aussi nouvelle, il convenait de procéder par voie d'expérimentation.-Dans l'autre système, proposé par la chambre des pairs, et adopté par la loi, on a voulu, au contraire, que la loi posât elle-même des règles précises sur quelques points fondamentaux.-Par exemple, on a fixé le minimum de l'âge | d'admission des enfants dans les manufactures; on a déterminé la durée du travail, et imposé l'obligation des livrets. Puis on a délégué au pouvoir réglementaire le droit d'étendre et d'élever, dans des cas prévus, la prohibition de la loi.

443. L'art. 2 dispose: «Les enfants devront, pour être admis, avoir au moins huit ans. De huit à douze, ils ne pourront être employés au travail effectif plus de huit heures sur vingtquatre, divisées par un repos. De douze à seize ans, ils ne pourront être employés au travail effectif plus de douze heures sur vingt-quatre, divisées par des repos. — Ce travail ne pourra avoir lieu que de cinq heures du matin à neuf heures du soir. L'âge des enfants sera constaté par un certificat délivré sur papier non timbré et sans frais, par l'officier de l'état civil. »

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444. On a objecté, en premier lieu, contre la disposition de cet article, que l'économie du travail, dans les fabriques, s'opposait, d'une manière absolue, à ce que la durée de la journée de l'enfant füt inégale à celle de l'adulte, parce que ce dernier ne peut rien faire sans l'enfant qui lui est adjoint; que, dans les filatures, par exemple, l'ouvrier ne peut se passer de son rattacheur, de même que, dans les fabriques d'impression, l'imprimeur ne peut agir sans son tireur. - Mais cet inconvénient est facile à écarter. Qui empêche, en effet, d'adopter le système actuellement pratiqué en Angleterre, et qui consiste à diviser les enfants et les adolescents en relais qui se succèdent, de sorte que trois brigades d'enfants travaillant huit heures par jour, et réunies à deux brigades d'adultes, donneront deux journées complètes de travail effectif, et n'exigeront qu'une moitié en sus du nombre d'enfants actuellement employés?

445. On soutenait aussi que huit ans était un âge trop tendre, et qu'il faudrait, à l'exemple des lois anglaise et prussienne, retarder l'admission des enfants jusqu'à l'âge de neuf et peut-être de dix ans. Mais on oubliait que l'admission des enfants, dans les fabriques, dès l'âge de huit ans, est pour les parents un moyen de surveillance, pour les enfants un commencement d'apprentissage et pour la famille une ressource. D'un autre côté, qui pourrait garantir que ces deux années laissées à l'enfant hors de la surveillance de ses parents, ouvriers, ne seront pas un temps de démoralisation, de vagabondage et d'apprentissage du vice? L'école de la rue, en effet, est la pire de toutes; elle enseigne la paresse et les désordres, et jamais elle n'a fait un bon ouvrier

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Enfin, et ceci doit dissiper toutes les craintes, si l'on s'apercevait que le minimum d'âge fixé par la loi se trouvât insuffisant dans certaines localités, le gouvernement l'élèverait par des règlements d'administration publique, ainsi que le droit lui en est réservé par l'art. 7 de la présente loi.

446. Quant à la durée des repos, la loi ne pouvait la régler: ce détail doit être abandonné aux maîtres et aux usages de chaque atelier. Toutefois si, à cet égard, des abus se dévoilaient, le gouvernement pourrait intervenir, et fixer lui-même cette duréc par des règlements d'administration publique.-V. l'art. 7, no 456. 447. Une chose qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'il résulte de la discussion qu'il ne peut pas être permis aux manufacturiers d'excéder la limite de huit et douze heures de travail par jour, sous prétexte de compensation, par exemple.—Ainsi, il ne sera

