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naire? Il nous faut d'abord distinguer les divers objets que comprend la propriété industrielle; les règles ne sont pas, en effet, les mêmes pour tous: la propriété des uns est perpétuelle; celle des autres n'est que temporaire. Une distinction est donc néressaire.

258. En organisant la propriété industrielle des inventions et des découvertes nouvelles, et la propriété littéraire et artistique, nos législateurs la soumirent à des règles spéciales, exorbitantes, du droit commun. Ainsi la loi des 31 déc. 1790-7 janv. 1791 déclare bien, en termes formels, dans son préambule et dans son art. 1, que toute découverte industrielle est la propriété de son auteur; mais après avoir dit que toute découverte ou invention nouvelle, dans tous les genres d'industrie, est la propriété de son auteur, l'art. 1 aioute: «En conséquence, la loi lui en garantit la pleine et entière jouissance, suivant le mode et pour le temps qui seront ci-après déterminés. » L'art. 7 dit aussi : « Afin d'assurer à tout inventeur la propriété et jouissance temporaire de son invention... » La loi du 31 déc. semble distinguer, dans ces articles, le droit de propriété, de la jouissance, et considérer l'un comme perpétuel, tandis que l'autre est temporaire d'où il résulterait que la nature du droit de propriété des auteurs d'inventions ou de découvertes nouvelles serait la même que celle du droit de propriété ordinaire, mais que ce droit s'en distinguerait seulement en ce que la jouissance exclusive desdites inventions ou découvertes serait bornée dans sa durée. La propriété, quoi qu'en aient dit ceux qui voulaient reconnaître aux inventeurs un véritable droit de propriété, mais en s'appuyant, ce nous semble, sur de mauvais arguments, ne saurait être temporaire elle est, de sa nature, perpétuelle. La limiter dans la durée, c'est la détruire; mais il n'en est pas de même de la jouissance exclusive, qui peut être bornée et qui l'est en effet dans une foule de circonstances. On conçoit donc que, tout en proclamant le droit de propriété proprement dit véritable, des auteurs d'inventions ou de découvertes nouvelles, les législateurs de 1791 aient cru devoir borner la jouissance exclusive de ce droit de propriété, c'est-à-dire la faculté d'exploiter et de céder à autrui le droit d'exploiter, exclusivement à tous autres, l'invention ou la découverte. Ils conciliaient par là le respect du droit de propriété avec l'intérêt social, qui exige que des découvertes utiles ne soient pas exploitées à perpétuité par leurs seuls auteurs ou leurs cessionnaires, ce qui en empêcherait la diffusion. Et qu'on ne pense pas que c'est ici une distinctión de mots plutôt que de choses de notre part. Sans doute la jouissance exclusive est une partie, la partie la plus importante même si l'on veut, au point de vue matériel, du droit de propriété; mais elle ne constitue pas à elle seule le droit de propriété, et cela est si vrai que, dans certains cas, elle en est séparée. Il en est ainsi toutes les fois que l'usufruit est détaché de la nue propriété; mais dans l'espèce dont nous nous occupons, que restera-t-il à l'auteur d'une invention ou d'une découverte nouvelle tombée dans le domaine public par l'expiration de son brevet? Le droit de se dire seul l'auteur de l'invention ou de la découverte.

259. Ainsi, bien loin de considérer le droit des auteurs d'une découverte industrielle comme une concession, les auteurs de la loi du 31 déc. 1790 le considéraient comme un véritable droit de propriété, limité seulement dans un des modes de son exercice, dans sa jouissance. Il suffit pour, s'en convaincre, de rappeler l'opinion de Mirabeau, qui disait que les découvertes de l'industrie et des arts étaient une propriété avant que l'assemblée nationale l'eût déclaré; et de lire le préambule de cette loi où l'assemblée nationale déclare que ce serait attaquer les droits de l'homme dans leur essence, que de ne pas regarder une découverte industrielle comme la propriété de son auteur. Singulière déclaration dans la bouche de ceux qui feraient une concession!

La loi des 19-24 juill. 1793 est moins explicite sur ce point, en ce qui concerne la propriété artistique et littéraire, et l'art. 7 de cette loi semble même confondre le droit de propriété avec la jouissance. On peut en dire autant de l'art. 1. Mais cette confusion existe surtout dans la loi du 5 juill. 1844, qui s'écarte entièrement, dans ses termes et dans son esprit, de celle des 31 déc. 1790-7 janv. 1791. L'art. 1 de cette loi porte en effet : Toute nouvelle découverte ou invention dans tous les genres d'industrie, confère à son auteur, sous les conditions et pour le temps ci

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après déterminé le droit exclusif d'exploiter à son profit ladite découverte ou invention. De propriété, il n'en est plus question, st ce n'est de la propriété du brevet.

