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vent présenter des formes séduisantes du discours, mais ils sont rarement conformes à la vérité des choses... Nul doute que les chambres étant, aux termes de la charte, des formes du gouvernement du roi, elles ne soient, dans les limites que la loi leur a tracées, associées à l'exercice de la souveraineté royale, ou, pour mieux dire, qu'elles ne soient des formes par lesquelles, dans certains cas, le roi exerce la souveraineté d'une manière plus imposante, plus solennelle, plus irrévocable.... Mais transporter dans sa plénitude à un député un caractère auquel la chambre entière elle-mème ne fait que participer, c'est une erreur évidente: cette idée de souveraineté, supérieure à toute espèce de discipline, serait le désordre même de la chambre. En voulant couvrir du bouclier de l'inviolabiité tous les discours, l'orateur a été contraint de distinguer l'opinion des actes: mais il ne s'est pas expliqué sur ces actes, ou plutôt il s'est assez expliqué pour ruiner son système. Il a reconnu que des paroles pouvaient être des actes. Il a dit, en propres termes, qu'on pouvait commettre des crimes à la tribune.... Et cependant son système entier tend à investir la parole d'une inviolabilité absolue : c'est ce système que j'attaque comme insoutenable..... Comment admettre que les délits, que les lois punissent dans les simples particuliers, restent complètement impunis dans vous-mêmes?.......... La parole à la tribune est toujours innocente, ou elle peut être parfois criminelle. Il est évident, et nous en avons la preuve, qu'elle peut être criminelle: on commet donc des crimes par la parole on peut donc, par la parole, provoquer à tous les crimes? Eh bien! dans ce cas, la chambre se contentera-t-elle de l'application d'une peine morale telle qu'un rappel à l'ordre? Elle est nulle pour les orateurs qui regardent ce rappel à l'ordre comme une sorte de prix qu'ils remportent, et qui ajoute à leur popularité aux yeux de leurs partisans. Il y a la plus que de l'impunité, il y a encouragement au crime. Soutenir cette doctrine, c'est soutenir le désordre même. »

Quant aux objections tirées de l'abus qu'on peut faire d'une mesure répressive, d'abord M. le garde des sceaux déclare qu'il préférerait une chambre qui abuserait de ses droits à une chambre dépouillée de tous droits, et qui présenterait au peuple, justement effrayé, le spectacle d'une impuissante anarchie. Il opine donc pour prendre la proposition en considération; mais en même temps il croit qu'il y faudrait des modifications... Il observe que les articles 11, 21, 24, 26, 27 du règlement attribuent au président le pouvoir de maintenir l'ordre dans la chambre et de diriger ses délibérations, parce qu'une assemblée ne peut se gouverner elle-même, et que ce gouvernement serait une oppression continuelle de la minorité par la majorité...

...« Le président, étranger aux mouvemens qui agitent la chambre, dit-il, est bien plus à même de juger de la nécessité du rappel à l'ordre. Il arrête un premier mouvement, cela est utile ; et s'il réprime, il le fait avec l'assentiment

de la grande majorité de la chambre. Que ce soit donc au président seul à décider s'il y a lieu ou non de rappeler à l'ordre et à la question... Que la minorité ne craigne pas l'abus de ce pouvoir, car c'est surtout dans son intérêt qu'il est donné.......... Le président est presque toujours dans le cas de protéger la minorité, par la raison que la majorité se protége elle-même par sa propre force... >

Ainsi M. le garde des sceaux se borne, quant à la proposition de M. Sirieys de Mayrinhac, à appeler l'attention de la commission sur l'exécution plus sévère du règlement, des règles tombées en désuétade, et il ne doute pas qu'on ne puisse résoudre le problème de concilier l'ordre avec la liberté des discussions.

(3 mars. ) Plusieurs autres orateurs furent encore entendus en opposition ou à l'appui de la proposition. (D'un côté, MM. de Saint-Aulaire, Labbey de Pompières, Ganilh, Chauvelin, Casimir Perrier, etc... De l'autre, MM. Duvergier d'Hauranne, d'Hautefeuille, de Castelbajac, Bonnet, etc...) Nous nous bornons à citer quelques traits du discours de M. Castelbajac, qui fit plus de sensation que tout autre, en raison de son opinion et de ses liaisons politiques... Il signalait la mesure proposée comme dangereuse à la liberté des discussions et inutile pour arrêter les scandales.