442. Nous allons retracer maintenant les dispositions de la loi (22-24 mars 1841), qui est composée de treize articles, avec les observations que nous fournira la discusion qu'elle a soulevée devant les deux chambres.-L'art. 1 est ainsi conçu : «Les enfants ne pourront être employés que sous les conditions déterminées par la présente loi: 1o dans les manufactures, usines et ateliers à moteur mécanique ou à feu continu, et dans leurs dépendances; 2° dans toute fabrique occupant plus de vingt ouvriers réunis en ateliers. >> Le mot ateliers, qui avait été omis dans le projet adopté par la chambre des pairs, a été ajouté, avec raison, par la commission de la chambre des députés. Bien que la loi n établisse nulle part, d'une manière précise, la différence qui existe entre une manufacture, une usine et un atelier, cependant, dans l'usage, le mot atelier s'applique spécialement à certains genres d'industrie, quel que soit le nombre des ouvriers y employés, et à tout établissement, quelle que soit sa nature. Il fallait donc que la généralité des expressions ne laissât aucun doute sur l'intention d'embrasser tous les établissements de travail.-Le chiffre de vingt ouvriers, qui a été adopté par cet article, est plus ou moins arbitraire, ainsi qu'on l'a fait remarquer. Mais on l'a pré-pas permis de faire travailler un enfant au-dessous de douze ans, féré à celui de quarante, qui avait été proposé par un député, comme répondant mieux à l'intention de la loi, qui voulait atteindre les abus partout où ils se produisent, dans les petits ateliers comme dans les grands. Or, pour arriver à ce but, on ne pouvait procéder que de deux manières : ou par voie d'énumération des ateliers, ou par la fixation du nombre d'ouvriers. Le premier moyen n'était pas praticable; et, d'ailleurs, il exigeait également la fixation d'un chiffre autrement on fût arrivé jusqu'à l'atelier du père de famille. Il fallait donc recourir à la seconde voie, comme la seule capable de caractériser la grande industrie.-On avait proposé d'ajouter à l'art. 1 une disposition additionnelle qui comprît toutes les espèces de mines, minières et carrières qui s'exploitent par galeries souterraines, bien que le décret du 3 janv. 1813 (art. 29) défendit de laisser travailler dans les Inines et minières des enfants au-dessous de dix ans. En effet, disait-on, cet article du décret indique bien l'âge d'admission, mais il ne fixe nulle part, pas plus que la loi du 21 avr. 1810, la durée du travail des enfants.-Le ministre des travaux publics a répondu qué cette disposition additionnelle était inutile, parce que tous les exploitants de mines, minières et carrières sont sou

dix heures le lundi, à la charge de n'exiger le mardi qu'un travail de six heures, ou réciproquement. La loi serait également violéc si un enfant de douze à seize ans travaillait plus de douze heures par jour, sous le même prétexte de compensation.

448. Au lieu du certificat que doit délivrer 1 officier de l'état civil, d'après l'art. 2, il aurait été plus simple, disait-on, d ́auteriser la délivrance de l'acte de naissance. Mais on a répondr, avec raison, que l'acte de naissance pourrait servir à un au, z but que celui auquel on veut atteindre dans le cas particulier D'où il résulte, comme conséquence, en premier lieu, que le ceitificat en question n'a pas besoin de reproduire toutes les énonciations de l'acte de naissance; qu'il suffit qu il indique l'âge ; en second lieu, que ce certificat, quelle que soit sa forme, ne pourrait remplacer l'acte de naissance, dans le cas où il serait recessaire.

449. « Art. 3. Tout travail entre neuf heures du soir et cing heures du matin est considéré comme travail de nuit.-Tout travail de nuit est interdit pour les enfants au-dessous de treize ans. Si la conséquence du chômage d'un moteur hydraulique, ou des réparations urgentes l'exigent, les enfants au-dessus de treize

ans pourront travailler la nuit, en comptant deux heures pour trois, entre neuf heures du soir et cinq heures du matin. Un travail de nuit des enfants ayant plus de treize ans, pareillement supputé, sera toléré, s'il est reconnu indispensable, dans les établissements à feu continu, dont la marche ne peut pas être suspendue pendant le cours de vingt-quatre heures. »-La nécessité d'interdire, en principe, le travail de nuit, a été reconnue par tout le monde. Les veillées, en effet, extrêmement pénibles pour les hommes robustes, sont meurtrières pour les enfants; et cela en pure perte, car l'expérience prouve que la nuit on fait peu de chose, on fait mal, et que le lendemain on ne peut plus travailler. D'un autre côté, les veillées sont une occasion, ou plutôt la cause de la plus grande démoralisation.