260. Les législateurs de 1844 se trouvaient en présence de deux opinions contraires : l'une qui soutenait le droit de propriété véritable des auteurs d'inventions et de découvertes industrielles, l'autre qui considérait les droits de ces mêmes auteurs comme une concession, comme un privilége ou une grâce, c'était le système anglais. On trancha la question sans la résoudre: on évita de prononcer dans la loi le mot de propriété, on ne parla que de l'exploitation, du droit d'exploiter l'invention ou la découverte ; et on laissa de côté ce que le ministre de l'agriculture et du commerce appelait, dans l'exposé des motifs, une question de pure métaphysique. Le ministre avait toutefois indiqué son opinion sur cette question, en déclarant, que la pensée n'est la propriété de celui qui l'a conçue que tant qu'elle ne s'est pas produite au dehors; qu'une fois mise au jour et livrée au monde, elle appartient au monde: et il justifiait cette opinion en disant que la matière seule peut être saisie, occupée, retenue; que l'invention, produit de la fermentation générale des idées, fruit du travail des générations successives, n'est jamais l'œuvre d'un seul homme et ne peut devenir la propriété exclusive que par le consentement de la société, dans le sein de laquelle il a trouvé le germe que son génie a fécondé?-De là on faisait dériver une transaction entre l'auteur et la société dont la jouissance limitée était le résultat. Nous ne discuterons pas ici les arguments de l'exposé des motifs; nous nous bornerons à dire seulement que, si la nécessité de l'intervention sociale, pour faire servir exclusivement, et l'utilité que l'on retire des travaux des générations précédentes sont les seuls motifs que l'on puisse invoquer pour nier le droit de propriété des auteurs des découvertes industrielles, et si ces motifs sont valables, on pourra, en les ap pliquant à la propriété ordinaire, nier d'une manière absolue le droit de propriété. Est-il, en effet, une seule propriété qui puisse se constituer et se conserver sans le secours et sans l'intervention de la société ? L'ouvrier qui façonne un meuble, un outil, l'artiste qui peint, sculpte, ou grave, ne profitent-ils pas des travaux des générations antérieures pour accomplir leur œuvre matérielle? n'ont-ils pas ensuite besoin du secours de la société pour qu'un tiers ne la leur ravisse pas? Sans doute il y a une différence, nous sommes loin de le nier, entre la propriété littéraire, artistique, ou industrielle, et la propriété ordinaire, différence importante et qui consiste en ce que l'une a pour objet des choses incorporelles, immatérielles, tandis que l'autre a surtout pour objet des choses matérielles; et il en résulte que l'origine des premières est plus difficile à constater, et leur jouissance exclusive plus difficile à maintenir, surtout après un temps assez long, que celles des secondes; ce qui exige des règles particulières de constatation et de jouissance pour la propriété littéraire, artistique, industrielle, mais non la destruction de cette propriété. Que l'on exige donc que cette origine soit constatée par des brevets, que l'on borne cette jouissance à un certain nombre d'années, rien de mieux, mais que l'on ne nie pas le droit de propriété littéraire, industrielle ou artistique. Cette question n'a pas d'ailleurs été résolue expressément dans la loi du 5 juill. 1844, qui laisse de côté la propriété et ne parle que du droit d'exploiter. On ne saurait toutefois méconnaître que cette loi diffère entièrement, dans sa lettre et dans son esprit, de celle des 31 décembre 1790-7 janv. 1791, ainsi que cela résulte soit de l'exposé des motifs, soit des rapports faits à la chambre des pairs et à la chambre des députés, notamment du rapport fait par M. Philippe Dupin. Dans l'exposé des motifs du projet de loi sur les dessins de fabrique, fut reproduite la même théorie sur la propriété industrielle. Ce n'était, d'après l'auteur du projet de loi, que la concession d'un privilége rémunératoire qui avait pour base une transaction entre la société et l'inventeur. Les inventions industrielles étaient, selon le même exposé, le produit de la société tout entière, de ses besoins, de ses idées, et l'on ajoutait que: « aliéner au préjudice de la société une partie du domaine universel, ce serait méconnaître dans l'intérêt de quelques hommes, le droit au travail, que Dieu même a donné à tous pour qu'ils pussent pourvoir à leur subsistance et satisfaire aux besoins de la vie » Il ne serait pas nécessaire de faire de grands efforts de

Jogique pour trouver dans cette phrase le principe du communisme et du droit au travail. Pourquoi n'appliquerait-on pas en elet à la propriété ordinaire ce que l'on dit de la propriété industrielle? Nous ne prétendons pas assurément attacher au mot droit au travail, employé par le ministre de l'agriculture et du commerce, le sens qu'on lui a donné depuis: il ne désignait évidemment dans l'exposé des motifs que le droit de travailler, mais le principe posé n'en était pas moins dangereux pour le droit de propriété, par les conséquences qu'on pourrait en tirer contre ce droit.

261. Nous avons déjà dit que ce projet n'avait pas abouti, et par suite nous sommes encore pour les dessins de fabrique sous l'empire du décret de 1806. Or le décret du 18 mars permet aux propriétaires de ces dessins de s'en réserver la propriété exclusive et perpétuelle. L'art. 18 porte en effet : « En déposant son échantillon, le fabricant déclarera s'il entend se réserver la propriété exclusive pendant une, trois ou cinq années, ou à perpétuité. » Les expressions du décret doivent être remarquées, le fabricant se réserve ou conserve (art. 19) la propriété des dessins cette propriété lui appartient donc, et elle lui appartient pleine et entière, car il peut se la réserver à perpétuité, n'en rien céder à la société. Son droit n'est point une concession, un privilége rémunératoire, comme on l'appelait dans l'exposé des motifs du projet de loi de 1845, mais un véritable droit de propriété. C'est aussi sous le nom de propriété que ce droit est constamment désigné par la loi du 18 mars. La section qui le règle a même pour rubri que De la conservation de la propriété des dessins. L'attentat à cette sorte de propriété est appelé par M. Regnaud de Saint-Jeand'Angely, dans l'exposé des motifs, un larcin : « Le plagiat ou plutôt le larcin, dit-il, de cette espèce de propriété, est devenu assez commun à Lyon et ailleurs pour que la répression de ce délit soit un besoin de la société et un devoir de la législation. Vous trouverez dans la loi, messieurs, un moyen heureux et facile de conserver les droits des propriétaires de dessins » (V. Mon. du 10 mars 1806, no 69). - Le dépôt ne constitue pas le droit des compositeurs ou des fabricants, c'est un moyen, mais non le seul, de le constater, qui donne ouverture au droit de revendication: «Tout fabricant, dit l'art. 15, qui voudra pouvoir revendiquer par la suite, devant le tribunal de commerce, la propriété d'un dessin de son invention, sera tenu...>> C'est donc seulement pour l'exercice de l'action en revendication, que le dépôt est exigé... M. le ministre de l'agriculture et du commerce confirmait dans ces termes l'interprétation de la loi du 18 mars 1806, dans l'exposé des motifs du projet de loi de 1845: «Le droit d'apposer son nom, son signe, sa marque distinctive sur les produits de son travail est la conséquence naturelle du droit de travailler. » C'est ainsi que s'exprimait M. Cunin-Gridaine, dans l'exposé des motifs du projet de loi sur les marques de fabrique, présenté à la chambre des pairs, le 8 avr. 1845.

