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gouvernemens représentatifs réels, qui est la mort des gouvernemens représentatifs factices.»

M. Lainé (montant à la tribune après M, Étienne), considérant d'abord la proposition dans ses analogies avec les usages parlementaires de l'Angleterre et des assemblées délibérantes dans d'autres pays libres, la montre mieux assortie à nos mœurs et à notre position.

Sans doute, dit S. Ex., la charte et les lois ont statué que les opinions des députés étaient libres, et qu'aucun d'eux ne pouvait être poursuivi devant les tribunaux à raison des discours prononcés à la tribune. La loi s'est bien gardée de définir le mot opinion, elle a dû laisser à votre sagesse à le déterminer; elle n'est pas faite pour tous, elle n'a en vue que des législateurs. Cette loi n'a pas dû établir de peines pour les discours coupables; elle a dů s'en remettre à vous-riêmes...... De simples réponses ne seraient pas un reméde; il est beaucoup de discours dont le danger serait augmenté par la réponse mème, et l'opinion de l'orateur qui répond n'a pas le même poids que Ja désapprobation jugée nécesssaire ailleurs de toute l'assemblée...» Enfin il ne s'agit ici d'abord que de remettre en vigueur des règles déjà écrites. Il est fàcheux, il est vrai, d'ajourner pour quelques heures la révélation d'une vérité utile qu'un orateur sera forcé de mettre en réserve, mais c'est sa faute s'il la fait précéder de phrases qui troublent l'ordre. Et puis, au siècle où nous sommes parvenus, le danger de voiler un moment sous le silence une vérité utile est moins funeste que le danger du désordre qu'en fait faire d'aussi importantes...

(9-11 avril.) La discussion se prolongea encore plus animée, et pendant quatre à cinq séances se reproduisirent sous des formes variées, d'une part, les objections tirées de l'indépendance des députés, du danger d'étouffer la liberté de la tribune et d'opprimer la minorité (MM. Devaux, Girardin, Pavée de Vandoeure, etc...); de l'autre, les argumens à l'appui du projet, la nécessité de resserrer la discipline de la chambre, pour arrêter les scandales de la tribune, les attaques dirigées contre la légitimité, les éloges incessamment donnés aux révolutions ou insurrections (MM. Regnouf de Vains, de Bonald, Delbreil d'Escorbiac, de Cayrol, de Lalot, etc.): et au milien de ces opinions diverses il éclatait souvent des deux côtés opposés de la chambre des accusations contre le ministère. Ainsi M. Bignon trouvant dans la proposition. un objet plus étendu, une intention plus large, qui semble se lier d'une manière plus ou moins directe à un ensemble de dispositions offensives simultanément dirigées en divers pays contre le

développement ou l'affermissement des gouvernemens représentatifs; une sinistre coïncidence avec des plans formés au-dehors et déjà exécutés ailleurs :

« C'est avec douleur, s'écrie-t-il, que nous voyons le ministère s'égarer dans les voies dangereuses, en répétant, pour légitimer l'asservissement de la tribune, le rappel fallacieux à l'ordre que l'on fait retentir ailleurs pour légitimer l'asservissement des royaumes. C'est avec douleur que nous le voyons, déclarant la guerre aux véritables principes du gouvernement représentatif, vouloir tracer dcs limites à l'élan de la pensée, instituer des peines contre la franchise du discours et l'énergie de l'expression, et, par le renouvellement d'une célèbre vengeance, clouer, pour ainsi dire, chaque jour à la tribune la langue des défenseurs de la liberté publique. L'ordre, dans le vocabulaire des gouvernemens au char desquels le nôtre est si malheureusement enchaîné, l'ordre pour eux, c'est le pouvoir absolu. Faut-il nous étonner que, par une dérivation funeste, l'ordre, dans la chambre des députés, doive être le silence ou le langage de la servitude ?.... »

De l'autre côté de la chambre, MM. de Vaublanc et de la Bourdonnaye réprouvent fortement la maxime du milieu. «Que le ministère reconnaisse enfin la voix d'une opinion dominante, dit ce dernier orateur, qu'il marche à sa tête, et qu'il la dirige, et vous verrez qu'alors tous les cris impuissans des partis, les insinuations séditieuses, les provocations à la révolte n'oseraient plus paraître à cette tribune et lutter contre le colosse de l'opinion publique, et toute la puissance réunie d'un gouvernement juste, mais ferme, et qui sait à la fois récompenser et punir.

» Non, messieurs, l'opposition n'est forte que par la faiblesse du ministère; elle ne menace que parce qu'il ne punit pas; elle ne crie que parce qu'il se tait, et la majorité de cette chambre n'est immobile que parce que quelques ministres ne sont occupés qu'à la paralyser. Que le ministère agisse, la majorité déploiera sa force, et vous n'aurez besoin ni de Code pénal, ni de règlement additionnel.