450. Une chose qu'il ne faut pas oublier, c'est que les §§ 3 et 4 de l'article consacrent des dérogations au principe général posé dans le § 2; ils doivent, dans l'application, être interprétés d'une manière limitative. Ainsi, les mots réparations urgentes ne doivent s'entendre que des réparations qui nécessitent une suspension de travail, soit de toute la fabriqué, soit de la partie de la fabrique dans laquelle les enfants sont employés. En un mot, il faut que les réparations produisent le même effet que le chômage du moteur.-V. M., Duvergier, t. 41, p. 46, 47.

451. On avait demandé que le travail de nuit ne fût autorisé que dans le cas où le chômage aurait été général. On a repoussé à juste titre une pareille proposition, parce qu'il peut arriver, par suite de la rupture d'une machine, par exemple, que le chômage n'existe que dans la partie de la fabrique où l'enfant est employé. Dans ce cas, il n'y aura que les enfants dont le travail aura été interrompu pendant le jour qui seront obligés de travailler la nuit, mais sans qu'on puisse redouter qu'il y ait abus, puisque le temps leur est compté alors pour un tiers de plus, et de telle manière, d'ailleurs, que leur travail ne puisse jamais être prolongé au delà du terme de huit ou douze heures sur vingt-quatre, fixé par l'art. 2.-Ainsi, un enfant de treize ans aura travaillé, dans le jour, douze heures, on ne pourra pas exiger de lui aucun travail de nuit, sous aucun prétexte, de chômage, réparations urgentes ou autres motifs. S'il n'a travaillé que neuf heures dans le jour, il pourra travailler la nuit, mais pendant deux heures seulement, qui en vaudront trois et compléteront ainsi le maximum de douze heures fixé par la loi.

452. L'art. 4 est conçu comme il suit : « Les enfants audessous de seize ans ne pourront être employés les dimanehes et jours de fêtes reconnus par la loi.-On a fait remarquer que l'existence de la loi du 18 nov. 1814, sur l'observation des fêtes et dimanches, ne rend pas superflue la disposition de cet article, par le motif que cette loi n'ordonnant, pendant les jours de fête, l'interruption du travail qu'à l'extérienr, elle ne pourrait pas atteindre le travail qui se ferait dans l'intérieur des ateliers.-Afin de se prêter aux convenances de ceux qui professent le culte israélite, dont les jours fériés ne coïncident point avec ceux des cultes chrétiens, on avait proposé de substituer à la rédaction de l'art. 4 celle qui suit :-« Les enfants au-dessous de seize ans ne pourront être employés plus de six jours par semaine. »Mais un deputé appartenant à la religion hébraïque (M. Fould) a déclaré que son culte n'avait pas besoin d'une autre protection que celle de la loi générale; qu'une minorité de trois cent mille individus ne pouvait pas gêner la conscience de trente-trois millions d'hommes; et que, d'ailleurs, ceux de ses coreligionnaires qui voudront fêter le samedi pourront le faire; mais qu'alors ils auront deux jours de repos.

453. L'art. 5 porte : « Nul enfant âgé de moins de douze ans ne pourra être admis qu'autant que ses parents ou tuteur justifieront qu'il fréquente actuellement une des écoles publiques ou privées existant dans la localité. Tout enfant admis devra, jusqu'à l'âge de douze ans, suivre une école.-Les enfants âgés de plus de douze ans seront dispensés de suivre une école, lorsqu'un certificat donné par le maire de leur résidence attestera qu'ils ont recu l'instruction primaire élémentaire. » — On a reproché à cette disposition d'introduire un système de coaction en matière d'instruction, et de trancher ainsi, par un détour, la grande question d'un enseignement général et obligatoire.