marque: toutefois, elle comprend, sous cette dénomination, le nom du fabricant et même le nom d'une ville (art. 17), reconnaissant ainsi la propriété des noms ou celle des marques, même pour les villes de manufactures, et non pas seulement pour les individus. Nous avons déjà dit plus haut que ce droit de marquer leurs produits avait été reconnu aux manufactures des certaines villes, et spécialement à celles de draps par le décret du 25 juill. 1810. Mais si le droit de propriété des marques et des noms n'avait pas besoin d'une consécration nouvelle, la législa tion existante et la jurisprudence suffisant à le protéger et à le garantir, il est incontestable néanmoins qu'une loi nouvelle était, sinon nécessaire, au moins utile pour mettre en harmonie les diverses dispositions législatives dont se composait la législation relative aux marques. Comment laisser subsister, en effet, tout à la fois, d'une part, l'arrêté du 23 niv. an 9 et le décret du 5 sept. 1810, qui contiennent pour les marques de coutellerie et de quincaillerie des règles spéciales que rien ne justifie, et, de l'autre, les dispositions générales de la loi du 22 germ. an 11, auxquelles déroge ensuite pour les noms, sans trop de raison non plus, la loi du 28 juill. 1824? Coordonner, mettre en harmonie, en les réunissant dans une même loi, ces diverses dispositions protectrices de la propriété des marques, et les compléter, tel était l'objet de la loi nouvelle qui, dans son article premier, reconnaissait d'une manière expresse à tout manufacturier ou commerçant le droit de marquer ses produits ou les objets de son commerce: « Tout manufacturier ou commerçant, disait l'art. 1, a le droit d'apposer ses marques particulières sur les produits de sa fabrication ou sur les objets de son commerce; les emblèmes, dénominations, empreintes, timbres, cachets, vignettes, reliefs, lettres, chiffres, enveloppes et tous autres signes servant à distinguer les produits d'une fabrique ou d'une maison de commerce, sont considérés comme marques. » Ainsi, à l'inverse des autres projets de loi datant de la même époque, tandis qu'on affaiblissait, dans ces projets, le droit de propriété industrielle, des inventions, ou découvertes et des dessins de fabrique, on raffermissait dans le projet de loi sur les marques de fabrique, on consacrait d'une manière plus formelle le droit de propriété des marques et des noms. Nous avons déjà dit que ce projet ne fut pas converti en loi, et nous restons par suite sous l'empire des arrêtés, lois, décrets qui régissaient cette partie de la propriété industrielle; mais cette propriété, ainsi que nous l'avons fait observer, n'en existe pas moins, malgré le défaut d'harmonie entre les diverses dispositions législatives qui la règlent; et cette propriété n est point temporaire. L'action en contrefaçon ne peut être toutefois exercée qu'autant que certaines formalités préalables ayant pour objet de constater la propriété de la marque ont été remplies. Quant aux noms, aucune formalité n'est prescrite pour en conserver la propriété. Voici comment s'exprimait au sujet de cette propriété M. Chaptal, rapporteur à la chambre des pairs, du projet de loi de 1824: Les dispositions protectrices du nom d'un fabricant ou de celui d'une ville de manufacture, «sont justes, en ce qu'elles donnent une garantie à la propriété industrielle. Je dis propriété! et en est-il de plus sacrée que le nom d'an fabricant qui, par un travail assidu, par une conduite sans tache, et des découvertes utiles, s'est placé honorablement parmi les bienfaiteurs de son pays et les créateurs de son industrie? S'il est glorieux de porter des noms illustrés dans la carrière des armes, de la magistrature, de l'administration, il est pareillement houtrable de consacrer le sien par de grands services rendus à l'industrie, une des principales sources de la richesse et de la prospérité d'un Etat. Ce que je dis des individus, je le dirai des villes où des fabricants sont parvenus à créer des geures

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262. Mais ce droit que consacrait le nouveau projet d'une manière plus explicite, avait été reconnu par les diverses dispositions législatives qui régissaient cette matière, au moins d'une manière tacite. L'arrêté du 23 niv. an 9 semble, il est vrai, plutôt concéder un droit que le reconnaître, en autorisant les fabricants de quincaillerie et de coutellerie à frapper leurs ouvrages d'une marque dist ncte, mais nous avons dit à quel propos et dans quelles circonstances ce droit fut reconnu, ce qui explique la forme sous laquelle il l'a été. C'est sur la demande des fabricants que le droit de marque leur fut accordé sous forme d'autorisation, le droit manquait même de sanction dans l'arrêté du 23 nivôse, et ce ne fut que par le décret du 5 sept. 1810 qu'il en reçut une; mais dans la loi générale sur les marques de fabrique, le législateur se borne à constater le droit comme préexis-d'industrie, que la supériorité et la qualité constante de ses protant, et à punir ceux qui lui portent atteinte, montrant par là suffisamment que c'est un droit qu'il ne concède pas et qui appartient à tous. La contrefaçon des marques particulières que toul manufacturier ou artisan a le droit d'appliquer sur les objets de sa fabrication donnera lieu... (L. 22 germ. an 11, art. 16). C'est donc à tort, ce nous semble, qu'on reprochait dans le nouveau projet de loi, au législateur de l'an 11, de n'avoir pas reconnu le droit qui appartient à tout producteur de marquer ses produits. La loi de germ. an 11 est très-brève dans ses dispositions, il faut le reconnaître; elle n'explique pas ce que l'on doit entendre par

