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mée, et on n'a pas d'armée quand on n'est pas d'accord avec la

nation.... »

Pendant ce discours, l'impatience d'une grande partie de la chambre était visible; mais le ministre des affaires étrangères crut devoir, avant qu'on fermât la discussion, faire une dernière déclaration sur la neutralité que le gouvernement avait adoptée.

• On vous a parlé, dit S. Ex., avec une affectation bien marquée d'une espèce de double rôle que l'on a fait jouer au gouvernement. Ce gouvernement, fidèle à ses devoirs, à ses principes, s'est placé dans la seule ligne où il doit se tenir. Il y a un ambassadeur auprès du roi de Naples, roi par sa naissance, par sa légitimité, entouré du respect et de l'amour de ses peuples. Je ne craindrais pas d'assurer que l'orateur auquel je réponds serait désavoué par les Napolitains eux-mêmes, s'ils avaient entendu mettre en doute l'existence de cette royauté, et la représenter séparée de son peuple. Quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur le roi de Naples, il est roi légitime de Naples, et le roi de France doit avoir un ambassadeur auprès de sa personne; mais le roi de France n'a pas pour cela négligé les intérêts de ses sujets ui les devoirs qui lui étaient imposés. Il y a un chargé d'affaires à Naples, qui y joue le rôle qu'il y doit jouer : il est à Naples conciliateur, comme le sont partout dans ce moment les ministres du roi, comme l'est et le veut être constamment le gouvernement de Louis XVIII.... »

La déclaration du ministre mit fin à la discussion générale, mais elle ne satisfit pas l'opposition. Le lendemain encore, après le résumé de la commission, où le rapporteur s'applique surtout à justifier le projet de loi des reproches de l'opposition, et à faire valoir les améliorations du système financier, le général Sébastiani essaya vainement de ramener la question politique. La discussion rentrée dans les limites de la question financière, il s'éleva contre l'emploi secret des droits du sceau des titres. M. Bogne de Faye fit d'autres observations sur la diminution des produits de nos revenus dans l'Inde (portés en 1818 à 2,438,828 fr., et en 1819 à 1,654,212.) Le général Foy proposa encore un amende

ment tendant à faire publier les ordonnances pour autoriser les paiemens qui excéderaient le crédit législatif accordé. Mais sur l'observation du ministre, que cette mesure rentrait dans le système de spécialité, débattu avec tant de chaleur l'année dernière, cet amendement fut rejeté comme tous les autres, et après unc discussion particulière qui avait duré six jours, l'ensemble des six projets fut adopté. (Nombre des votans, 290.- Boules blanches, 243. - Boules noires, 47.)

CHAMBRE DES PAIRS.

(31 mars.) Le ministre des finances, en portant ces projets à la chambre des pairs, rappela les objections qu'ils avaient subics, et les réponses qu'il y avait faites, en exposant les espérances qu'il avait d'une amélioration progressive dans la reddition des comptes, par la coopération de la cour des comptes.... Sur ce point, le rapport fait par M. le comte Mollien, le 17 avril, au nom de la commission spéciale, indique encore des améliorations à faire pour l'accélération des travaux de la cour des comptes, « qui offriront désormais, dit-il, un contrôle impartial des calculs administratifs présentés aux deux chambres. » Le noble rapporteur remarque en outre, comme une preuve unique jusqu'à ce jour de la progression des avantages du système actuel du règlement des comptes, qu'à l'expiration du deuxième mois de l'année il restait à peine à recouvrer, sur chaque budget, un vingtième de ses produits, et que la rentrée de ce vingtième s'opérait ensuite presque en totalité dans le premier mois de l'année suivante....

(21 avril.) Comme à cette chambre il ne se mêle guère de questions étrangères aux projets à discuter, et qu'ici la matière parut avoir été suffisamment éclaircie dans le rapport de la commission, il ne se présenta aucun orateur pour en combattre les conclusions, et les six projets de loi passèrent sans discussion à l'unanimité des suffrages (sur 132 votans).