Mais c'est là une double méprise, a répondu le rapporteur à la chambre des députés (M. Renouard). Il ne s'agit point ici, en

effet, d'imposer une contrainte quelconque aax familles qui, au lieu de choisir librement l'enseignement nécessaire à leurs enfants, n'auront choisi que l'ignorance; il s'agit seulement de fixer des conditions à l'admission des enfants au travail industriel.Ces conditions, chacun est 1: ore de les refuser, mais à la charge de se voir refuser en même temps le travail industriel lui-même, L'apathie des pères pour une instruction qu'eux-mêmes ne pos sèdent pas sera combattue par leur intérêt, lorsque l'instruction de leurs enfants deviendra une condition de leur salaire. Désormais la cupidité du père ne pourra atteindre le salaire des enfants qu'à la faveur de la bienfaisante compensation d'un enseignement qui améliorera leur avenir. »

Il a été jugé, par application de cet article, que le manufacturier qui admet dans ses ateliers des enfants âgés de moins de seize ans, sans justifier que ceux d'entre eux qui ont moins de douze ans suivent actuellement une école, ou sans produire un certificat qui constate que ceux qui ont plus de douze ans ont reçu antérieurement l'instruction primaire, encourt l'application des art. 5 et 12 de la loi du 22 mars 1841, encore qu'il aurait donné des ordres pour que les enfants suivissent l'école, et qu'il eût pu croire qu'ils s'y rendaient effectivement; et que l'application et l'exécution de l'art. 5 de la loi du 22 mars 1841 ne sont pas subordonnées à l'existence du règlement d'administration publique, prescrit par l'art. 8 de cette loi (Crim. cass. 14 mai 1846, aff. Dupont-Boilletot, D. P. 46. 1. 507).

454. On avait demandé d'ajouter comme condition à l'admissibilité des enfants, la justification qu'ils avaient été vaccinés. Mais cette proposition avait été retirée sur l'observation du ministre du commerce qu'une telle disposition était superflué à l'égard des enfants qui fréquentent les écoles publiques, lesquels, en effet, n'y sont admis que lorsqu'ils ont été vaccinés.—Quant à ceux qui suivent les écoles privées, il vaut mieux laisser au gouvernement le soin de régler cette condition par un règlement d'administration publique. — V. l'art. 8, no 457.

455. L'art. 6 est conçu de la manière suivante : « Les maires seront tenus de délivrer au père, à la mère ou au tuteur, un livret sur lequel seront portés l'âge, le nom, les prénoms, lé lieu de naissance et le domicile de l'enfant, et le temps pendant lequel il aurait suivi l'enseignement primaire.-Les chefs d'établissement inscriront: 1° sur le livret de chaque enfant la date de son entrée dans l'établissement et de sa sortie, sur un registre spécial, toutes les indications mentionnées au présent article. · Dans le projet adopté par la chambre des pairs, on avait imposé aux chefs d'établissement l'obligation de délivrer des livrets, sauf le visa du maire. Mais, sur l'observation que, dans un tel état de choses, il pourrait très-bien arriver que deux manufacturiers donneraient chacun un livret au même enfant qui pourrait alors travailler dans deux manufactures différentes, on a chargé les maires de ce soin.

456. L'art. 7 dispose: « Des règlements d'administration publique pourront: 1° étendre à des manufactures, mines ou ateliers, autres que ceux mentionnés dans l'art. 1, l'application des dispositions de la présente loi; 2o élever le minimum de l'âge et réduire la durée du travail, déterminée dans les articles deuxième et troisième, à l'égard des genres d'industrie où le labeur des enfants excéderait leurs forces et compromettrait leur santé ; 5o déterminer les fabriques où, pour cause de danger ou d'insalubrité, les enfants au-dessous de seize ans ne pourront poin! être employés; 4° interdire aux enfants, dans les ateliers où ils sont admis, certains genres de travaux dangereux et nuisibles; 5° statuer sur les travaux indispensables à tolérer de la part des enfants, les dimanches et fêtes, dans les usines à feu continu; 6° sta-tuer sur les cas de travail de nuit prévus par l'art. 3. »

457. Art. 8. Des règlements d'administration publique devront: 1° pourvoir aux mesures nécessaires à l'exécution de la présente loi; 2o assurer le maintien des bonnes mœurs et de la décence publique dans les ateliers, usines et manufactures; 3o assurer l'instruction primaire et l'enseignement religieux des enfants; 4° empêcher, à l'égard des enfants, tous mauvais traitements et tout châtiment abusif; 5° assurer les conditions de salubrité et de sûreté nécessaires à la vie et à la santé des enfants.»-Dans le projet, l'art. 8 n'imposait pas au gouvernement l'obligation expresse de faire des règlements pour assurer l'exé