duits ont fait apprécier de tous les peuples consommateurs: souvent le nom d'une ville apposé sur les produits command? seul la confiance et forme une garantie aux yeux de l'acheteur, et s'il était permis de revêtir de ces noms des produits infėrieurs, la confiance serait bientôt retirée et la France perdrait infailliblement plusieurs genres d'industrie qu'il importe à sa gloire et à sa prospérité de conserver. Le nom d'un fabricant devenu célèbre par la supériorité constante de ses produits, à fidélité et la bonne foi dans ses relations commerciales, de même que celui d'une ville qui a créé un genre d'industrie connu et réputé

dans toutes les parties du monde, sont donc plus qu'une propriété privée, ils forment une propriété publique et nationale. Les produits revêtus de ces noms sont admis partout avec confiance; et elle est telle cette confiance, que dans plusieurs lieux de grande consommation on les reçoit sans rompre balle... Sans doute l'industrie doit être libre; c'est le seul moyen d'en hâter les progrès et d'exciter l'émulation; mais il ne doit pas être permis d'usurper un nom respectable pour faire colporter impunément la fraude, pour décrier une manufacture, déshonorer un nom jusque-là révéré, et fermer des débouchés au commerce d'une nation» (V. Mon. du 20 juill. 1824, p. 1015).

263. Mais on ne se contenta pas de protéger la propriété des marques et par là les bons fabricants et les bons produits contre les mauvais, on voulut encore soumettre certains produits à la marque significative et obligatoire, et transformer ainsi le droit en obligation.

264. Quelle que soit la nature du droit appartenant à l'auteur ou à l'inventeur sur les inventions ou découvertes industrielles, au compositeur ou au fabricant sur les dessins et modèles de fabrique, au manufacturier, au fabricant, au commerçant sur les marques, noms, droit naturel ou droit concédé, droit de propriété ou droit de jouissance perpétuel où temporaire, celui à qui ce droit appartient a la faculté de le transmettre à autrui. L'art. 14 du décret des 31 déc. 1790-7 janv. 1791 porte que, dans tous les cas, le propriétaire d'une patente, d'un brevet d'invention, pourra en disposer comme d'une propriété mobilière. Dans le décret des 14-25 mai 1791, le législateur reconnaît au propriétaire d'un brevet le droit de contracter telle société qu'il lui plaira pour l'exploitation de sa découverte, à l'exception toutefois de la société par actions qu'il lui est interdit d'établir (art. 14). D'après l'art. 15 du même décret, la cession du droit du breveté ne peut avoir lieu que par acte notarié et avec certaines formalités. La loi du 5 juill. 1844 soumet aux mêmes formalités que l'art. 15 la cession totale ou partielle d'un brevet, après avoir reconnu dans les termes suivants le droit de cession: tout breveté pourra céder la totalité ou partie de son brevet, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux. La propriété artistique des dessins était également transmissible sous l'empire de la loi des 19-24 juill. 1793 (art. 1), et nul doute que la propriété industrielle le soit aussi sous l'empire du décret du 18 mars 1806, quoique ce décret ne parle pas du droit de cession. La propriété étant reconnue, le droit d'en disposer, de la céder à titre gratuit ou à titre onéreux en est la conséquence.

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265. Quant à la propriété des noms et des marques de fabriques, on doit faire une distinction relativement à leur transmissibilité. On a fait remarquer d'abord, et il a été jugé avec raison, que le nom est un titre de famille inaliénable qu'on ne peut dès lors transmettre comme toute autre propriété, indépendamment de tout établissement industriel ou commercial.-V. en ce sens M. Gastambide, Traité des contrefaç., no 468, et jugements du tribunal correctionnel de la Seine, du 5 mars 1829, et du tribunal civil de la Seine, 13 août 1828.

266. Mais s'il n'est pas possible de transmettre la propriété de son nom, indépendamment de la transmission de tout établissement industriel ou commercial, on peut certainement transmettre ce nom accessoirement à un établissement de ce genre.

267. Serait-il permis à un manufacturier, fabricant ou commerçant, de céder à autrui la propriété, non plus de son nom, mais de sa marque? On ne voit pas pourquoi il ne le pourrait pas. V. n 268.

268. Enfin, on peut se demander s'il est possible, sinon de transmettre à autrui la propriété de son nom ou de sa marque, du moins de lui céder le droit d'en faire usage, c'est-à-dire de s'en servir pour marquer ses propres produits? Les dispositions Jégislatives concernant les marques de fabrique n'ont plus pour objet aujourd'hui de garantir la bonté des produits et la responBabilité des producteurs, mais seulement de protéger la propriété industrielle du fabricant ou du commerçant. Qui donc, si ce n'est le fabricant ou le commerçant lui-même, pourra se plaindre si l'on attente à sa propriété? Et il ne le pourra pas lui-même, puisqu'il a donné à autrui le droit de lui porter cette atteinte, le droit de se servir de son nom ou de sa marque, volenti non fit injuria. Mais, dira-t-on, permettre à autrui de se servir de son nom ou TOME XXVII,

de sa marque, c'est permettre de tromper le public incontestablement sur l'origine et quelquefois sur la qualité des produits; car il arrivera quelquefois que le nom ou la marque seront apposés sur des produits inférieurs. Nous ne le nions pas; mais le fabricant étant libre de fabriquer comme il veut, sous notre nouveau régime industriel, eût eu le droit incontestable de mettre son nom et sa marque sur des produits de qualité inférieure. Or ce droit qu'il avait, il a pu le transmettre à un autre. Ce sera d'ailleurs le fabricant qui souffrira dommage dans sa réputation ou dans celle de ses produits, si l'on fait un mauvais usage de son nom ou de sa marque, et il ne pourra s'en prendre qu'à lui seul, si, en permettant qu'on usât de son nom ou de sa marque, il n'a pas prévu qu'on pourrait en abuser.—Quant à la tromperie sur l'origine des produits, V. infrà, nos 270 et 278.

