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comme en Espagne, à Naples, en Syrie, en Egypte et chez les Arabes du désert; il craint les disettes factices, il ne redoute pas l'abondance. Elle augmentera la population, que l'aristocratie lui paraît vouloir dominer ou réduire aux alimens les plus grossiers. « D'ailleurs, s'il y a réellement avilissement du prix des grains, c'est aux cultivateurs industrieux à demander à la terre d'autres produits, des fourrages, des bestiaux, des laines, des fruits qu'on puisse exporter.... » Mais la loi qu'on propose lui paraît faire partie d'un vaste système, et cacher des vues secrètes qu'il s'abstient de préciser.

M. le général Demarçay, dans un discours très-riche en détails d'économie politique, reconnaît les avantages dont serait la suppression générale des douanes, mais aussi que l'importation des grains qui servent à la nourriture de l'homme ne peut être libre dans un pays aussi vaste que la France, et où les moyens de transport sont encore si dispendieux et si difficiles, sans l'exposer aux plus graves inconvéniens et aux plus fâcheuses conséquences.... Dans son opinion, l'agriculture a fait quelques progrès en France depuis la révolution; mais en général elle y est encore dans l'enfance, comparativement à celle de quelques pays de l'Europe, notamment à celle de l'Angleterre. L'augmentation produite dans la valeur du sol vient encore plus de la division des héritages, qui a donné la facilité d'exploiter beaucoup de terres incultes, que du perfectionnement de l'art.....

Il lui paraît constant que les ressources alimentaires de la France excèdent de beaucoup ses besoins, nonobstant l'accroissement de sa population. Il faut aujourd'hui moins de grains qu'il n'en fallait il y a trente ans pour nourrir le même nombre d'individas. L'accroissement de l'aisance a diminué parmi nous la consommation des céréales: la nourriture est meilleure et plus variée un très-grand nombre d'hommes qui ne mangeaient que da pain, mangent souvent de la viande et plusieurs autres subsistances que la pauvreté leur interdisait autrefois. Ces faits, qui ne sont pas contestables, doivent nous délivrer de toute espèce de crainte contre la famine et même contre les disettes, quand on

aura créé en France le commerce des grains et appris l'art de les →conserver. Enfin, après des considérations sur la limite à imposer à l'importation des grains, qu'il ne voudrait permettre que quand le prix des indigènes se serait élevé à 30 fr., et seulement alors avec un droit de balance, l'honorable orateur développe un pro-jet conforme à ses principes sur la liberté du commerce et sur l'établissement des fosses ou greniers souterrains, moyen qui fut ensuite fortement répudié par M. de Puymaurin, comme un procédé des temps barbares, des peuples ignorans, et auquel M. de Beauséjour préfère de beaucoup la liberté entière du commerce.

Nous passons à regret sur le discours de M. Hely d'Oyssel, commissaire du roi, qui défendit le projet ministériel, pour arriver à l'opinion de M. de Villèle, plus remarquable par sa position dans le ministère, et dans la chambre comme député de la haute Garonne,

(23 avril.) S. Exc. aborda la question, après quelques précautions oratoires, par donner des détails statistiques intéressans à › relever.

Il résulte des documens officiels mis sous vos yeux qu'on estime que la France a besoin, pour sa consommation d'une année, de cent soixante millions d'hectolitres de grains; qu'en 1819 la récolte a excédé ces besoins d'environ un dixième, et que néanmoins elle a reçu en 1820 un million quatre cent mille hectolitres de grains étrangers (1), tandis qu'elle n'en a exporté qu'environ cinq cent trente-huit mille hectolitres; ce qui reduit à sept cent cinquante-sept mille huit cent soixante-quatorze hectolitres, qui sont bien entrés en France ( puisqu'ils ont payé 2,573,830 fr. de droits perçus dans nos douanes), l'addition faite par la concurrence des produits étrangers au dixième d'excédant que la récolte de 1819 offrait déjà sur sa consommation.

Les documens officiels nous fournissent les moyens d'apprécier encore mieux les effets de cette importation.

• Les départemens des Bouches-du-Rhône et du Var ont seuls reçu six cent trente-sept mille quintaux métriques de blés étrangers, c'est-à-dire environ un million d'hectolitres, et n'en ont point exporté.

Le département de la Seine-Inférieure en a reçu cent soixante-dix-sept -mille quintaux métriques, et ceux du Nord, de la Moselle et des Ardennes en ont réexporté cent soixante-quinze mille quintaux. ›

D

Les conséquences des circonstances établies et de l'état actuel de

(1) Voyez, à l'Appendice, l'état général des importations et des expor

tations.

la législation sur les grains ont été, suivant M. de Villèle, de conserver invendu dans les greniers des propriétaires de l'est et du midi, en sus du dixième d'excédant qu'ils avaient récolté, environ un million d'hectolitres de blé, tandis que l'agriculture de ce pays doit éprouver en ce moment un déficit de 15 millions de francs exportés et donnés en primes d'encouragement à l'agriculture étrangère et rivale.

M. de Villèle expliquant par des calculs et des raisonnemens trop détaillés pour être relevés ici, comment les marchés de Gray, de Fleurance, de Toulouse, où les grains étaient constamment de 6 à 8 fr. moins chers que ceux de Marseille, ne pouvaient cependant y soutenir la concurrence avec ceux de la mer Noire, malgré le droit dont ceux-ci étaient grevés, tout en admettant l'avantage que le commerce de grains procure à la ville de Marseille, n'en conclut pas que la législation doive le consacrer au détriment des intérêts de l'agriculture d'une grande partie de la France, car en raisonnant de la sorte, Nantes, Rouen et les autres villes de commerce pourraient aussi réclamer la libre importation des produits étrangers.