Il me paraît bien autrement important, disait-il, bien autrement avantageux de fermer la bouche par des raisons que par des moyens qui ont l'apparence de coups de force! Répondez à tel ou tel discours avec énergie et logique, allez droit au fait, attaquez franchement les principes, dites toutes vérités, sans en taire aucune, et vous ferez deux biens à la fois, celui d'éclairer l'opinion et de contenir ceux que vous aurez victorieusement repoussés. »

Bien que l'orateur eût souvent parlé de la nécessité de repousser les principes pernicieux, et qu'il eût conseillé au ministère de ne prendre pour faire triompher les principes monarchiques que des moyens monarchiques, son discours fut souvent applaudi, appuyé des membres du côté gauche. D'ailleurs il n'eut pas plus de succès que ceux de l'opposition; et il fut décidé à une grande majorité que les propositions de MM. Sirieys de Mayrinhac et Maine de Biran seraient prises en considération.

(3 avril.) Le rapport de la commission nommée pour les exaAnnuaire historique pour 1821.

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miner sc fit long-temps attendre. Il donna lieu à des débats intérieurs; on convint de scinder les propositions que la délibération du 9 mars avait voulu confondre, et de ne s'occuper d'abord que de la proposition de M. Sirieys, comme plus spéciale, et elle reçut dans le sein de la commission les modifications indiquées dans le discours de M. le garde des sceaux sous la forme des trois articles suivans, ajoutés au règlement.

« Art. 1er Conformément à l'article 21 du règlement, le président rappelle seul à l'ordre l'orateur qui s'en écarte.

« L'orateur qui, dans le cas du même article, demande à se justifier, obtient seul la parole.

« 2. Lorsqu'un orateur a été rappelé deux fois à l'ordre dans le même discours, le président, après lui avoir accordé la parole pour se justifier, s'il le demande, doit consulter la chambre pour savoir si la parole ne sera pas interdite à l'orateur, pour le reste de la séance, sur la même question.

La chambre prononce par assis et levé, sans débats.

« 3. Conformément à l'art. 26, le président rappelle seul à la question l'orateur qui s'en écarte.

<< Le président ne peut accorder la parole sur le rappel à la question.

« Si un orateur, après avoir été deux fois, dans le même discours, rappelé à la question, continue à s'en écarter, le président doit consulter la chambre pour savoir si la parole ne sera pas interdite à l'orateur, pour le reste de la séance, sur la même question.

La chambre prononce par assis et levé, sans débats. »

(6 avril). La discussion ouverte, M. de Castelbajac, rappelant et développant dans son discours les argumens qu'il a employés dans la discussion sur la prise en considération, expose que les modifications proposées par la commission lui paraissent avoir les mêmes inconvéniens avec un principe d'énergie de moins, et rejette le projet, dont il lui semble que le ministère peut un jour user contre une majorité monarchique, et où il y a, suivant l'honorable orateur, danger pour l'opinion, qui pourra être égarée sans pouvoir être éclairée; avertissement pour la chambre, qui délaisse son pouvoir et sa dignité; affaiblissement de force morale du président, et plus de moyens de scandale qu'il n'en existe aujourd'hui.

Du même côté, M. de Montbrón, appuyant la proposition, demandait des mesures plus sévères, comme de soumettre à une espèce de censure les phrases ou les discours qui auraient donné

lieu au rappel à l'ordre, et d'en interdire la publication dans les journaux.

De l'autre, où siégeait la véritable opposition, M. Benjamin Constant, traitant la question dans toute son étendue, et comme devant décider de l'indépendance des discussions, répond d'abord à ce que le rapporteur de la commission (M. le comte Florian de Kergorlay) avait dit des règlemens et des usages sévères du parlement britannique et du congrès américain; il rappelle qu'on y jouit dans les débats de la plus grande liberté ; que la chambre des communes est investie de l'initiative des lois; que les motions d'ordre y sont admises; que tout membre du parlement peut interpeller les ministres et sur les actes de leur administration et sur toutes les négociations avec l'étranger... Il en rapporte des exemples frappans ; et après avoir dit que la réfutation des raisonnemens empruntés de l'Angleterre s'applique avec une double force aux États-Unis, il ajoute que quand il y a dans un pays une liberté républicaine, quand la loi permet infiniment de choses, elle peut être plus sévère pour ce qu'elle interdit; et qu'il est absurde d'argumenter de cette sévérité contre les choses qui doivent être défendues pour l'appliquer ailleurs aux choses qui doivent être permises.