ART. 3.

En faveur de quelles personnes est reconnue
la propriété industrielle.

269. La propriété industrielle étant une conséquence du droit de travailler, il semblerait qu'elle doit être reconnue en France en faveur de tous ceux à qui ce droit appartient, au profit de l'étranger aussi bien qu'au profit du Français; car il est libre à toute personne, à l'étranger aussi bien qu'au Français, de faire en France le commerce ou d'y exercer une industrie. Mais, pour avoir droit à cette protection, le commerce et l'industrie, le droit de travailler doivent être exercés en France, ou, du moins, la découverte industrielle doit avoir été importée en France. Il faut, en un mot, pour que les lois françaises garantissent à l'étranger comme au Français la jouissance exclusive des fruits de son industrie, que la France profite de cette industrie. Demander à nos lois de protéger la propriété industrielle de l'étranger établi à l'étranger, ce serait leur demander, d'une part, de consacrer les conséquences d'un droit qui échappe à leur réglementation, et, de l'autre, de protéger l'industrie étrangère. Sans doute, s'il existe des traités, ou même sans que des traités existent, si les Français obtiennent des lois étrangères protection pour leur propriété industrielle, et, par suite, pour leur industrie, pour l'industrie française, ces traités, ou la réciprocité servent de base aux droits dont les étrangers jouissent en France, d'après notre code civil, art. 11, 726 et 912; les étrangers obtiendront en France la même protection, les mêmes droits que ceux que leurs lois accordent aux Français. Il y a donc une distinction à faire entre l'étranger résidant en France, c'est-à-dire ayant en France un établissement de commerce ou d'industrie, quoique n'y jouissant pas des droits civils, et dont l'industrie est vraiment française, et l'étranger ne résidant pas en France, n'y ayant aucun établissement commercial ou industriel. Les divers projets de loi, présentés par M. Cunin-Gridaine, alors ministre de l'agriculture et du commerce, sur les brevets d'invention, les dessins de fabrique, les marques de fabrique, faisaient tous cette distinction; garantissant la propriété industrielle aux étrangers résidants, ne la garantissant aux non résidants qu'autant que les lois étrangères la garantissaient aux Français. Elle ne fut pourtant pas consacrée par la loi du 5 juill. 1844, sur les brevets d'invention, qui assimile complétement l'étranger résidant ou non résidant en France, au Français (art. 27 et 28); mais si la résidence n'est plus exigée de l'étranger, au moins en ce qui concerne les brevets d'invention, on exige de lui des conditions équivalentes, la mise en exploitation de sa découverte ou de son invention en France dans le délai de deux ans, et l'exploitation continue, à peine de déchéance s'il a cessé d'exploiter pendant deux années consécutives; enfin défense est faite au breveté, sous la même peine, d'introduire en France des objets fabriqués en pays étranger et semblables à ceux qui sont garantis par son brevet. D'où il résulte que la loi ne protége que l'invention ou la découverte exploitée en France, exploitation qui équivaut à la résidence, qui suppose même un établissement industriel. «Dejà cette assimilation, de l'étranger au Français, disait à ce sujet le rapporteur, M. Sauvaire-Barthélemy, à la chambre des pairs, est proposée dans le projet à l'égard de l'étranger résidant en France. Le pas à faire n'est pas bien considérable, quand il s'agit de l'accorder à l'étranger qui n'y réside pas, sans doute, mais que la loi oblige à fonder ou à entretenir des établissements importants sur notre sol et à ne pouvoir vendre (sous peine de nullité du brevet) des objets

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fabriqués par lui-même, ou par ses ayants droits à l'étranger.» C'est d'après ces observations que l'obligation de la résidence, imposée à l'étranger pour la garantie de sa propriété industrielle, fut écartée du projet par la chambre des pairs, et que l'assimila- | tion de l'étranger au Français devint complète. Mais la distinction devenue inutile pour les brevets d'invention fut reproduite dans les projets de loi sur les dessins et sur les marques de fabrique, et maintenue par le même rapporteur à la chambre des pairs, M. Sauvaire Barthélemy, qui l'avait fait écarter de la loi sur les brevets d'invention: « Les étrangers jouiront en France, disait l'art. 19, des droits garantis par la présente loi, en remplissant les conditions et formalités qui y sont déterminées; » mais les articles suivants restreignaient ce droit de jouissance aux étrangers résidant en France, et n'admettaient l'étranger à la jouissance exclusive de la propriété de ses dessins, qu'autant que pareille jouissance était accordée aux Français par les lois de son pays. Voici comment s'exprimait à ce sujet M. Cunin-Gridaine, dans l'exposé des motifs: « Cet art. 19 est une conséquence nécessaire des principes de notre droit public, qui accorde aux étrangers le libre et plein exercice du commerce et de l'industrie. Du moment,❘ d'ailleurs, que l'étranger exploite en France un établissement industriel, son industrie est vraiment française, et il a droit à la protection de nos lois, tant qu'il continue à enrichir le pays de ses capitaux et de son travail » (Exposé des motifs du projet de loi sur les dessins de fabrique, Moniteur de 1845, p. 242) -M. Sauvaire-Barthélemy s'exprime à peu près de la même manière, dans son rapport à la chambre des pairs, en faisant la distinction dont nous avons parlé. « Le champ du commerce et de l'industrie, disaitil, est ouvert dans ce royaume à l'étranger aussi bien qu'au Français; tous deux y ont des droits égaux, et l'étranger qui vivifie le travail national et l'industrie française par des procédés nouveaux, ou qui l'enrichit par des dessins ou des modèles perfectionnés, mérite, d'une manière toute spéciale, la protection de sa patrie d'adoption; elle ne saurait la lui refuser sans manquer à ses plus chers, à ses plus pressants, en un mot, à ses véritables intérêts. >>