Sous un autre point de vue, le même orateur, considérant l'avantage et l'effet moral d'une importation limitée, regarde la législation actuelle comme insuffisante, et les marchés régulateurs comme mal choisis. Il approuve l'addition d'une nouvelle classe. Il lui paraît convenable de fixer, comme terme invariable de la défense ou de la liberté de l'importation, un prix ( 24 fr.) tel qu'il permette au propriétaire de vendre sans concurrence étrangère les produits de son sol au taux fixé par l'évaluation cadastrale comme base de leur impôt; et d'après les considérations qu'il a fait valoir dans l'intérêt de l'agriculture, il déclare que, comme il a voté la loi de 1819, il votera cette année pour les amendemens de la commission, si le gouvernement les adopte, pour ceux concédés par le ministère de l'intérieur, si le gouvernement persiste à les regarder comme les seuls qu'il puisse consentir.

La discussion générale paraissait épuisée; cependant plusieurs orateurs (MM. Humblot-Conté, de Gasquet, François Durand,

Guilhem, Ganilh, etc...) y jetèrent encore des lumières. On y revint souvent sur la grande question de savoir comment concilier les intérêts de l'agriculture et ceux de l'industrie ; jusqu'à quel point il faut permettre l'importation des grains étrangers; si le haut ou le bas prix des grains est favorable à l'industrie et même à la reproduction agricole. La prohibition absolue paraissait aux uns le véhicule le plus puissant de l'agriculture nationale, et le seul moyen efficace de prévenir le retour des disettes; aux yeux des autres, c'était le coup le plus funeste porté à l'industrie, au commerce et à la population. Quant à l'influence du prix des grains sur l'industrie, M. Humblot-Conté regarde comme un fait reconnu par tous les manufacturiers de province, que lorsque les grains sont à bas prix, la main-d'œuvre devient rare et chère, et que dans les pays de production, il est presque impossible de sc procurer des ouvriers pour les fabriques dans les campagnes, où l'abondance devient la source de la mendicité. Il cite à l'appui de ses opinions, la Suisse, la Hollande, et en France les pays les plus industrieux.-M. Ganilh soutenait au contraire que là cherté habituelle des subsistances, ayant pour objet immédiat l'élévation du prix de la main-d'œuvre, entraînait nécessairement celle des produits de l'industrie, qui ne pouvaient ensuite soutenir la concurrence dans les marchés étrangers. Fidèle aux principes des économistes du siècle dernier, il réclamait pour l'agriculture et le commerce la liberté la plus étendue ; et il se plaignait J'ailleurs qu'on n'eût pas remis, pour une discussion aussi importante, les documens ou renseignemens nécessaires. M. Lainé, reconnaissant que la discussion s'était agrandie de manière à ce que les documens fournis n'étaient plus suffisans pour la décider en pleine connaissance de cause dans l'extension qu'on veut lui donner, et combattant tour à tour l'exagération du système qui veut sacrifier l'industrie à l'agriculture, ou l'intérêt des propriétaires à celui des consommateurs, concluait à ce qu'en attendant les conseils de l'expérience, on s'en tînt aux amendemens consentis par le ministre de l'intérieur.

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(25 avril-4 mai). Cependant la commission ne se relâchant

point de ceux qu'elle avait proposés, il s'engagea sur les articles une discussion non moins intéressante que ne l'avait été la discussion générale. Mais il serait trop long de revenir sur les objections, sur les contestations qui s'élevèrent entre les défenseurs ou les adversaires des divers projets du gouvernement ou de la commission, sur la quantité ou le prix des grains importés, sur les combinaisons différentes des marchés régulateurs, sur la fixation des droits imposés à l'entrée des grains étrangers, et sur la limite qui devait séparer les importations ou marquer la faculté d'exporter ou d'importer. Le ministre de l'intérieur et M. de Villèle reparurent à la tribune; M. de Saint-Cricq y donna des renseignemens plus précis sur les inconvéniens des amendemens proposés au projet. Plus d'une fois il se manifesta entre des orateurs siégeant du même côté, habitués à voter ensemble, des dissidences d'opinion remarquables. —(28 avril.) M. Benjamin Constant, revenant sur la question, tant de fois agitée, de savoir si la cherté des vivres et le prix élevé des subsistances était utile à l'industrie, soutint que le renchérissement excessif ou subit des vivres, loin d'assurer à la classe pauvre des salaires proportionnés, la réduisait à s'offrir au rabais; qu'alors les salaires n'étaient pas en raison du besoin ou de la nécessité où elle se trouve d'obtenir du travail. D'autres orateurs du côté gauche réprouvaient la loi actuelle avec les amendemens de la commission, comme n'ayant été conçue que dans l'intérêt de la majorité nouvelle de la chambre, c'est-à-dire de la grande propriété (M. Le Voyer d'Argenson). M. Manuel, considérant l'intérêt de la masse six fois plus considérable des propriétaires, demandait que l'importation ne fût autorisée qu'au taux où cesserait l'exportation.

En dernière analyse, presque tous les amendemens proposés dans le cours de la discussion furent écartés : celui de M. Humblot Conté, tendant à limiter par une ordonnance spéciale la quantité des grains qui seraient importés quand l'importation aurait été permise ;-celui de M. de Lastours, pour établir des greniers de réserve; et celui de M. Castelbajac, tendant à interdire aux ministres le droit de faire des changemens aux marchés régula

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