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POUR qui vient de lire attentivement les chapitres précédens, il n'est pas besoin de rechercher les motifs de la proposition que M. Sirieys de Mayrinhac développa dans la séance du 8 mars. Elle tendait à suppléer par de nouveaux articles au règlement à l'insuffisance du rappel à l'ordre et même de la censure, « dont certains orateurs pourraient se jouer, disait-il, sans que le blâme exprimé. de la manière la plus énergique les empêchât de continuer les provocations les plus dangereuses, même dans l'espérance d'en obtenir une sorte de popularité.

Nos essais en gouvernement représentatif, dit M. Sirieys, se ressentent de l'oppression que nous avons éprouvée sous le despotisme..... Le palais de la chambre des députés est devenu, pour ainsi dire, une salle de spectacle, dont l'intérêt des discussions n'est apprécié par les spectateurs qu'autant qu'elles produisent du scandale... Depuis deux mois, attentif à nos discussions, j'ai médité sur tout ce que j'ai vu, sur tout ce que j'ai entendu. Muet observateur de scènes souvent calamiteuses, j'ai gémi de voir l'élite de la nation française oublier les règles des convenances et le sentiment de sa dignité...»

Examinant les précautions prises jusqu'à présent pour maintenir l'ordre, telles que le rappel à l'ordre et même avec censure (art. 21, 24, 26), M. Sirieys observe qu'elles sont insuffisantes et même nuisibles; a car il arrive souvent que plusieurs se rappellent mutuellement à l'ordre, et la chambre n'est plus qu'une lice où chacun se fait un mérite de soutenir son parti. Ainsi, pour empêcher qu'on n'arrête à chaque instant la marche des délibérations, la chambre ne soit pas condamnée malgré clle à entendre

et

que

des doctrines subversives du trône et de l'ordre social», M. Sirieys propose d'ajouter à l'art. 21 du règlement un paragraphe ainsi

conçu :

« Un député peut demander qu'un orateur soit censuré; si la demande est « appuyée, elle est mise aux voix; si la chambre prononce la censure, elle est inscrite au procès-verbal; l'orateur censuré ne peut terminer son discours <<ni parler de nouveau sur la question dans la même séance, S'il demande à « se justifier avant que la censure soit mise aux voix, la parole lui est accordée. « Aucun autre membre de la chambre ne peut être entendu contre la

« censure. »

La discussion immédiatement ouverte sur la prise en considération de cette proposition, M. Royer Collard, considérant le député à la tribane comme n'étant, d'après la charte, ni responsable, ni justiciable d'aucun pouvoir...

Le député à la tribune, dit-il, exerce une espèce de souveraineté, par cela qu'il y participe à l'exercice de la puissance législative et qu'il y soumet à la responsabilité, s'il le juge à propos, le gouvernement tout entier. Je ne dis pas qu'il est législateur, mais il opine en législateur. Sa pensée n'est pas sujette, elle est souveraine. Tout lui est soumis, la majesté royale seule exceptée; tout comparait devant elle, la société, son gouvernement et ses lois; le passé, le présent, l'avenir, le cours universel des choses; elle n'a rien à démêler avec les codes et les légistes, elle domine tout.... La charte ordonne au député de l'exprimer librement. C'est pourquoi la parole du député à la tribune élevée en ce moment, par la charte, a la même souveraineté que sa pensée, dont elle est l'organe, n'est soumise, de même que tout exercice de la souveraineté, qu'aux lois éternelles de la vérité, de la justice et de la raison. C'est pourquoi il n'a qu'une responsabilité morale à raison de ses opinions, et n'est sujet qu'à des peines morales, telles que le rappel à l'ordre et la censure. C'est pourquoi il n'est justiciable à ce titre d'aucune autorité, car l'autorité dont il serait justiciable serait supérieure à la puissance législative, dont le député est l'élément, ce qui implique contradiction. C'est pourquoi enfin le crime légal ne doit pas être cherché et ne peut se rencontrer dans les discours de la tribune... Sans doute il peut se commettre à la tribune des actes incriminés par les lois, et ils sont punissables là comme ailleurs; mais il n'est pas permis de traduire des opinions en actes... Ce n'est pas la pensée solitaire qui tombe sous l'empire de la loi, Or, l'opinion du député n'est jamais que sa pensée, car ce n'est pas lui qui la publie, c'est la charte. La charte n'a point ignoré, quand elle a rendu nos séances publiques, qu'il se produirait des opinions insensées, insolentes, factieuses, perverses ; elle eût ignoré la nature humaine; cependant la charte, dans de plus hautes pensées que les nôtres, a voulu que les lois se fissent en public; bien plus, elle a recommandé, par une garantie formelle, la liberté des discussions, et par-là elle a pris sur elle, dans l'intérêt public, toutes les conséquences. Elle s'en fie à la publicité elle-même et à la contradiction pour décrier l'erreur, demasquer l'esprit de faction, confondre