Mais ces divers projets de loi n'ont pas été adoptés, nous l'avons déjà dit, et nous sommes encore, pour les dessins de fabrique, sous l'empire de la loi du 18 mars 1806 et, pour les marques et les noms, sous l'empire de l'arrêté du 23 nivôse, de la loi de germinal an 11, du décret du 5 sept. 1810 et de la loi du 28 juillet 1824.- Or, ce sont là des lois nationales, intérieures, plutôt que des lois réglant les principes du droit de gens. Elles ont sans doute pour objet d'assurer à chacun la jouissance exclusive des fruits de son travail et de son industrie; mais elles ont aussi, elles ont surtout pour objet de favoriser et de protéger l'industrie nationale dans ses développements et dans ses conquêtes. Si donc l'étranger pouvait les invoquer comme le Français lui-même, ce serait l'industrie étrangère qui serait protégée et non l'industrie française, et le but principal que nos législateurs se sont proposé, ne serait pas atteint. Les termes des lois spéciales résistent d'ailleurs à la prétention de faire jouir les étrangers des immunités qu'elles accordent à l'industrie manufacturière et artistique. En effet, la loi de germinal an 11 dispose que nul ne pourra se plaindre en contrefaçon de sa marque, s'il ne l'a préalablement fait connaître par le dépôt d'un modèle au greffe du tribunal de commerce d'où relève le chef-lieu de la manufacture ou de l'atelier. La loi du 18 mars 1806 prèscrit aussi le dépôt de l'échantillon d'un dessin aux archives du conseil des prud'hommes, et l'ord. de 1825 substitue pour les fabriques situées hors d'un conseil de prud'hommes, le greffe du tribunal de commerce ou du tribunal civil aux archives du conseil. Or comment satisfaire à ces prescriptions, si l'on ne réside pas en France, et même si l'on n'a pas un établissement industriel placé dans les conditions qu'indiquent les lois citées?

270. Les villes étrangères n'ont évidemment pas plus de droits que les individus étrangers, et ne peuvent par suite invoquer en leur faveur les dispositions protectrices de la propriété industrielle des noms. Le tribunal correctionnel de la Seine appelé deux fois à décider la question, l'a résolue dans un sens la première fois, et dans un sens contraire, la seconde. Ainsi, par jugement du 5 mars 1829, il a condamné plusieurs fabricants Dour avoir indiqué sur leurs flacons ou boîtes la ville de Cologne comme lieu de fabrication; mais, par jugement du 9 juillet 1855,

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le même tribunal a décidé le contraire, par ce motif que la loi de 1824, en interdisant l'indication d'un lieu autre que celui de la fabrication, a assimilé la contrefaçon du nom du lieu à al contrefaçon du nom du fabricant, et a eu pour but non de garantir les acheteurs contre les fraudes, mais de protéger par là les villes de fabrique dont le nom apposé sur les produits com mande la confiance; que cette protection ne saurait s'étendre à de villes étrangères et que, dans l'espèce, la loi du 28 juill. 1824 n'est pas applicable. » M. Gastambide (no 461), qui rapporte ces deux jugements, critique le dernier, en ce qu'il dit que laloi de 1824 a pour but unique de protéger le nom des villes de fabrique, il pense que le but de cette loi est aussi de garantir les acheteurs contre les fraudes. Il est difficile de trouver dans l'exposé des motifs de cette loi, dans les rapports et dans la discussion auxquels elle donna lieu dans les deux chambres et dont nous avons déjà parlé, le but que veut lui assigner M. Gastambide pour fonder une action en faveur des acheteurs pour tromperie sur l'origine des marchandises. Nous discuterons plus tard avec détail cette question. Pour le moment, nous adoptons pleinement la décision du tribunál de la Seine du 9 juillet 1835.