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458. On avait proposé, par un paragraphe additionnel et comme mesure propre à conserver les bonnes mœurs, la séparation des sexes. L'amendement a été rejeté, sur l'assurance donnée par le gouvernement qu'il prescrirait cette mesure toutes les fois que la chose sera possible.-Le docteur Villermé, dans l'ouvrage remarquable qu'il a publié sur le sort des classes ouvrières, falt remarquer, à cet égard, que ce n'est pas seulement dans les ateliers que la séparation des sexes doit avoir lieu, mais qu'il faut aussi fixer des heures différentes d'entrée et de sortie pour les hommes et pour les femmes. Il appartenait à l'administration, à qui toutes ces observations étaient connues, de les mettre à profit.

459. L'art. 9 porte: « Les chefs d'établissement devront faire afficher dans chaque atelier, avec la présente loi et les règlements d'administration publique qui y sont relatifs, les règlements intérieurs qu'ils seront tenus de faire pour en assurer l'exécution. »Dans le projet primitif, on voulait que les règlements intérieurs fussent approuvés par le préfet et revêtus de son visa. Mais la commission de la chambre des députés a retranché cette disposition. « Le droit de faire des règlements intérieurs, disait le rapporteur, appartient essentiellement aux chefs d'établissement. Il n'est pas possible de soumettre à l'approbation du préfet des actes qui ne peuvent émaner que de la libre stipulation des maîtres, et forment un véritable contrat entre ceux-ci et les ouvriers qui acceptent l'obligation de se soumettre à ces règlements. >>

L'art. 9 portant que les affiches qu'il prescrit doivent être placées dans chaque atelier, il a été jugé que, lorsqu'une manufacture se compose de plusieurs ateliers, les affiches ordonnées par cet article doivent être apposées dans chacun de ces ateliers (Crim. cass. 17 juin 1842, min. pub. C. Absous, M. Ricard, rap.).

460. « Art. 10. Le gouvernement établira des inspections pour surveiller l'exécution de la présente loi. Les inspecteurs pourront, dans chaque établissement, se faire représenter les registres relatifs à l'exécution de la présente loi, les règlements intérieurs, les livrets des enfants et les enfants eux-mêmes. Ils pourront se faire accompagner par un médecin commis par le pretet ou le sous-préfet. »-Le mode d'inspection des ateliers et manufactures est une question difficile et grave, qui a été soumise, dans l'intervalle des sessions, aux organes spéciaux du commerce et de l'industrie. Cette inspection sera-t-elle confiée à des commissaires spéciaux, ou aux préfets et sous-préfets, aux maires et aux procureurs du roi et à leurs substituts, ou aux juges de paix et aux co.nmissaires de police, enfin, aux inspecteurs déjà en exercice de l'instruction primaire ?-Des observations des conseils de prud'hommes, des chambres de commerce et des chambres consultatives, sur la question, il résulte que l'expérience seule peut faire connaître au gouvernement quel sera le meilleur mode d'inspection, mode qui variera, certainement, suivant la nature des industries, la proximité ou l'éloignement des établissements, et suivant les besoins et les usages divers des localités. En conséquence, la loi n'a pu poser que le principe, en laissant à l'administration le soin de l'application.-Cependant, a dit le ministre du commerce, il est un point sur lequel l'opinion du gouvernement est arrêtée : c'est qu'une inspection pareille, pour être efficace, pour être digne du but de la loi, doit être entourée de considération et placée haut dans l'estime des populations ouvrières. Le gouvernement en cherchera donc les éléments parmi les notabilités honorables que la voix publique signale à sa confiance, soit dans les conseils généraux de départements et d'arrondissements, soit dans les conseils de manufactures et du commerce.

461. Une remarque à faire sur l'art. 10, c'est qu'en parlant de la représentation des registres, on a ajouté au projet les mots : relatifs à l'exécution de la présente loi. On a craint qu'en laissant subsister l'expression générale registres, on ne portât, par une

extension abusive, dans les affaires privées des manufacturiers, une investigation qui pourrait blesser leurs intérêts. Par suite, les mots en question ont été ajoutés afin d'éviter toute équivoque. 462. L'art. 11 dispose: « En cas de contravention, les inspecteurs dresseront des procès-verbaux qui feront foi jusqu'à preuve contraire. »-Un amendement qui tendait à donner foi à ces procès-verbaux, jusqu'à inscription de faux, a été rejeté par le motif qu'il ne fallait point agir avec les fabricants d'une manière aussi rigoureuse, et qu'en pareille matière la voie de la conciliation serait plus efficace que celle de la répression.—V. Procès-verbal.