» D'ailleurs, les additions proposées au règlement tendraient, en

un mot, à donner indirectement au ministère une omnipotence de police, et à créer une anarchie constituée. Il en résulterait bientôt un système destructif de la charte et de la légitimité.

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Ce discours termina la discussion générale, mais la discussion des articles ramena souvent les mêmes questions et les mêmes idées. Plusieurs amendemens furent proposés des deux côtés de la chambre, les uns pour augmenter les rigueurs du règlement, les autres dans une intention contraire; ils furent tous également rejetés. Des articles additionnels furent renvoyés, comme n'ayant point de rapport avec la proposition de M. Sirieys de Mayrinhac, à la commission qui resta chargée de l'examen de la proposition de M. Maine de Biran, dont il n'a plus été question à cette session; et après dix jours de débats, toujours intéressans et souvent orageux, les nouveaux articles du règlement furent adoptés à la majorité de quarante-quatre voix, tels que la commission les avait rédigés.

(Nombre des votans, 310. - Boules blanches, 177. - Boules noires, 133.)

Administration communale et départementale. On avait souvent entendu, dans la discussion précédente, des allusions au projet de loi pour l'organisation de l'administration municipale et dépar tementale, présenté à la chambre, dans la séance du 22 février, par le ministre de l'intérieur. Quoique ce projet n'ait pas été sou mis à la discussion, il n'est pas inutile d'en rappeler les disposi→ tions principales. Les communes y étaient divisées en communes rurales et en communes urbaines. Le maire et les adjoints devaient être nommés, dans les premières, par les préfets, dans les autres, par le roi :-Le conseil municipal des premières, par une assemblée composée des membres du conseil municipal existant, — des plus imposés (ou leurs fondés de pouvoir) en nombre égal à celui des membres du conseil, où étaient admis les doyens des ordres de Saint-Louis, de la Légion-d'Honneur et du mérite militaire. -Dans les communes urbaines (à l'exception de la ville de Paris, dont l'organisation municipale devait être réglée à part), l'élec

tion des conseillers municipaux devait être faite par une assemblée composée des membres du conseil municipal, d'un nombre égal des plus imposés et de notables désignés par le gouvernement entre les.magistrats, négocians, avocats, artistes, chefs ou syndics des corps d'arts et métiers, etc., dans un nombre égal au moins es méme double de celui des conseillers et des plus imposés. Enfin pour l'élection des conseils d'arrondissement et de département, des assemblées composées sur les mêmes principes que celles des communes urbaines devaient présenter des candidats entre lesquels le roi ferait son choix.

Le ministre de l'intérieur (M. le comte Siméon), en soumettant le projet, avait fait l'historique du régime municipal en France jusqu'à l'assemblée constituante, où les élections étaient populaires, et sous le régime du gouvernement impérial, qui s'en empara toutà-fait. Quoique la Charte n'eût apporté aucune modification à ce dernier régime, cependant, à mesure que les principes et les avantages du gouvernement représentatif se sont développés dans les chambres, on avait désiré de les voir appliquer dans une juste proportion à la formation des administrations. On avait reconnu l'avantage du renouvellement partiel des conseils. Quant à la distinction établie par le projet entre les communes rurales et les communes urbaines, on avait considéré que, dans les premières, les élémens de l'administration ne peuvent se trouver que parmi les propriétaires éclairés, et on y admettait leurs fondés de pouvoirs parce qu'ils ne s'y trouveraient pas en nombre suffisant. Dans les communes urbaines, où les intérêts varient et sont souvent plus industriels qu'agricoles, on avait cru devoir introduire des notables en nombre plus ou moins considérable, suivant l'impor→ tance des intérêts dominans, au choix du gouvernement, le meilleur juge en cette matière.

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Tels étaient en substance les motifs allégués par le ministère sur un projet qui, à peine connu du public, n'en fut pas moins l'objet des critiques les plus vives..... On lui reprochait de mettre les communes rurales sous le despostisme de l'aristocratie, les communes urbaines, les arrondissemens et les départemens sous la

domination du ministère; de tendre à rétablir les corporations, les jarandes et les maîtrises. Dans le rapport qui en fut fait au nom de la commission, M. Pardessus (13 avril) y proposait quelques modifications plus favorables à la grande propriété qu'au gouvernement; mais, soit que le ministère fût effrayé de l'opposition qui s'annonçait, soit que le temps manquât pour une discussion approfondie, ce projet, si souvent réclamé et promis, fut encore ajourné ; et à toutes les questions épigrammatiques faites à cet égard par l'opposition, ni le ministère, ni le côté droit ne se mirent en peine de répondre.

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