271. Les étrangers qui, sans être autorisés à jouir en France des droits civils, y résident et y exercent une industrie, sont-ils fondés à invoquer, contre l'usurpation de leurs marques, la loi française? La négative résulte des principes posés par la cour de cassation dans les arrêts cités, n° 277. — Mais on dit, en faveur des résidents et pour l'affirmative, que leur industrie est française; qu'en la protégeant on protége l'industrie nationale; que, dès lors, on est injuste envers eux et que l'on méconnaît les véritables intérêts nationaux, quand on assimile les étrangers résidents aux non-résidents; que la loi de 1824, aussi bien que toutes les autres lois concernant les dessins et les marques de fabrique, leur sont applicables; que le dépôt exigé par ces dernières est possible; qu'il n'y a donc aucun motif de leur refuser la protection qu'on accorde aux nationaux; que par là on encourage les étrangers à fonder des établissements en France, à enrichir l'industrie nationale de leurs découvertes et de leurs produits. Et qu'on n'oppose pas ici le silence des lois qui régissent la propriété industrielle à l'égard des étrangers, ou les art. 11 et 13 c. civ. Ces art. 11 et 13 ne sont pas applicables, en ce qui concerne l'exercice du commerce et de l'industrie en France, qui, d'après nos lois, est, avec la propriété industrielle, du droit des gens. C'est ce que presque tous les auteurs modernes qui se sont occupés de la question ont reconon (V. dans ce sens, MM. Serrigny, Droit public, t. 1, p. 252; Demolombe, Cours de code civil, t. 1, no 246 bis; Massé, t. 2, no 35; Fœlix, Tr. de droit international, no 607, et Pardessus, t. 6, no 1479).—Pour nous, nous ne croyons pas que, dans l'état actuel de la législa tion, on puisse aller jusque-là. Le commerce et l'industrie sont sans doute du droit de gens, au moins dans les principes des nations un peu avancées en civilisation. Mais le droit de réclamer la protection de nos lois, c'est-à-dire un privilége, pour ses marques et son nom, est essentiellement civil et particulier aux Français; et nous ne croyons pas que des étrangers non admis au bénéfice de l'art. 13 c. civ., soient fondés à l'invoquer, quot qu'ils aient formé en France des établissements industriels. Aussi voit-on qu'en 1845, le gouvernement avait compris qu'il fallait une disposition expresse dans nos lois pour que les étrangers pussent être admis à invoquer la protection due aux nationaux. Il est bien vrai que la morale des nations n'est pas toujours la morale des particuliers. Est-ce à dire que les devoirs different ; que ce qui est illicite et condamnable entre les membres d'une même cité, est licite entre les citoyens de nationalité différente? Nullement : cette distinction tient à l'inégalité des sanctions. La sanction est égale pour les particuliers qui relèvent d'une même loi, el leurs devoirs sont égaux. Il n'est malheureusement que trop vrai, qu'une sanction inégale est réservée devant chaque gouvernement à des devoirs, qu'en morale, une même protection devrait con vrir. L'égalité des devoirs entre les nationaux de diverse origine n'est donc, et c'est un regret de l'avouer, qu'une de ces bril lantes abstractions que le perfectionnement des rapports internationaux parviendra sans doute un jour à faire pénétrer dans la vie positive des peuples, mais qui, dans l'état actuel des in fluences dominantes, ne serait isolément pratiquée par une nation

ainsi, nous laissons pressentir la solution que nous paraît appeler la grave question de l'imitation des marques étrangères. Cette imitation doit être proscrite, car elle conduit à tromper le consommateur indigène sur l'origine et la nature des marchandises.» Oui, nous nous associons au vœu exprimé par l'auteur; l'imitation doit être proscrite, mais cette prohibition doit avoir lieu dans l'intérêt exclusif du consommateur, et non dans celui du fabricant étranger. Le droit du premier est distinct de celui du second les dispositions du code pénal relatives à la tromperie sur la nature de la chose vendue sont une arme suffisante entre les mains de l'autorité publique; le fabricant étranger a besoin du secours de la loi spéciale, et c'est avec raison qu'on le lut refuse, tant que des droits réciproques et la garantie des traités neviendront pas en aide aux nationaux, dans les pays étrangers où ils exercent leur industrie.

Ajoutons que la jurisprudence de la cour fera peut-être comprendre aux étrangers les inconvénients du système de déloyauté dont ils usent sans scrupule envers les fabricants français, en contrefaisant ostensiblement leurs produits, leurs noms et leurs marques. Il est notoire que les fabricants français n'obtiennent pas justice des tribunaux étrangers auxquels ils adressent leurs plaintes. Parmi les nombreux exemples cités devant la cour de cassation, on peut rapporter le suivant: M. Pelletier, membre de l'institut, de l'académie de médecine, et professeur à l'école de pharmacie de Paris, avait inventé un médicament composé de sulfate de quinine qu'il faisait vendre en Angleterre dans des flacons fermés d'un sceau en cire, où son nom était en toutes lettres et entouré d'une étiquette portant le nom et l'adresse de M. Delondre, son dépositaire. Ce médicament fut contrefait en Angleterre, et la plainte de M. Pelletier fut écartée par une sentence rendue en chancellerie, le 16 août 1838, fondée d'après les conclusions du sous-chancelier, sur ce que la cour ne protége pas le droit de copie (Copy right, droit de manuscrit, propriété litté raire) d'un étranger.