En examinant le projet dans son but principal, l'orateur n'est rien moins que rassuré par ce qu'on a dit de la modération d'une majorité forte et de l'impartialité d'un président qui, « fût-il impartial de caractère, sera toujours partial de position, par le besoin qu'il a lui-même de l'appui de la majorité. » Il s'élève surtout contre la disposition qui priverait l'orateur menacé du rappel à l'ordre et de la censure, du droit commun en tout pays à un accusé d'avoir un défenseur..., ce qui pourrait concilier les esprits... Arrivé à la disposition qui lui semble la principale qu'on a en vue, c'est-à-dire à l'interdiction de la parole à un membre qui aurait été deux fois rappelé à l'ordre par le président..., M. Benjamin Constant, reprenant les exemples déjà cités des usages parlementaires de l'Angleterre, observe que l'abus du droit déféré au président repousse toute liberté de discussion...

« Toutes les questions se tiennent, dit-il; je ne puis accorder au ministre des affaires étrangères des fonds pour son ministère, sans examiner si ces fonds ne sont pas remis aux ennemis de la France, ou détournés de leur destination; je ne puis accorder au minstre de l'intérieur des fonds pour l'instruction publique, sans savoir comment et par qui l'instruction publique sera dirigée ; je ne puis en accorder pour les pensions militaires, sans savoir si ces fonds ne sont pas prodigués à ceux qui sont devenus généraux en temps de paix; je ne puis enfin consentir des lois plus ou moins sévères, sans savoir quel esprit anime le ministère qui va s'armer de ces lois. Tout se tient; rien n'est clair que réuni. Isolé, tout est confus, tout est faux.

« Je conçois que cette pratique est très-commode pour un ministère. En scindant toutes les questions, en circonscrivant l'examen dans de petites sphères partielles, en nous parquant, pour ainsi dire, dans un étroit enclos, les ministres empèchent qu'on n'embrasse l'ensemble de leur système Ils n'ont pas encore le mérite de l'invention; c'est le vieil axiome: diviser pour régner.

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L'adoption de cette mesure, ce silence imposé à vos adversaires, serait l'aveu le plus humiliant d'infériorité et d'impuissance pour faire valoir et triompher la raison.

« Enfin, messieurs, le droit de faire ce qu'on vous propose, vous ne l'avez point. U membre de la chambre peut s'être écarté de la question, et avoir ensuite, sur la question, des choses bonnes, utiles, indispensables à dire. La charte, qui est votre règle, veut qu'il ait cette faculté. Elle veut que les discussions soient libres pour être libres, il faut qu'elles soient complètes. Vous pouvez punir ce qui a été dit de répréhensible; mais vous violez la charte en proscrivant d'avance ce qui peut ne l'être pas.....

(7 avril.) A ces argumens, M. le général Brun de Villeret ajoute que la proposition ainsi conçue rend éternel le despotisme de la majorité dans la chambre et jusque dans les commissions, où la minorité n'a pas un seul de ses membres admis; -M. Guitard, qu'en conférant l'initiative au président et le jugement à la majorité, la commission a redoublé le danger; qu'il ne faut pas se laisser séduire par la douceur apparente de la peine, qui n'en attaque pas moins l'indépendance des députés, et dont l'abus sera d'autant plus facile qu'on craindra moins de l'appliquer.

<< Les articles qu'on vous propose, dit M. Etienne, sont moins une addition à vos règlemens qu'à la dernière loi électorale. Combinée exclure tous les intérêts nouveaux, pour elle est encore insuffisante; et si on n'a pu se délivrer de certains noms on veut au moins étouffer certaines voix : il faut achever par les entraves de la tribune ce qu'on n'a pu obtenir par la gêne du scrutin.

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« C'est une atteinte de plus à la publicité, qui est la vie des

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