Fimmoralité et la perversité. La publicité était donc du choix et du fait de la charte, le député n'en est pas responsable, et la loi qui la tournerait contre lui violerait à la fois la charte, l'équité et la raison.

« Maintenant, messieurs, ce que la loi ne pourrait pas faire, n'est-il pas monstrueux qu'on vous propose de le faire par votre règlement? et lorsque le député n'est pas, à ce titre et dans son opinion, justiciable à la loi ellemême, la minorité tout entière serait-elle justiciable à la majorité qu'elle contredit, qu'elle doit souvent contredire, et qui la punira en la réduisant au silence? Non, messieurs, il n'est pas plus au pouvoir de la chambre de nous suspendre que de nous destituer; et si une majorité plus imprudente que ne fut celle de 1815 venait à le tenter, la soumission pourrait être conseillée par la prudence, mais l'obéissance ne serait pas un devoir.....

L'auteur de cette proposition allègue la nécessité de mettre un terme à la violence de nos débats. Je déplore, messieurs, tous les scandales et tous les excès; moi aussi je connais la gravité des circonstances; je vois les maux qui déjà nous pressent, et une partie au moins de ceux qui nous attendent..... Mais le remède n'est pas dans la tyrannie, la révolution est là pour vous le dire.... Ce qu'on vous propose est de la pure tyrannie, et cependant ne suf-, fira pas. Il serait commode de se délivrer de ses adversaires par un article de réglement, mais la providence n'a pas voulu que la tyrannie pût s'établir à si peu de frais. Il faut, messieurs, s'y compromettre davantage. Jusque-là, il y a, j'en conviens, une fort grande différence pour la personne du député d'être déporté à son banc plutôt qu'à Sinamari ( allusion au 18 fructidor); mais quant à l'intégrité de la représentation et à l'autorité morale de la loi, il n'y en a

aucune..... »

Après ce discours, qui contient toute la doctrine de l'opposition sous des formes oratoires si propres à l'orateur, M. le garde des sceaux paraît à la tribune. Il commence par rappeler que la proposition de M. Maine de Biran (1) aurait dû être comprise dans les développemens; et après quelques reproches à l'anteur de celle-. ci de n'avoir pas donné lui-même l'exemple de la modération (son discours offrait des personnalités contre M. Decazes) et de l'observance des règlemens désirables dans les discussions, il aborde la question de savoir si et comment la chambre peut exercer une juridiction sur ses membres, et quelles sont les limites. de cette juridiction, dont il n'hésite pas à soutenir les droits et la nécessité.

« Il faut se défier, dit-il, en s'attachant particulièrement à réfuter les doctrines de M. Royer-Collard, de ces énoncés absolus et catégoriques : ils peu

(1) On se souvient que cette proposition, inutilement reproduite par l'autear à chaque session, est relative aux pétitions. (Voir l'Annuaire pour 1820, page 217.)

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