qu'au préjudice de ses intérêts les plus graves. La France n'en est pas aux expériences: l'abolition du droit d'aubaine, sa tolérance civile, son impartiale et loyale justice, sa généreuse hospitalité ne trouvent, en général, ni réciprocité ni retour : le respect des droits et les sacrifices doivent-ils donc être toujours du même côté? Néanmoins, la générosité est un sentiment tellement inné en France, que la théorie de l'égalité absolue des de voirs n'a trouvé, parmi nous, que des défenseurs dans la question qui nous occupe. M. Demolombe, Cours de code civil, t. 1, no 246 bis, se prononce avec énergie en faveur de la protection de la marque des fabricants étrangers: «Comment, dit-il, il serait permis d'usurper les marques et la raison sociale des fabricants étrangers qui ont en France un établissement, un comp-❘ toir, soit par eux-mêmes, soit par un préposé!... Mais alors, on pourrait donc leur prendre leur enseigne, cet autre signe commercial, que les tribunaux protégent si sévèrement et avec tant de raison...! On pourrait ouvrir auprès d'eux un établissement qui leur prendrait tout ce qui constitue l'individualité, la personnalité, leur raison sociale et jusqu'à leurs noms propres ! Je ne puis pas le croire...» M. Serrigny, Droit public, t. 1, p. 252, est d'un avis conforme l'industrie dont l'étranger transporte l'exploitation en France, devient, selon cet auteur, véritablement française, et lui donne droit à la protection des lois françaises. M. Massé, Droit commercial dans ses rapports avec le droit des gens, t. 2, no 35, et Revue de législation, cahier de nov. 1844, p. 285, soutient le même système. M. Fœlix, Tr. de droit international privé, 2e édit., no 607, va plus loin: il considère la doctrine qui tend à refuser à l'étranger le droit d'invoquer les lois qui protégent, en France, les marques de fabrique, comme préjudiciable aux intérêts du commerce : «Nous regarderions, dit-il, la sanction définitive de la doctrine de la cour de cassation, comme une calamité de plus à ajouter à celles qu'une législation et une jurisprudence étroites ont déjà attirées à la France, en provoquant des mesures de rétorsion dans les pays étrangers.» M. Pardessus, t. 6, no 1479, inclinerait vers la même doctrine. Enfin, la cause de l'étranger a trouvé dans le rapport de M. le conseiller Rocher, l'interprète le plus éloquent : les considérations élevées qui militent moralement en faveur du système de protection égale, ne peuvent être présentées avec plus de science et d'éclat. Mais, dans la pratique de la vie, il faut bien souvent descendre des régions où les esprits les plus généreux se laissent si facilement emporter. M. le procureur général Dupin a rappelé à la cour les plaintes amères dont le commerce français a fréquemment fait retentir ses audiences, la presse et la tribune. Il faut, a-t-il dit, que les gouvernements étrangers soient amenés à conclure des traités, et ils reconnaîtront mieux l'utilité de ceux qu'on leur offre, lorsqu'ils en sentiront l'absence. En parlant ainsi, M. le procureur général se rendait l'organe d'un besoin vivement éprouvé, et les chambres réunies de la cour se sont empressées de confirmer la jurisprudence de la chambre civile. Cette jurisprudence est-elle destinée à produire les graves résultats qui ont été signalés? On ne le pense pas. La loyauté de l'esprit public n'en peut être affectée; d'indispensables repré-point d'écho chez les nations que l'on conviait à une sorte de frasailles céderaient immédiatement devant la réciprocité d'avantages que les traités qu'on sollicite assureraient aux fabricants français et étrangers. Pourquoi repousser sans cesse la conclusion de ces traités? Le système de rétorsion dont parle M. Fœlix n'est-il pas pratiqué dans les plus larges proportions à l'étranger? La partialité de la justice étrangère est connue; l'impartialité de la justice française y met-elle un terme? Il faut juger la jurisprudence de la cour de cassation en se plaçant au point de vue du droit international, et ainsi envisagée elle n'encourt aucun reproche sérieux. Elle ne trouve pas moins grâce devant l'économie politique. Sans doute, la sincérité de la marque a dedication des marchandises. Cette prohibition d'user des marques l'influence sur la consommation. La marque est le pavillon sous lequel la marchandise se présente dans le monde commercial; les usurpations sont autant de félonies dont le commerce est victime. En ce sens, la sincérité de la marque est d'ordre public, et c'est avec raison que M. Wolowski a pu dire, dans un article Inséré au Recueil d'économie politique, publié par M. Sandelin, vo Marques, p. 473: «Le sens et le but de l'institution des marques la font donc sortir du cercle individuel et la ramènent dans la catégorie des créations d'ordre public. En l'envisageant

Il serait sans doute à désirer que, à l'exemple des États composant l'union douanière allemande, toutes les nations reconnussent à leurs membres respectifs, avec le droit de travailler, ce droit naturel, inaliénable, imprescriptible, comme l'appelait Turgot, la propriété des fruits du travail, la propriété industrielle; et, en même temps que l'équité trouverait dans la consécration et le respect universel de ces droits une juste satisfaction, l'industrie y puiserait une force nouvelle et prendrait des développements chaque jour plus grands; mais nous sommes loin malheureusement encore de ce temps où les barrières entre les peuples pourront être supprimées, et jusque-là la nation trop généreuse ne recueillera aucun fruit de son initiative que le sacrifice de ses intérêts, sinon de ses droits, sans compensation. C'est ce qui arriva à la France, lorsque l'assemblée constituante déclara, dans son fameux décret du 6 août 1790, « que la France libre doit ouvrir son sein à tous les peuples de la terre, en les invitant à jouir, sous un gouvernement libre, des droits sacrés et inaliénables de l'humanité. » Paroles généreuses qui n'eurent

ternité universelle, et vis-à-vis desquelles on dut revenir bientôt à des sentiments plus positifs (V. dans le même sens M. Gastambide, no 457). - La France, d'ailleurs, n'est pas en arrière, en ce qui concerne la protection accordée aux droits des étrangers en France. Nous avons dit ce qui se passait en Angleterre. Quant à l'Allemagne : en Prusse, la loi de 1840 ne protége les étrangers dans leurs marques qu'autant qu'il existe des conventions à cet égard (art. 4); en Autriche, l'usage des marques étrangères est prohibé. Toutefois les fabricants indigènes ont été autorisés à se servir des étiquettes étrangères qui ne contiennent d'ordinaire que l'in

étrangères n'est nullement dans l'intérêt des étrangers et pour garantir leurs droits, mais seulement pour empêcher les sujets autrichiens d'être trompés sur l'origine des marchandises, et ce qui le prouve, c'est que l'usage des marques étrangères est permis pour les objets destinés à l'exportation. L'Autriche n'avait pas dans ces cas à protéger ses sujets.

272. Au surplus, il est sensible et il a été jugé qu'en supposant qu'un étranger non admis à la jouissance des droits civils en France, soit recevable à invoquer les dispositions des lois fran

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