463. On fait remarquer qu'en s'en rapportant aux inspecteurs pour constater les contraventions à la présente loi, le législateur ne leur donnait point, à cet égard, une compétence exclusive; que, loin de là, les magistrats et officiers de police judiciaire demeuraient investis des attributions qui leur sont confiées par le droit commun, de rechercher et de punir les contraventions, délits et crimes, en se conformant, à cet égard, aux prescriptions du code d'instruction criminelle. - Seulement, il a été entendu que les inspecteurs, à la différence des magistrats, pouvaient s'introduire à toute heure et en tout temps dans l'intérieur des ateliers, qui, dans les cas ordinaires, et hors le temps de l'inspection, doivent être respectés, en effet, comme le domicile des citoyens. - V. les art. 32 et suiv. c. inst. crim.

464. Art. 12. « En cas de contravention à la présente loi ou aux règlements d'administration publique rendus pour son exécution, les propriétaires ou exploitants des établissements seront traduits devant le juge de paix du canton, et punis d'une amende de simple police, qui ne pourra excéder 15 fr. -Les contraventions qui résulteront, soit d'admission d'enfants au-dessous de l'âge, soit de l'excès de travail, donneront lieu à autant d'amendes qu'il y aura d'enfants indûment admis ou employés, sans que ces amendes réunies puissent s'élever au-dessus de 200 fr.-S'il y a récidive, les propriétaires ou exploitants des établissements seront traduits devant les tribunaux de police correctionnelle, et condamnés à une amende de 16 à 100 fr. Dans les cas prévus par le § 2 du présent article, les amendes réunies ne pourront jamais excéder 500 fr. Il y aura récidive lorsqu'il aura été rendu contre les contrevenants, dans les douze mois précédents, un premier jugement pour contravention à la présente loi ou aux règlements d'administration publique qu'elle autorise.» - Cet article, qui présente un système de pénalité différent de celui du projet du gouvernement et de la commission, est le résultat d'un amendement que M. DaHoz aîné a soumis à la commission ellemême et dont la rédaction a été concertée avec elle. V. à cet égard les développements de M. Renouard (Moniteur).

465. Au lieu de propriétaires et exploitants, la commission de la chambre des députés avait proposé de mettre les directeurs. Elle voulait que ce fussent ces derniers qu'on poursuivit, parce que, dans un grand nombre de cas, les propriétaires sont complétement étrangers à ce qui se passe dans le régime intérieur des ateliers; c'est ce qui arrivera, par exemple, disait-on, à l'égard des nombreux fabricants qui ont l'honneur de siéger dans l'une ou l'autre chambre législative. Et il en sera de même pour le propriétaire qui est en voyage ou absent pour tout autre motif.—On a repoussé cet amendement par des considérations tirées du droit commun et par l'invocation de l'art. 1584 c. civ., qui rend les maîtres et commettants responsables des faits de leurs préposés. On a ajouté ensuite que l'adoption d'un pareil amendement ôterait à la loi toute sa moralité. Car il importe que si un nom est devenu célèbre dans l'industrie, et que si l'homme qui le porte a souffert, par négligence ou par complicité, qu'un délit caractérisé se commit dans son établissement, ce fût ce nom qui en portât la peine, et qu'on n'appliquât pas aux manufacturiers l'institution des éditeurs responsables.

466. Le dernier paragraphe de l'art. 12 contenait, dans le projet, une disposition additionnelle qui prononçait également des peines de simple police contre les père, mère ou tuteur, en cas d'infraction à la loi ou aux règlements d'administration publique rendus pour son exécution. Mais cette disposition, qui avait soulevé des objections unanimes très-graves dans le sein des conseils de prud'hommes, des chambres de commerce et des conseils généraux, a été rejetée en définitive, après avoir été deux fois dis

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